Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Justice en souffrance
Une réforme de la justice était attendue de longue date pour en améliorer le fonctionnement et assurer aux justiciables un accès plus rapide, efficace et juste à ce pilier de la démocratie. Las ! La réforme proposée a mis le cap sur l’austérité, mettant à mal l’accès des plus précaires à l’aide juridique. Parallèlement, sous couvert de sécurité, des mesures législatives restreignent la liberté d’expression en la judiciarisant.
[**Aide juridique : une réforme injuste*]
[/Christelle Macq/]
L’aide juridique est un service public qui permet chaque année à des milliers de personnes de bénéficier gratuitement de conseils juridiques et/ou de l’assistance d’un avocat.
Elle risque, malheureusement, de connaitre dans un futur proche de nombreux bouleversements qui pourraient remettre sérieusement en cause l’effectivité de son action en termes d’accès à la justice des populations défavorisées. En effet, sur proposition de la ministre de la Justice, le Conseil des ministres a approuvé, le 3 mai 2013, un avant-projet de loi relatif à la réforme de l’aide juridique qui aurait pu modifier en profondeur son fonctionnement.
Aide en lignes
L’aide juridique, actuellement organisée aux articles 508/1 et suivants du Code judiciaire, est dispensée à deux niveaux.
On distingue l’aide juridique de première ligne de l’aide juridique de seconde ligne. L’aide juridique de première ligne offre à toute personne la possibilité de bénéficier gratuitement d’un premier avis sur une situation problématique rencontrée. Elle est dispensée par divers acteurs du monde associatif ainsi que lors de permanences organisées par les bureaux d’aides juridiques gérés par les différents barreaux belges.
L’aide juridique de deuxième ligne permet, quant à elle, au demandeur, répondant à certaines conditions de revenus ainsi qu’à différentes catégories de personnes présumées ne pas disposer de ressources suffisantes, de bénéficier de l’assistance gratuite ou partiellement gratuite d’un avocat1. Un nombre important de personnes fragilisées socialement bénéficie d’un accès à la Justice, même si des limites existent puisque de nombreuses personnes précarisées se trouvant juste au-dessus des seuils fixés sont privées de cette aide.
Réduction du champ d’action
Son fonctionnement a néanmoins récemment été remis en question par la ministre de la Justice, laquelle a proposé un avant-projet de loi y apportant diverses modifications fondamentales. Certaines viennent réduire encore le champ d’action de l’aide juridique en touchant directement aux conditions d’accessibilité à l’aide juridique des populations précarisées.
Ainsi, l’avant-projet de loi propose notamment de conditionner la désignation d’un avocat au versement d’une contribution financière par le justiciable. Une contribution forfaitaire supplémentaire devra en outre être payée pour chaque instance dans laquelle le bénéficiaire est représenté par son avocat (première instance, appel, etc.), qu’il soit demandeur de cette procédure ou qu’il soit contraint de se défendre en justice. Chaque personne dans le dénuement qui veut bénéficier de l’assistance d’un avocat pour se défendre en justice devra ainsi payer une somme à l’État qu’elle ne recouvrera que si la partie opposée est déboutée.
Il est, en outre, prévu de supprimer le droit à l’aide juridique gratuite aux personnes dont la preuve contraire de l’insuffisance des ressources est rapportée ainsi qu’au « bénéficiaire qui ne collabore manifestement pas à la défense de ses intérêts ». L’avant-projet de loi n’explicite pas ce qu’il entend par ce dernier cas de figure, ouvrant ainsi la voie à l’arbitraire.
Autre modification s’adressant directement au bénéficiaire de l’aide juridique : le délai dans lequel il devra, dans le cas où un avocat lui est désigné en urgence, rapporter la preuve de l’insuffisance de ses revenus et verser la contribution due. Ce délai est fixé à cinq jours, ce qui est bien plus court que le délai d’un mois dont le demandeur bénéficie actuellement pour déposer les pièces justificatives de ses revenus dans le cas d’une désignation en urgence.
Une autre réforme est possible
L’aide juridique en crise a besoin d’une réforme, mais pas d’une réforme conduisant à l’exclusion de nombreux citoyens de l’accès à la justice. Parmi les modifications proposées par cet avant-projet de loi, certaines touchent directement aux conditions d’accès à l’aide juridique des populations précarisées, risquant de priver définitivement d’un accès à la justice ceux qui en ont le plus besoin.
Fort heureusement, grâce à une mobilisation intensive des associations de défense des droits des plus démunis, ce texte a été recalé par le gouvernement. Nous ne pouvons qu’espérer qu’il soit finalement relégué aux oubliettes et qu’il y reste.
