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Accueil : la crise à l’étranger
Pour les sans-papiers, l’année 2010 a débuté dans l’espoir d’une régularisation. Las ! L’insécurité juridique de l’opération, les lenteurs administratives et une tendance de plus en plus prononcée au refus de régularisation sont la cause d’un désespoir grandissant. Même le statut d’enfant de certains mineurs étrangers non accompagnés est mis en question. La gestion catastrophique de l’accueil, qui s’est muée, avec une météo polaire, en crise humanitaire, rend encore plus dramatique la situation de ces migrants qui se voient assimilés, voire traités, comme des délinquants.
L’étranger, ce criminel
Pierre-Arnaud Perrouty
Rappelons qu’aux termes de l’article 75 de la loi du 15 décembre 1980 relative au statut des étrangers, le fait de ne pas avoir de papiers en règle est un délit. On voit pourtant mal les migrants représenter un danger social tel que la loi pénale doive s’en soucier. Mais au-delà de la question de principe, les conséquences pratiques sont dramatiques : un migrant victime d’une infraction qui porte plainte risque fort de se faire arrêter et détenir puisqu’il est également délinquant. En réalité, la loi adresse aux policiers une injonction paradoxale : porter secours et assistance à une victime et arrêter un délinquant. Les migrantes victimes de violences familiales sont particulièrement exposées et certaines ont été placées en centre fermé alors qu’elles venaient déposer plainte. Bien que le droit de porter plainte leur soit reconnu en théorie, ces femmes se trouvent dans l’impossibilité effective de l’exercer vu les risques encourus. La Belgique viole de ce fait le droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Avec d’autres conséquences parfois inattendues : des femmes sont empêchées d’exercer leur droit au regroupement familial si elles quittent le foyer commun pour se soustraire à la violence d’un conjoint sans avoir porté plainte. L’Office des étrangers considère en effet alors que le couple n’entretient plus de cohabitation effective. Pour remédier à ces situations, il faut purement et simplement supprimer l’article 75, qui s’avère inutile, discriminant et créateur d’illégalité.
Image de délinquance
La criminalisation des migrants est en outre soigneusement entretenue tout au long de la chaine qui mène de l’arrestation à l’expulsion, en passant par la détention : menottes, fourgons cellulaires, centres fermés qui ressemblent à s’y méprendre à des prisons, comparution devant la chambre du conseil selon les mêmes modalités que les prévenus de droit commun, escorte policière dans l’avion. L’image de délinquant qui leur est assignée permet, au passage, de légitimer le traitement qui leur est réservé.
Enfin, la criminalisation des migrants passe aussi par la répression accrue de la main‑d’œuvre étrangère : si la lutte contre le travail au noir et la traite des êtres humains a été légitimement intensifiée au fil des années, c’est aussi parce qu’elle permet de renflouer les caisses de l’État. Mais, hormis les rares exceptions où des personnes bénéficient du statut de victime de la traite, elle aboutit le plus souvent à la détention et l’expulsion des travailleurs sans-papiers alors que les inspections sociales ont pour objectif de poursuivre les employeurs fautifs et de protéger les droits des travailleurs, fussent-ils étrangers.
Mena : l’enfance mise en doute
Aurore Dachy
Si la situation des mineurs étrangers non accompagnés (Mena) s’est considérablement améliorée ces dix dernières années, de nombreuses lacunes dans leur statut juridique et le respect de leurs droits persistent. Nous pensons notamment à la question de la précarité de leur « titre de séjour », à l’accès à une éducation adaptée ou encore aux graves problèmes d’accueil liés à la saturation des centres Fedasil depuis 2009. Parmi les difficultés rencontrées par les Mena, celle de la détermination de l’âge est centrale, puisqu’elle constitue le préalable nécessaire à l’obtention du statut même de Mena et donc de la protection qui l’accompagne.
La loi-programme du 24 décembre 2002 sur la tutelle des mineurs non accompagnés accorde une protection aux jeunes étrangers qui ont moins de dix-huit ans. Celle-ci doit être mise en œuvre par le service des tutelles (ST) qui est le seul service compétent pour identifier un jeune en tant que Mena et lui désigner un tuteur. Le ST est donc le seul à pouvoir déterminer l’âge du mineur étranger non accompagné (en fonction des documents produits ou au moyen d’un test en cas de contestation). Deux situations peuvent se poser : soit le jeune se trouve le territoire et le ST organise alors son hébergement d’urgence le temps de la détermination de son âge, soit il est interpelé à la frontière et peut être maintenu jusqu’à six jours en centre fermé, le temps de la réalisation des tests.
