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L’Etat caricaturiste

Janvier 2015 Charlie Hebdodémocratielibertés publiques - par Anathème -

On ne dira jamais assez la chance que nous avons de vivre sous un régime démocratique. Quand on pense à ce que subit la majeure partie de l’humanité, force est de constater que nous sommes diablement vernis.

Songez, un État dont les dirigeants marchent, dans la rue, au milieu de la populace… enfin, presque, pour défendre la liberté d’expression de caricaturistes qui passaient le plus clair de leur temps à les représenter dans des positions scabreuses, humiliantes ou insultantes ! Des dirigeants tellement épris de justice et de démocratie qu’ils sont prêts à tous les sacrifices pour défendre le régime, en ce compris faire appel à l’armée pour patrouiller en rue, ficher la population et la mettre sur écoute. Comme il doit leur être douloureux, à ces parangons de démocratie, de prendre de telles libertés avec les principes fondamentaux de la démocratie !
Mais il y a plus encore. En France, victime de la barbarie islamiste et patrie des droits de l’homme depuis plus de deux siècles®, l’État pousse la solidarité avec les victimes jusqu’à poursuivre des adolescents et déficients mentaux qui auraient osé rompre la grave unanimité citoyenne exprimant une digne réprobation de la tuerie de Charlie Hebdo, se proclamant « Charlie » comme un seul homme et s’affolant de la radicalisation musulmane. Qu’y a-t-il de plus beau que d’embastiller pour un dessin publié sur Facebook®, afin de défendre des personnes qui professaient que tout pouvait se dire, mais également, devait se dire, ne serait-ce que pour prouver que l’on pouvait ? Se vouloir le porte-flambeau de la gauche libertaire et publier des caricatures du Prophète tirées d’un journal de la droite conservatrice, juste pour montrer qu’on osait le faire, sans autre justification que l’usage de son droit de cracher au visage de qui que ce soit peut-il être mieux protégé qu’en réprimant ceux qui auraient le mauvais goût de rire de l’assassinat de la « Bande à Charlie » ?
Bien entendu, certains esprits chagrins hurleront à l’incohérence, à l’oppression, à la stigmatisation et à la stratégie de la tension. D’aucuns auront beau jeu de dénoncer l’invitation par les dirigeants de la grande démocratie française de collègues dont l’un des passe-temps favori est de museler la presse et les protestations populaires (Rajoy, Orban, Bongo,…). Il s’en trouvera même, assurément, qui railleront le fait qu’un premier ministre – qui jura ses grand dieux de ne jamais s’allier avec des nationalistes aux vieilles sympathies fascistes et leur délivre aujourd’hui des certificats de respectabilité – aille défendre dans les rues de Paris des libertaires qui auraient vomi ses nouveaux amis.
Il y a toujours de mauvais coucheurs.
Il est bien entendu que ces personnes font fausse route. Ce qui vient de se produire et ce qui s’annonce (recours à l’armée, serrage de vis généralisé, écoutes téléphoniques, accroissement des pouvoirs des services de sécurité, répression des expressions supposées faire l’apologie du terrorisme, instrumentalisation de l’islamophobie ambiante, etc.) ne doit bien entendu pas être considéré au premier degré. Il s’agit, à n’en pas douter, d’un vibrant hommage aux caricaturistes potaches de Charlie.
Ce qui se met en place sous nos yeux est tout bonnement une hilarante caricature de la démocratie et, comme dans toute caricature, y règne l’outrance, l’absurde, la difformité et le ridicule. Quelle plus émouvante manière pour nous d’honorer la mémoire de nos nouveaux saints-martyrs de la démocratie qu’en acceptant avec joie de vivre dans le monde qu’ils dessinaient chaque jour ? C’est par volonté de tirer exemple de l’hagiographie des victimes des récentes tueries que nos dirigeants se jettent à corps perdu sur cette voie.
Non, les islamistes n’auront pas raison de notre capacité à tout tourner en dérision, à commencer par nos propres idéaux !

Photo : Chr. Mincke

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s’est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd’hui le regard lucide d’un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes.
Son expérience du pouvoir l’incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d’ordre dans ce monde qui va à vau-l’eau.