Alex Salmond, le leadeur nationaliste écossais, aurait voulu créer la destruction du Royaume-Uni, il aura produit les conditions dans lesquelles ce dernier devra se réinventer. Quant à l’Écosse, dans le sillage de l’enthousiasme indépendantiste, elle connait un renouvèlement de son champ politique, au détriment des travaillistes écossais.
Alex Salmond, le leadeur nationaliste écossais, aurait voulu créer la destruction du Royaume-Uni, il aura produit les conditions dans lesquelles ce dernier devra se réinventer. Quant à l’Écosse, dans le sillage de l’enthousiasme indépendantiste, elle connait un renouvèlement de son champ politique, au détriment des travaillistes écossais. L’auteur Gerry Hassan y vit l’émergence d’une Troisième Écosse, terme subsumant une nouvelle génération d’opinions révélées grâce au débat indépendantiste qui, au-delà des antagonismes nationalistes — unionistes, confirme la nécessité d’un profond changement. Celui-ci devrait commencer par la réforme de l’État britannique promise par David Cameron. Gordon Brown, intervenu in extremis pour sauver l’Union, en a d’ailleurs établi l’agenda. Le scénario fédéral n’est pas exclu.
La nuit du 18 au 19 septembre fut longue, de même la semaine précédente qui vit l’électorat soumis à rude épreuve par la publication d’un sondage positionnant les sécessionnistes en tête pour la première fois. Cette nuit-là pourtant, le Parlement écossais à Édimbourg est étrangement calme. Des partisans du no chantent à côté de ceux du yes. Sans heurts, ni hargne. Ce climat de paix relative, Ewen Cameron, professeur d’histoire de l’Écosse à l’université d’Édimbourg, l’explique par la spécificité du nationalisme écossais qui n’est pas un nationalisme de ressentiment, contrairement à son homologue irlandais des années trente. S’il émergea, c’est grâce à la place que l’union de 1707 donna à l’Écosse au sein du Royaume, lui offrant de survivre tout en conservant son identité : elle ne s’est pas vue imposer l’Église anglicane contrairement à l’Irlande et aux Pays de Galles ; elle put aussi conserver son propre système juridique. Cette quiétude, Ewen Cameron la relie également à la grande crédibilité que le Scottish National Party (SNP) a su se forger ces dernières années en s’abstenant des récupérations historiques teintées de sentiments antianglais, contrairement à ce qui se fit lors du référendum de 1997.
Cet esprit de paix, The Church of Scoltand espérait bien le sceller lors du service de réconciliation nationale qu’elle tint quelques jours plus tard. Le révérend John Chalmers fut très clair à cette occasion : « Après le référendum, il y a ceux qui sont transportés de joie, ou du moins soulagés, et ceux qui se trouvent désespérément déçus — dégoutés même selon l’expression que j’ai fréquemment entendue. De tels sentiments prendront du temps à guérir […] il n’y aura pas de remède miracle. » Mille personnes étaient alors rassemblées dans la St Gilies Cathedral à Édimbourg, tant des représentants sécessionnistes qu’unionistes. Parmi eux, Alistair Darling, le leadeur travailliste de la campagne Better Together, John Swinney, le ministre SNP des Finances au gouvernement écossais, le libéral démocrate Danny Alexander, secrétaire en chef au Trésor dans le gouvernement Cameron, le leadeur des conservateurs écossais, et la cheffe des travaillistes écossais, unioniste elle aussi.
Le grand absent à St Gilies ? Alex Salmond ! Il démissionna le 19 septembre, tant du poste de Premier ministre écossais que de celui de chef du SNP. Sa démission, qui prendra effet en novembre 2014, ne signe pourtant en rien un retrait des nationalistes. Non seulement Alex Salmond imposa de lourdes défaites aux travaillistes écossais, mais il parvint aussi à transformer son groupe d’opposition en parti capable de mener un gouvernement. Si bien qu’après le référendum, le nombre d’adhérents au SNP a doublé, atteignant plus de 50 000 membres. La vice-Première écossaise, Nicola Sturgeon en reprendrait bientôt les rênes. Ancienne avocate, très populaire et sociale-démocrate, elle risquerait de contraindre le Labour écossais à un retrait encore plus marqué.
Avant cela, elle jouera un rôle clé lors des négociations sur la dévolution maximale de compétences à Édimbourg qu’il n’est plus possible d’éviter. En effet, les 45 % de l’électorat s’étant prononcés en faveur de l’indépendance le 18 septembre attendent des changements. Ils ne sont pas les seuls, en témoigne le pluralisme d’opinions de cette Troisième Écosse ralliée à l’idéal sécessionniste, sans mentionner les unionistes favorables à plus de transferts. Ceux-ci sont d’autant plus incontournables que 84 % de l’électorat écossais se présentèrent aux urnes. Taux de participation record jamais enregistré ! 1 600 000 citoyens en faveur de l’indépendance. David Cameron leur a promis la devo max qui implique entre autres la gestion totale de l’impôt sur les entreprises, ce que les Anglais à la frontière craignent par-dessous tout.
