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L’avènement de la démocratie. À l’épreuve des totalitarismes, 1914 – 1974, de Marcel Gauchet

Numéro 4 Avril 2011 par Bernard De Backer

avril 2011

« Avant que je pour­suive mon his­toire, per­­met­­tez-moi une obser­va­tion géné­rale : on recon­nait une intel­li­gence de pre­mier ordre à son apti­tude à faire coexis­ter dans l’es­prit deux idées contraires tout en conti­nuant à fonc­tion­ner. Il fau­drait par exemple pou­voir consta­ter que la situa­tion est déses­pé­rée sans pour autant renon­cer à vou­loir la chan­ger. » Fran­cis Scott Fitz­ge­rald, The Crack-Up (1936) Le […]

« Avant que je pour­suive mon his­toire, per­met­tez-moi une obser­va­tion géné­rale : on recon­nait une intel­li­gence de pre­mier ordre à son apti­tude à faire coexis­ter dans l’es­prit deux idées contraires tout en conti­nuant à fonc­tion­ner. Il fau­drait par exemple pou­voir consta­ter que la situa­tion est déses­pé­rée sans pour autant renon­cer à vou­loir la chan­ger. » Fran­cis Scott Fitz­ge­rald, The Crack-Up (1936)

Le troi­sième tome de la tétra­lo­gie que Mar­cel Gau­chet consacre à l’avènement de la démo­cra­tie1 est cer­tai­ne­ment le plus inter­pe­lant. Par son objet et la somme inouïe de souf­frances phy­siques et morales qui lui sont liées, bien évi­dem­ment, mais aus­si par l’analyse qu’il déploie et dont il res­sort, in fine, que les hommes de cet âge des extrêmes, y com­pris ceux qui étaient aux postes de com­mandes, vivaient dans l’ignorance des forces pro­fondes qui déter­mi­naient la des­ti­née dont ils furent les agents. Les qua­li­fi­ca­tifs dési­gnant cette mécon­nais­sance tra­gique reviennent de manière récur­rente dans le corps du livre, consa­cré à la nais­sance, au déploie­ment et à la décom­po­si­tion des trois régimes tota­li­taires euro­péens qui consti­tuèrent l’épreuve majeure à laquelle fut confron­tée la démo­cra­tie sur notre conti­nent. « Com­bat de dupes », « duel som­nam­bu­lique », « camps aveugles à leur iden­ti­té réelle », « prin­cipe voi­lé », « ins­tance cachée », « illu­sion-source », « mirage », « pro­ces­sus sou­ter­rain », « forme incons­ciente, voire impen­sable », « source des illu­sions les plus tra­giques », telles sont quelques-unes des for­mules qui par­sèment le texte pour dési­gner l’aveuglement des acteurs. Phé­no­mène qui n’est certes pas nou­veau dans l’histoire des hommes, mais qui revêt une conno­ta­tion d’autant plus dra­ma­tique qu’il concerne une période et des acteurs qui pré­ten­daient mai­tri­ser l’histoire et les socié­tés au nom de la science.

La matrice de ce court XXe siècle serait en effet sou­ter­raine et secrète, et c’est à mettre ses res­sorts au jour que va s’employer Gau­chet, béné­fi­ciant du recul du temps, des tra­vaux de ses pré­dé­ces­seurs (Levi-Strauss, Lefort, Cas­to­ria­dis, Clastres, Furet…), et des outils d’analyse for­gés anté­rieu­re­ment à leur contact. L’exhumation des forces cachées et des ten­sions fon­da­trices s’effectue en effet dans le cadre du prin­cipe d’intelligibilité glo­bale qu’il avait mis en place avec Le désen­chan­te­ment du monde, ouvrage prin­ceps dont ces quatre livres consti­tuent la suite et l’approfondissement contem­po­rain. Pour le dire sim­ple­ment — en ayant recours à une méta­phore géo­gra­phique uti­li­sée au début du livre —, son objet est de recons­ti­tuer « le che­min tor­tueux et tra­gique de cette décou­verte du pas­sage vers l’ordre auto­nome ». En d’autres mots, l’épreuve des tota­li­ta­rismes consti­tue­rait pour l’avènement de la démo­cra­tie ce que le pas­sage du Nord-Ouest ou le détroit de Magel­lan auront été pour les explo­ra­teurs en quête de voies nou­velles. Sans savoir que ces détroits fai­saient par­tie inté­grante de ce qu’ils cher­chaient. Ou plus exac­te­ment, qu’ils étaient l’effet conju­gué des rugo­si­tés du réel et des illu­sions des marins en route pour les iles fortunées.

