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L’avenir du fédéralisme en Belgique

Numéro 6 Juin 2013 par Jérémy Dodeigne Min Reuchamps Dave Sinardet

juin 2013

La crise poli­tique belge a mis à l’avant-plan de la scène média­tique et poli­tique les états-majors des par­tis durant la période de 541 jours sans gou­ver­ne­ment. Ce sont désor­mais les par­le­men­taires qui doivent voter les lois met­tant en œuvre la sixième réforme de l’État. Tou­te­fois, la dis­ci­pline des par­tis empêche bien sou­vent ceux-ci d’exprimer en toute liber­té leur vision du fédé­ra­lisme belge, sur­tout après qu’un accord est inter­ve­nu. Cette enquête menée auprès de tous les par­le­men­taires du pays durant l’été 2011, soit un peu avant l’accord sur la réforme de l’État, visait pré­ci­sé­ment à ques­tion­ner l’opinion des par­le­men­taires sur leur per­cep­tion de l’avenir du fédé­ra­lisme en Belgique.

Dossier

Entre juillet et octobre 2011, soit avant tout accord défi­ni­tif sur la sixième réforme de l’État, les 513 par­le­men­taires du pays (Chambre des repré­sen­tants, Sénat, Par­le­ment fla­mand, Par­le­ment wal­lon, Par­le­ment de Bruxelles-Capi­tale et Par­le­ment de la Com­mu­nau­té ger­ma­no­phone) ont été invi­tés à par­ti­ci­per à une large enquête sur l’avenir du fédé­ra­lisme en Bel­gique. Le ques­tion­naire de vingt-six ques­tions com­por­tait quatre grandes thé­ma­tiques : les par­le­men­taires ont pre­miè­re­ment été inter­ro­gés sur le modèle et l’architecture du fédé­ra­lisme en Bel­gique ; ques­tion­nés sur leurs (mul­tiples) iden­ti­tés poli­tiques (locale, régio­nale, fédé­rale, ou euro­péenne) ; puis, sur les prin­ci­pales rai­sons jus­ti­fiant une sixième réforme de l’État ; et fina­le­ment, sur l’état des rela­tions com­mu­nau­taires. Enfin, il est impor­tant de pré­ci­ser que le ques­tion­naire était entiè­re­ment ano­nyme afin d’inciter à la plus grande sin­cé­ri­té des réponses.

Tableau 1 : Taux de réponse par par­ti en nombres réels (N) et en pourcentage (%)
Par­tis N Dépu­tés %
MLD 1 1 100,00
Eco­lo 33 41 80,50
Groen ! 10 15 66,70
Open VLD 29 44 65,90
CDH 22 35 62,90
SP.A 21 41 51,20
MR 28 55 50,90
Indé­pen­dant 1 3 33,30
N‑VA 26 56 46,40
FDF 5 11 45,50
VB 14 36 38,90
PS 31 85 36,50
CD&V 20 56 35,70
LDD 2 8 25,00
UF 0 1 0,00
TOTAL 243 488 49,80

Au total, 243 par­le­men­taires1 invi­tés à par­ti­ci­per à l’enquête ont répon­du à ce ques­tion­naire, soit un taux de réponses de 49,8 % (tableau 1), ce qui pour une enquête par­le­men­taire de ce genre est un taux éle­vé. Tou­te­fois, la par­ti­ci­pa­tion dif­fère sen­si­ble­ment entre les dif­fé­rents groupes poli­tiques. Cer­tains résul­tats doivent donc être ana­ly­sés à la lumière d’un taux de réponse limi­té pour cer­tains par­tis bien que le nombre abso­lu de réponses (N) per­mette d’assurer une masse « cri­tique » suf­fi­sante de répon­dants. Pré­ci­sons éga­le­ment que pour les par­tis avec un effec­tif très réduit — la LDD, le MLD et les par­le­men­taires indé­pen­dants —, leurs résul­tats seront pré­sen­tés dans les tableaux et gra­phiques à titre infor­ma­tif, mais non dis­cu­tés dans l’analyse.

La nouvelle architecture de l’État belge

Un des points de dis­corde majeurs des négo­cia­tions concer­nait l’ampleur et la pro­fon­deur de la réforme de l’État : trou­ver l’équilibre entre les dési­rs (oppo­sés) d’une auto­no­mie régio­nale ren­for­cée et le main­tien d’une auto­ri­té fédé­rale forte (Pope­lier, Sinar­det et al., 2012 ; Des­chou­wer et Reu­champs, 2013). Nous avons donc deman­dé aux par­le­men­taires de se posi­tion­ner sur une échelle numé­ro­tée de zéro à dix où la valeur 0 repré­sente une situa­tion où les Régions et Com­mu­nau­tés devraient avoir toutes les com­pé­tences, la valeur 10 signi­fie que toutes les com­pé­tences devraient être attri­buées à l’État fédé­ral, alors que la valeur 5 est expli­ci­te­ment pré­sen­tée comme le sta­tu­quo (par rap­port à la situa­tion avant la sixième réforme de l’État donc). Une seule valeur pou­vait être sélectionnée.

Tableau 2 : Posi­tion des par­tis sur l’avenir du fédé­ra­lisme. Par moyenne, N=237
Partis Moyennes
Groen ! 4,90
PS 4,83
FDF 4,60
SP.A 4,38
CDH 4,29
Eco­lo 4,23
LDD 4,00
Open VLD 3,93
MR 3,93
MLD 3,00
CD&V 3,00
N‑VA 0,42
VB 0,00

[/Légende : 0 = les Régions et Com­mu­nau­tés devraient avoir toutes les com­pé­tences ; 10 = toutes les com­pé­tences devraient être attri­buées à l’État fédé­ral ; 5 = vous êtes satisfait(e) de la situa­tion telle qu’elle est./]

Sur la base des récits média­tiques pré­do­mi­nants, on pou­vait s’attendre à ce que cette ques­tion qui touche au point essen­tiel de la crise com­mu­nau­taire divise net­te­ment par­le­men­taires néer­lan­do­phones et fran­co­phones. Pour­tant, cela n’est pas le cas. Si nous ana­ly­sons les moyennes par par­ti, il appa­rait que celles des par­tis fran­co­phones ne s’opposent pas à celles des par­tis fla­mands. Autre­ment dit, alors que la régio­na­li­sa­tion des com­pé­tences est sou­vent pré­sen­tée comme une demande fla­mande face à une résis­tance fran­co­phone, cer­taines for­ma­tions poli­tiques fran­co­phones pré­sentent au contraire une moyenne plus faible — et donc se rap­pro­chant de 0 — que cer­tains par­tis fla­mands. Ain­si, le MR a une moyenne de 3,93 équi­va­lente à l’Open VLD (3,93), mais infé­rieure au SP.A (4,38) et à Groen ! (4,90). En fait, la dis­tri­bu­tion montre sur­tout la divi­sion entre par­le­men­taires fla­mands. Ain­si, aux deux extré­mi­tés, on trouve Groen ! et le VB.