L’espoir demeure également permis que l’on mette en place une réforme de l’aide juridique élaborée en concertation avec tous les acteurs concernés et porteuse de réelles solutions. Car des solutions concrètes existent et ont été proposées notamment par la Ligue des droits de l’Homme : l’investissement dans l’aide juridique de première ligne qui permettrait de réduire le recours à l’aide juridique de deuxième ligne, l’amélioration de la qualité des prestations de deuxième ligne ou encore l’abandon de pratiques administratives négligentes, abusives, voire illégales, nécessitant l’introduction de recours qui auraient pu être évités2.
[**L’incitation au terrorisme : une notion piégée*]
[/Manuel Lambert/]
Quoi de neuf au pays de la lutte contre le terrorisme ? Eh bien, 2013 fut un bon cru… En effet, grâce à l’éclatement du scandale Prism, nous avons appris que les terroristes se nichent jusqu’au sommet de la chancellerie allemande et de la présidence brésilienne, que les groupes Belgacom, Petrobras ou encore le FMI et la Banque mondiale sont infiltrés par les réseaux terroristes et que les ambassades françaises et le siège de l’ONU à Genève sont soupçonnés de prôner le djihad. Non ? Pourtant, la seule justification de la surveillance généralisée par les officines de services secrets américaines, comme c’est le cas pour leurs consœurs européennes, est la lutte contre le terrorisme. Vaste blague…
Il n’est maintenant plus permis de douter que la lutte contre le terrorisme est une excuse bien commode pour atteindre d’autres buts, relevant plus de l’espionnage généralisé (bien souvent lucratif) des citoyens que du combat contre une quelconque forme de criminalité.
Faut-il lutter contre le terrorisme ? Comme nous avons déjà répondu à cette question[Voir M. Lambert, « Faut-il lutter contre le terrorisme ? », « État des droits de l’Homme 2010 – 2011 », La Revue nouvelle. ]] et que la réponse tenait plus au fait de pouvoir identifier ce qu’on entend par terrorisme et les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour atteindre cet objectif, nous ne reviendrons pas sur ce truisme. Par contre, il est intéressant de souligner que la Belgique s’est dotée d’une nouvelle arme, redoutable, dans le cadre de la lutte contre cette forme de criminalité.
**
De la provocation…
En effet, le 18 février 2013, le législateur adoptait une loi qui avait pour objectif, entre autres, la transposition en droit belge d’une décision-cadre européenne. Cette loi, qui contient une extension sensible de la législation antiterroriste existante, est principalement problématique concernant l’introduction d’un article 140bis dans le Code pénal qui rend punissable l’« incitation » au terrorisme.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit de lutter non plus contre les actes constitutifs du terrorisme (meurtre, destruction d’immeuble, appartenance à un groupe terroriste, etc.), mais bien contre les discours qui incitent à commettre un acte terroriste. Fort bien.
Rappelons tout d’abord que le Code pénal (CP) réprimait déjà ceux qui provoquent directement des crimes et délits, y compris les crimes et délits terroristes. L’article 66, al. 4 du CP dispose que le provocateur direct est punissable comme auteur du délit. En effet, on peut aisément comprendre que la personne qui incite une autre à commettre un délit ou un crime partage la responsabilité de celui-ci avec l’auteur qui serait passé à l’acte. À cet égard, le texte actuel n’ajoute donc rien si ce n’est une dose de confusion, deux textes étant applicables aux mêmes faits.
**
… à l’incitation
Le nouvel article 140bis rend également punissable l’incitation indirecte à la commission d’infractions terroristes. Cette disposition est l’exemple type d’un texte flou, imprécis : en vertu de celui-ci, le juge devra spéculer sur ce qui s’est passé dans la tête du prévenu, mais aussi dans la tête de tous les membres du public en général.
Tout d’abord, s’agissant d’une provocation « indirecte », en d’autres termes d’un message qui ne dit pas que des délits terroristes doivent être commis, le juge devra spéculer sur toutes les lectures possibles du contenu du message, sur les arrière-pensées des uns et des autres. Il devra en quelque sorte partir à la découverte du contenu voilé du message transmis. Un message pourrait dès lors tomber sous le coup de cette définition en fonction de l’impression subjective que les juges peuvent en avoir. C’est une évidence : déceler l’« intention indirecte » est une opération hautement subjective.
Mais cela ne suffit pas. Le juge devra, en outre, dire si la diffusion du message « crée le risque qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises ». Le juge devra donc aussi sonder le cerveau de tous les membres de l’audience qui ont reçu le message, pour déterminer si l’un des récipiendaires n’aurait pas pu être influencé, même s’il n’est pas passé à l’acte. En effet, c’est le risque et lui seul qui doit être évalué par le juge. Il s’agit donc d’un élément subjectif par excellence qui ne doit même pas avoir été matérialisé d’une quelconque façon par la commission d’une infraction : le discours seul est punissable, quand bien même aucun acte illégal n’en aurait résulté.
