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L’interdit qui voile

Numéro 2 Février 2010 - Islam islamophobie par David D'Hondt

février 2010

Alors que le débat est tou­jours d’ac­tua­li­té, la majo­ri­té des écoles bruxel­loises ont inter­dit le voile. Chaque matin, ils dis­pa­raissent à la grille de l’é­cole, mais ce « pro­blème dif­fi­cile à gérer » n’a jamais quit­té l’é­cole et la vie des quar­tiers qui l’en­tourent. Hier, cette réa­li­té fai­sait par­tie inté­grante de l’é­cole, aujourd’­hui, c’est tou­jours le cas à une dif­fé­rence près : par l’in­ter­dit, l’ins­ti­tu­tion tente de la nier.

« Et chau­dasse, tu sais que ta façon de t’habiller c’est pas hal­lal ! » Moha­med inter­pelle une fois de plus une élève de sa classe. Pas hal­lal ou pas licite. Donc pas auto­ri­sé, donc inter­dit. Nous y voi­là. Les jeunes Bruxel­lois de milieu popu­laire et issus d’une famille de confes­sion musul­mane ne per­çoivent sou­vent l’islam qui est le leur (l’est-il vrai­ment?) que par une dua­li­té unique : le licite et l’illicite. Viande, amour, sexua­li­té, tenue ves­ti­men­taire… La vie est régie par ce qui est inter­dit d’un côté et ce qui est auto­ri­sé de l’autre. Der­rière son bureau, le prof, lui, entre en col­li­sion fron­tale avec ce monde. Un monde qu’il peut ten­ter d’ignorer, mais qui va très vite le rat­tra­per. Une fois rat­tra­pé, l’enseignant peut choi­sir de décons­truire ce méca­nisme pour ensuite mieux le recons­truire avec ses élèves. Mais voi­là que, dans l’école où j’enseigne, on a choi­si d’adopter le même sché­ma que les élèves : l’interdit. Inter­dit dans l’enceinte de l’école, auto­ri­sé en dehors, le voile devient l’objet d’une dua­li­té lui aus­si : inter­dit de le por­ter à l’école, inter­dit de ne pas le por­ter pour l’islam pra­ti­qué par les élèves…

De la longueur du voile…

Retour en arrière : mai 2008, le pou­voir orga­ni­sa­teur de l’école décide, sans consul­ta­tion du corps pro­fes­so­ral ni des élèves, d’interdire le port du « cou­vre­chef » dès la ren­trée sco­laire. Les parents seront dès lors aver­tis par un cour­rier qui annonce l’interdit du cou­vre­chef, « cas­quette, voile…». Le voile, un cou­vre­chef comme un autre pour la direc­tion. Le voile, un signe de la foi pour les des­ti­na­taires. Deux réa­li­tés, un oppres­seur qui croit savoir et un oppri­mé qui ne peut que subir. Et la rai­son d’être de cet inter­dit n’est pas dévoi­lée. Ou à peine : les filles voi­lées n’auraient pas res­pec­té le règle­ment qui était d’application jusque-là. En effet, un an plus tôt la direc­tion avait déci­dé d’interdire les « voiles longs ». Mais le flou sur ce qu’il fal­lait entendre par « voile long » avait ame­né cer­tains à par­ler d’un voile « à la pirate » (donc atta­ché à l’arrière du cou, mais sans le cacher) alors que, pour d’autres, il fal­lait entendre « un voile qui ne recou­vrait pas l’ensemble du corps ». Un com­pro­mis sera trou­vé : le voile « tra­di­tion­nel » est auto­ri­sé à condi­tion de le mettre à l’intérieur du col du che­mi­sier. Glo­ba­le­ment, la règle sera bien res­pec­tée. Et pour avoir obser­vé la traque par cer­taines ensei­gnantes des filles qui man­quaient à la règle, je peux dire qu’il était dif­fi­cile d’esquiver… Alors qu’au même moment, ce n’était pas d’esquiver, mais d’impunité dont on pou­vait par­ler lorsque la direc­tion admet­tait qu’il était impos­sible de faire res­pec­ter aux gar­çons l’interdiction de fumer impo­sée par la Com­mu­nau­té fran­çaise. Deux poids, deux mesures.

