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L’Argentine et le démon de la corruption
Le 10 décembre 2015, Mauricio Macri était élu à la présidence de la République argentine. Il battait au second tour Daniel Scioli, le candidat du Frente para la victoria, le parti de centre gauche fondé par Nestor Kirchner en 2003. Mauricio Macri, homme d’affaires d’orientation conservatrice et opposant de longue date au gouvernement kirchnériste, a été élu […]
Le 10 décembre 2015, Mauricio Macri était élu à la présidence de la République argentine. Il battait au second tour Daniel Scioli, le candidat du Frente para la victoria, le parti de centre gauche fondé par Nestor Kirchner en 2003. Mauricio Macri, homme d’affaires d’orientation conservatrice et opposant de longue date au gouvernement kirchnériste, a été élu sur un programme de centre droit.
On aurait, cependant, tort de limiter l’analyse à cette seule opposition. Le clivage « gauche-droite » s’avère, en effet, peu opérant pour décrire le processus politique en cours en Argentine où les envolées conceptuelles ont, jusqu’à présent, moins mobilisé les énergies du personnel politique que les stratégies d’accumulation patrimoniale. À l’heure de faire le bilan des élections, on peut estimer que la corruption de l’administration Kirchner a joué un grand rôle dans l’élection de Mauricio Macri.
Corruption
À y regarder de plus près, tous les cadres du kirchnérisme n’étaient pas, tant s’en faut, des militants gagnés à la cause de l’émancipation sociale des travailleurs argentins. Par exemple, Débora Giorgi, qui fut sans discontinuer ministre de l’Industrie du pouvoir kirchnériste entre 2008 et 2015, a commencé sa carrière politique dans le gouvernement de la très néolibérale Alliance sous la présidence de Fernando de la Rúa entre 1999 et 2001. Par la suite, Giorgi a dirigé le service d’études de la Unión Industrial Argentina (UIA) entre 2002 et 2005.
La gestion de la politique industrielle de l’Argentine, un volet particulièrement important pour le développement du pays, s’est caractérisée par de nombreux conflits d’intérêts. C’est ainsi que la ministre Giorgi fait, aujourd’hui, l’objet d’une instruction judiciaire dans la mesure où des membres de son cabinet, par ailleurs administrateurs d’entreprises privées, auraient octroyé à ces dernières d’importants subsides pour des sommes qui pourraient atteindre plusieurs millions de dollars1.
D’après Leandro Despuy, auditeur général de la Nation, l’organe de l’État en charge du contrôle de l’utilisation des fonds publics, le programme de télévision « Futbol para todos » visant à permettre à la chaine publique (Canal Siete) de retransmettre la totalité des matchs de football du championnat de première division, a mobilisé près de 7 milliards de pesos entre 2009 et 2015. Cette somme représente près d’un milliard de dollars de l’époque.
Plus globalement, la mal-gouvernance et la corruption ont couté au bas mot à l’Argentine plus de 6 milliards de dollars entre 1990 et 2013 selon une étude de l’ONG Transparency International2.
Panama Papers
Les Argentins en ont assez de la corruption qui mine la gestion du pays depuis des décennies. Dans ce contexte, les révélations des Panama Papers impliquant Mauricio Macri dans le conseil d’administration de deux sociétés basées au Panama n’ont pas été sans émouvoir le public local. Les explications du président nouvellement élu n’ont pas tardé.
La compagnie Flag Trading Ltd, aujourd’hui dissoute, avait été créée en 1998 par Franco Macri, le père du président argentin, pour réaliser une affaire au Brésil qui ne s’est jamais concrétisée. S’il est vrai que Mauricio Macri est le directeur de ce fonds d’investissement, c’est son père, en revanche, qui en est l’unique actionnaire. Flag Trading Ltd n’a jamais été capitalisée et a, par ailleurs, fait l’objet d’une déclaration patrimoniale auprès du fisc argentin dans le chef de Franco Macri3. Aucun dividende n’aurait été versé au président en exercice.
En ce qui concerne la société Kagemusha créée en 1981, l’explication du président Macri a consisté à faire valoir que cette société serait aujourd’hui de facto inactive. Les statuts de ladite société ne confient d’ailleurs de pouvoir particulier au président argentin, directeur et vice-président de la compagnie, qu’en cas de décès de son père, qui est toujours en vie4. L’opposition kirchnériste a intenté une action en justice contre le président au sujet de Kagemusha SA. Mauricio Macri a répliqué en présentant une déclaration devant la justice civile visant à faire la lumière sur son implication réelle dans les deux sociétés.
Les Panama Papers ne permettront vraisemblablement pas une modification radicale du rapport de forces en vigueur depuis l’élection de Mauricio Mari à la présidence en décembre 2015. Il est vrai que Daniel Muñoz, le secrétaire privé de la famille Kirchner, est, lui aussi, mis en cause par les révélations de ce placement offshore5.
La lutte contre la corruption n’a, d’ailleurs, pas fini de faire les gros titres de la presse argentine. C’est ainsi que des hommes d’affaires liés au clan Kirchner font aujourd’hui l’objet d’enquêtes judicaires pour des faits de corruption. Leur chute pourrait entrainer celle de tout l’appareil kirchnériste. On notera, pour faire bonne mesure, que le président Macri a, au cours du mois de mai, modifié la législation en matière de travaux publics de façon à faciliter les procédures d’attribution de marchés sans adjudications6.