Plus géné­ra­le­ment, les for­ma­tions poli­tiques ne sont pas si éloi­gnées les unes des autres. Toutes se situent dans une moyenne infé­rieure à 5.0 — soit, une situa­tion de régio­na­li­sa­tion accrue, quoique modes­te­ment. Vu que la ques­tion a été posée avant la conclu­sion d’un accord sur une sixième réforme de l’État sou­vent pré­sen­tée comme une grande réforme abso­lu­ment néces­saire pour le fonc­tion­ne­ment du pays, c’est assez sur­pre­nant qu’un bon nombre de par­le­men­taires — notam­ment fla­mands — semble opter pour une posi­tion assez proche du sta­tu quo.

Si l’on entre dans les détails, on peut d’abord dis­tin­guer un groupe de sept par­tis com­pris dans un écart infé­rieur à un point sur cette échelle entre 3,93 et 4,90 (Groen !, PS, FDF, SP.A, CDH, Éco­lo, LDD, Open VLD et le MR dans le tableau 2) ; un deuxième groupe com­pre­nant la N‑VA et le VB proche de la valeur 0 (res­pec­ti­ve­ment 0,42 et 0) ; enfin, le CD&V, seul par­ti entre ces deux groupes, très éloi­gné de la N‑VA et du VB, mais signi­fi­ca­ti­ve­ment dis­tant des autres par­tis poli­tiques avec une moyenne de 3. Ceci confirme les posi­tions claires de la N‑VA et du VB concer­nant l’évolution ins­ti­tu­tion­nelle du pays avec un modèle où l’État belge — même s’il ne dis­pa­rai­trait pas néces­sai­re­ment for­mel­le­ment — se trans­for­me­rait en coquille vide puisque les Régions et Com­mu­nau­tés concen­tre­raient qua­si tous les pou­voirs. La divi­sion semble donc sur­tout s’opérer entre les par­tis natio­na­listes et sépa­ra­tistes d’un côté et les autres par­tis de l’autre. Cela confirme néan­moins éga­le­ment la posi­tion plus mar­quée des sociaux-chré­tiens fla­mands sur la ques­tion de la régio­na­li­sa­tion : avec une situa­tion de sta­tu­quo fixée à la valeur 5, le par­ti se situe presque à mi-che­min d’un scé­na­rio où les enti­tés fédé­rées seraient l’unique lieu de pou­voir. De ce point de vue, ce résul­tat semble en phase avec la posi­tion expri­mée par plu­sieurs per­son­na­li­tés du par­ti concer­nant l’évolution vers une Bel­gique confé­dé­rale, ce qui dans le voca­bu­laire poli­tique belge est géné­ra­le­ment inter­pré­té comme un modèle certes fédé­ral, mais où les enti­tés fédé­rées consti­tuent le centre de gravité.

Il faut rap­pe­ler que ces moyennes sont les réponses indi­vi­duelles des par­le­men­taires agré­gées au niveau du par­ti. Lorsque l’on s’attarde sur ces réponses indi­vi­duelles, il appa­rait que der­rière les dif­fé­rences qui existent entre par­tis, se cachent éga­le­ment des dif­fé­rences par­fois impor­tantes au sein des par­tis, sou­vent encore moins visibles média­ti­que­ment. L’écart-type, c’est-à-dire la dis­per­sion des réponses des par­le­men­taires sur l’échelle de 0 à 10 au sein d’un même par­ti, diverge assez for­te­ment entre les par­tis. Ain­si, du tableau 3, nous obser­vons tout d’abord que la valeur la plus haute expri­mée par les élus est limi­tée à 8. Aucun des par­le­men­taires inter­ro­gés n’a donc opté pour un scé­na­rio qui condui­rait à un retour à l’État uni­taire ou extrê­me­ment cen­tra­li­sé. À cet égard, il faut noter que 10,3 % des par­le­men­taires PS ont choi­si la valeur 8 alors que, pour les autres par­tis, les pour­cen­tages sont signi­fi­ca­ti­ve­ment plus bas (le deuxième pour­cen­tage le plus éle­vé n’est que de 4,8 % au sein du CDH et du SP.A). Cela ne signi­fie pas pour autant qu’un scé­na­rio de refé­dé­ra­li­sa­tion soit majo­ri­tai­re­ment reje­té par les par­le­men­taires, au contraire. Si on comp­ta­bi­lise les réponses pour les valeurs 6 à 8 (et rap­pe­lons qu’à par­tir de la valeur 6, les choix repré­sentent une logique de refé­dé­ra­li­sa­tion), on remarque en effet que ce scé­na­rio récolte un sou­tien impor­tant auprès des par­le­men­taires. Du côté fran­co­phone, le FDF affiche 40 %, le PS 30,9 %, Éco­lo 16,1 %, le CDH 9,6 %, et le MR 7,4 %. Néan­moins, et à nou­veau à contre cou­rant de la per­cep­tion exis­tante, du côté des élus fla­mands, des pour­cen­tages par­fois encore plus éle­vés sont obser­vés : Groen ! 50,0 %, Open VLD 30,9 %, et SP.A 19,1 %. De ce point de vue, il y a une oppo­si­tion très claire entre les repré­sen­tants de ces par­tis et ceux du CD&V, de la N‑VA et du VB.

Tableau 3 : Posi­tions des par­le­men­taires sur la réforme de l’État. En pour­cen­tage, N = 237
    0 1 2 3 4 5 6 7 8 Total
Par­tis flamands CD&V 0,0 5,0 30,0 30,0 30,0 5,0 0,0 0,0 0,0 100
  Groen ! 0,0 0,0 0,0 30,0 10,0 10,0 40,0 10,0 0,0 100
  N‑VA 69,2 23,1 3,8 3,8 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 100
  OpenVLD 6,9 6,9 10,3 27,6 13,8 3,4 10,3 17,2 3,4 100
  SP.A 0,0 0,0 0,0 38,1 19,0 23,8 9,5 4,8 4,8 100
  VB 100 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 100
Par­tis francophones CDH 0,0 4,8 4,8 9,5 38,1 33,3 4,8 0,0 4,8 100
  Éco­lo 0,0 0,0 3,2 32,3 29,0 19,4 9,7 3,2 3,2 100
  FDF 0,0 0,0 0,0 40,0 20,0 0,0 20,0 20,0 0,0 100
  MR 0,0 0,0 11,1 33,3 25,9 22,2 0,0 3,7 3,7 100
  PS 3,4 0,0 0,0 20,7 27,6 17,2 3,4 17,2 10,3 100

