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La coopération au développement belge rationalise et ne connaît pas (encore) la crise

Numéro 4 Avril 2009 par Emmanuel De Loeul

avril 2009

Dans son édi­tion de jan­­vier-février, Dimen­sion 3, le maga­zine de la direc­tion géné­rale de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment (DGCD), écrit « que le bud­get de l’aide au déve­lop­pe­ment est mis sous pres­sion ». Il s’agirait déjà d’une des consé­quences de la crise, alors que, ces der­nières années, la plu­part des pays dona­teurs avaient pro­mis de consa­crer davantage […]

Dans son édi­tion de jan­vier-février, Dimen­sion 3, le maga­zine de la direc­tion géné­rale de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment (DGCD), écrit « que le bud­get de l’aide au déve­lop­pe­ment est mis sous pres­sion ». Il s’agirait déjà d’une des consé­quences de la crise, alors que, ces der­nières années, la plu­part des pays dona­teurs avaient pro­mis de consa­crer davan­tage de moyens finan­ciers (0,7 % de leur PIB) à la soli­da­ri­té Nord-Sud.

Dans Le Soir du 26 février, la Croix-Rouge révé­lait avoir consta­té un recul de ses dons de 15 % en décembre. Les Objec­tifs du mil­lé­naire pour le déve­lop­pe­ment (OMD) ne seront pas atteints à l’horizon 2015… Les constats pes­si­mistes s’accumulent, mais la décla­ra­tion de Paris, adop­tée en 2005 par les États membres de l’Organisation de coopé­ra­tion et de déve­lop­pe­ment éco­no­miques (OCDE), vien­drait-elle à point pour sau­ver la mise ?

L’eurodéputé socia­liste belge, Alain Hut­chin­son, membre de la com­mis­sion Déve­lop­pe­ment du Par­le­ment euro­péen, croit que « la décla­ra­tion de Paris s’inscrit dans une volon­té de faire mieux avec ce que l’on a1 ». Elle repose sur cinq piliers (appro­pria­tion, ali­gne­ment, har­mo­ni­sa­tion, ges­tion axée sur les résul­tats et res­pon­sa­bi­li­té mutuelle). Elle consti­tuait, aux pre­mières heures, en 2005, un pacte entre plu­sieurs États pauvres et les grands bailleurs de fonds : les ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales, les États riches et la « nou­velle grande puis­sance du déve­lop­pe­ment », autre­ment nom­mée la Fon­da­tion Bill and Melin­da Gates (dont le bud­get s’élève à 3,8 mil­liards de dol­lars en 2009)… 

En 2008, au Gha­na, à la veille du Forum de haut niveau d’Accra sur l’efficacité de l’aide, les grands dona­teurs des pays du Nord et les gou­ver­ne­ments des pays en déve­lop­pe­ment ont déci­dé de convier des orga­ni­sa­tions de la socié­té civile à par­ti­ci­per aux débats. Dans la fou­lée, pour assu­rer une meilleure appli­ca­tion des prin­cipes de la décla­ra­tion de Paris, le ministre belge de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, Charles Michel, a lan­cé une série de concer­ta­tions avec les orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales (ONG) sub­ven­tion­nées par son minis­tère. À l’heure de ter­mi­ner cet article, les ONG belges pré­parent leur réponse à la « Pro­po­si­tion de pacte entre le ministre de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment et les ONG » : un docu­ment de cinq pages sou­mis à la mi-février 2009 par Charles Michel aux repré­sen­tants ONG.

Au départ de cette concer­ta­tion tou­jours en cours, le ministre s’est appuyé sur les conclu­sions, en 2005, de l’évaluation par les pairs du Comi­té de l’aide au déve­lop­pe­ment (CAD) de l’OCDE. Charles Michel en reprend un des points impor­tants : les ONG belges auraient ten­dance à frag­men­ter leur aide et à dis­per­ser leur pré­sence dans le monde. En consé­quence, le ministre leur pro­pose « de limi­ter leurs inter­ven­tions à dix pays et d’assurer dans cha­cun d’eux un bud­get mini­mum de 500.000 euros ». L’objectif est ambi­tieux pour ne pas dire inac­ces­sible à la majo­ri­té des ONG. D’autant plus qu’il leur est éga­le­ment pro­po­sé d’augmenter leur apport en fonds propres — qui leur donne accès au cofi­nan­ce­ment — de 20 à 30 %. Théo­ri­que­ment, une telle hausse de quote-part devrait être ava­li­sée au terme d’une pro­cé­dure législative…

L’esprit de l’associatif ?

