Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Accueil : la crise à l’étranger

Numéro 2 Février 2011 par Marie-Pierre de Buisseret

février 2011

Pour les sans-papiers, l’an­née 2010 a débu­té dans l’es­poir d’une régu­la­ri­sa­tion. Las ! L’in­sé­cu­ri­té juri­dique de l’o­pé­ra­tion, les len­teurs admi­nis­tra­tives et une ten­dance de plus en plus pro­non­cée au refus de régu­la­ri­sa­tion sont la cause d’un déses­poir gran­dis­sant. Même le sta­tut d’en­fant de cer­tains mineurs étran­gers non accom­pa­gnés est mis en ques­tion. La ges­tion catas­tro­phique de l’ac­cueil, qui s’est muée, avec une météo polaire, en crise huma­ni­taire, rend encore plus dra­ma­tique la situa­tion de ces migrants qui se voient assi­mi­lés, voire trai­tés, comme des délinquants.

L’étranger, ce criminel

Pierre-Arnaud Perrouty 

Rap­pe­lons qu’aux termes de l’article 75 de la loi du 15 décembre 1980 rela­tive au sta­tut des étran­gers, le fait de ne pas avoir de papiers en règle est un délit. On voit pour­tant mal les migrants repré­sen­ter un dan­ger social tel que la loi pénale doive s’en sou­cier. Mais au-delà de la ques­tion de prin­cipe, les consé­quences pra­tiques sont dra­ma­tiques : un migrant vic­time d’une infrac­tion qui porte plainte risque fort de se faire arrê­ter et déte­nir puisqu’il est éga­le­ment délin­quant. En réa­li­té, la loi adresse aux poli­ciers une injonc­tion para­doxale : por­ter secours et assis­tance à une vic­time et arrê­ter un délin­quant. Les migrantes vic­times de vio­lences fami­liales sont par­ti­cu­liè­re­ment expo­sées et cer­taines ont été pla­cées en centre fer­mé alors qu’elles venaient dépo­ser plainte. Bien que le droit de por­ter plainte leur soit recon­nu en théo­rie, ces femmes se trouvent dans l’impossibilité effec­tive de l’exercer vu les risques encou­rus. La Bel­gique viole de ce fait le droit à un pro­cès équi­table au sens de l’article 6 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme. Avec d’autres consé­quences par­fois inat­ten­dues : des femmes sont empê­chées d’exercer leur droit au regrou­pe­ment fami­lial si elles quittent le foyer com­mun pour se sous­traire à la vio­lence d’un conjoint sans avoir por­té plainte. L’Office des étran­gers consi­dère en effet alors que le couple n’entretient plus de coha­bi­ta­tion effec­tive. Pour remé­dier à ces situa­tions, il faut pure­ment et sim­ple­ment sup­pri­mer l’article 75, qui s’avère inutile, dis­cri­mi­nant et créa­teur d’illégalité.

Image de délinquance

La cri­mi­na­li­sa­tion des migrants est en outre soi­gneu­se­ment entre­te­nue tout au long de la chaine qui mène de l’arrestation à l’expulsion, en pas­sant par la déten­tion : menottes, four­gons cel­lu­laires, centres fer­més qui res­semblent à s’y méprendre à des pri­sons, com­pa­ru­tion devant la chambre du conseil selon les mêmes moda­li­tés que les pré­ve­nus de droit com­mun, escorte poli­cière dans l’avion. L’image de délin­quant qui leur est assi­gnée per­met, au pas­sage, de légi­ti­mer le trai­te­ment qui leur est réservé.

Enfin, la cri­mi­na­li­sa­tion des migrants passe aus­si par la répres­sion accrue de la main‑d’œuvre étran­gère : si la lutte contre le tra­vail au noir et la traite des êtres humains a été légi­ti­me­ment inten­si­fiée au fil des années, c’est aus­si parce qu’elle per­met de ren­flouer les caisses de l’État. Mais, hor­mis les rares excep­tions où des per­sonnes béné­fi­cient du sta­tut de vic­time de la traite, elle abou­tit le plus sou­vent à la déten­tion et l’expulsion des tra­vailleurs sans-papiers alors que les ins­pec­tions sociales ont pour objec­tif de pour­suivre les employeurs fau­tifs et de pro­té­ger les droits des tra­vailleurs, fussent-ils étrangers.