[/Légende : 0 = les Régions et Com­mu­nau­tés devraient avoir toutes les com­pé­tences ; 10 = toutes les com­pé­tences devraient être attri­buées à l’État fédé­ral ; 5 = vous êtes satisfait(e) de la situa­tion telle qu’elle est./]

En effet aucun des répon­dants de ces trois der­niers par­tis fla­mands n’a choi­si une valeur supé­rieure à 5. En phase avec la ligne offi­cielle de leur for­ma­tion poli­tique, l’ensemble des par­le­men­taires VB et 69,2 % de ceux de la N‑VA sou­haitent que les Régions et Com­mu­nau­tés concentrent toutes les com­pé­tences (valeur 0). Pour la N‑VA, le pour­cen­tage s’élève à 92,3 % si on comp­ta­bi­lise les valeurs 0 et 1. Quant au CD&V, si aucun de ses répon­dants ne sou­tient une logique de refé­dé­ra­li­sa­tion, ils sont 95 % à opter pour une régio­na­li­sa­tion accrue. 90 % de ceux-ci se divisent de façon équi­li­brée entre les valeurs 2, 3 et 4 de l’échelle, ce qui montre quand même une cer­taine divi­sion au sein des par­le­men­taires du par­ti sur l’ampleur de l’autonomie régio­nale sou­hai­tée en com­pa­rai­son avec la situa­tion avant la sixième réforme de l’État.

Au sein des autres par­tis fran­co­phones et fla­mands, un chan­ge­ment de « centre de gra­vi­té » vers les enti­tés fédé­rées récolte éga­le­ment les suf­frages de nom­breux par­le­men­taires, mais c’est sur­tout l’intensité de ce chan­ge­ment qui les dif­fé­ren­cie de la N‑VA, du VB et d’une par­tie du CD&V. Si on consi­dère les réponses cumu­lées pour les valeurs de 0 à 2, soit un choix pour une régio­na­li­sa­tion très forte des com­pé­tences, on retrouve des pour­cen­tages rela­ti­ve­ment faibles au sein de tous les autres par­tis, à l’exception de l’Open VLD qui affiche 24,1 % (ce par­ti est clai­re­ment le plus divi­sé puisque, à l’inverse, 30,9 % de ses par­le­men­taires sont pour une refé­dé­ra­li­sa­tion des com­pé­tences). Pour les autres par­tis, ils sont 3,2 % chez Éco­lo, 9,6 % au CDH, 11,1 % au MR, 3,4 % au PS et aucun au FDF, Groen ! et SP.A.

C’est une régio­na­li­sa­tion avec une magni­tude limi­tée (valeurs 3 et 4) qui récolte les plus forts sou­tiens au sein de beau­coup de par­tis (à l’exception de la N‑VA et du VB comme nous l’avons indi­qué). Par contre, dans un contexte où une nou­velle réforme de l’État ren­for­çant l’autonomie régio­nale a été pré­sen­tée comme la pre­mière prio­ri­té poli­tique pen­dant des années, notam­ment dans le débat poli­tique fla­mand, mais éga­le­ment de plus en plus du côté fran­co­phone, il est très sur­pre­nant d’observer le nombre de par­le­men­taires qui ne sont pas par­ti­sans d’une telle réforme et même sou­vent par­ti­sans d’une réforme tota­le­ment oppo­sée. Ain­si, en cumu­lant l’ensemble des réponses supé­rieures ou égales à 5, c’est-à-dire l’ensemble des dépu­tés qui ne dési­rent pas une réforme de l’État condui­sant à plus d’autonomie régio­nale, les pour­cen­tages sont rela­ti­ve­ment éle­vés : Groen ! 60 %, SP.A 42,9 % et Open VLD 34,5 %. Des pour­cen­tages très simi­laires à leurs col­lègues fran­co­phones : PS 48,3 %, CDH 42,0 %, Éco­lo 35,5 %, FDF 40 % et MR 29,6 %.

Nous avons aus­si son­dé les par­le­men­taires sur douze com­pé­tences pour les­quelles ils devaient déci­der si le gou­ver­ne­ment fédé­ral, les gou­ver­ne­ments régio­naux ou les deux niveaux de pou­voir devaient être com­pé­tents pour légi­fé­rer : en matière d’allocations de chô­mages, allo­ca­tions fami­liales, coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, jus­tice, mar­ché de l’emploi, normes de bruit, poli­tique scien­ti­fique, pen­sions, com­merce exté­rieur, défense, sécu­ri­té rou­tière et soins de san­té. Les résul­tats confortent les ana­lyses déve­lop­pées ci-des­sous : il n’existe pas un bloc fla­mand qui s’oppose à un bloc fran­co­phone et les par­tis eux-mêmes ne forment pas des blocs mono­li­thiques. Les réponses à ces douze ques­tions montrent éga­le­ment que le cli­vage socioé­co­no­mique compte tout autant que le cli­vage com­mu­nau­taire (pour plus de détails, Reu­champs et al., 2012).

Même constat quand on pose aux par­le­men­taires la ques­tion sur l’architecture du fédé­ra­lisme belge et notam­ment si l’on doit gar­der le sys­tème actuel avec deux types d’entités fédé­rées, les Com­mu­nau­tés et les Régions, ou plu­tôt aller vers un sys­tème bat­tit sur quatre Régions : à nou­veau le consen­sus au sein des groupes lin­guis­tiques, et lar­ge­ment aus­si au sein des par­tis, est absent.

Identification identitaire des parlementaires

Nous n’avons pas seule­ment son­dé les posi­tions ins­ti­tu­tion­nelles des dif­fé­rents par­le­men­taires, mais éga­le­ment leurs sen­ti­ments d’identités « eth­no-ter­ri­to­riaux ». Concrè­te­ment, nous avons uti­li­sé la ques­tion More­no — inter­na­tio­na­le­ment uti­li­sée pour son­der de tels sen­ti­ments identitaires.