Les faits et les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Des cin­quante-huit ONG ayant reçu l’agrément pro­gramme, trente-sept sont actives dans le Sud […] Par­mi ces der­nières, dix-neuf sont pré­sentes dans plus de six pays, dont dix dans plus de dix pays et cinq dans plus de quinze pays. Le bud­get moyen par ONG par pays est de 1.079.400 euros pour trois ans, soit 360.000 euros par pays par an par ONG. Pour onze ONG ce bud­get est infé­rieur à 250.000 euros et des­cend pour cer­taines à moins de 50.000 euros. De plus, il est sou­vent divi­sé entre plu­sieurs par­te­naires dans un même pays. »

Le pacte pro­po­sé par Charles Michel pour­rait-il pous­ser à la for­ma­tion de « clus­ters », autre­ment dit de « super ONG » ? Cer­tains le craignent. Dans un compte ren­du de l’Acodev (la Fédé­ra­tion des asso­cia­tions de coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, comp­tant nonante ONG membres : fran­co­phones, bilingues et ger­ma­no­phones), l’on peut lire que « la dyna­mique asso­cia­tive doit être pré­ser­vée », au risque de la voir « s’exprimer autre­ment et pas for­cé­ment dans un sens qui capi­ta­lise les acquis de qua­rante ans de coopé­ra­tion et de soli­da­ri­té inter­na­tio­nale ». Inter­viewé par la revue Défis Sud, Charles Michel répond qu’il ouvre au contraire la voie vers un véri­table ren­for­ce­ment asso­cia­tif : « Si les ONG passent à 30 % de fonds propres, ça vou­dra dire qu’elles ont vis-à-vis des auto­ri­tés une liber­té et une force de pro­po­si­tion beau­coup plus impor­tantes et une légi­ti­mi­té beau­coup plus forte, parce qu’elles se fondent sur un plus grand sou­tien de la socié­té civile belge. Ensuite, je pense qu’il faut être enthou­siaste par rap­port aux 500.000 euros, car lorsqu’on fait le décompte des frais de fonc­tion­ne­ment et que l’on constate quelle est la part qui va vrai­ment à l’amélioration des condi­tions de vie, à la concré­ti­sa­tion d’un pro­jet, l’on se dit que 500.000 euros sont néces­saires en termes de rap­port qua­li­té-prix et d’effectivité de l’aide […] la dyna­mique des 500.000 euros, n’est-ce pas quelque chose qui devrait aller dans le sens sou­hai­té par les ONG ? […]», s’interroge le ministre2.

Sans doute, mais der­rière la volon­té de ratio­na­li­sa­tion de l’aide, l’on devine un conflit idéo­lo­gique d’arrière-garde, que Charles Michel évoque mal­gré lui lorsqu’il « convie les ONG à être aus­si pro­gres­sistes que leurs dis­cours ». À la revue Défis Sud, il dira qu’il per­çoit des « moti­va­tions poli­ti­ciennes » chez cer­tains de ses inter­lo­cu­teurs ONG, les invi­tant plu­tôt à se concen­trer sur leur tra­vail d’amélioration des condi­tions de vie des popu­la­tions du Sud… Un point qui pro­voque éga­le­ment la méfiance des ONG réside dans l’appel du ministre à mettre en œuvre le prin­cipe d’alignement conte­nu dans la décla­ra­tion de Paris, qui consiste « à inté­grer tous les pro­grammes d’aide sur les stra­té­gies natio­nales et à appuyer au maxi­mum les ins­ti­tu­tions des pays par­te­naires ». Cela pré­sage-t-il d’un ali­gne­ment à venir des inter­ven­tions des ONG belges sur la liste des dix-huit pays par­te­naires de l’aide bila­té­rale ? Ain­si, l’objectif pro­po­sé serait de « viser 85 % du bud­get des ONG à affec­ter dans les pays partenaires ».