Mena : l’enfance mise en doute

Aurore Dachy

Si la situa­tion des mineurs étran­gers non accom­pa­gnés (Mena) s’est consi­dé­ra­ble­ment amé­lio­rée ces dix der­nières années, de nom­breuses lacunes dans leur sta­tut juri­dique et le res­pect de leurs droits per­sistent. Nous pen­sons notam­ment à la ques­tion de la pré­ca­ri­té de leur « titre de séjour », à l’accès à une édu­ca­tion adap­tée ou encore aux graves pro­blèmes d’accueil liés à la satu­ra­tion des centres Feda­sil depuis 2009. Par­mi les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par les Mena, celle de la déter­mi­na­tion de l’âge est cen­trale, puisqu’elle consti­tue le préa­lable néces­saire à l’obtention du sta­tut même de Mena et donc de la pro­tec­tion qui l’accompagne.

La loi-pro­gramme du 24 décembre 2002 sur la tutelle des mineurs non accom­pa­gnés accorde une pro­tec­tion aux jeunes étran­gers qui ont moins de dix-huit ans. Celle-ci doit être mise en œuvre par le ser­vice des tutelles (ST) qui est le seul ser­vice com­pé­tent pour iden­ti­fier un jeune en tant que Mena et lui dési­gner un tuteur. Le ST est donc le seul à pou­voir déter­mi­ner l’âge du mineur étran­ger non accom­pa­gné (en fonc­tion des docu­ments pro­duits ou au moyen d’un test en cas de contes­ta­tion). Deux situa­tions peuvent se poser : soit le jeune se trouve le ter­ri­toire et le ST orga­nise alors son héber­ge­ment d’urgence le temps de la déter­mi­na­tion de son âge, soit il est inter­pe­lé à la fron­tière et peut être main­te­nu jusqu’à six jours en centre fer­mé, le temps de la réa­li­sa­tion des tests.

Test à fiabilité réduite

Lorsqu’il y a contes­ta­tion sur l’âge, il est contrô­lé au moyen d’un test médi­cal (lequel peut théo­ri­que­ment com­prendre des tests psy­choaf­fec­tifs). La cir­cu­laire du 19 avril 2004 rela­tive à la prise en charge du ST et à l’identification des Mena sti­pule notam­ment qu’un inter­prète doit être pré­sent lors de la réa­li­sa­tion du test et que le jeune doit rece­voir toutes les infor­ma­tions néces­saires à l’examen qui va être effec­tué sur lui. Il s’agit d’un triple exa­men : un test osseux, une radio­gra­phie de la cla­vi­cule et un test de la den­ti­tion. Alors que la déter­mi­na­tion de l’âge est une étape fon­da­men­tale dans l’octroi ou non de la pro­tec­tion réser­vée aux mineurs, les méde­cins recon­naissent qu’il n’existe actuel­le­ment aucun moyen scien­ti­fique par­fai­te­ment fiable pour y arriver…

Au regard de cette défaillance, la pla­te­forme Mineurs en exil recom­mande notam­ment que ce test soit uti­li­sé comme mesure de der­nier res­sort et pri­vi­lé­gie les démarches pour trou­ver les docu­ments d’identité en amont. Si l’on pro­cède cepen­dant à l’examen, ce der­nier devrait être réa­li­sé par trois spé­cia­listes dif­fé­rents et tenir compte d’examens com­plé­men­taires du jeune (test phy­sique, inter­ro­ga­toire…) pour rendre le résul­tat plus fiable. La pla­te­forme plaide éga­le­ment pour qu’un avo­cat soit pré­sent depuis le début de la pro­cé­dure enga­gée à l’encontre du jeune afin d’assurer ses droits de la défense. 

Régularisation, l’an 1

Alexis Deswaef

Il n’y avait pas d’autre solu­tion, pour mettre fin à l’«institutionnalisation de l’arbitraire admi­nis­tra­tif » dénon­cée par le Conseil d’État en 2006, que de défi­nir enfin des cri­tères de régu­la­ri­sa­tion. Une loi, offrant la sécu­ri­té juri­dique requise, était atten­due. Une cir­cu­laire a été annon­cée. Un an et demi de blo­cages plus tard, c’est une ins­truc­tion qui a vu le jour… annu­lée par le Conseil d’État avant même la fin de la période durant laquelle les sans-papiers pou­vaient intro­duire leurs dos­siers. Avec l’Office des étran­gers décla­rant dans la fou­lée « qu’il sui­vra loya­le­ment les direc­tives du secré­taire d’État à la Poli­tique de Migra­tion et d’Asile, dans le cadre de son pou­voir dis­cré­tion­naire », la sécu­ri­té juri­dique sou­hai­tée au départ avait défi­ni­ti­ve­ment disparue.