Tableau 4 : Auto-iden­ti­fi­ca­tion iden­ti­taire des par­le­men­taires. (Ques­tion More­no) en pour­cen­tage, N = 200
    Belge uni­que­ment Belge > Reg. Belge = Reg. Reg. > Belge Reg. uni­que­ment Total
Par­tis flamands CD&V 0,0 5,3 47,4 47,4 0,0 100
  Groen ! 0,0 20,0 70,0 10,0 0,0 100
  N‑VA 0,0 0,0 0,0 26,1 73,9 100
  O‑VLD 0,0 12,0 60,0 24,0 4,0 100
  SP.A 0,0 47,1 47,1 5,9 0,0 100
  VB 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 100
Par­tis francophones CDH 6,3 31,3 50,0 12,5 0,0 100
  Eco­lo 7,7 19,2 69,3 3,8 0,0 100
  FDF 0,0 0,0 25,0 75,0 0,0 100
  MR 9,1 27,3 45,5 18,2 0,0 100
  PS 4,2 8,3 79,2 8,3 0,0 100

Sans grande sur­prise, c’est au sein des par­tis natio­na­listes fla­mands qu’on observe les pour­cen­tages les plus éle­vés de dépu­tés qui s’identifient comme « uni­que­ment fla­mands » (l’ensemble des dépu­tés VB et 73,9 % des par­le­men­taires N‑VA). Tou­te­fois, il faut noter une mino­ri­té signi­fi­ca­tive et assez sur­pre­nante de dépu­tés (26,1 %) qui se sent d’abord fla­mande, mais éga­le­ment belge au sein des élus de la N‑VA. Paral­lè­le­ment, les élus du FDF ont une iden­ti­té fran­co­phone plus forte (75 % d’entre eux) que les autres par­tis fran­co­phones. Dans les autres for­ma­tions poli­tiques, la plu­part des par­le­men­taires ont une iden­ti­té mixte (aus­si bien francophones/flamands que belges) : PS (79,2 %), Groen ! (70 %), Éco­lo (69,2 %), Open VLD (60 %). Pour les élus du CD&V, SP.A, MR et du CDH, il y a éga­le­ment une forte iden­ti­té mixte, mais asso­ciée soit à une iden­ti­té belge forte (SP.A, MR et CDH) soit, au contraire, à une iden­ti­té régio­nale mar­quée (CD&V). Dans les par­tis fla­mands, ce sont sur­tout les élus SP.A qui se dis­tinguent des autres avec presque la moi­tié des élus qui se sent d’abord belge et que 5,9 % de ses élus qui se sentent d’abord flamands.

De cette ana­lyse des iden­ti­tés poli­tiques des élus, res­sort une image rela­ti­ve­ment contras­tée. Il y a une véri­table mixi­té des iden­ti­tés. Dans nombre de cas, les sen­ti­ments par­ta­gés (régio­nal et belge) se com­plètent plu­tôt que s’excluent les uns des autres. Ces don­nées convergent avec les recherches anté­rieures menées sur l’ensemble de la popu­la­tion : il n’y a pas beau­coup d’identités pure­ment régio­nales en Flandre ou en Wal­lo­nie, mais davan­tage des sen­ti­ments d’identités par­ta­gés (De Win­ter, 2007 ; Des­chou­wer et Sinar­det, 2010). Par contre, ce tableau semble être en conflit avec le dis­cours poli­tique et média­tique domi­nant où iden­ti­tés régio­nales et fédé­rales sont sou­vent pré­sen­tées comme mutuel­le­ment exclu­sives et où l’identité régio­nale semble devoir pré­do­mi­ner. On peut éga­le­ment obser­ver que plus le sen­ti­ment régio­nal est fort, plus le sou­tien pour une régio­na­li­sa­tion est mar­qué chez un par­le­men­taire. Il y a en effet une cor­ré­la­tion entre ces deux variables, des deux côtés de la fron­tière lin­guis­tique. C’est une ten­dance éga­le­ment obser­vable au niveau des citoyens, quoique de manière moins mar­quée (Des­chou­wer et Sinar­det, 2010).

Fina­le­ment, on constate que, éga­le­ment sur la ques­tion iden­ti­taire, il n’y a pas de ligne de frac­ture claire entre par­le­men­taires fla­mands et fran­co­phones et que, à nou­veau, les repré­sen­ta­tions clas­siques semblent en par­tie contre­dites. Ain­si, il est vrai que seul des par­le­men­taires fran­co­phones se déclarent uni­que­ment belges, mais si l’on addi­tionne à ces chiffres la caté­go­rie « plus belge que le régio­nal », le plus haut score peut être retrou­vé du côté des par­le­men­taires SP.A.

Expliquer les différences : quelles motivations pour la sixième réforme de l’État ?

Le cli­vage iden­ti­taire ne consti­tue pas la seule variable expli­ca­tive de la posi­tion com­mu­nau­taire des par­le­men­taires. Mais qu’en est-il des argu­ments uti­li­sés pour sou­te­nir une réforme de l’État ? Nous pou­vons dis­tin­guer deux grandes rai­sons : un motif iden­ti­taire et un motif d’efficacité. D’une part, une plus forte auto­no­mie des Régions et Com­mu­nau­tés peut se jus­ti­fier par l’idée qu’une région — voire une nation — doit dis­po­ser d’une auto­no­mie plus grande pour déter­mi­ner son ave­nir, parce qu’elle a une iden­ti­té, une culture spé­ci­fique. C’est une vision qui cor­res­pond typi­que­ment à la défi­ni­tion du natio­na­lisme de Gell­ner (1983) où la nation et l’État doivent être congruents.

D’autre part, la réforme de l’État peut éga­le­ment être sou­te­nue par des argu­ments plus prag­ma­tiques : la struc­ture de l’État belge doit être ren­due plus effi­cace. Elle est alors jus­ti­fiée par des impé­ra­tifs de — bonne — gou­ver­nance. Bien enten­du, l’argument d’efficacité n’exclut pas celui de l’identité.

Nous avons donc inter­ro­gé les par­le­men­taires afin de savoir dans quelle mesure ces deux dimen­sions — iden­ti­té et effi­ca­ci­té — sont avan­cées comme argu­ments. La dimen­sion iden­ti­taire est basée sur les moyennes agré­gées de quatre ques­tions2 alors que le fac­teur effi­ca­ci­té est fon­dé sur les moyennes agré­gées de cinq ques­tions3. Pour cha­cune de ces pro­po­si­tions, les par­le­men­taires devaient répondre s’ils étaient « pas du tout d’accord » (valeur 0) jusqu’à « tout à fait d’accord » (valeur 10), alors qu’une posi­tion neutre était pré­sen­tée expli­ci­te­ment comme la valeur 5.

Ce sont sans sur­prise les élus des par­tis eth­no­ré­gio­na­listes qui sou­tiennent le plus for­te­ment une réforme de l’État pour des moti­va­tions iden­ti­taires (figure 1). Tou­te­fois, c’est moins le cas chez les repré­sen­tants FDF (avec une moyenne de 6,75) que chez ceux de la N‑VA (9,06) et du VB (9,46). Cela peut s’expliquer par le fait que le FDF a adop­té his­to­ri­que­ment une posi­tion plus réac­tive alors que la N‑VA et le VB ont une posi­tion plus proac­tive pour l’indépendance de la Flandre. À l’opposé de ces trois par­tis, le SP.A et Groen ! sont les deux seuls par­tis reje­tant signi­fi­ca­ti­ve­ment l’argument iden­ti­taire pour une réforme de l’État.