L’instance cachée de la structuration religieuse

Sur le che­min qui mène d’une socié­té « hété­ro­nome », struc­tu­rée par la reli­gion, à ce nou­veau monde auto­nome où les hommes « ambi­tionnent de se gou­ver­ner eux-mêmes » (et qui s’avèrera aus­si redou­table que le vide du Paci­fique, salué illu­soi­re­ment par l’équipage de Magel­lan une fois le pas­sage fran­chi), les socié­tés euro­péennes vont engen­drer et affron­ter, dans la pos­té­ri­té de la Grande Guerre, des formes poli­tiques d’un genre nou­veau. Confi­gu­ra­tions du pou­voir éta­tique qui ne relèvent pas des ordres tra­di­tion­nels appuyés sur les hié­rar­chies cou­tu­mières et les Églises qui com­battent la démo­cra­tie émer­gente, ni des patho­lo­gies extrin­sèques mais bien des excrois­sances révé­lant un désordre interne, des « pro­duc­tions poli­ti­co-reli­gieuses de la démo­cra­tie », si l’on peut ris­quer cette ana­lo­gie avec les « pro­duc­tions reli­gieuses de la moder­ni­té2 ». Car le cœur de l’affaire est bien là. Il ne s’agit pas de « déviances » enfan­tées par des tyrans3 aux­quels les masses voue­raient un culte dans un moment d’égarement col­lec­tif, mais bien de struc­tures poli­tiques inédites qui appa­raissent comme des formes de com­pro­mis entre la pous­sée du gou­ver­ne­ment des hommes par eux-mêmes et la nos­tal­gie de l’Un reli­gieux, car « les socié­tés sortent de l’hétéronomie à recu­lons4 ». D’où le qua­li­fi­ca­tif de « reli­gion sécu­lière » que Gau­chet va leur don­ner, par­mi deux autres traits consti­tu­tifs de leur iden­ti­té et de leurs res­sorts pro­fonds : « idéo­cra­tie » et « tota­li­ta­risme ». Nous ver­rons pourquoi.

Mais avant d’emprunter les che­mins tor­tueux et les contre­cou­rants des détroits qui s’ouvriront dans l’effondrement de la Grande Guerre, deux remarques pré­li­mi­naires s’imposent. La pre­mière concerne ce qui était en ges­ta­tion dans les années qui pré­cé­dèrent aout 1914, cette « crise du libé­ra­lisme5 » qui consti­tuait le sujet du volume pré­cé­dent ; la seconde est rela­tive à la Guerre elle-même, sa fonc­tion incu­ba­trice, la ques­tion de sa néces­si­té struc­tu­relle ou de sa contin­gence his­to­rique. Concer­nant le pre­mier point, l’impasse à laquelle avait abou­ti la dyna­mique des liber­tés à la fin du XIXe siècle peut se résu­mer en un constat fon­da­men­tal : l’incapacité du libé­ra­lisme à faire « tenir » le corps social par la seule ver­tu des liber­tés et de la poli­tique des assem­blées élec­tives, même élues au suf­frage uni­ver­sel mas­cu­lin. Sur fond d’un uni­vers social tra­di­tion­nel qui s’effondre en sur­face, mais résiste en pro­fon­deur6, de crises poli­tiques qui se suc­cèdent, le pou­voir de « la » poli­tique à don­ner consis­tance à l’être-ensemble des hommes appa­rait impuis­sant. Dans des termes qui res­sur­gi­ront un siècle plus tard (ano­mie, incer­ti­tude, désaf­fi­lia­tion, accé­lé­ra­tion du temps, souf­france psy­chique…), le corps social se délite sous les coups de butoirs du libé­ra­lisme. Ce der­nier se trouve dépas­sé par les forces qu’il délivre, sans pou­voir trou­ver les res­sorts qui per­met­traient de redon­ner sens et consis­tance à la socié­té, le garant de la « main invi­sible » gui­dant har­mo­nieu­se­ment la conjonc­tion des liber­tés éco­no­miques et sociales ayant failli. C’est l’État-nation et l’idéologie socia­liste lar­go sen­su qui consti­tue­ront dès lors, dans la seconde par­tie du XIXe siècle, le socle de l’appartenance col­lec­tive et l’incarnation « du » poli­tique, mais éga­le­ment l’instrument idéo­lo­gique des expé­riences tota­li­taires, après l’abime de la guerre euro­péenne que leurs riva­li­tés natio­na­listes auront déclenché.