Quant au voile à por­ter à l’intérieur du col, le fait que les filles aient accep­té cette règle alors même que le coran parle de se « cou­vrir la poi­trine », montre com­ment, pour cer­taines au moins, ce sont les che­veux qu’il convient de cacher avant tout…

… à son interdiction

Sep­tembre 2008. La ren­trée sco­laire a lieu. Les élèves reviennent. Toutes sont désor­mais « dévoi­lées ». En fait, non. Toutes les filles qui ont pour habi­tude de por­ter le voile se dévoilent à l’entrée de l’établissement. Pre­mier contact avec des filles dont je n’avais jamais aper­çu la che­ve­lure. Des visages par­fois fort dif­fé­rents. Un mélange de honte, de timi­di­té, de ques­tion­ne­ment, de sur­prise aus­si… tra­verse nos regards. L’interdit est néan­moins bien res­pec­té. Mais sur­tout, le contrôle est bien pré­sent. Ain­si, s’il m’arrive d’apercevoir des gar­çons por­tant une cas­quette dans la cour de récréa­tion sans que quelqu’un ne pense à rap­pe­ler l’interdit, le voile est quant à lui absent de l’enceinte de l’école. Il ne res­sort qu’en fin de mati­née et en fin de jour­née lorsque les élèves quittent l’établissement. Elles peuvent alors le remettre dans le hall d’entrée de l’école où une matière réflé­chis­sante qui tient lieu de miroir a été col­lée sur le côté du dis­tri­bu­teur de boissons.

Cer­tains crai­gnaient que des filles aban­donnent l’école en rai­son de l’interdit, mais cela n’a pas été le cas. Cer­taines filles ont sui­vi le mes­sage issu de la com­mu­nau­té musul­mane elle-même met­tant en avant l’importance de l’enseignement. D’autres repren­dront cette idée en ajou­tant qu’au « jour du juge­ment der­nier, Dieu saura…».

Du côté d’une majo­ri­té du corps pro­fes­so­ral et de la direc­tion, c’est la satis­fac­tion. Du « tu as vu Lati­fa, elle est si belle sans son voile…» au « eh bien, on fait tant d’histoires autour du voile, mais c’est quand même mieux ain­si » en pas­sant par les « moi, j’ai l’impression que Samia est libé­rée de ne plus devoir por­ter ce voile noir qui cachait son visage. Elle porte aus­si d’autres vête­ments depuis…»

Tout irait donc bien dans le meilleur du monde ? Ceux qui prônent un inter­dit com­plet du port du voile au sein de l’ensemble des écoles de la Com­mu­nau­té fran­çaise de Bel­gique ne peuvent que juger la mesure satis­fai­sante. Or le pro­blème, c’est que cet inter­dit nous amène à pen­ser que le voile a dis­pa­ru, que le « pro­blème » est réso­lu. Deux élé­ments tendent à mon­trer le contraire. D’un côté, l’interdit sus­cite encore la dis­cus­sion lorsque les élèves abordent la ques­tion. De l’autre, le fait que les filles qui portent le voile ne le retirent que pen­dant le temps qu’elles doivent pas­ser au sein de l’école. Si cer­tains comp­taient sur une dis­pa­ri­tion de l’islam et des « pro­blèmes » ou ques­tions qu’il soulève…

Du respect de l’interdit…

Deux phases ont sui­vi l’interdiction du port du voile, une pre­mière qui concerne sur­tout la pre­mière année de l’interdit. Et puis, cette année, la deuxième année, où des langues se délient.

La pre­mière année, le cours de reli­gion catho­lique était le lieu de toutes les ques­tions. Les nou­veaux élèves qui, appre­nant que, jusque-là, le voile avait été auto­ri­sé, deman­daient à connaitre les rai­sons de ce chan­ge­ment. Les autres, les « anciens », reviennent eux aus­si sur cette nou­veau­té. Le PO n’apportera jamais de réponse à cette ques­tion à laquelle moi-même je ne peux pas répondre. L’enseignant est tenu de se sou­mettre à la déci­sion. Le ques­tion­ne­ment est alors dif­fi­cile à gérer et est sur­tout l’expression d’une double dif­fi­cul­té : d’une part, accep­ter qu’un signe qui appa­rait aux yeux des élèves comme inno­cent tout en étant hau­te­ment sym­bo­lique puisse être inter­dit sans rai­son appa­rente, et, d’autre part, par­ti­ci­per aux cours dans une école que, jusque-là, ils appré­ciaient beau­coup. Une école qui, à les écou­ter, ne les consi­dé­rait jus­te­ment pas comme des élèves de seconde zone. Or l’interdit du voile les amène à pen­ser qu’ils sont des croyants de seconde zone.