Test à fiabilité réduite
Lorsqu’il y a contestation sur l’âge, il est contrôlé au moyen d’un test médical (lequel peut théoriquement comprendre des tests psychoaffectifs). La circulaire du 19 avril 2004 relative à la prise en charge du ST et à l’identification des Mena stipule notamment qu’un interprète doit être présent lors de la réalisation du test et que le jeune doit recevoir toutes les informations nécessaires à l’examen qui va être effectué sur lui. Il s’agit d’un triple examen : un test osseux, une radiographie de la clavicule et un test de la dentition. Alors que la détermination de l’âge est une étape fondamentale dans l’octroi ou non de la protection réservée aux mineurs, les médecins reconnaissent qu’il n’existe actuellement aucun moyen scientifique parfaitement fiable pour y arriver…
Au regard de cette défaillance, la plateforme Mineurs en exil recommande notamment que ce test soit utilisé comme mesure de dernier ressort et privilégie les démarches pour trouver les documents d’identité en amont. Si l’on procède cependant à l’examen, ce dernier devrait être réalisé par trois spécialistes différents et tenir compte d’examens complémentaires du jeune (test physique, interrogatoire…) pour rendre le résultat plus fiable. La plateforme plaide également pour qu’un avocat soit présent depuis le début de la procédure engagée à l’encontre du jeune afin d’assurer ses droits de la défense.
Régularisation, l’an 1
Alexis Deswaef
Il n’y avait pas d’autre solution, pour mettre fin à l’«institutionnalisation de l’arbitraire administratif » dénoncée par le Conseil d’État en 2006, que de définir enfin des critères de régularisation. Une loi, offrant la sécurité juridique requise, était attendue. Une circulaire a été annoncée. Un an et demi de blocages plus tard, c’est une instruction qui a vu le jour… annulée par le Conseil d’État avant même la fin de la période durant laquelle les sans-papiers pouvaient introduire leurs dossiers. Avec l’Office des étrangers déclarant dans la foulée « qu’il suivra loyalement les directives du secrétaire d’État à la Politique de Migration et d’Asile, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire », la sécurité juridique souhaitée au départ avait définitivement disparue.
Où en sommes-nous un an plus tard ? Tout d’abord, réjouissons-nous sincèrement pour toutes les personnes déjà régularisées, ces hommes et ces femmes qui vivent en Belgique depuis des années et qui y ont construit leur vie, par la scolarité des enfants, le travail ou les études. En obtenant ces papiers, ils ont aussi obtenu une dignité et l’espoir d’une vie meilleure, loin des marchands de sommeil et de l’obligation de travailler au noir.
Toutefois, début 2011, il reste des milliers de personnes en attente d’une réponse à leur demande. La décision n’arrivant pas, le désespoir revient, avec le doute et l’angoisse. Alors que l’attente déraisonnablement longue d’une réponse à une demande d’asile est justement un critère de régularisation, la régularisation semble tomber dans le même travers. On a l’impression que les réponses sont étalées dans le temps pour ne pas affoler les statistiques et éviter certaines critiques populistes.
Les lenteurs de l’Office des étrangers ont malheureusement aussi des conséquences catastrophiques, en particulier pour les personnes qui n’avaient que la « régularisation par le travail » comme porte d’entrée à la citoyenneté. Pour ceux qui avaient réussi à décrocher un contrat de travail en bonne et due forme, souvent le patron n’a pas pu attendre indéfiniment son travailleur et il a engagé quelqu’un d’autre pour la place. Le permis de travail B ne viendra donc jamais et les papiers non plus…
Au début, il n’y avait que des décisions positives. Maintenant, les décisions négatives commencent à arriver et on peut s’inquiéter des motifs : enquête de résidence négative, refus de prise en considération du document d’identité ou de la preuve de l’impossibilité de s’en procurer, rejet pour manque de preuves du caractère ininterrompu de sa présence en Belgique ou intégration insuffisante, non-prise en considération des « tentatives crédibles » pour obtenir un droit au séjour en Belgique, etc.
L’instruction du 19 juillet 2009 n’a évidemment pas réglé le problème une fois pour toutes. Le phénomène migratoire va s’amplifier tandis que des voix s’élèvent pour dire que nos sociétés occidentales ne pourront faire l’économie d’une régularisation massive de sans-papiers tous les cinq à dix ans. Avec notre population vieillissante, nous serons les premiers à nous en réjouir à l’heure de toucher notre pension…
Crise de l’accueil : saison 2
Marie Charles et Marie-Pierre de Buisseret
Depuis octobre 2009, ce sont plus de 7.600 personnes (demandeurs d’asile, familles avec enfants en séjour irrégulier et mineurs étrangers non accompagnés), qui n’ont pas bénéficié de l’accueil prévu par la législation belge et internationale. Chaque jour, de plus en plus de personnes sont littéralement laissées à la rue sans l’accompagnement médical, social ou juridique auquel elles ont pourtant droit. Depuis octobre 2009, la crise de l’accueil n’a fait qu’empirer, au mépris des droits fondamentaux des migrants. Pis, elle est désormais utilisée pour justifier un durcissement de la règlementation belge en matière d’asile et de droits des étrangers en général.
