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L’État belge passe à table

Numéro 10 Octobre 2010 par

octobre 2010

Dans de nom­breux domaines où la mau­vaise conscience le dis­pute à la peur du vide, les grands prin­cipes voi­sinent de peu avouables pra­tiques. Cette dif­fi­cile coha­bi­ta­tion est le sort de beau­coup de ces géné­reuses lignes de conduites que les États occi­den­taux se sont don­nées et sur la base des­quelles ils donnent des leçons au reste du monde. […]

Dans de nom­breux domaines où la mau­vaise conscience le dis­pute à la peur du vide, les grands prin­cipes voi­sinent de peu avouables pra­tiques. Cette dif­fi­cile coha­bi­ta­tion est le sort de beau­coup de ces géné­reuses lignes de conduites que les États occi­den­taux se sont don­nées et sur la base des­quelles ils donnent des leçons au reste du monde.

Il en va ain­si en matière car­cé­rale : la pro­hi­bi­tion des trai­te­ments inhu­mains et dégra­dants, ins­crite à l’article 3 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme1 va de pair avec le pré­sup­po­sé que cet inter­dit ne nous concerne que peu puisque, par prin­cipe, il n’y pas mieux qu’une pri­son occi­den­tale. Serions-nous en infrac­tion que ce serait mar­gi­na­le­ment et par accident.

Les pri­sons turques, fort bien, mais la pri­son de Saint-Gilles ? Celle de Lan­tin (1979) dégra­dée au point que l’on puisse dou­ter qu’elle soit réno­vable ? Notre sys­tème car­cé­ral struc­tu­rel­le­ment inhu­main ? Mon Dieu, non !

Certes, on ne compte pas les rap­ports acca­blants du Comi­té euro­péen de pré­ven­tion de la tor­ture2 (CPT) poin­tant les innom­brables mau­vais trai­te­ments infl igés à nos pri­son­niers, ne serait-ce qu’en rai­son du manque de place ou de l’insalubrité et de la vétus­té des éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires. De même, l’Observatoire inter­na­tio­nal des pri­sons3 (OIP) conti­nue-t-il de tirer la son­nette d’alarme. Par ailleurs, le poli­tique recon­nait en la sur­po­pu­la­tion péni­ten­tiaire un pro­blème grave et récur­rent. Il suf­fi t pour s’en per­sua­der de pas­ser en revue les pro­jets et pro­po­si­tions de loi, adop­tés ou non, qui en font le constat. Les consé­quences évo­quées vont du dis­cré­dit de l’État à l’augmentation de la réci­dive en pas­sant par l’inapplicabilité des prin­cipes cen­sés gou­ver­ner la pri­va­tion de liber­té… et l’inhumanité des condi­tions de déten­tions n’est pas oubliée.

Mais les trai­te­ments inhu­mains et dégra­dants dont il est ques­tion dans les médias et devant les juri­dic­tions sont, par exemple, des faits de tabas­sage de déte­nus à la pri­son de Forest par des poli­ciers rem­pla­çant les gar­diens en grève les 22 sep­tembre et 30 octobre 20094, de mal­trai­tance à l’égard de déte­nus de l’annexe psy­chia­trique de Mons6. »

L’État belge recon­nait donc expli­ci­te­ment que la peine pri­va­tive de liber­té ne peut plus être exé­cu­tée de manière humaine en Bel­gique. Déjà en 1996, le ministre de la Jus­tice De Clerck affi rmait, dans sa Note d’orientation en matière de poli­tique pénale et d’exécution des peines, qu’il man­quait mille places en pri­son pour per­mettre une exé­cu­tion humaine des peines de pri­son. Reve­nu aux affaires, qua­torze ans plus tard, le ministre per­siste et signe. Il ne pour­ra pré­tendre que les aveux lui ont été extorqués.

Et l’on se prend à se deman­der ce que fait la police. Car si la sur­po­pu­la­tion et la vétus­té des pri­sons belges rendent l’État cou­pable de trai­te­ments inhu­mains et dégra­dants, l’on peut pen­ser que ce der­nier devrait être condam­né pour cela et mis en demeure d’y appor­ter une solu­tion. Ne sont-ce pas les mêmes poli­tiques qui affi rment, à pro­pos de la délin­quance « ordi­naire », que la non-appli­ca­tion de la loi nuit à son cré­dit et à celui de l’État ? Qu’elle fait naitre chez les cou­pables, un sen­ti­ment d’impunité et, chez les vic­times, un sen­ti­ment d’insécurité7 ? Reste bien enten­du l’hypothèse que l’exportation de déte­nus vers Til­burg règle la ques­tion… Quoi qu’il en soit, nous atten­dons avec impa­tience les résul­tats de l’information que le par­quet ne man­que­ra pas de mener à bien sur cette ques­tion. À moins qu’un juge d’instruction ne soit sai­si du dossier.