Mais, les dif­fi­cul­tés vont alors appa­raitre au cours de reli­gion catho­lique. Fort d’une for­ma­tion en sciences reli­gieuses « islam » de l’UCL, je tente, avec mes classes par­fois com­po­sées exclu­si­ve­ment d’élèves issus d’une famille de confes­sion musul­mane, de les aider à appro­cher la reli­gion qui est la leur tout en res­pec­tant le pro­gramme de reli­gion catho­lique. Mais cette approche est mise à mal par les élèves qui me reprochent de leur per­mettre d’exprimer leur foi dans une école qui en inter­dit l’un des signes. On a beau être un élève de l’enseignement pro­fes­sion­nel, on est bien capable de sou­li­gner une inco­hé­rence que cer­tains adultes n’avaient, semble-t-il, pas per­çue. J’ai donc été contraint de modi­fier ma méthode de tra­vail, le temps de quelques semaines au moins, pour per­mettre à ces élèves de s’habituer à ce changement.

Cette année, par contre, j’ai remar­qué un retour à la nor­male. Ain­si, une élève m’a même deman­dé si l’on pou­vait abor­der la thé­ma­tique du port du voile dans le cadre du cours. Elle-même voi­lée pré­ci­se­ra par la suite sa demande : « Je vou­drais savoir si le voile est recom­man­dé ou obli­ga­toire. » La ques­tion est simple. Et elle montre sur­tout com­ment l’interdit n’a que peu de sens ou d’intérêt à ses yeux. Elle cherche une réponse au sein même de la juris­pru­dence musul­mane. Or c’est à son pro­fes­seur de reli­gion catho­lique qu’elle pose la ques­tion. Ceux qui pensent donc qu’en inter­di­sant le port du voile à l’école c’est tout l’islam qui va dis­pa­raitre font erreur. Cela montre aus­si qu’il est impor­tant de per­mettre à ces jeunes de trou­ver un lieu d’expression au sein de l’école. Sa ques­tion n’est-elle pas l’occasion rêvée de réflé­chir à son rap­port à la foi et sur­tout à sa pra­tique ? Pour­quoi pose-t-elle la ques­tion du « com­ment » et non du « pour­quoi » ? Et puisqu’elle le porte déjà, pour­quoi se demande-t-elle s’il n’est peut-être que recommandé ?

… à L’exigence du respect

Les ques­tions appa­raissent aus­si en dehors de la classe. Lors d’une ren­contre, les élèves expriment une série de reven­di­ca­tions sur l’école en géné­ral. Dans le top trois, l’on retrouve celle de « modi­fier la manière de deman­der aux filles de reti­rer le fou­lard à la grille de l’école ». Sur­pris, l’éducateur, lui-même de confes­sion musul­mane, inter­ro­ge­ra les élèves. Réponse d’une fille non voi­lée, mais qui porte la parole de la classe : « Les filles voi­lées demandent à ce que les édu­ca­teurs leur demandent plus gen­ti­ment de reti­rer le voile. » Assis­tant à la dis­cus­sion, j’ai l’impression d’élèves qui prennent leur revanche. « On doit reti­rer le voile ? D’accord, mais alors vous allez devoir nous le deman­der avec le res­pect qui s’impose. » Suit alors une deuxième reven­di­ca­tion : celle d’un miroir plus appro­prié que ce qui est actuel­le­ment mis à la dis­po­si­tion des élèves. Deux demandes qui appa­raissent plus d’un an après la mise en place de l’interdit.