[*Figure 1 : Posi­tion des par­tis sur les dimen­sions iden­ti­taires et d’efficacité de la réforme*]
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Entre ces deux groupes, tous les autres par­tis adoptent une posi­tion rela­ti­ve­ment neutre (proche de 5) puisque le ratio le plus faible est de 4,33 pour Éco­lo et le plus éle­vé est de 5,37 au MR. Dès lors, même au sein du CD&V, les par­le­men­taires pré­sentent en moyenne une posi­tion neutre (4,57), mais reje­tant légè­re­ment l’argumentaire iden­ti­taire. En défi­ni­tive, il appa­rait donc qu’à l’exception des par­tis eth­no­ré­gio­na­listes, la jus­ti­fi­ca­tion iden­ti­taire n’est pas for­te­ment pré­sente, en ce com­pris pour les membres des par­tis fla­mands régu­liè­re­ment per­çus comme les plus en faveur d’une régio­na­li­sa­tion accrue. Plus encore, les seuls par­tis s’opposant expli­ci­te­ment à cet argu­ment iden­ti­taire sont deux par­tis fla­mands (SP.A et Groen !).

En l’absence d’une moti­va­tion iden­ti­taire forte, l’argument prin­ci­pal est peut-être à trou­ver dans des consi­dé­ra­tions d’efficacité. Ici aus­si, l’on peut consta­ter que ce sont les par­tis eth­no­ré­gio­na­listes qui recourent le plus for­te­ment au motif d’efficacité pour sou­te­nir la réforme de l’État alors que les socia­listes fla­mands ont la moyenne la plus faible (5,28). Avec des moyennes proches de 6, les par­le­men­taires fran­co­phones — à l’exception du PS — et les verts fla­mands ont une posi­tion simi­laire quoique légè­re­ment plus éle­vée pour ces der­niers (de 5,77 à 6,22). Il existe en revanche une logique claire d’efficacité dans le chef des man­da­taires PS, Open VLD et CD&V (res­pec­ti­ve­ment 6,82, 6,98 et 7,49).

La crise politique vue par les parlementaires

Com­ment les par­le­men­taires ana­lysent-ils la crise poli­tique, com­ment expliquent-ils les dif­fi­cul­tés de leurs états-majors — dont cer­tains en font d’ailleurs par­tie — à s’accorder sur une sixième réforme de l’État ? Pour appor­ter des réponses à ces ques­tions, nous les avons son­dés sur seize pro­po­si­tions de causes pos­sibles de la crise poli­tique, sur la base de la même échelle allant de 0 à 10. Les résul­tats sont pré­sen­tés par moyennes et par partis.

Pre­miè­re­ment, l’(unique) constat assez lar­ge­ment par­ta­gé par les répon­dants est que la crise est due à la « dif­fé­rence de conte­nu entre la vision des fran­co­phones et des Fla­mands ». C’est en par­tie sur­pre­nant après les chiffres pré­cé­dents où l’on a vu que les dif­fé­rences de conte­nu entre par­le­men­taires fla­mands et fran­co­phones ne sont, dans les faits, pas si grandes que cela. Les dépu­tés de l’ensemble des par­tis ont éva­lué cette rai­son à une moyenne supé­rieure à 7,0, à l’exception — à nou­veau — des élus SP.A et Groen !, avec res­pec­ti­ve­ment 6,0 et 5,4 (soit une posi­tion presque neutre). Par ailleurs, les élus des par­tis poli­tiques tra­di­tion­nels sont com­pris dans des moyennes très proches (entre 7,04 et 7,76) alors que ceux des par­tis eth­no­ré­gio­na­listes sont net­te­ment au-delà : 8,4 au FDF, 8,6 au VB et 9,7 à la N‑VA.

Au-delà de ce « déno­mi­na­teur » com­mun, on peut obser­ver que c’est sur­tout la faute des par­tis de l’autre Com­mu­nau­té qui pré­vaut : l’« immo­bi­lisme », la « peur », l’« absence de volon­té » pour trou­ver des com­pro­mis chez les fran­co­phones est poin­té du doigt par beau­coup d’élus fla­mands, et inver­se­ment. À l’exception du SP.A qui affiche des moyennes rela­ti­ve­ment faibles pour ces rai­sons (entre 4,2 et 5,9), tous les autres par­tis ont des moyennes à par­tir de 7,0. Sur ce point, ce sont à nou­veau la N‑VA, le VB et le FDF qui pré­sentent les moyennes les plus éle­vées aux alen­tours de 9,0. De plus, il faut noter que le sen­ti­ment de « manque de volon­té pour trou­ver un com­pro­mis chez cer­tains par­tis [de ma Com­mu­nau­té] » est bien plus éle­vé au nord qu’au sud du pays. Alors que seuls les par­le­men­taires MR et Éco­lo sont légè­re­ment d’accord avec cette pro­po­si­tion du côté fran­co­phone (res­pec­ti­ve­ment 5,5 et 6,0), les man­da­taires Open VLD (6,3), CD&V (6,5), SP.A (7,8) et Groen ! (7,8) sont en phase avec cette opi­nion. En fait, seuls les élus N‑VA et VB rejettent clai­re­ment cette expli­ca­tion de la crise (moyennes de 1,4 et 0,7). Ce n’est pas très sur­pre­nant puisque ces par­tis sou­tiennent que la rai­son de la crise est à trou­ver dans un clash fon­da­men­tal et pro­blé­ma­tique de posi­tions très dif­fé­rentes entre le nord et le sud, qui ne peut dès lors pas sim­ple­ment être expli­qué par un manque de volon­té poli­tique. Par contre, il n’est pas éton­nant que le SP.A et Groen ! soient les plus cri­tiques quant à l’intransigeance dont a fait preuve la N‑VA durant les négo­cia­tions (avant d’en être exclue), puisqu’ils sont aus­si le moins d’accord avec l’analyse que des diver­gences fon­da­men­tales sont à la base de la crise. Ce qui est assez sur­pre­nant, c’est que tous les par­tis poli­tiques (à l’exception de la N‑VA et du VB) par­tagent plus ou moins for­te­ment l’opinion selon laquelle la crise poli­tique est due « aux attentes exa­gé­rées sus­ci­tées autour d’une réforme de l’État qui était pré­sen­tée comme la solu­tion pour tous les pro­blèmes », tan­dis que cer­tains de ces par­tis ont quand même publi­que­ment contri­bué à sou­te­nir cette ana­lyse ou au moins à ne pas la contre­dire. Par­mi les cinq moyennes les plus fortes, nous retrou­vons à nou­veau les quatre par­tis fla­mands tra­di­tion­nels avec 7,0 au CD&V, 7,35 à l’Open VLD, 7,45 au SP.A et 8,33 chez Groen !.