  1. « Nul ne peut être sou­mis à la tor­ture ni à des peines ou trai­te­ments inhu­mains ou dégradants. »
  2. http://www.cpt.coe.int/fr/etats/bel.htm. Vous y trou­ve­rez notam­ment le rap­port publié en juillet de cette année et qui ne manque pas de poin­ter la Bel­gique du doigt.
  3. http://www.oipbelgique.be/index.php
  4. http://www.rtbf.be/info/regions/bruxelles/des-violencespolicieres-a-la-prison-de-forest-161246
  5. <http://www.rtbf.be/info/les-gardiens-de-la-prison-demons-condamnes-a‑1 – 10-mois-et-6-mois[/efn_note] et d’autres infrac­tions indi­vi­duelles au droit pénal. Il n’est qua­si­ment jamais ques­tion de décla­rer que les condi­tions de déten­tion dans les pri­sons belges contre­vien­draient de manière géné­rale à la pro­hi­bi­tion des trai­te­ments inhu­mains et dégra­dants. Comme s’il n’était pas contraire à la digni­té de vivre 23 heures par jour dans une cel­lule exigüe, à trois, en défé­quant, der­rière un paravent, dans un seau hygié­nique vidé une fois par jour, sans lit sou­vent, sans mate­las par­fois, confron­té aux nui­sibles, aux pannes de chauf­fage, à l’insuffi sance de douches et aux moi­sis­sures sur les murs, ser­vi d’une nour­ri­ture pro­ve­nant de cui­sines ne répon­dant pas aux normes élé­men­taires d’hygiène. Comme s’il n’était pas dégra­dant, après le pro­non­cé d’un inter­ne­ment pour cause de mala­die men­tale, de crou­pir, pri­vé de soins, dans une annexe psy­chia­trique qui, pour être annexe, n’a de psy­chia­trique que le nom. Mais voi­là que, sou­dain, l’État belge passe à table et avoue son inca­pa­ci­té à res­pec­ter les droits de l’homme, recon­nait sa défaillance et se tourne vers un État dont il sup­pose qu’il a fait preuve de moins d’incurie dans la ges­tion de ses pri­sons. Cher­chant une solu­tion temporaire[efn_note]Qui risque fort de n’être ni l’une ni l’autre.[/efn_note] à la sur­po­pu­la­tion, il loue à l’État néer­lan­dais une pri­son en ordre de marche, dans l’attente de la construc­tion de sept nou­veaux éta­blis­se­ments. Et c’est là qu’il se tra­hit. Sou­cieux de poin­ter le carac­tère pro­vi­soire de la contor­sion qu’il effec­tue, il intègre l’article sui­vant à la conven­tion signée avec les Pays-Bas : « Si la situa­tion de la sur­po­pu­la­tion dans les éta­blis­se­ments péni ten­tiaires de l’État d’origine a évo­lué de telle maniè re qu’une déten­tion humaine est à nou­veau pos­sible ou si le besoin de capa­ci­té péni­ten­tiaire dans l’État d’accueil a aug­men­té, les ministres de la Jus­tice de l’État d’accueil et de l’État d’origine peuvent conve­nir au plus tard le 30 juin 2011 que la mise à dis­po­si­tion de l’établissement péni­ten­tiaire prend fi n le 31 décembre 20115Art. 24, 2, Conven­tion entre le Royaume de Bel­gique et le Royaume des Pays-Bas sur la mise à dis­po­si­tion d’un éta­blis­se­ment péni­ten­tiaire aux Pays-Bas en vue de l’exécution de peines pri­va­tives de liber­té infl igé es en ver­tu de condam­na­tions belges. Nous soulignons.
  6. À titre d’exemple : « il ne peut être nié que pour l’intéressé et pour l’opinion publique le tra­vail d’intérêt géné­ral est per­çu comme une forme de ré action pénale face à la délin­quance. Un des objec­tifs du gou­ver­ne­ment é tait de lut­ter non seule­ment contre le sen­ti­ment d’impunité de cer­tains délin­quants, mais éga­le­ment contre le sen­ti­ment d’insécurité res­sen­ti par une par­tie impor­tante de la popu­la­tion. » Pro­po­si­tion de loi modi­fi ant le Code pénal et ins­tau­rant le tra­vail d’intérêt géné­ral et la for­ma­tion comme peine de sub­sti­tu­tion, Doc. parl., Ch., 1999, 50 – 0549/001.