Le cratère de la Grande Guerre

Comme d’autres exé­gètes de l’émergence des régimes tota­li­taires au XXe siècle (tels George Mosse, Fran­çois Furet, ou Nico­las Werth), Mar­cel Gau­chet accorde une impor­tance fon­da­men­tale à la Grande Guerre qui, selon ses propres termes, « a repré­sen­té, le mot n’est pas trop fort, une révé­la­tion » (sou­li­gné par l’auteur)7. L’introduction du livre est d’ailleurs inti­tu­lée « L’abime de l’histoire » et le pre­mier cha­pitre « La matrice de la Grande Guerre ». Mais son rôle conjonc­tu­rel ne peut être com­pris qu’à tra­vers les condi­tions struc­tu­relles qui expliquent à la fois sa sur­ve­nance et son impact. Il ne s’agit pas seule­ment des effets de la bru­ta­li­sa­tion des rap­ports sociaux, consé­cu­tive à l’enfer des tran­chées, comme a pu le déve­lop­per l’historien anglais George Mosse8, mais bien de la conjonc­tion d’une crise pro­fonde et d’un évè­ne­ment his­to­rique qui com­porte sa part de contin­gence. Et si le moment tota­li­taire n’est pas iné­luc­table, il consti­tue cepen­dant, écrit Gau­chet, « une vir­tua­li­té hau­te­ment signi­fi­ca­tive dans l’expérience col­lec­tive ». Ici aus­si, l’ignorance des acteurs sur ce qui se joue en pro­fon­deur est sou­li­gnée, d’où l’effet de sur­prise des socié­tés devant le pro­ces­sus tra­gique qui s’enclenche en 1914 : « Les mili­taires ne savaient pas la guerre qu’ils avaient pré­pa­rée ; les gou­ver­nants ne connais­saient pas les socié­tés qu’il leur reve­nait de conduire, pas plus que les peuples ne connais­saient les socié­tés qu’ils for­maient ; et, de manière plus géné­rale encore, les acteurs igno­raient leurs véri­tables dis­po­si­tions d’esprit. »

C’est — au-delà des péri­pé­ties mili­taires, éco­no­miques et poli­tiques — sur ces « véri­tables dis­po­si­tions d’esprit » que cette pre­mière par­tie du livre va se cen­trer, car ce sont elles qui, dans le creu­set de la guerre totale, vont consti­tuer « le ter­reau anthro­po­lo­gique à par­tir duquel pour­ront fleu­rir les phé­no­mènes tota­li­taires ». L’exaltation mys­tique du col­lec­tif natio­nal auquel peu de paci­fistes résis­te­ront, la fusion de l’individu dans le corps social et la figure du sacri­fice consti­tue­ront une « for­mi­dable école de ser­vi­tude volon­taire » qui engen­dre­ra un acteur his­to­rique « auquel l’âge tota­li­taire don­ne­ra un emploi ». Car, comme l’écrit un jeune intel­lec­tuel socia­liste avant d’être tué sur le front, « C’est la gloire de notre époque d’avoir pu ame­ner tant de mil­lions de gens à se sacri­fier com­plè­te­ment à une idée et, pour elle, à se sou­mettre à l’esclavage le plus rude et le plus exclu­sif qui soit ». Mais, fait capi­tal, cette fusion « holiste » de l’individu dans le tout social ne se fait pas sur le mode des hié­rar­chies tra­di­tion­nelles appuyées sur la reli­gion. Il s’agit au contraire d’un phé­no­mène qui asso­cie les prin­cipes démo­cra­tiques d’individualité et de volon­té (d’où l’image si pré­gnante des « masses », corps social com­po­sé d’individus et non de castes, d’ordres ou de lignages) avec la forme reli­gieuse de l’Un qui migre­ra d’un garant trans­cen­dant de l’ordre éta­bli à une réfé­rence imma­nente de la Révo­lu­tion, incar­née dans le corps sacra­li­sé du Guide. La puis­sance de l’appel des révo­lu­tions tota­li­taires ne peut se com­prendre qu’en inté­grant l’arrière-plan consti­tué par l’incapacité du libé­ra­lisme à faire tenir le corps social, l’impossibilité d’un « retour en arrière » vers l’Ancien régime, ses ordres et ses clercs, et la fusion mys­tique des masses dans la pas­sion guer­rière consé­cu­tive à aout 1914.

L’appel des extrêmes

C’est en lien avec cette expé­rience téra­to­lo­gique que ce volu­mi­neux ouvrage, puis­sant et extrê­me­ment docu­men­té, va ana­ly­ser en détail la méta­mor­phose des idéo­lo­gies qui vont sou­te­nir la mon­tée des extrêmes et per­mettre l’avènement des régimes tota­li­taires, « monstres sur la route de la démo­cra­tie ». Car l’un ne va pas sans l’autre, la guerre n’aurait pu engen­drer les expé­riences tota­li­taires si le ciel des idées n’y avait prê­té son concours ; les idéo­lo­gies extrêmes n’auraient pu pro­duire les mêmes effets sans l’incubateur sacri­fi­ciel des tran­chées. Il s’agit de « prendre les idéo­lo­gies au sérieux », de sai­sir leur puis­sance mobi­li­sa­trice dans un moment his­to­rique où leurs dis­cours inves­tis­saient l’espace du « pen­sable et du croyable », comme l’a sou­li­gné Gau­chet lors d’une pré­sen­ta­tion de son livre à Bruxelles. La conjonc­ture his­to­rique pré­cé­dant la Grande Guerre sera favo­rable à plu­sieurs pro­ces­sus asso­ciés : une dif­fu­sion large de l’idéologie au sein du corps social, une exten­sion de sa grille de lec­ture à l’ensemble de la vie col­lec­tive, la for­ma­tion de pro­jets de rup­ture radi­caux aux extrêmes, et, comme nous l’avons vu, l’ascension du socia­lisme aux dépens du libéralisme.