Les relations intercommunautaires en Belgique

Nous avons éga­le­ment inter­ro­gé les par­le­men­taires sur les liens qu’ils entre­tiennent avec l’autre Com­mu­nau­té tant au niveau des médias, des élec­teurs qu’avec leurs homo­logues poli­tiques. L’analyse de ces trois dimen­sions est impor­tante au regard de la nature conso­cia­tive de la Bel­gique. Un des élé­ments des sys­tèmes conso­cia­tifs est un cloi­son­ne­ment assez fort entre dif­fé­rents groupes au niveau de la socié­té (dans le pas­sé, cela concer­nait aus­si beau­coup plus les piliers), avec un rôle impor­tant pour les élites repré­sen­tant les dif­fé­rents groupes de paci­fier les conflits et d’assurer le « com­pro­mis à la Belge » (Sinar­det, 2010 ; Per­rez et Reu­champs, 2012). Néan­moins, de l’avis d’une majo­ri­té de par­le­men­taires, à l’exception de ceux du VB et de la N‑VA, la crise peut s’expliquer « en rai­son du manque de com­mu­ni­ca­tion entre fran­co­phones et Fla­mands ». Si la moyenne est légè­re­ment plus basse au PS (5,5) et à l’Open VLD (6,4), elle est com­prise entre 6,9 et 7,2 pour le SP.A, le MR, le CD&V, CDH et Éco­lo et grimpe pour Groen ! jusque 8,0. Pour explo­rer cette thé­ma­tique, on peut dis­tin­guer les rela­tions entre élus, les rela­tions média­tiques et les rela­tions entre citoyens et élus.

Relations entre élus

Pré­ci­sons que les résul­tats pré­sen­tés ci-après concernent l’ensemble des dépu­tés qu’ils siègent actuel­le­ment au niveau fédé­ral ou régio­nal. Les chiffres peuvent donc être par­tiel­le­ment influen­cés par des contacts moins régu­liers de dépu­tés pour­sui­vant une car­rière au Par­le­ment fla­mand ou wal­lon, et ren­con­trant donc poten­tiel­le­ment moins régu­liè­re­ment leurs homo­logues francophones/flamands que leurs col­lègues du Par­le­ment fédé­ral. Tou­te­fois, cette pré­cau­tion métho­do­lo­gique doit éga­le­ment être rela­ti­vi­sée étant don­né que le nombre de par­le­men­taires n’effectuant des car­rières qu’à un seul niveau de pou­voir est limi­té au vu du nombre impor­tant de car­rières poli­tiques mixtes en Bel­gique (c’est-à-dire, et de manière très com­pa­rable du côté fla­mand et wal­lon, des car­rières aux deux niveaux).

Une écra­sante majo­ri­té des par­le­men­taires consi­dère que le « main­tien de liens étroits avec des membres de la famille poli­tique de l’autre Com­mu­nau­té consti­tue une pré­oc­cu­pa­tion majeure à leurs yeux ». À l’exception des réponses « sans objet » des par­le­men­taires de la N‑VA, du VB et du FDF, et du score assez faible de 58 % pour les dépu­tés CDH, les dépu­tés qui sont « d’accord », voire « tout à fait d’accord », avec cette pro­po­si­tion évo­luent entre 84 % (Open VLD) jusqu’à l’unanimité des dépu­tés de Groen !. Celle-ci n’est guère éton­nante puisque ce par­ti consti­tue un groupe poli­tique com­mun à la Chambre avec Éco­lo (deuxième pour­cen­tage le plus éle­vé avec 92,6 %).

Il est dès lors inté­res­sant d’analyser dans quelle mesure ces liens ne concernent que les rela­tions au sein d’une même famille poli­tique, ou aus­si les autres par­tis. À cet égard, et en dépit du déca­lage idéo­lo­gique qui peut exis­ter entre les membres d’une même famille poli­tique, il appa­rait clai­re­ment que les liens sont plus forts au sein d’une même famille poli­tique puisque les pour­cen­tages de réponses posi­tives chutent de 15,8 % (CD&V) à 20,0 % (SP.A) pour les rela­tions avec les autres par­tis. Plus sur­pre­nant peut-être, il convient de noter que cela reste une prio­ri­té majeure pour tous les par­le­men­taires de Groen ! bien que l’intensité soit moins forte puisque cela concerne davan­tage des réponses « d’accord » que « tout à fait d’accord ».

Relations médiatiques

Si l’on passe des rela­tions entre élus aux rela­tions média­tiques, notre enquête montre que ces der­nières sont assez peu inter­com­mu­nau­taires. On le voit clai­re­ment dans le tableau 5, où sont pré­sen­tés les écarts qui existent entre les appa­ri­tions rap­por­tées par les repré­sen­tants dans les médias de leur propre Com­mu­nau­té et dans ceux de l’autre Com­mu­nau­té. La fré­quence des inter­ven­tions est signi­fi­ca­ti­ve­ment plus impor­tante dans les médias de sa Com­mu­nau­té. Ceci est en phase avec des études sur le conte­nu média­tique qui ont mon­tré que le nombre de repré­sen­tants poli­tiques de l’autre Com­mu­nau­té est assez faible dans les émis­sions d’information tant néer­lan­do­phones que fran­co­phones, un élé­ment qui contri­bue à l’absence d’une vraie sphère publique fédé­rale (Sinar­det, 2012). Sur la période des six der­niers mois, les par­le­men­taires répondent avoir par­ti­ci­pé à une inter­ven­tion dans la presse écrite et/ou audio­vi­suelle de leur propre Com­mu­nau­té envi­rons deux à cinq fois plus que dans les médias de l’autre Com­mu­nau­té. Ces écarts sont tou­te­fois bien plus impor­tants pour cer­tains par­tis : ain­si, aucun par­le­men­taire VB n’a répon­du avoir été sol­li­ci­té par les médias fran­co­phones (cor­don sani­taire oblige, vrai­sem­bla­ble­ment) alors que, sur la même période, la majo­ri­té d’entre eux s’exprimait dans les médias flamands.