Il aura fallu attendre dix jours avant le vote pour que le reste du Royaume-Uni se réveille devant l’énormité de la situation : le Royaume pouvait bien éclater ! Tournant historique que jamais Westminster n’avait pris au sérieux, les tories taxant les nationalistes d’« excentriques aux voix discordantes » [1], les travaillistes de « tartan tories [2] ». Tony Blair pensait que la dévolution de 1997 sauverait définitivement l’Union. David Cameron, à sa suite, estima canaliser enfin les excentricités nationalistes en signant les accords d’Édimbourg de 2012. La réalité fut autre.
Après la publication d’un sondage dix jours avant le référendum dans le Sunday Times plaçant les sécessionnistes en tête, les trois chefs des principaux partis de Westminster firent un voyage express au Nord pour convaincre, cette fois-ci non plus à coups de menaces, mais bien d’émotions aux antipodes de la rhétorique économique de la campagne Better Together [3]. Les Écossais ont vu David Cameron au bord des larmes, implorant de rester ensemble. Cette opération de propagande improvisée en dernière minute, qualifiée de panic attack par les nationalistes, s’est accompagnée de promesses jetées en toute hâte : la victoire du non signifiera la devo max… qui rime avec une autonomie quasi totale en matière de fiscalité et de sécurité sociale !
C’est alors que Gordon Brown, prédécesseur travailliste de David Cameron, fit son apparition sur la scène des débats peu avant le vote. Son discours prononcé dans les coulisses de Westminster l’imposa comme l’homme qui allait sauver l’Union. L’Écossais parvint à rendre compte calmement de la survivance de la britishness [4], malgré le renforcement des différences entre le Nord et le Sud. Elle synthétiserait le multiculturalisme et le pluralisme caractéristiques du Royaume sans en amoindrir aucune facette. L’ancien locataire du 10 Downing street, concluant placidement que la citoyenneté l’avait toujours emporté sur l’identité, sut convaincre au point qu’il élabora l’agenda avalisé par Londres pour procéder à une dévolution maximale. Ce plan devrait être achevé en novembre, soumis ensuite à consultation pour être finalement déposé au Parlement en janvier et, idéalement, voté avant les élections générales du printemps 2015. Agenda des plus serré vu l’ampleur des réformes…
Ni les Anglais, ni les Gallois, ni les Irlandais n’aspirent au statuquo après le vote des Écossais. Les premiers se demandent à juste titre pourquoi les députés écossais à Westminster ont encore la possibilité de voter sur des matières qui ne concernent que l’Angleterre. À Londres, beaucoup souhaitent le retrait des sièges écossais, ce qui pourrait créer de fait un Parlement anglais puisque la question concerne aussi les sièges irlandais et gallois.
De son côté, Carwyn Jones, le Premier ministre du Pays de Galles, défend l’instauration d’une Constitution écrite et appelle David Cameron à tenir ses promesses. En effet, dans un discours inédit prononcé le lendemain du vote, le Premier déclarait : « Au moment où les Écossais vont avoir davantage de pouvoirs sur la gestion de leurs affaires, ceci va également s’étendre aux habitants d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord qui doivent avoir aussi davantage leur mot à dire sur les leurs. »
Manœuvre politique pour préparer sa réélection ? En effet, le chef des conservateurs a habilement conditionné le scénario devo max à la remise en cause des sièges écossais à Westminster, sièges sans lesquelles les travaillistes britanniques se trouveraient en grandes difficultés. Quel serait alors le parti assez fort pour s’opposer aux conservateurs à Westminster ? L’UKIP ? Ce dernier ferait peu le poids, puisque David Cameron entend procéder à un référendum sur le retrait du Royaume Uni de l’UE en 2017… Que ferait alors l’Écosse, nation proeuropéenne, d’une union avec une nation eurosceptique ?
L’Écosse pourrait bien se préparer à un nouveau référendum, selon l’analyse que présentait le professeur Mickael Keating lors d’une conférence sur l’avenir du Royaume-Uni au Scottish Centre on Constitutional Change de l’université d’Édimbourg. Il y était à nouveau question de Britishness qui, par essence pluraliste et multinationale, s’accorderait parfaitement au fédéralisme. Un espace fédéral, où la nouvelle génération d’opinions forgées au cœur du débat référendaire pourrait se faire entendre, permettrait de dépasser les traditionnels antagonismes britanniques jugés trop étriqués. Une chose est certaine, le SNP et son leadeur ont contraint le royaume à une remise en cause sans précédent. Le 18 septembre était-il réellement une défaite ?
[1] Il est vrai qu’il aura fallu du temps au SNP né après la Première Guerre mondiale pour trouver son électorat et s’accorder sur un programme aux tendances sociales démocrates.
[2] Conservateurs en habits traditionnels écossais.
[3] La campagne unioniste ne cessa de marteler avec fermeté l’impossibilité de conserver le pounds dans une Écosse indépendante. Menaces monétaires et économiques qui en firent une campagne très négative.
[4] Identité britannique qui reste toujours très problématique pour de nombreux citoyens se reconnaissant peu dans leurs élites politiques… et peu dans les symboles « nationaux ». Gordon Brown insista d’ailleurs habilement sur le caractère polymorphe de cette identité.