Et puis cette inter­ven­tion qui pose ques­tion. Lors de la même réunion, une élève qui porte le voile inter­pelle l’équipe édu­ca­tive : « Je vou­drais savoir si la règle de l’interdit du voile est valable sur l’autre site de l’école ? » L’école com­porte en effet deux sites, l’autre étant celui où se donnent les cours de l’enseignement géné­ral. Réponse posi­tive. L’élève explique alors que sur l’autre site les filles peuvent reti­rer leur voile, non pas à l’entrée de l’école, mais dans les toi­lettes. Elle sou­ligne là une injus­tice. L’équipe édu­ca­tive explique ne pas être au cou­rant d’une telle dif­fé­rence, mais si elle existe, elle ne peut être admise car tous doivent être sur un pied d’égalité. Quelle que soit l’implantation, le voile doit être reti­ré à l’entrée de l’établissement. Réponse de l’élève : « Je suis d’accord avec vous, juste c’est juste. » Voi­là que des élèves sou­vent obsé­dés par l’idée de ne pas « balan­cer », dimi­nuaient le droit des filles voi­lées de l’autre site. Si l’objectif était d’obtenir le même « droit », l’élève s’y est mal prise. L’étonnement domine de voir que là où elle aurait pu lut­ter pour plus de droits, elle décide, par une inter­ven­tion d’un indi­vi­dua­lisme criant, de reti­rer le petit droit sup­plé­men­taire que les filles de l’autre site avaient jusque-là.

Autre situa­tion qui, nous allons le voir, n’est pas un cas iso­lé. La ques­tion de l’interdit en cas de sor­ties. Il y a d’abord ce sms reçu d’une élève de sep­tième qui m’écrit : « Excu­sez-moi de vous déran­ger, mais j’ai une ques­tion à vous poser, lors d’une acti­vi­té sco­laire en dehors de l’école (ciné­ma), est-on obli­gé d’enlever son fou­lard ? » La semaine sui­vante, l’élève m’explique qu’un ensei­gnant lui a deman­dé de reti­rer son fou­lard dans la salle de ciné­ma… Une autre fois, j’accompagne une équipe d’enseignants et deux classes dans le cadre d’un voyage de trois jours à Tour­nai. Quelques filles portent le voile. Et très rapi­de­ment lors d’une réunion pen­dant le voyage afin de véri­fier que les règles de vie sont bien défi­nies, une ensei­gnante s’interroge sur le voile : « Ce matin, on a deman­dé aux gar­çons de reti­rer leurs cas­quettes, mais pas aux filles qui portent le voile ». À nou­veau, le voile et la cas­quette sont mis sur le même plan. Par ailleurs, le règle­ment d’ordre inté­rieur est clair : le voile est auto­ri­sé pen­dant les sor­ties sauf dans les lieux où le règle­ment l’interdit. La ques­tion ne se pose donc pas dans le cas d’une auberge de jeu­nesse… Il fau­dra néan­moins en dis­cu­ter pen­dant plu­sieurs minutes et, sur­tout, à deux reprises pour arri­ver à conclure cette discussion.

Or, pen­dant la soi­rée et sur­tout au début de la nuit, cer­tains élèves, filles et gar­çons confon­dus, vont prier dans leur chambre ou dans le cou­loir. Et là, la ques­tion ne se pose pas. Les ensei­gnants n’ont-ils pas remar­qué ? Impos­sible. Alors pourquoi ?

L’institution change aus­si. Ain­si, et alors même que ce n’était pas spé­cia­le­ment une demande des élèves, l’équipe édu­ca­tive va deman­der l’autorisation pour les filles de gar­der le voile dans la cour de récréa­tion en cas de pluie. Dif­fi­cile, en effet, d’interdire à quelqu’un de se cou­vrir la tête lorsqu’il pleut ou neige… À lire le règle­ment, c’est ce qui était d’application depuis un an…

La réunion des parents est éga­le­ment l’occasion de per­plexi­té. L’élève se pré­sente avec sa mère et, par­fois, ses sœurs ou cou­sines qui ne sont pas sco­la­ri­sées dans l’établissement. Elle est contrainte d’enlever son voile alors que les femmes de sa famille peuvent le conser­ver… On peut aus­si se deman­der com­ment des parents qui n’ont par­fois aucune connais­sance de la langue fran­çaise vivent, mais sur­tout com­prennent (ou pas) cet inter­dit. De quoi faire dire aux élèves une phrase qui revient trop sou­vent : « De toute façon, la Bel­gique, ce sont nos parents qui l’ont construite. Les trains, les auto­routes, les usines… Sans eux, il n’y aurait rien ici. Et pour­tant, aujourd’hui, regar­dez com­ment on les remercie…»