Tableau 5 : Inter­ven­tions des dépu­tés dans les médias audio­vi­suels et écrits. En chiffres abso­lus, N = 210
[**Médias de l’autre Communauté*]

Par­tis 0 1 2 – 3 4 – 5 6+
CDH 2 6 7 1 1
CD&V 3 4 10 1 1
Éco­lo 17 3 5 2 0
FDF 1 2 1 1 0
Groen ! 0 4 2 2 2
LDD 1 1 0 0 0
MLD 0 0 1 0 0
MR 8 3 3 8 2
N‑VA 11 2 9 0 2
O‑VLD 11 1 7 1 5
PS 16 2 2 1 4
SP.A 8 2 4 1 5
VB 11 0 0 0 0

[**Médias de sa Communauté*]

Par­tis 0 1 2 – 3 4 – 5 6+
CDH 0 0 3 1 13
CD&V 1 0 1 6 11
Éco­lo 2 3 5 6 11
FDF 1 0 0 3 1
Groen ! 0 1 1 3 5
LDD 0 0 1 0 1
MLD 0 0 0 1 0
MR 0 0 0 2 22
N‑VA 0 0 9 3 12
O‑VLD 1 2 5 3 14
PS 3 2 4 3 13
SP.A 0 0 1 7 11
VB 2 2 3 1 3

De l’avis des élus, cette situa­tion n’est tou­te­fois pas com­plè­te­ment satis­fai­sante puisqu’une très large majo­ri­té d’entre eux pense que « les par­le­men­taires et les ministres fédé­raux devraient essayer d’être plus pré­sents dans les médias de l’autre Com­mu­nau­té ». Comme l’illustre le tableau 6, à l’exception des par­le­men­taires N‑VA qui expriment timi­de­ment un avis posi­tif (54,2 %) ou VB qui s’y opposent radi­ca­le­ment (72,7 %), on voit que les dépu­tés de tous les autres par­tis sont ample­ment d’accord ou tout à fait d’accord avec cette proposition.

Tableau 6 : Appa­ri­tions inter­com­mu­nau­taires dans les médias. En pour­cen­tage (%), N=204
Par­tis (Tout à fait) d’accord Pas (du tout) d’accord Sans objet
CDH 88,2 11,8 0,0
CD&V 78,9 21,1 0,0
Éco­lo 92,6 3,7 3,7
FDF 80,0 20,0 0,0
Groen ! 90,0 10,0 0,0
LDD 100,0 0,0 0,0
MLD 100,0 0,0 0,0
MR 100,0 0,0 0,0
N‑VA 54,2 25,0 20,8
O‑VLD 84,0 12,0 4,0
PS 92,0 4,0 4,0
SP.A 90,0 10,0 0,0
VB 9,1 72,7 18,2

Relations citoyens-élus

Troi­sième facette des rela­tions inter­com­mu­nau­taires : les rela­tions citoyens-élus. En rai­son de la scis­sion des par­tis poli­tiques sur la base lin­guis­tique et de l’organisation du sys­tème élec­to­ral, les par­tis et leurs can­di­dats ne se pré­sentent que face à une par­tie de l’électorat belge, les élec­teurs de leur Com­mu­nau­té. Quelle en est la per­cep­tion des élus ? Nous dis­tin­guons, d’une part, les réponses liées à la dyna­mique élec­to­rale (l’existence de deux sphères de com­pé­ti­tion élec­to­rale) et, d’autre part, les résul­tats en lien avec le rôle de l’élu (repré­sen­ter une Com­mu­nau­té ou tout le pays).

Concer­nant la pre­mière dimen­sion, le fait que « les débats élec­to­raux fédé­raux sont en fait des dis­cus­sions intra­com­mu­nau­taires entre poli­tiques du même groupe lin­guis­tique » est jugé pro­blé­ma­tique par une très large majo­ri­té des par­tis (troi­sième colonne du tableau 7). À l’exception de pour­cen­tages plus limi­tés chez les élus du FDF (60 %), CD&V (47,4 %), de la N‑VA (20,8 %) et du VB (aucune réponse pour ce choix), ce sont plus de trois-quarts des par­le­men­taires de tous les autres par­tis qui s’accordent pour la juger pro­blé­ma­tique. L’explication des scores plus faibles pour les quatre par­tis pré­ci­tés est double. D’un côté, 20 % des élus FDF ne sont pas d’accord avec la pro­po­si­tion ou au contraire la trouvent tel­le­ment pro­blé­ma­tique qu’elle jus­ti­fie la scis­sion du pays. Quant aux repré­sen­tants du CD&V, ils sont une moi­tié à par­ta­ger cet avis, mais ne consi­dèrent cepen­dant pas la situa­tion comme pro­blé­ma­tique. C’est éga­le­ment la posi­tion de 37,5 % des par­le­men­taires N‑VA et de 27,3 % des élus VB. Néan­moins ce qui dis­tingue par­ti­cu­liè­re­ment ces deux der­niers par­tis est le fait que la situa­tion est jugée si pro­blé­ma­tique qu’elle jus­ti­fie la scis­sion du pays : N‑VA (41,7 %) et VB (72,7 %).

Tableau 7 : Débats élec­to­raux intra­com­mu­nau­taires. En pour­cen­tage (%), N=210
Par­tis Pas d’accord D’accord, pas problématique D’accord pro­blé­ma­tique Pro­blé­ma­tique et scission
CDH 11,8 5,9 82,4 0,0
CD&V 5,3 47,4 47,4 0,0
Éco­lo 3,7 0,0 96,3 0,0
FDF 20,0 0,0 60,0 20,0
Groen ! 0,0 10,0 90,0 0,0
LDD 0,0 100,0 0,0 0,0
MLD 0,0 0,0 100,0 0,0
MR 4,2 4,2 91,7 0,0
N‑VA 0,0 37,5 20,8 41,7
O‑VLD 4,0 16,0 76,0 4,0
PS 8,0 20,0 72,0 0,0
SP.A 0,0 40,0 60,0 0,0
VB 0,0 27,3 0,0 72,7

Au vu de ces résul­tats, il n’est pas éton­nant d’observer dans le tableau 8 que les par­le­men­taires par­tagent éga­le­ment lar­ge­ment l’opinion qu’« un(e) représentant(e) fédéral(e) devrait d’abord tenir compte des inté­rêts de tout le pays et pas seule­ment de sa Com­mu­nau­té », même si ce n’est pas le cas aujourd’hui (colonne B). Ils sont au moins 75 % à le pen­ser chez Groen !, chez Éco­lo, au CDH, au PS et au SP.A (en ordre décrois­sant). Ce pour­cen­tage est cepen­dant légè­re­ment plus faible pour six par­tis : d’une part, le CD&V (63,2 %), l’Open VLD (64 %) et le FDF (60 %) et, d’autre part, le MR (70,8 %), la N‑VA (45,8 %) et aucun au VB. C’est que dans le pre­mier groupe, une mino­ri­té signi­fi­ca­tive par­tage l’avis de ses col­lègues, mais consi­dère que c’est déjà le cas actuel­le­ment (colonne A). Dans le second groupe, les pour­cen­tages limi­tés sont dus en par­tie pour cette même rai­son (MR avec 8,3 %, N‑VA avec 8,3 %), mais sont sur­tout expli­qués par une pro­por­tion signi­fi­ca­tive d’élus consi­dé­rant que les repré­sen­tants devraient au contraire d’abord tenir compte des inté­rêts de leur Com­mu­nau­té (colonne C) ou de leurs élec­teurs (colonne D). Ceci est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour le VB puisque l’ensemble des dépu­tés est de cet avis.