La volon­té de construc­tion auto­nome de la socié­té par elle-même, déga­gée des reli­quats de l’Ancien régime lami­nés par la guerre, va se tra­duire dans des idéo­lo­gies tota­li­santes dont les ver­sions radi­cales pren­dront le des­sus dans trois pays euro­péens, par­ta­geant d’importantes carac­té­ris­tiques com­munes : la guerre vécue comme défaite et humi­lia­tion, une légi­ti­mi­té poli­tique introu­vable, la nos­tal­gie de la forme impé­riale9. La dyna­mique d’instauration et d’extension des régimes tota­li­taires y pren­dra des voies spé­ci­fiques, mais elle réuni­ra suf­fi­sam­ment de traits par­ta­gés pour les qua­li­fier com­mu­né­ment d’expérience tota­li­taire. Celle-ci, comme nous venons de le voir, réunit des carac­té­ris­tiques inti­me­ment asso­ciées : idéo­cra­tie, tota­li­ta­risme et reli­gion sécu­lière. Mais, comme le sou­ligne Gau­chet, c’est la notion de reli­gion sécu­lière qui « per­met d’aller le plus avant dans l’intelligence de ces phé­no­mènes énig­ma­tiques. Il éclaire les tenants et les abou­tis­sants de l’idéocratie, laquelle pré­cise l’articulation interne de ces régimes dont le tota­li­ta­risme cir­cons­crit la mor­pho­lo­gie géné­rale ». Avant d’ajouter : « Reli­gion sécu­lière est le concept qui rend compte de la nais­sance et de la mort de l’inspiration qui a por­té ces for­ma­tions poli­tiques sans pré­cé­dent, de leur signi­fi­ca­tion à l’échelle de l’histoire. » Car c’est bien dans cet oxy­more que réside le res­sort le plus pro­fond, le plus secret et le plus puis­sant des tota­li­ta­rismes euro­péens, de leur émer­gence et de leur mou­ve­ment, de leur force mobi­li­sa­trice enflam­mant leurs adeptes, et de leur dyna­mique des­truc­trice. L’ambition des tota­li­ta­rismes est en effet de « pro­duire un équi­valent ter­restre de l’altérité sur­na­tu­relle », de conduire au fon­de­ment trans­cen­dant à tra­vers le lien imma­nent entre les hommes, tout en mécon­nais­sant leur nature reli­gieuse « dis­si­mu­lée der­rière un lan­gage pro­fane » et des pro­messes « toutes terrestres ».

Ambitions du définitif

Le corps du livre va s’atteler à décrire et ana­ly­ser sur plus de trois-cents pages cha­cune des trois expé­riences tota­li­taires euro­péennes (non sans exa­mi­ner la pro­blé­ma­tique de la mon­tée des extrêmes en France, ain­si que les rai­sons de son échec). Il le fera en se cen­trant de manière pri­vi­lé­giée sur leurs tra­jec­toires et leurs dyna­miques propres, après avoir détaillé les pré­misses et le contexte par­ti­cu­lier qui a pré­si­dé à leur nais­sance. Nous ne pou­vons, bien enten­du, résu­mer la richesse de ces ana­lyses dans une courte recen­sion. Cen­trons notre pro­pos, d’un côté sur les élé­ments com­muns et struc­tu­rants de la dyna­mique tota­li­taire et, de l’autre, sur quelques aspects spé­ci­fiques qui nous ont sem­blé par­ti­cu­liè­re­ment révé­la­teurs dans le livre de Mar­cel Gauchet.

Sur le pre­mier point, c’est l’attention por­tée à la dyna­mique, aux tra­jec­toires, au mou­ve­ment qui paraît le plus ins­truc­tif. Loin d’une vision des régimes tota­li­taires comme des masses immo­biles qui, une fois ins­tau­rés, ne pour­raient être détruits que par une défaite mili­taire ou des rap­ports de force géo­po­li­tiques, Gau­chet insiste par­ti­cu­liè­re­ment sur leur insta­bi­li­té fon­cière et leur néces­saire « fuite en avant » apo­ca­lyp­tique (au sens lit­té­ral et figu­ré du mot), consub­stan­tielles de leur essence. Le res­sort pro­fond de cette insta­bi­li­té se situe pré­ci­sé­ment dans leur reli­gio­si­té sécu­lière. En effet, celle-ci ne s’appuyant pas sur un garant méta­so­cial trans­cen­dant, mais, bien au contraire, sur la croyance de l’avènement de l’Un qui sourd de l’immanence, l’expérience et l’épreuve du réel qui déçoit sans cesse cette pro­messe débouchent sur un embal­le­ment des tra­jec­toires : « Quand ulti­me­ment l’objectif est de recréer la conjonc­tion reli­gieuse avec soi par des moyens sécu­liers, il ne peut y avoir d’autre limite à la pro­jec­tion vers cet impos­sible que la catas­trophe. Le concept de tota­li­ta­risme se doit d’intégrer cette dyna­mique irré­pres­sible à côté de l’ambition du défi­ni­tif. » L’analyse de Gau­chet rejoint ici celle de Ian Ker­shaw sur la fuite en avant nazie10, sauf que ce n’est pas la logique du cha­risme qui est pre­mière, mais bien celle de la reli­gio­si­té sécu­lière qui com­mande en arrière-plan — dont l’incarnation de la com­mu­nau­té humaine dans la per­sonne et le corps du lea­deur11 n’est qu’un effet asso­cié à d’autres. Par­mi les pages les plus sai­sis­santes du livre, il y a celles où l’auteur décrit et ana­lyse dans ce cadre inter­pré­ta­tif la plon­gée apo­ca­lyp­tique des régimes bol­che­vique, fas­ciste et nazi, « uniques mais com­pa­rables » : le Grand Tour­nant de 1929 débou­chant sur les famines de 1932 – 1933 et la Ter­reur de 1937 pour le bol­che­visme, la radi­ca­li­sa­tion impé­riale du fas­cisme mus­so­li­nien à par­tir de 1934, la fuite en avant guer­rière du Troi­sième Reich, abou­tis­sant à la Shoah.