Où en sommes-nous un an plus tard ? Tout d’abord, réjouis­sons-nous sin­cè­re­ment pour toutes les per­sonnes déjà régu­la­ri­sées, ces hommes et ces femmes qui vivent en Bel­gique depuis des années et qui y ont construit leur vie, par la sco­la­ri­té des enfants, le tra­vail ou les études. En obte­nant ces papiers, ils ont aus­si obte­nu une digni­té et l’espoir d’une vie meilleure, loin des mar­chands de som­meil et de l’obligation de tra­vailler au noir.

Tou­te­fois, début 2011, il reste des mil­liers de per­sonnes en attente d’une réponse à leur demande. La déci­sion n’arrivant pas, le déses­poir revient, avec le doute et l’angoisse. Alors que l’attente dérai­son­na­ble­ment longue d’une réponse à une demande d’asile est jus­te­ment un cri­tère de régu­la­ri­sa­tion, la régu­la­ri­sa­tion semble tom­ber dans le même tra­vers. On a l’impression que les réponses sont éta­lées dans le temps pour ne pas affo­ler les sta­tis­tiques et évi­ter cer­taines cri­tiques populistes.

Les len­teurs de l’Office des étran­gers ont mal­heu­reu­se­ment aus­si des consé­quences catas­tro­phiques, en par­ti­cu­lier pour les per­sonnes qui n’avaient que la « régu­la­ri­sa­tion par le tra­vail » comme porte d’entrée à la citoyen­ne­té. Pour ceux qui avaient réus­si à décro­cher un contrat de tra­vail en bonne et due forme, sou­vent le patron n’a pas pu attendre indé­fi­ni­ment son tra­vailleur et il a enga­gé quelqu’un d’autre pour la place. Le per­mis de tra­vail B ne vien­dra donc jamais et les papiers non plus…

Au début, il n’y avait que des déci­sions posi­tives. Main­te­nant, les déci­sions néga­tives com­mencent à arri­ver et on peut s’inquiéter des motifs : enquête de rési­dence néga­tive, refus de prise en consi­dé­ra­tion du docu­ment d’identité ou de la preuve de l’impossibilité de s’en pro­cu­rer, rejet pour manque de preuves du carac­tère inin­ter­rom­pu de sa pré­sence en Bel­gique ou inté­gra­tion insuf­fi­sante, non-prise en consi­dé­ra­tion des « ten­ta­tives cré­dibles » pour obte­nir un droit au séjour en Bel­gique, etc.

L’instruction du 19 juillet 2009 n’a évi­dem­ment pas réglé le pro­blème une fois pour toutes. Le phé­no­mène migra­toire va s’amplifier tan­dis que des voix s’élèvent pour dire que nos socié­tés occi­den­tales ne pour­ront faire l’économie d’une régu­la­ri­sa­tion mas­sive de sans-papiers tous les cinq à dix ans. Avec notre popu­la­tion vieillis­sante, nous serons les pre­miers à nous en réjouir à l’heure de tou­cher notre pension… 

Crise de l’accueil : saison 2

Marie Charles et Marie-Pierre de Buisseret

Depuis octobre 2009, ce sont plus de 7.600 per­sonnes (deman­deurs d’asile, familles avec enfants en séjour irré­gu­lier et mineurs étran­gers non accom­pa­gnés), qui n’ont pas béné­fi­cié de l’accueil pré­vu par la légis­la­tion belge et inter­na­tio­nale. Chaque jour, de plus en plus de per­sonnes sont lit­té­ra­le­ment lais­sées à la rue sans l’accompagnement médi­cal, social ou juri­dique auquel elles ont pour­tant droit. Depuis octobre 2009, la crise de l’accueil n’a fait qu’empirer, au mépris des droits fon­da­men­taux des migrants. Pis, elle est désor­mais uti­li­sée pour jus­ti­fier un dur­cis­se­ment de la règle­men­ta­tion belge en matière d’asile et de droits des étran­gers en général.

Au lieu de s’atteler à la mise en place d’une meilleure ges­tion de l’accueil, le gou­ver­ne­ment pro­fite de cette crise pour ten­ter de rendre plus sévère la légis­la­tion en matière d’asile et donc plus dif­fi­cile l’accès au sta­tut de réfu­gié. L’heure est à la réforme éga­le­ment pour d’autres points de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au ter­ri­toire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étran­gers, qui est la base du droit des étran­gers en Bel­gique. Ain­si, des pro­po­si­tions de loi qui restreignent les pos­si­bi­li­tés d’un regrou­pe­ment fami­lial ou qui rendent plus strictes les condi­tions d’acquisition de la natio­na­li­té belge vont être exa­mi­nées dans l’urgence. Et elles ne résolvent en rien la crise de l’accueil.