Enfin, l’école a déci­dé der­niè­re­ment d’autoriser les élèves du troi­sième degré et les ensei­gnants de fumer dans un endroit pré­cis de la cour de récréa­tion. Une auto­ri­sa­tion qui a de quoi sur­prendre alors qu’un décret de la Com­mu­nau­té fran­çaise est clair sur la ques­tion : l’interdit concerne l’ensemble du site de l’établissement. Mais c’est sur­tout la réac­tion de la classe de sep­tième année qui est inté­res­sante : le lieu pré­vu pour les fumeurs est situé juste devant leurs locaux… N’ayant pas été consul­tés par l’école, ils ont déci­dé de s’y oppo­ser et font par­ve­nir une lettre recom­man­dée au PO et à la direc­tion où ils posent une série de ques­tions qui visent la logique d’autorisation de quelque chose qui est inter­dit par un décret. Mais le lien avec le voile n’est pas absent de leur démarche. Nom­breux sont les élèves de cette classe qui n’avaient pas appré­cié la déci­sion d’interdire le voile. Ils sou­lignent donc ici un non-sens à leurs yeux : « Ce n’est pas nor­mal Mon­sieur ! D’un côté, d’autoriser un objet qui nuit à la san­té et est inter­dit par un décret. Et, de l’autre, d’interdire le voile qui ne nuit à per­sonne et ne fait pas l’objet d’une loi. » À quoi l’on pour­rait ajou­ter une inter­ro­ga­tion : pour­quoi l’interdiction de fumer est-elle assor­tie d’une cam­pagne de pré­ven­tion alors que ce n’est pas le cas du voile ? Un point qui confirme l’idée que l’école ne veut pas réflé­chir à la pro­blé­ma­tique du voile, mais sim­ple­ment l’éradiquer.

Le visage, prioritaire ?

Dévoi­lé, l’islam reste pré­sent en classe. Pré­sent dans la tête des élèves, mais dans leurs sacs aus­si, dans les ouvrages qu’elles lisent par­fois pen­dant le cours ou lors de la pause. Pre­nons par exemple un livre rédi­gé par un cer­tain ‘Abd al-‘Azîz al-Muq­bil, et qui s’intitule Pour toi, sœur musul­mane1. L’ouvrage aborde dif­fé­rentes pro­blé­ma­tiques, dont celle du voile. On peut donc y lire qu’«en impo­sant le voile, l’islam veut, dans le cadre de ses sagesses et ses nobles objec­tifs, assu­rer pour la femme une vie de couple stable » (p. 61). Ou encore que « l’islam ordonne éga­le­ment à la femme d’exercer les tra­vaux qui n’attirent pas les regards vers elle et lui demande de se voi­ler com­plè­te­ment » (p. 63). Un autre ouvrage, Ques­tions fré­quem­ment posées par les femmes2, pré­cise que « Le voile légal, c’est le fait de cacher ce qui doit être léga­le­ment caché et en prio­ri­té le visage, car c’est ce qui séduit chez une femme » (p. 58). Enfin, un livre qu’une élève m’avait for­te­ment conseillé, car « c’est écrit par Has­san Amdou­ni, vous ne le connais­sez pas ? Il est vrai­ment bien, il a été mon prof de reli­gion isla­mique à André Tho­mas…», s’intitule Le hijab de la femme musul­mane. Les règles juri­diques de l’habit et de la toi­lette de la femme musul­mane3. Pour Has­san Amdou­ni « le hijab, pour la femme musul­mane croyante, relève des Lois de Dieu qui font de lui une obli­ga­tion ». Trois exemples qui montrent que l’école fait erreur en inter­di­sant le port du voile. En effet, l’élève se voit impo­ser un inter­dit — sans rai­son appa­rente — alors que des auteurs musul­mans que ce jeune tient pour des réfé­rences en la matière lui expliquent que le voile est une obli­ga­tion. À mes yeux, un tra­vail de lec­ture cri­tique des écrits de ces auteurs dans le cadre du cours de reli­gion s’impose. Si l’enseignant nie, comme le fait l’institution, les lec­tures de son élève, il fait fausse route.