Expériences et trajectoires

Les cha­pitres consa­crés à cha­cune des tra­jec­toires sin­gu­lières s’emboitent de manière chro­no­lo­gique, ce qui per­met de repé­rer les impacts et les inter­ac­tions entre les trois régimes. De ce point de vue, « L’empire des bol­che­viks » est évi­dem­ment pre­mier, son avè­ne­ment (1917) pré­cé­dant l’accès au pou­voir de Mus­so­li­ni (1922) et de Hit­ler (1933). Gau­chet y décrit l’enchainement des deux révo­lu­tions, celle de Lénine et celle de Sta­line, com­man­dées par l’«inconscient impé­rial » et la néces­si­té d’assurer l’emprise du pou­voir sur une socié­té pay­sanne qui lui échappe com­plè­te­ment. Car c’est bien là la spé­ci­fi­ci­té du bol­che­visme : il n’est pas issu d’un régime par­le­men­taire libé­ral en crise12 dans une socié­té indus­trielle et rela­ti­ve­ment urba­ni­sée, comme en Ita­lie et en Alle­magne, mais bien impo­sé « d’en haut » par une poi­gnée de révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels sur un ter­ri­toire rural immense. L’appareil de pou­voir sovié­tique devra livrer une véri­table guerre civile contre la masse de la socié­té, après que l’empire en ges­ta­tion ait sacra­li­sé la figure de son fon­da­teur au len­de­main de son décès par sa momi­fi­ca­tion en 1924, renouant de manière emblé­ma­tique avec la royau­té sacrée : « Lénine est mort, mais le léni­nisme est vivant. » En 1929, à l’occasion de son cin­quan­tième anni­ver­saire, son suc­ces­seur sera qua­li­fié en toute logique de « nou­veau Lénine13 ». À rebours de l’interprétation clas­sique de la « dévia­tion sta­li­nienne », Mar­cel Gau­chet avance que « la seconde révo­lu­tion bol­che­vique appa­rait comme plus authen­ti­que­ment léni­niste que la pre­mière, qui était por­tée par des convul­sions sociales absentes de la seconde ».

Les pages rela­tives au « Fas­cisme en quête de lui-même » sont par­ti­cu­liè­re­ment éclai­rantes. Sou­vent oublié ou négli­gé parce que n’ayant pas culmi­né dans le même registre de l’horreur que le nazisme ou le bol­che­visme, le régime mus­so­li­nien nous apprend d’abord que tota­li­ta­risme et géno­cide, voire même ter­reur de masse, ne vont pas néces­sai­re­ment de pair. Il est par ailleurs para­dig­ma­tique, l’adjectif « tota­li­taire » ayant été pour la pre­mière fois uti­li­sé à son sujet en 1923 et reven­di­qué ensuite par le régime lui-même, sous la plume d’un de ses idéo­logues majeurs, Gio­van­ni Gen­tile. La recons­ti­tu­tion très ser­rée effec­tuée par Gau­chet, des pre­mières étapes de son déve­lop­pe­ment auto­nome à l’issue de la Grande Guerre jusqu’à la cap­ta­tion de plus en plus forte de sa tra­jec­toire par le nazisme, est impres­sion­nante. Cela notam­ment par une lec­ture minu­tieuse de l’article « Fas­cisme » paru dans l’Enci­clo­pe­dia ita­lia­na en 1932 et signé par Mus­so­li­ni lui-même (bien qu’écrit en par­tie par Gen­tile). Car, sou­ligne Gau­chet, il s’agit d’un « docu­ment de pre­mier ordre » et pro­ba­ble­ment « de tous les textes dont nous dis­po­sons, celui où la reli­gion sécu­lière est la plus proche de son expli­ca­tion — expli­ca­tion impos­sible en der­nier res­sort, puisque l’entreprise est vouée par nature à l’ignorance ultime de ce qu’elle est…».