Au lieu de s’atteler à la mise en place d’une meilleure gestion de l’accueil, le gouvernement profite de cette crise pour tenter de rendre plus sévère la législation en matière d’asile et donc plus difficile l’accès au statut de réfugié. L’heure est à la réforme également pour d’autres points de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, qui est la base du droit des étrangers en Belgique. Ainsi, des propositions de loi qui restreignent les possibilités d’un regroupement familial ou qui rendent plus strictes les conditions d’acquisition de la nationalité belge vont être examinées dans l’urgence. Et elles ne résolvent en rien la crise de l’accueil.
Comme souvent en matière de migrations, une réinterprétation de la réalité est développée et surmédiatisée ; réinterprétation oscillant entre mensonges flagrants et subtile désinformation.
Les boucs émissaires idéaux
Tout d’abord, soutenir que la Belgique fait face à une augmentation spectaculaire des demandes d’asile ces dernières années relève de la démagogie. À titre d’exemple, il y a eu en 2009 deux fois moins de demandes introduites qu’en 2000 (42.691 en 2000 pour 17.186 en 2009.) Nous ne sommes donc aucunement « envahis ».
Ensuite, le gouvernement fédéral est tout à fait en mesure de pallier les manques de place d’accueil, contrairement à ce qu’il prétend. Il suffirait de réactiver le plan de répartition des demandeurs d’asile, lesquels seraient alors réorientés de manière harmonieuse vers les différents CPAS du pays et s’y verraient accorder une aide financière. Le simple critère budgétaire plaide d’ailleurs pour cette solution (un couple avec un enfant en centre d’accueil revient à 3.600 euros par mois, contre 967,72 euros pour un CPAS). Pour empêcher de nouvelles saturations du réseau d’accueil, un système d’accueil hybride pourrait être adopté : hébergement dans un centre d’accueil durant les premiers mois et, passée cette période et si la procédure d’asile n’est pas terminée, la possibilité pour ceux qui le souhaitent de quitter le centre d’accueil et d’obtenir la conversion de l’hébergement en aide sociale financière.
En outre, depuis janvier 2010, les demandeurs d’asile ont la possibilité de travailler, après six mois de procédure. Toutefois, l’arrêté royal qui doit déterminer les conditions de remboursement de l’aide matérielle par ceux qui perçoivent un salaire et les modalités de leur sortie éventuelle du centre d’accueil, n’a toujours pas été publié…
Enfin, le demandeur d’asile à la rue n’est pas la cause de la crise, mais bien la victime de la défaillance de l’État belge. Bouc émissaire idéal pour permettre à un système politique en panne de préparer l’opinion publique à de futures réformes, le demandeur devient le profiteur du système en touchant des astreintes ! Rappelons que les astreintes ne sont pas un cadeau offert par la Belgique aux demandeurs d’asile, mais bien une sanction financière pour chaque jour de retard dans l’exécution, par Fedasil, de sa condamnation pour cause de non-respect de ses obligations en matière d’accueil.
Les bidonvilles de Bruxelles
Conséquence de cette politique de l’autruche, des personnes, condamnées à attendre dans la rue l’issue de leur procédure d’asile ou que d’hypothétiques places d’accueil se libèrent, n’ont eu d’autre choix que de se regrouper, en espérant une amélioration de leur situation. En été, un camp de réfugiés s’est ainsi formé place Maximilien, face aux bureaux de l’Office des étrangers et de Fedasil. Cet automne, c’est à la gare du Nord et dans des squats que les demandeurs d’asile tentent de survivre, soutenus par une réconfortante mobilisation et solidarité citoyennes, mais qui reste largement insuffisante pour pallier l’inaction des autorités.
Cette situation de crise est terriblement alarmante sur le plan humain, tant par sa durée que par son ampleur. Ces personnes, en droit d’être accueillies, n’ont pas à pâtir de l’incurie de nos pouvoirs publics, qui ne cessent de se renvoyer la balle et de se dédouaner de leurs responsabilités respectives. Une saison 3 à cette crise de l’accueil est-elle inéluctable ?