Tableau 8 : Rela­tions com­mu­nau­taires entre repré­sen­tants et élec­teurs. En pour­cen­tage (%), N=210
Par­tis A B C D
CDH
CD&V
Éco­lo
FDF
Groen !
LDD
MLD
MR
N‑VA
O‑VLD
PS
SP.A
VB
11,8
26,3
7,4
40,0
0,0
0,0
0,0
8,3
8,3
24,0
16,0
20,0
0,0
82,4
63,2
92,6
60,0
100,0
100,0
100,0
70,8
45,8
64,0
80,0
75,0
0,0
5,9
10,5
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
12,5
20,8
0,0
4,0
0,0
63,6
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
8,3
25,0
12,0
0,0
5,0
36,4

Légende : A = D’accord, mais c’est déjà le cas aujourd’hui ; B = D’accord, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui ; C = Pas d’accord, il doit d’abord tenir compte des inté­rêts de sa com­mu­nau­té ; D = Pas d’accord, il doit d’abord tenir compte des inté­rêts de ses électeurs.

On le voit, les rela­tions inter­com­mu­nau­taires en Bel­gique sont à la fois les causes et les consé­quences de la dyna­mique fédé­rale dans ce pays. Elles sont donc tant la source que la solu­tion aux conflits com­mu­nau­taires belges4. Cette enquête a éga­le­ment mon­tré que la seule variable iden­ti­taire n’expliquait pas tout : enjeux poli­tiques, socioé­co­no­miques, iden­ti­taires, mais aus­si média­tiques et citoyens façonnent la nature du fédé­ra­lisme belge et son avenir.

Conclusion

Pen­dant la crise poli­tique de ces der­nières années, dans les médias, mais aus­si dans le dis­cours poli­tique, les conflits sur la réforme de l’État ont sou­vent été repré­sen­tés et ana­ly­sés comme oppo­sant deux blocs homo­gènes, « les Fla­mands » et « les fran­co­phones », avec des posi­tions bien claires et déter­mi­nées. Même si on a par­fois ten­dance à poin­ter des dif­fé­rences entre par­tis de chaque com­mu­nau­té lin­guis­tique sur le plan stra­té­gique qui peut arri­ver à les oppo­ser, l’idée que fon­da­men­ta­le­ment tous les par­tis fla­mands et fran­co­phones sont gros­so modo sur la même ligne est bien implan­tée : « Les Fla­mands » vou­draient le plus d’autonomie pos­sible tan­dis que les fran­co­phones res­tent atta­chés à la Belgique.

Par­mi d’autres ensei­gne­ments, l’étude que nous avons réa­li­sée montre qu’au niveau des par­le­men­taires cette pré­sen­ta­tion des choses est loin d’être cor­recte. Les dif­fé­rences d’opinion au sein des deux grands groupes lin­guis­tiques sont par­fois très grandes, notam­ment du côté fla­mand. Ain­si, sur la ques­tion de com­ment les com­pé­tences doivent être divi­sées entre le niveau fédé­ral et régio­nal, les par­le­men­taires des par­tis ayant les points de vue les plus oppo­sés sont ceux de deux par­tis fla­mands : Groen ! et le Vlaams Belang. Sur cette ques­tion, on voit donc éga­le­ment que les par­le­men­taires de cer­tains par­tis fran­co­phones sont plus « auto­no­mistes » que ceux de cer­tains par­tis fla­mands : au MR par exemple, on est aus­si auto­no­miste qu’au VLD et plus qu’au SP.A et Groen !. Aus­si sur le plan des sen­ti­ments iden­ti­taires ou sur la vision des rela­tions inter­com­mu­nau­taires, on ne voit pas se des­si­ner de frac­ture très claire entre Fla­mands et fran­co­phones. Sur beau­coup de ques­tions, ce sont les par­tis natio­na­listes qui se dis­tinguent clai­re­ment des autres.

Une autre per­cep­tion qui est for­te­ment nuan­cée dans notre étude, c’est celle de l’homogénéité au sein des par­tis. Le sys­tème de par­tis en Bel­gique est bâti sur une grande dis­ci­pline interne et celle-ci est en grande par­tie res­pec­tée dans les votes par­le­men­taires, mais cela n’exclut pas que les posi­tions ne puissent pas diver­ger, par­fois assez for­te­ment, en tout cas sur des ques­tions com­mu­nau­taires qui ne sont pas le core-busi­ness des par­tis non natio­na­listes. L’exemple le plus frap­pant est l’Open VLD où un quart des par­le­men­taires pré­co­nise une auto­no­mie régio­nale très pous­sée tan­dis que 30 % veulent ren­for­cer les com­pé­tences fédérales.

Les ana­lyses poli­tiques dans les médias devraient donc peut-être rendre mieux compte de ces nuances et dif­fé­rences internes au sein des groupes lin­guis­tiques et au sein des partis.

Entre­tien réa­li­sé par Donat Car­lier et Benoît Lechat

  1. Douze par­le­men­taires ger­ma­no­phones (sur vingt-cinq) ont éga­le­ment répon­du à notre enquête. Dans cet article, nous n’analysons que les réponses des par­le­men­taires fran­co­phones et néerlandophones.
  2. « Parce que la Wal­lo­nie et Bruxelles devraient avoir le droit de se gou­ver­ner elles-mêmes » ; « Parce que cela ren­for­ce­rait un sen­ti­ment natio­nal wallon/bruxellois/francophone » ; « Parce que les fran­co­phones et les Fla­mands ont des opi­nions dif­fé­rentes sur presque tout » ; « Parce que les Wallons/les Bruxellois/les fran­co­phones ont une iden­ti­té propre et doivent donc pou­voir mettre en œuvre leurs propres politiques ».
  3. « Parce que la Wal­lo­nie et Bruxelles ont des pro­blèmes dif­fé­rents de la Flandre et doivent pou­voir les résoudre elles-mêmes » ; « Parce que la Wal­lo­nie et Bruxelles pour­raient mener de meilleures poli­tiques » ; « Parce que cela condui­rait à une struc­ture de l’État moins com­plexe » ; « Parce que cela serait plus effi­cace » ; « Parce que la Wal­lo­nie et Bruxelles ont des pro­blèmes dif­fé­rents de la Flandre ».
  4. Plu­sieurs ques­tions de l’enquête por­taient éga­le­ment sur les solu­tions à envi­sa­ger en termes d’ingénierie ins­ti­tu­tion­nelle et élec­to­rale dont notam­ment l’hypothèse d’une cir­cons­crip­tion élec­to­rale fédé­rale. Sur cette ques­tion, on observe que celle-ci n’est pas vrai­ment vue comme une solu­tion plau­sible, sauf pour les par­tis éco­lo­gistes et dans une moindre mesure au sein de l’Open VLD et du SP.A (Sinar­det et al., 2012).

Jérémy Dodeigne


Auteur

Min Reuchamps


Auteur

Dave Sinardet


Auteur