Quant à la tra­jec­toire ter­ri­fiante du régime nazi, très lon­gue­ment expo­sée, elle se dis­tingue par le fait, d’un côté, d’être la der­nière venue, exploi­tant les leçons de ses devan­ciers et réagis­sant à celles-ci, ain­si que, de l’autre, par une iden­ti­té idéo­lo­gique par­ti­cu­liè­re­ment « ferme », fon­dée sur le noyau doc­tri­nal du racia­lisme anti­sé­mite, pré­sent dès l’origine (dis­cours de Hit­ler du 13 aout 1920). Carac­té­ris­tiques conju­guées qui expliquent, selon Gau­chet, la rapi­di­té et la tra­jec­toire linéaire de « L’escalade nazie » après 1933.

D’où l’importance du décryp­tage appro­fon­di du « mythe anti­sé­mite » auquel l’auteur s’était livré — sur la base d’une recons­ti­tu­tion de la Wel­tan­schauung nazie à par­tir de la phi­lo­so­phie raciale de Hous­ton Ste­wart Cham­ber­lain — dans la par­tie anté­rieure consa­crée à la mon­tée des idéo­lo­gies extrêmes. La puis­sance du mythe anti­sé­mite sera consi­dé­ra­ble­ment ren­for­cée par l’assimilation du bol­che­visme au judaïsme, mais éga­le­ment de ce der­nier à l’«internationale dorée » du capi­ta­lisme mon­dial mena­çant de dis­soudre la Volks­ge­mein­schaft alle­mande. La cris­tal­li­sa­tion de l’ennemi à abattre et, en miroir, de l’identité à conqué­rir sur « le mieux défi­ni des peuples » qu’est le peuple juif est au cœur de la tra­jec­toire nazie. Le mot de « Juif » consti­tue dès lors le sym­bole répul­sif et le res­sort mobi­li­sa­teur du natio­nal-socia­lisme : « Toute l’énigme nazie est dans ce que recouvre ce terme. » La dimen­sion de reli­gion sécu­lière, habillée et mas­quée par une rhé­to­rique « scien­ti­fique » à laquelle bio­lo­gistes et méde­cins appor­te­ront leur concours, est fon­dée sur cette recons­truc­tion d’un ordre hété­ro­nome ances­tral, à l’âge de la science et des masses. Et, tout comme les deux autres tota­li­ta­rismes euro­péens, il s’incarnera dans la per­sonne du Guide issu du peuple et non des élites tra­di­tion­nelles, de sur­croit plé­bis­ci­té démo­cra­ti­que­ment : « Le Füh­rer lui-même et lui seul est la réa­li­té alle­mande d’aujourd’hui et du futur, ain­si que sa loi », pro­cla­me­ra Hei­deg­ger dans son Appel aux étu­diants du 3 novembre 1933.

Le régime mixte des Modernes

Le livre ne s’arrête pas en 1945, comme l’indique son titre. On serait même ten­té de dire qu’une de ses leçons essen­tielles se situe dans sa der­nière par­tie, « La démo­cra­tie réin­ven­tée ». Celle-ci, renouant avec les pré­misses d’avant aout 1914, soit la crise du libé­ra­lisme et la mon­tée du socia­lisme pour pal­lier la carence « du » poli­tique, recons­ti­tue d’abord le che­min qui conduit « du socia­lisme à la démo­cra­tie ». L’essentiel n’est pas tant le miracle éco­no­mique des Trente Glo­rieuses que le miracle poli­tique qui a per­mis à l’Europe de « s’extirper des abimes de l’histoire où elle a failli som­brer », de « domp­ter les forces sui­ci­daires » et de « réin­ven­ter le régime de la liber­té ». La clé de l’interprétation, en deçà du che­mi­ne­ment socioé­co­no­mique des socié­tés euro­péennes occi­den­tales d’après-guerre, se situe dans la ques­tion cen­trale d’une conjonc­tion du régime des liber­tés et du main­tien de la cohé­sion col­lec­tive. Cela sans pas­ser par l’«écrasement fusion­nel de l’Un reli­gieux ». Le récit de cette décou­verte d’un pas­sage inédit vers l’ordre auto­nome méri­te­rait un long déve­lop­pe­ment en soi, mais le che­min que nous avons par­cou­ru est déjà assez consi­dé­rable que pour encore abu­ser du lec­teur. Nous n’en tra­ce­rons dès lors que quelques lignes de force, la ques­tion devant être reprise avec le der­nier tome de la tétra­lo­gie, Le Nou­veau Monde.

Si l’heure du socia­lisme semble encore avoir son­né en 1945, il pren­dra les voies de l’économie mixte et des réformes du Wel­fare State à la suite, notam­ment, des rap­ports Beve­ridge de 1942. Réformes qui « don­ne­ront corps à la par­tie de la socia­li­sa­tion dont la démo­cra­tie avait besoin pour être adé­quate à sa défi­ni­tion et même, si curieux que cela puisse paraitre, pour se mon­trer d’autre part authen­ti­que­ment libé­rale ». Cela d’autant que « le fan­tôme de l’Un sacral s’est éva­noui à tout jamais dans les décombres de Ber­lin — non sans que cette dis­si­pa­tion sans reste affecte par rico­chet l’ennemi total contre lequel et sur le patron duquel le nazisme s’est for­gé ». La défaite de Hit­ler contient en germe la décon­fi­ture pro­gres­sive du régime sovié­tique, dans la mesure où ce qui lui avait don­né sens et mou­ve­ment « s’enfonce dans la nuit de l’inintelligible », et que « l’archaïsme du socle incons­cient sou­te­nant le futu­risme com­mu­niste est deve­nu en quelque sorte mani­feste ». Il s’agira dès lors de consti­tuer un pou­voir qui com­bine la repré­sen­ta­tion libé­rale des par­ties et l’incarnation du tout, ceci par la dis­jonc­tion entre l’État et le gou­ver­ne­ment, à mi-che­min entre « la vacui­té libé­rale et le trop-plein totalitaire ».