Une mesure insécurisante et arbitraire
Cette disposition sera donc inévitablement une source majeure d’insécurité juridique où des juges, en fonction de leurs impressions subjectives et sur la base de spéculations sur ce qui aurait éventuellement pu se passer, vont devoir sonder les intentions non matérialisées du prévenu et les intentions tout aussi peu matérialisées de ceux à qui il s’est adressé. Dans ce contexte, le texte deviendra inévitablement la source d’arbitraire et d’atteintes à la liberté d’expression.
En 2009, le Parlement avait entrepris de procéder à une évaluation des législations visant à lutter contre le terrorisme. Cette évaluation n’a malheureusement jamais été poursuivie, ni suivie d’effet. Il est urgent que ce travail parlementaire reprenne au plus vite.
Quoi qu’il en soit, il conviendrait d’être cohérent et de traduire Angela Merkel, Dilma Roussef ou encore Didier Bellens devant les tribunaux, en raison des charges de terrorisme qui doivent nécessairement peser sur leurs épaules pour justifier une telle surveillance.
[**Observatoire des violences policières : un outil de témoignage*]
[/Geneviève Parfait/]
La LDH recueille un nombre constant de récits et d’appels à assistance de la part de personnes ayant subi des violences policières. Sont concernées toutes les catégories, femmes, hommes, avec ou sans titre de séjour, mineurs parfois, victimes de diverses manières de ces violences. Lors du suivi de ces dossiers, on constate qu’un nombre important de personnes ne passe jamais le cap d’une plainte en bonne et due forme. Ceci pour toute une série de raisons, telles que la difficulté de se présenter au commissariat auprès des collègues des policiers concernés ou encore la méconnaissance de la marche à suivre face à ce type d’agissements. Les victimes ou leurs proches ne sont que rarement informés des diverses possibilités de porter plainte (Comité P, commissariat, Inspection générale (AIG), procureur du Roi, juge d’instruction, Centre pour l’égalité des chances, etc.). La crainte de répercussions ou la certitude que cela ne sert à rien constituent également des obstacles fréquents au dépôt d’une plainte.
Cette opinion s’avère souvent confirmée par le nombre impressionnant de classements sans suite. On observe aussi que les dossiers, même suivis, font très systématiquement l’objet de réquisitoires de non-lieu du Parquet. De plus, souvent, les policiers déposent une plainte contre la victime, l’accusant de rébellion ou de coups et blessures, dans le but d’échapper aux poursuites.
Par ailleurs, comme l’a montré la bavure de Mortsel qui a abouti à la mort en cellule de Jonathan Jacob sous les coups de la police, sans vigilance extérieure, ces histoires ne seraient jamais connues du grand public, voire des ministres concernés.
Déséquilibre des violences
Devant la souffrance solitaire des victimes, les policiers agresseurs bénéficient de la bienveillance de leur corporation, les ministres leur apportant une attention politique considérable : la déclaration gouvernementale reprend la lutte contre les violences à l’encontre des policiers comme un des engagements sur lesquels le gouvernement va se concentrer plus particulièrement. Un déséquilibre manifeste existe entre ces deux formes de violences.
Les violences contre les policiers font l’objet d’un arsenal juridique spécifique (art. 410bis du Code pénal : aggravation des peines pour les infractions commises contre des forces de l’ordre) et d’une répression judiciaire sévère. Dès lors, un policier qui serait victime de violences de ce type pourrait légitimement s’adresser aux autorités publiques et obtiendra, dans une écrasante majorité de cas, gain de cause. Ses droits et ses intérêts sont pris légitimement et sérieusement en compte et défendus par les autorités.
Les violences policières à l’encontre des citoyens, quant à elles, ne font pas l’objet d’un arsenal juridique spécifique (pas de facteur d’aggravation pour les policiers illégitimement violents), aucune attention politique (rien dans la déclaration gouvernementale) et une quasi-impunité judiciaire (le Comité P, le Comité des droits de l’Homme et le Comité contre la torture des Nations unies soulignent régulièrement l’impunité dont jouissent les policiers violents). Une personne victime de violences policières se voit quasi systématiquement dépourvue de voie de recours quand les dossiers sont classés sans suite. Lorsqu’ils ne le sont pas, ce n’est que rarement qu’ils aboutissent à une condamnation (le Comité P et le Comité des droits de l’Homme l’attestent clairement de même que le Comité contre la torture).
Devant ces constats, la LDH a décidé de créer, en mars 2013, un site d’observation des violences policières afin de fournir un espace où les victimes ont la possibilité de déposer leur récit.
**
Rendre visible le silence
Le site obspol.be a également été conçu afin de fournir une information pertinente aux victimes ou personnes désireuses de connaitre leurs droits et, le cas échéant, de réagir. Il indique aussi où s’adresser pour trouver l’assistance nécessaire. Il s’agit en outre d’un instrument qui permettra de rendre visible une série de situations et de faits en vue d’interpellation des autorités, de débats et de réflexions sur cette importante thématique.
- Voir ces conditions d’accès sur le site : www.aidejuridiquebruxelles.be.
- Exemple : le refus systématique par les CPAS de l’aide médicale urgente.