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Justice : coups d’arrêts

Numéro 2 Février 2012 par Delphine Paci

février 2012

Aout 2011 : début de l’ère Sal­duz. Mais depuis son avè­ne­ment, Sal­duz erre. Faute de bud­get et de volon­té poli­tique de mettre ce texte fon­da­men­tal en œuvre, les droits du jus­ti­ciable sont insuf­fi­sam­ment garan­tis en cas d’ar­res­ta­tion. Dom­mage pour les nom­breux mani­fes­tants qui se font désor­mais arrê­ter pré­ven­ti­ve­ment par la police, voire vio­len­ter, au seul titre… qu’ils manifestent.

Salduz : l’entrée du droit dans les commissariats ?

Del­phine Paci

Depuis de nom­breuses années, les acti­vistes des droits humains les plus achar­nés militent pour que toute per­sonne pri­vée de liber­té ou sus­cep­tible de l’être puisse être uti­le­ment conseillée et assis­tée par un avo­cat lors de son audi­tion à la police, puis devant le magis­trat du par­quet ou le juge d’instruction. Cette néces­si­té a été consa­crée pour la pre­mière fois le 27 novembre 2008 par la Cour euro­péenne des droits de l’homme dans un arrêt Sal­duz, du nom de ce jeune Turc qui allait révo­lu­tion­ner sans le savoir la pro­cé­dure pénale en Bel­gique et ailleurs en Europe.

Avant même que le légis­la­teur ne se penche sur la ques­tion, et mal­gré les réti­cences de nom­breux magis­trats de l’instruction et du par­quet, cer­tains bar­reaux ont mis en place un sys­tème d’assistance des per­sonnes arrê­tées qui devaient com­pa­raitre devant le juge d’instruction. Mal­heu­reu­se­ment, le ministre n’ayant pas esti­mé devoir rétri­buer les avo­cats pour leur tra­vail, ces per­ma­nences ont pris fin.

Une loi a été votée dans le but évident de créer une sécu­ri­té juri­dique et d’uniformiser les pra­tiques déve­lop­pées tous azi­muts aux quatre coins du pays, mais aus­si de limi­ter au maxi­mum l’intervention des avo­cats, décrits dans les tra­vaux par­le­men­taires comme des « malins » prêts à sau­ter sur toute faute procédurale.

La loi du 13 aout 2011 est en vigueur depuis le 1er jan­vier 2012. Elle confère de nou­veaux droits à la per­sonne enten­due, à savoir notam­ment d’informer une per­sonne de confiance et de béné­fi­cier d’une assis­tance médicale.

Les droits de la per­sonne enten­due lui seront com­mu­ni­qués, à savoir notam­ment : le droit de ne pas s’auto-incriminer et de rece­voir une infor­ma­tion suc­cincte des faits pour les­quels elle sera entendue

Pour les autres droits, ceux-ci seront recon­nus ou non aux « audi­tion­nés » en fonc­tion de leur sta­tut, soit :

pre­mier sta­tut : audi­tion d’une per­sonne enten­due en quelque qua­li­té que ce soit (vic­time, dénon­cia­teur, témoin des faits, témoin de mora­li­té…). Aucun droit sup­plé­men­taire n’est reconnu.

deuxième sta­tut : audi­tion d’une per­sonne enten­due sur des faits qui pour­raient lui être impu­tés, soit audi­tion d’un sus­pect. Ces per­sonnes se ver­ront com­mu­ni­quer qu’elles ont le droit au silence et le droit de concer­ta­tion confi­den­tielle avec un avo­cat avant la pre­mière audition.

troi­sième sta­tut : audi­tion d’une per­sonne pri­vée de liber­té. Ces per­sonnes béné­fi­cie­ront éga­le­ment de la pos­si­bi­li­té d’être assis­tées par un avo­cat pen­dant leur audition.

La concer­ta­tion avec l’avocat aura une durée maxi­male de trente minutes.

Si cette loi repré­sente une avan­cée indé­niable en termes de garan­tie des droits des jus­ti­ciables, cer­tains effets per­vers sont à souligner.

Le droit à la concer­ta­tion avec l’avocat ou à l’assistance de celui-ci pen­dant l’audition n’est recon­nu que pour la pre­mière audition.