Cette situa­tion d’entredeux consti­tue ce que Gau­chet appelle le régime mixte des Modernes — dont les impli­ca­tions vont bien au-delà de la conduite de l’économie et de la sécu­ri­té sociale. Moda­li­té du pou­voir qui sup­pose, à l’opposé de l’idéocratie, de faire le deuil d’un « savoir final sur l’essence de la socié­té et les buts de l’histoire », de pro­mou­voir un État-régu­la­teur à mi-che­min de l’État-parti tota­li­taire ou du « veilleur de nuit » libé­ral can­ton­né dans ses attri­buts réga­liens, de garan­tir les liber­tés fon­da­men­tales des citoyens. Son génie, dit Gau­chet, est de « dis­tin­guer et d’articuler le poli­tique et la poli­tique ». Et c’est grâce à ces réformes d’après-guerre que la démo­cra­tie a trou­vé « le pas­sage pra­ti­cable entre l’impotence libé­rale et l’illusoire volon­té de puis­sance tota­li­taire ». Une réflexion à médi­ter à l’heure où d’autres par­ties du monde vivent leur « tran­si­tion vers la démo­cra­tie ». Qu’il s’agisse de la Rus­sie où la décom­po­si­tion du com­mu­nisme a débou­ché sur un défer­le­ment mar­chand, un natio­na­lisme xéno­phobe et une ver­ti­cale du pou­voir, ou dans les sou­bre­sauts impré­vi­sibles du « Prin­temps arabe ».

L’affaire, on s’en doute, est loin d’être deve­nue un fleuve tran­quille dans les vieilles démo­cra­ties, et ce sont d’ailleurs les nou­veaux défis qu’elles affrontent14 depuis 1974 qui ont moti­vé l’écriture de cette tétra­lo­gie. Cela dans la mesure où une connais­sance pré­cise du che­min par­cou­ru per­met de mieux situer les enjeux aux­quels nous sommes confron­tés dans une nou­velle phase de l’avènement démo­cra­tique. Le milieu des années sep­tante ver­ra en effet se conju­guer un choc éco­no­mique conjonc­tu­rel, un pro­ces­sus d’individualisation accé­lé­ré (sou­te­nu par le Wel­fare State), une mon­dia­li­sa­tion d’un genre nou­veau, et une remise en cause de l’État régu­la­teur par le néo­li­bé­ra­lisme. Nous ne sommes évi­dem­ment pas sor­tis de l’auberge, car comme l’a confié Mar­cel Gau­chet dans un livre d’entretiens15, « Encore une fois, l’autonomie est, non pas une solu­tion ou une issue, quelque chose comme une récon­ci­lia­tion géné­rale, mais un pro­blème, un pro­blème qui croît en acui­té avec l’affermissement de son principe. »

