Donald Trump vient d’être élu au terme d’une campagne largement placée sous le signe de la radicalité et de l’appel à l’exclusion. Si les enjeux internes ont été omniprésents, la politique internationale projetée par le prochain président inquiète. Des interrogations se posent notamment quant à son attitude concernant l’Iran, et plus précisément la pérennité de l’accord sur le nucléaire iranien. Conclu à Vienne le 14 juillet 2015, après deux ans de négociations, entré en vigueur le 16 janvier 2016, le Plan global d’action conjoint clôt une crise qui aura duré dix ans. Rassemblant les États-Unis, l’Iran, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, il est également un succès pour l’Union européenne, organisatrice des négociations. Cet important accord est censé garantir la nature civile et pacifique du programme nucléaire iranien. En contrepartie de la transparence sur son programme nucléaire, les différentes sanctions visant l’Iran sont levées, permettant au pays de sortir de son isolement diplomatique et de se replacer sur la carte des échanges commerciaux.
Pourquoi Donald Trump et ses proches s’opposent-t-ils à cet accord ? Comment pourraient-ils le déchirer ? Et quelles en seraient les conséquences ?
À plusieurs reprises durant la campagne, M. Trump a qualifié le texte de « pire accord jamais négocié » par les États-Unis, promettant de le « déchirer » une fois élu. Cette attitude hostile est partagée par plusieurs de ses conseillers. Walid Phares, qui suit les questions liées au Moyen-Orient pour M. Trump, avait confirmé à l’été 2016 la possibilité d’une renégociation portant sur certaines clauses [1]. D’autres personnalités influentes proches de Trump, comme John Bolton, l’ancien ambassadeur américain à l’ONU sous le mandat de George W. Bush, vont plus loin en demandant le retrait des États-Unis du Plan global [2]. M. Trump, comme d’autres républicains, a toujours été hostile à la réintégration de l’Iran dans l’économie mondiale, en raison des liens que le Parti républicain entretient avec différents lobbys opposés au régime iranien, ou proches d’Israël et de l’Arabie Saoudite dont l’objectif est de restreindre l’influence de Téhéran au Moyen-Orient. John Bolton comme Rudy Giuliani ont ainsi participé à des meetings organisés par les moudjahiddines du peuple iranien, principal mouvement d’opposition au régime de Téhéran, pourtant reconnu comme organisation terroriste par les États-Unis. Durant leur prise de parole, tant M. Bolton que M. Giuliani ont insisté sur le renversement du régime iranien [3]. Cette attitude à l’égard de Téhéran ne se retrouve pas seulement parmi les proches conseillers du futur président. Plusieurs personnalités en vue du Parti républicain, comme les sénateurs John Mc Cain et Lindsey O. Graham, partagent ces orientations [4]. Une attitude dure à adopter vis-à-vis de Téhéran est l’un des rares consensus entre l’équipe de Donald Trump et les élus républicains.
L’accord sur le nucléaire peut-il être révoqué par les États-Unis ? Techniquement, rien ne s’y oppose. Au regard du droit américain, le Plan global n’est pas un traité international. N’ayant pas été soumis à un vote devant le Sénat, l’accord est considéré comme un engagement politique contraignant sur lequel le président garde la main. Bien qu’ayant fait l’objet d’une reconnaissance via une résolution de l’ONU, le texte pourrait donc être dénoncé unilatéralement par un des partenaires [5]. Mais les États-Unis pourraient le mettre à mal autrement. La levée des sanctions fait l’objet d’un mécanisme de suivi tous les 120 à 180 jours [6]. En cas d’écart de l’Iran, il serait tout à fait possible pour le président américain de considérer que l’accord a été violé et d’œuvrer au retour des sanctions [7]. Enfin, plutôt que de s’en prendre à l’accord, Donald Trump pourrait laisser le Congrès, à majorité républicaine, voter de nouvelles sanctions portant, par exemple, sur le programme de missiles balistiques. Ces nouvelles sanctions pourraient s’assimiler à une annulation indirecte du Plan global, comme l’a récemment déclaré le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran, Ali Shamkhani.
Quelles seraient les réactions face à une remise en question du Plan global ? En Iran, ce n’est sans doute pas un hasard si, au lendemain de l’élection, le quotidien E’temad titrait sur « La crainte du monde face à Trump ». Le président Hassan Rohani a, à plusieurs reprises, affirmé que le futur président Trump ne pourrait pas revenir sur le texte de Vienne [8]. Insistant sur son caractère multilatéral, le président iranien a fait de l’obtention de l’accord un des éléments clefs de sa politique. Voir celui-ci remis en question, que ce soit par une réouverture des négociations ou par son annulation, représenterait un sérieux coup porté à son projet politique. Cette éventualité est d’autant plus problématique pour Rohani à l’approche des élections présidentielles de mai 2017. Le probable candidat Rohani verrait donc son bilan entaché par cet échec, sur lequel insisteraient lourdement ses concurrents principalement issus du camp des ultraconservateurs. À l’image de l’éditeur en chef du quotidien ultra-conservateur Kayhan, Hussein Shariatmadari, les partisans de la ligne dure à l’égard de Rohani voient dans l’élection de Trump une victoire à la fois interne et externe [9]. Interne car elle leur permet de se réaligner politiquement à la suite de leur défaite aux élections législatives de 2016. Externe car elle soutient leur récit articulé autour du grand complot occidental à l’égard de l’Iran. L’attitude des Pasdarans, les Gardiens de la révolution, sera d’ailleurs à suivre. Issus des milieux conservateurs et nationalistes, ces derniers contrôlent les différentes composantes du programme nucléaire. Il ne serait dès lors pas impossible que certains éléments cherchent à violer les termes du Plan global afin de déclencher une crise ouverte. Cette possibilité de crise, à la fois interne et externe, semble d’ailleurs bel et bien perçue par l’administration en place. C’est ainsi que, peu après l’élection de Trump, le quotidien Iran, contrôlé par le gouvernement, affirmait que : « l’appareil diplomatique de notre pays devrait suivre de près la nouvelle situation afin qu’il puisse isoler l’irrationnelle Amérique de Trump et minimiser les menaces potentielles à venir ».