Comme sou­vent en matière de migra­tions, une réin­ter­pré­ta­tion de la réa­li­té est déve­lop­pée et sur­mé­dia­ti­sée ; réin­ter­pré­ta­tion oscil­lant entre men­songes fla­grants et sub­tile désinformation.

Les boucs émissaires idéaux

Tout d’abord, sou­te­nir que la Bel­gique fait face à une aug­men­ta­tion spec­ta­cu­laire des demandes d’asile ces der­nières années relève de la déma­go­gie. À titre d’exemple, il y a eu en 2009 deux fois moins de demandes intro­duites qu’en 2000 (42.691 en 2000 pour 17.186 en 2009.) Nous ne sommes donc aucu­ne­ment « envahis ».

Ensuite, le gou­ver­ne­ment fédé­ral est tout à fait en mesure de pal­lier les manques de place d’accueil, contrai­re­ment à ce qu’il pré­tend. Il suf­fi­rait de réac­ti­ver le plan de répar­ti­tion des deman­deurs d’asile, les­quels seraient alors réorien­tés de manière har­mo­nieuse vers les dif­fé­rents CPAS du pays et s’y ver­raient accor­der une aide finan­cière. Le simple cri­tère bud­gé­taire plaide d’ailleurs pour cette solu­tion (un couple avec un enfant en centre d’accueil revient à 3.600 euros par mois, contre 967,72 euros pour un CPAS). Pour empê­cher de nou­velles satu­ra­tions du réseau d’accueil, un sys­tème d’accueil hybride pour­rait être adop­té : héber­ge­ment dans un centre d’accueil durant les pre­miers mois et, pas­sée cette période et si la pro­cé­dure d’asile n’est pas ter­mi­née, la pos­si­bi­li­té pour ceux qui le sou­haitent de quit­ter le centre d’accueil et d’obtenir la conver­sion de l’hébergement en aide sociale financière.

En outre, depuis jan­vier 2010, les deman­deurs d’asile ont la pos­si­bi­li­té de tra­vailler, après six mois de pro­cé­dure. Tou­te­fois, l’arrêté royal qui doit déter­mi­ner les condi­tions de rem­bour­se­ment de l’aide maté­rielle par ceux qui per­çoivent un salaire et les moda­li­tés de leur sor­tie éven­tuelle du centre d’accueil, n’a tou­jours pas été publié…

Enfin, le deman­deur d’asile à la rue n’est pas la cause de la crise, mais bien la vic­time de la défaillance de l’État belge. Bouc émis­saire idéal pour per­mettre à un sys­tème poli­tique en panne de pré­pa­rer l’opinion publique à de futures réformes, le deman­deur devient le pro­fi­teur du sys­tème en tou­chant des astreintes ! Rap­pe­lons que les astreintes ne sont pas un cadeau offert par la Bel­gique aux deman­deurs d’asile, mais bien une sanc­tion finan­cière pour chaque jour de retard dans l’exécution, par Feda­sil, de sa condam­na­tion pour cause de non-res­pect de ses obli­ga­tions en matière d’accueil.

Les bidonvilles de Bruxelles

Consé­quence de cette poli­tique de l’autruche, des per­sonnes, condam­nées à attendre dans la rue l’issue de leur pro­cé­dure d’asile ou que d’hypothétiques places d’accueil se libèrent, n’ont eu d’autre choix que de se regrou­per, en espé­rant une amé­lio­ra­tion de leur situa­tion. En été, un camp de réfu­giés s’est ain­si for­mé place Maxi­mi­lien, face aux bureaux de l’Office des étran­gers et de Feda­sil. Cet automne, c’est à la gare du Nord et dans des squats que les deman­deurs d’asile tentent de sur­vivre, sou­te­nus par une récon­for­tante mobi­li­sa­tion et soli­da­ri­té citoyennes, mais qui reste lar­ge­ment insuf­fi­sante pour pal­lier l’inaction des autorités.

Cette situa­tion de crise est ter­ri­ble­ment alar­mante sur le plan humain, tant par sa durée que par son ampleur. Ces per­sonnes, en droit d’être accueillies, n’ont pas à pâtir de l’incurie de nos pou­voirs publics, qui ne cessent de se ren­voyer la balle et de se dédoua­ner de leurs res­pon­sa­bi­li­tés res­pec­tives. Une sai­son 3 à cette crise de l’accueil est-elle inéluctable ?

Marie-Pierre de Buisseret


Auteur