  1. Mar­cel Gau­chet, L’avènement de la démo­cra­tie, III. À l’épreuve des tota­li­ta­rismes. 1914 – 1974, Gal­li­mard, « Biblio­thèque des sciences humaines », 2010. Les deux tomes pré­cé­dents sont La révo­lu­tion moderne et La crise du libé­ra­lisme, tous deux publiés en 2007 chez le même édi­teur. Le qua­trième et der­nier tome, à paraitre, sera inti­tu­lé Le Nou­veau Monde. Le second tome sur La crise du libé­ra­lisme a fait l’objet d’une recen­sion par Paul Géra­din dans La Revue nou­velle, mars 2009.
  2. La for­mule est de Danièle Her­vieu-Léger, for­gée dans La reli­gion pour mémoire (Cerf, 1993) pour dési­gner de « nou­velles formes du croire reli­gieux » sur­gies dans l’espace social de la moder­ni­té. Nous avons déve­lop­pé cette notion de for­ma­tion de com­pro­mis para­doxal entre reven­di­ca­tion d’autonomie indi­vi­duelle radi­cale et nos­tal­gie de l’Un, notam­ment dans « New Age : entre monade mys­tique et neu­rone pla­né­taire », La Revue nou­velle, novembre 1996.
  3. Voir, par exemple, le por­trait que dresse Simon Sebag Mon­te­fiore de Sta­line et de son entou­rage dans Sta­line, la cour du tsar rouge, Per­rin, 2010. Il écrit notam­ment ceci : « Après sa mort, il était de bon ton de le consi­dé­rer comme une aber­ra­tion, mais c’était récrire l’histoire aus­si gros­siè­re­ment que l’avait fait Sta­line. Le suc­cès de Sta­line ne fut pas un acci­dent. […] Il est dif­fi­cile de trou­ver une meilleure syn­thèse d’un homme et d’un mou­ve­ment que l’alliance idéale de Sta­line et du bol­che­visme : il fut le miroir de ses ver­tus et de ses défauts. »
  4. Image très éclai­rante, uti­li­sée par Gau­chet dans La condi­tion his­to­rique, Stock, 2003.
  5. Le concept de libé­ra­lisme est enten­du au sens large de l’entrée des liber­tés dans l’organisation des socié­tés et de la croyance en leur conjonc­tion spon­ta­née et har­mo­nieuse (Géra­din, 2009).
  6. Com­ment ne pas pen­ser au splen­dide Ruban blanc du cinéaste autri­chien Michael Haneke (2009), décri­vant un vil­lage alle­mand à la veille de la Grande Guerre et dont les auto­ri­tés morales, reli­gieuses et sociales, pro­fon­dé­ment ancrées dans la tra­di­tion, sont mys­té­rieu­se­ment sub­ver­ties par un groupe d’enfants ? Les der­nières images nous montrent un champ de blé mûr en aout 1914.
  7. C’est le sens éty­mo­lo­gique d’«apocalypse » (du verbe grec apo­ka­lup­tein, « sou­le­ver le voile »).
  8. Dans De la Grande Guerre au tota­li­ta­risme. La bru­ta­li­sa­tion des socié­tés euro­péennes, Hachette, 1999.
  9. Un pays indus­tria­li­sé non euro­péen par­tage cer­tains de ces traits à la même époque, le Japon. L’absence d’une ana­lyse ou, pour le moins, d’une réfé­rence au régime natio­na­liste japo­nais des années trente est sur­pre­nante, d’autant que l’auteur consacre de nom­breuses pages aux États-Unis dans ce livre rela­tif à l’Europe. Comme il l’écrit lui-même dans le pre­mier tome de sa tétra­lo­gie, La révo­lu­tion moderne : « Aus­si s’efforcera-t-on de gar­der un œil en per­ma­nence sur l’exemple amé­ri­cain et d’exploiter les paral­lèles qu’il auto­rise. Rien de plus expres­sif que les conver­gences à dis­tance. » Or le « dis­tant » régime japo­nais pré­sente de nom­breux traits d’un régime tota­li­taire. Comme l’écrit un spé­cia­liste de l’histoire du pays du Soleil Levant : « L’évocation du pas­sé, l’exhumation de l’ancienne mys­tique impé­riale et l’exaltation des ver­tus de l’ère Toku­ga­wa semblent avoir été les com­po­santes essen­tielles de l’idéologie des années trente. Il ne pou­vait être ques­tion de res­tau­rer pour autant l’ancienne socié­té, ni même de res­tau­rer les ins­ti­tu­tions de l’époque Mei­ji […] Le Japon mili­ta­riste avait donc davan­tage de traits com­muns avec les États tota­li­taires euro­péens, les tota­li­ta­rismes de droite en par­ti­cu­lier, qu’avec l’ancien Japon […] Dans le Japon des années trente, une auto­cra­tie de type pré­mo­derne ne semble guère plus conce­vable qu’en Occi­dent. Le tota­li­ta­risme est deve­nu le seul sub­sti­tut pos­sible du régime démo­cra­tique » Edwin Rei­schauer dans His­toire du Japon et des Japo­nais, 1970.
  10. Voir notam­ment, Ian Ker­shaw, Hit­ler. Essai sur le cha­risme en poli­tique, Gal­li­mard, 1995.
  11. L’expression est à prendre au sens lit­té­ral, comme l’ont mon­tré par exemple l’embaumement du corps de Lénine en 1924, sans oublier l’examen de son cer­veau après sa mort. Le pré­cieux organe de Vla­di­mir Ilitch fut en effet pré­le­vé et le gou­ver­ne­ment sovié­tique deman­da à un neu­ro­logue de l’étudier afin de loca­li­ser les cel­lules res­pon­sables de son génie. On ne peut s’empêcher de pen­ser au « cer­veau par­fait » de Kim Il Sung et au « bio­lo­gisme » de régime com­mu­niste nord-coréen. Voir Ber­nard De Backer, « Flo­ra­lies à Pyon­gyang », La Revue nou­velle, novembre 2010.
  12. Le bref et tumul­tueux inter­valle de 1917 est bien trop court pour consti­tuer ce précédent.
  13. Sur ce point éga­le­ment, le paral­lé­lisme avec la Corée du Nord est édifiant.
  14. Voir notam­ment à ce sujet Mar­cel Gau­chet, La démo­cra­tie contre elle-même, Gal­li­mard 2002.
  15. Dans Le reli­gieux et le poli­tique. Douze réponses de Mar­cel Gau­chet, Des­clée de Brou­wer, 2010.

Bernard De Backer


Auteur

sociologue et chercheur