Les conséquences internationales seraient de différents niveaux. Tout d’abord, le retrait des États-Unis de cet accord multilatéral fragiliserait un équilibre obtenu entre plusieurs États et organisations internationales après un long processus de négociations. Par ailleurs, la mort de l’accord remettrait en question les nouvelles relations commerciales qui en dépendent, coupant l’accès à un pays souvent présenté, sans trop de recul, comme le nouvel eldorado économique. À Téhéran, la succession ininterrompue de délégations internationales démontre l’attrait de l’Iran, essentiellement dans le transport, l’aéronautique et l’énergie. C’est ainsi que le groupe français Total a décroché, début novembre, un gigantesque contrat de 4,3 milliards d’euros, pour le développement du champ gazier offshore de South Pars, dans le golfe Persique [10]. Quelques entreprises américaines souhaitent également relancer leurs liens avec Téhéran, comme Boeing qui a signé, le 21 juin, un protocole d’accord avec la compagnie Iran Air pour la vente de 80 appareils, pour un total de 17,6 milliards de dollars [11]. Une remise en question de l’accord serait mal perçue par les milieux économiques des pays partenaires. C’est d’ailleurs en ce sens que Federica Mogherini a rappelé, dès l’élection de Trump, que l’accord ne pouvait être résilié.
Enfin, les conséquences sur la stabilité du Moyen-Orient seront importantes. L’Iran est un acteur incontournable en Irak et en Syrie. La résolution du conflit syrien serait donc entachée par cet isolement de l’Iran. Sans compter l’impact sur la lutte contre la prolifération nucléaire. Délivré de ses obligations, l’Iran pourrait ainsi décider de réactiver les aspects illicites de son programme nucléaire.
Le début de la présidence de Donald Trump pourrait donc être rapidement marquée par une nouvelle crise avec l’Iran. Malgré les appels lancés par de nombreux spécialistes [12] souhaitant que Trump maintienne en l’état le Plan global, c’est l’influence du premier cercle de conseillers autour du nouveau président qui sera déterminante. Or, celui-ci est résolument hostile à l’Iran et peut compter sur un soutien de la majorité républicaine. Deux questions restent ouvertes : quelle sera la réaction des autres partenaires de l’accord, Européens en tête ? Et comment réagiront les entreprises ayant rétabli des relations commerciales avec l’Iran ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais les perdants, incontestablement, seraient la diplomatie et la résolution pacifique des conflits.
[1] « Réaction de Trump vis-à-vis de l’accord nucléaire avec l’Iran », Presstv, Téhéran, 10 novembre 2016.
[2] John Bolton, « Trump needs to reverse the Iran deal and assert our interests », New York Post, New York, 13 novembre 2016.
[3] L’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien est d’ailleurs toujours considérée comme une organisation terroriste par les États-Unis (Scott Peterson, « Iranian group’s big-money push to get off US terrorist list », The Christian Science Monitor, Boston, 8 août 2011).
[4] Josh Rogin, « “Never Trump” GOP preparing to work with Trump to squeeze Iran », The Washington Post, Washington D.C., 10 novembre 2016.
[5] UN News Centre, Security Council adopts resolution endorsing Iran nuclear deal, United Nations, New York, 20 juillet 2015,
[6] Background Briefing on the JCPOA Implementation, Special Briefing, US Department of State, Washington D.C., 17 septembre 2015.
[7] Avec, à l’ONU, le recours au « snapback » ou droit de veto inversé (Somini Segunpta, « “Snapback” Is an Easy Way to Reimpose Iran Penalties », The New York Times, New York, 16 juillet 2015).
[8] Donya-e-Eqtesad, Téhéran, 9 novembre 2016.
[10] Iran signs major gas deal with France’s Total, Dailymail online, Londres, 8 novembre 2016.
[11] Accord commercial que la majorité républicaine à la Chambre des Représentants souhaite empêcher (Thomas Erdbrink, Nicola Clark, « U.S. Allows Boeing and Airbus to Sell Planes to Iran », The New York Times, New York, 21 septembre 2016 ; Patricia Zengerlé, « U.S. House votes to bar sales of commercial aircraft to Iran », Reuters, Londres, 17 novembre 2016).
[12] Rick Gladstone, « 76 Experts Urge Donald Trump to Keep Iran Deal », The New York Times, New York, 14 novembre 2016.