Dans le même ordre d’idées, dans la classe de sep­tième où les élèves ont par­fois vingt-et-un ans ou plus, j’aperçois les gar­çons dis­cu­ter lors du pre­mier cours qui suit le congé de Noël de la nou­velle barbe d’un gar­çon de la classe. « Une barbe isla­mique, comme l’a recom­man­dé le pro­phète », me lance son ami. L’inégalité de l’interdit du voile pour les filles face aux gar­çons qui peuvent por­ter la barbe appa­rait ici clai­re­ment. Un élé­ment qui concerne aus­si cer­tains membres du per­son­nel ensei­gnant, mais on ima­gine dif­fi­ci­le­ment d’interdire le port de la barbe ou de défi­nir la lon­gueur des pantalons…

Enseigner pour libérer

La libé­ra­tion du « voile oppres­sif » que portent les jeunes filles musul­manes passe, pour l’institution sco­laire, par l’interdit. La ques­tion est : à qui pro­fite-t-il ? Aux filles voi­lées ou à l’institution et à son per­son­nel ? On opte­ra, au risque de sur­prendre, pour les seconds. En mal d’autorité, l’école et son corps pro­fes­so­ral tentent de reprendre la main. S’ajoutent à cela des argu­ments plus per­son­nels tels que le rap­port que l’enseignant peut entre­te­nir avec la foi et/ou l’islam. Or la réa­li­té de ter­rain tend à mon­trer que le choix du port du voile peut être le signe d’un par­cours de libé­ra­tion pour la jeune fille musul­mane vivant dans un quar­tier de Bruxelles. Le recours à un islam « pur », qui n’a pas été conta­mi­né par la culture et la tra­di­tion du pays d’origine, per­met, par exemple, à ces filles de jus­ti­fier le refus d’un mariage arrangé.

Il en va de même pour la culture du quar­tier qui amène les gar­çons à trai­ter de « putes » des filles qu’ils seront les pre­miers à impor­tu­ner. Culture de là-bas, culture d’ici. L’oppression est la même. La solu­tion aus­si : le voile.

C’est pour­quoi la ques­tion de savoir si l’interdit peut avoir un apport posi­tif et contri­buer à libé­rer des filles qui seraient « vic­times » de l’obligation paren­tale (il reste à prou­ver qu’elles sont majo­ri­taires) ou si tout sim­ple­ment cela per­met à ces filles de faire l’expérience de l’absence de voile afin de les pré­pa­rer à d’autres situa­tions où elles ne le por­te­raient pas n’a que peu de sens.

Un nombre impor­tant d’enseignants pensent au monde du tra­vail, mais les filles voi­lées répondent sou­vent qu’elles comptent bien cher­cher un lieu de tra­vail où elles pour­ront le por­ter. La réa­li­té du ter­rain tend d’ailleurs à leur don­ner rai­son : « Mon­sieur, même chez Ikea, les cais­sières peuvent por­ter le voile ! » On peut aus­si se deman­der si c’est le fait de ne plus por­ter le voile pen­dant les heures de cours qui fait que ces filles « semblent » mieux arran­ger leurs che­veux qu’on ne pou­vait voir aupa­ra­vant. Un peu comme si le pauvre ne pou­vait avoir une idée du luxe, la fille voi­lée ne pour­rait décou­vrir la beau­té qu’avec l’interdit du voile à l’école…

C’est là que l’école oublie sa mis­sion pre­mière : ensei­gner. Ensei­gner au lieu de pen­ser qu’un inter­dit va chan­ger des jeunes filles qui sont une des com­po­santes de la socié­té belge d’aujourd’hui et, donc, de demain. Ensei­gner pour libé­rer ces filles de l’oppression de la famille, du quar­tier, de la socié­té de consom­ma­tion, du sys­tème, mais aus­si d’un islam à sens unique.

  1. Abd al-‘Azîz al-Muq­bil, Pour toi, sœur musul­mane, édi­tions al-Hadith, 2009
  2. Ibn Sâlih al-‘Uthaymîn, Ques­tions fré­quem­ment posées par les femmes, édi­tions Alma­di­na, 2009.
  3. Has­san Amdou­ni, Le hijab de la femme musul­mane. Les règles juri­diques de l’habit et de la toi­lette de la femme musul­mane, Le savoir édi­tions en 2004.

David D'Hondt


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