Une évaluation de ce dispositif, censé permettre une plus grande réactivité de la part des pouvoirs publics face aux immenses besoins en infrastructures d’un pays dont la superficie égale celle de toute l’Europe occidentale, est évidemment impossible. On se bornera à espérer que ces procédures seront exclusivement utilisées dans un souci d’amélioration des infrastructures. L’histoire récente de l’Argentine incite plutôt à la méfiance.
Gros plan sur un militant
Pour le surplus, on aurait tort de résumer l’élection de Mauricio Macri au seul phénomène de virage à droite constaté dans d’autres pays de la région. Les problèmes de corruption et de manque de transparence de l’ère kirchnériste ont amené nombre de militants et d’activistes progressistes à se rapprocher de Cambiemos, la coalition mise en place par Mauricio Macri à la veille des élections présidentielles.
C’est le cas du journaliste et activiste Ricardo Raúl Benedetti, créateur de l’association « Argentina sin mordaza » (Argentine sans muselière) et du site d’information alternative www.
sinmordaza.com, qui a rejoint la coalition Cambiemos après avoir débuté dans la vie publique en 1983 au lendemain de la dictature pour soutenir Raul Alfonsin, président de centre gauche notoirement attaché aux valeurs des droits de l’homme. On ne peut donc guère évoquer le ressentiment d’un ultraconservateur lorsque Ricardo Raúl Benedetti indique « que la corruption du gouvernement antérieur devra être passée au peigne fin par la justice ».
C’est là une des promesses électorales de la Cambiemos, la coalition à laquelle appartient Mauricio Macri. Interrogé au sujet des Panama Papers et de leur impact sur la vie politique argentine, Benedetti n’hésite pas à faire valoir que « les procureurs qui embêtent Macri ne risquent pas de passer l’arme à gauche » en évoquant la mort violente du procureur Nisman qui accusait Cristina Kirchner de bloquer une enquête de longue haleine concernant les attentats dirigés contre la communauté juive de Buenos Aires en 1994. En cause, les bonnes relations (entre autres, commerciales) entre Téhéran et l’Argentine kirchnériste. Nul doute que ce dossier mettra Cristina Kirchner en difficulté dans les mois à venir. Ce n’est pas le seul puisqu’en date du 9 avril, Cristina Kirchner et son ministre de la Planification industrielle, Julio de Vido, étaient inculpés pour « blanchiment d’argent7 ». Depuis, les choses ont empiré pour le clan Kirchner puisque l’ex-présidente et son fils Maximo ont été inculpés début mai pour des faits d’enrichissement illicite et de falsification de documents publics. La comptabilité d’une société appartenant au clan Kirchner (Los Sauces SA) aurait, en effet, été truquée afin de dissimuler des opérations frauduleuses, notamment d’évasion fiscale8.
Certains traits d’autoritarisme caractérisaient, depuis quelques années déjà, les relations du gouvernement avec les médias indépendants au point que des militants en faveur de la liberté d’expression et du droit à l’information ont eu maille à partir avec les services secrets argentins. Le cas de Benedetti évoquant des menaces sur sa famille, alors qu’il devenait de plus en plus critique à l’égard du pouvoir, n’est pas isolé.
Il n’est donc guère étonnant qu’aujourd’hui, les questions de corruption et de transparence des relations avec la société civile hantent le débat public argentin. Le phénomène a son importance alors que l’Argentine revient sur les marchés financiers.
Retour et hold outs
Lors du boom des matières premières, l’Argentine s’est financée à partir de son excédent commercial puisqu’après avoir décrété un moratoire sur le paiement de sa dette extérieure en 2001 et restructuré cette dernière en 2005 et 2010, le pays était blacklisté par les marchés financiers. Tant que le super cycle des matières premières durait, la formule fonctionnait. Ce n’est plus le cas depuis que la Chine est entrée en crise et que le cours des matières premières s’est effondré.
En 2015, la balance commerciale présentait un excédent bien trop faible (0,3% du PIB) pour pouvoir continuer à se couper des marchés internationaux de capitaux. C’est ce qui explique pourquoi le candidat kirchnériste à l’élection présidentielle, Daniel Scioli, envisageait lui aussi de négocier avec les fonds vautours et de tailler dans les dépenses publiques.
L’administration macriste a, aujourd’hui, réglé un vieux litige avec les fonds vautours en acceptant de leur régler la coquette somme de 20 milliards de dollars. Dans la foulée, le gouvernement envisage d’emprunter 50 milliards de dollars au cours pour relancer l’économie du pays. Cette entrée de capitaux pourrait s’avérer bénéfique si elle permettait de diversifier les exportations du pays en lieu et place de se spécialiser à outrance sur le segment des matières premières.
50 milliards de dollars représentent à peine 15% du PIB du pays qui, après des années d’isolement, est, aujourd’hui, fortement désendetté. Pour que l’Argentine puisse pleinement tirer parti de cette injection de dollars, la bonne gouvernance doit devenir un objectif de politique économique à part entière au pays de Borges. Ces espérances ne peuvent être déçues sous peine de voir l’Argentine retomber dans un cycle de surendettement suivi de crises économiques à répétition.
Puisse l’histoire ne pas bégayer sur les berges du río de la Plata…
- La Nación, 18 octobre 2014.
- Transparency international, A Transparency Agenda for Argentina, 26 janvier 2016.
- El Cronista, 4 avril 2016.
- Registro Público de Panamá, recherche effectuée le 7 avril 2016.
- Página/12, 4 avril 2016.
- Página/12, 18 mai 2016.
- El Cronista, 9 avril 2016.
- La Nación, 2 mai 2016.