L’aide plus efficace là où elle risque d’être inefficace ?

Le prin­cipe de l’alignement pos­tule que l’aide au déve­lop­pe­ment a plus d’impact dans un envi­ron­ne­ment ins­ti­tu­tion­nel favo­rable. L’économiste et sta­tis­ti­cien fran­çais Jean-David Nau­det qua­li­fie ce prin­cipe de tri­vial : « Plus on est dans un endroit où les poli­tiques sont maî­tri­sées, plus l’aide va être effi­cace. Mais cette évi­dence laisse le pro­blème intact, car c’est bien là où l’environnement ins­ti­tu­tion­nel est le moins favo­rable que l’aide a le plus de rai­sons d’être3. »

Le rôle de la coopé­ra­tion indi­recte est-il dès lors d’aller explo­rer des lieux et des contextes où les prin­cipes d’alignement ne peuvent pas fonc­tion­ner ? Quelques ONG belges sont actives dans pas moins de trente pays. Leur pré­sence dans cer­taines contrées ne tient pas tou­jours de la vision éclai­rée, mais s’apparente par­fois à de vieilles soli­da­ri­tés roman­tiques ou poli­tiques, à des liens post­co­lo­niaux, si pas au main­tien de réseaux qui, comme dans tout groupe social orga­ni­sé, sont liés aux pré­fé­rences des indi­vi­dua­li­tés qui « comptent » au sein de leur ONG.

Non­obs­tant, le pacte pro­po­sé par le ministre Charles Michel com­porte bien, entre les lignes, le risque de voir saper à la base la liber­té des asso­cia­tions d’être sub­ven­tion­nées pour des soli­da­ri­tés inter­na­tio­nales nou­velles ou orphe­lines, dans des régions non agré­gées par les auto­ri­tés publiques belges. Jean-David Nau­det affirme « qu’il faut trou­ver le juste milieu entre le sys­tème défen­du par la décla­ra­tion de Paris, qui a ses défauts, et l’alternative com­plète qui vou­drait que chaque bailleur inter­vienne auprès de ses béné­fi­ciaires avec ses méthodes, sans cohé­rence, sans appro­pria­tion. Dans cer­tains pays pauvres, les inter­ve­nants exté­rieurs sont par­tout, cha­cun avec sa marotte, son idée fixe, son par­te­naire vil­la­geois, etc. » Sans pour autant reve­nir à l’éparpillement des actions de lutte contre la pau­vre­té et à des pra­tiques huma­ni­taires écu­lées, les soli­da­ri­tés futures ne com­mencent-elles pas au fil d’actions mini­ma­listes qui, à défaut d’être tou­jours vision­naires, méritent un appui public ? Certes, la majo­ri­té de ces ini­tia­tives peuvent s’avérer vaines, mais il reste à prou­ver que les petits pro­jets de soli­da­ri­té sans len­de­main font plus de tort aux pauvres que les déré­gu­la­tions macro-éco­no­miques. Le tâton­ne­ment et l’échec ne font-ils pas intrin­sè­que­ment par­tie de l’esprit de la soli­da­ri­té ? Nos auto­ri­tés publiques vont-elles pas­ser par pertes et pro­fits cette dimen­sion impor­tante de la démo­cra­tie et de l’initiative citoyenne ?

Le 11 mars 2009

  1. Charles Michel, « Alain Hut­chin­son : les bonnes inten­tions se suc­cèdent », Défis Sud, février-mars 2009.
  2. Charles Michel, « Amé­lio­rer le rap­port qua­li­té-prix », Défis Sud, février-mars 2009.
  3. Jean-David Nau­det, « L’aide plus néces­saire là où elle a plus de risques d’être inef­fi­cace ? », Défis Sud, février-mars 2009.

Emmanuel De Loeul


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