L’intervention de l’avocat est conçue de manière mini­ma­liste. Il s’agira pour l’homme de loi d’être garant de ce que les droits sont bien com­mu­ni­qués à la per­sonne audi­tion­née, et qu’il n’est pas exer­cé sur elle de pres­sions phy­siques ou morales. Aucun accès au dos­sier ne lui est recon­nu. La « plus-value » d’une pré­sence humaine par rap­port à des camé­ras de sur­veillance ne semble pas évi­dente, compte tenu du faible champ d’action des avo­cats et de l’énergie qui sera néces­saire pour assu­rer l’assistance — pas­sive et silen­cieuse — des citoyens.

Cette fri­lo­si­té du légis­la­teur pose ques­tion à l’ensemble du bar­reau : les avo­cats seront-ils ame­nés à jouer au mieux le rôle d’alibi pro­cé­du­ral, au pire celui de pot de fleurs ? L’avocat ne peut en effet inter­rompre l’audition, ne peut ni par­ler, ni « plai­der », ni deman­der à ce qu’une ques­tion soit posée.

Ain­si, le col­lège des pro­cu­reurs géné­raux pré­co­nise que les avo­cats s’assoient der­rière leur client pen­dant l’audition (et pour­quoi pas dans le pla­card à balais?).

De plus, le juge d’instruction peut désor­mais pro­lon­ger le délai de pri­va­tion de liber­té, fixé à vingt-quatre heures par la Consti­tu­tion, par un nou­veau délai de vingt-quatre heures.

Enfin, dif­fé­rents obs­tacles d’ordre bud­gé­taire s’opposent à ce que la loi entre en vigueur au 1er jan­vier 2012. Il appar­tient au ministre, selon la juris­pru­dence stras­bour­geoise, de mettre tout en œuvre pour que les per­ma­nences puissent fonc­tion­ner, ce qui ne semble pas encore être le cas.

On ne peut que consta­ter que la loi du 13 aout 2011 est insuf­fi­sante pour que les droits des citoyens soient réel­le­ment garantis.

Manifester sa solidarité, liberté très surveillée

Pierre-Arnaud Per­rou­ty

Les crises éco­no­miques et sociales consti­tuent des temps pro­pices aux remises en ques­tion radi­cales de la socié­té et les auto­ri­tés peuvent être ten­tées de conte­nir les cri­tiques au prix de quelques entorses aux droits fon­da­men­taux. Pal­pable depuis plu­sieurs années, la cris­pa­tion autour de mani­fes­ta­tions de contes­ta­tion du sys­tème ou de soli­da­ri­té avec les per­sonnes les plus expo­sées (sans-papiers, chô­meurs, sans-abris, etc.) conti­nue de poser ques­tion, comme l’illustrent deux affaires récentes.

La pre­mière concerne des membres du Comi­té d’action et de sou­tien aux sans-papiers, comi­té étu­diant né au moment d’une occu­pa­tion des locaux de l’université libre de Bruxelles par des sans-papiers. Il leur était repro­ché, d’une part, d’avoir mani­fes­té devant le Com­mis­sa­riat géné­ral aux réfu­giés et aux apa­trides en octobre 2008 pour sou­te­nir des Afghans et, d’autre part, d’avoir per­tur­bé un mee­ting de cam­pagne des libé­raux euro­péens en avril 2009. Le 28 octobre 2011, le tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Bruxelles a condam­né six étu­diants à un mois de pri­son avec sur­sis et à une amende. Outre la dis­pro­por­tion de la peine, plu­sieurs aspects de cette affaire méritent d’être rele­vés. Alors que le choix de pour­suivre au pénal était fort dis­cu­table, le pro­cu­reur du Roi avait — fait rare — requis l’acquittement. Ensuite, les pré­ven­tions ini­tiales, déjà réduites par la chambre du conseil, se sont presque tota­le­ment dégon­flées, pour ne rete­nir que la rébel­lion, notion émi­nem­ment floue et sou­vent uti­li­sée par les poli­ciers pour se cou­vrir dans ce genre de cir­cons­tances. Enfin, dans ce qui s’apparente à de la pure inti­mi­da­tion, la police avait rele­vé l’identité des per­sonnes qui sou­hai­taient assis­ter à une audience du pro­cès. La liste fut fina­le­ment détruite grâce à la fer­me­té des avo­cats et à l’intervention du bâtonnier.

La deuxième affaire concerne des mili­tants de l’association Green­peace pour­sui­vis pour avoir uti­li­sé de fausses accré­di­ta­tions en décembre 2009 afin de s’approcher en limou­sine de l’entrée du bâti­ment du Conseil euro­péen à Bruxelles et dérou­ler des ban­de­roles « EU : Save Copen­ha­guen ». Or il s’agissait de faux gros­siers (le nom de Green­peace figu­rait sur les badges) et l’action était paci­fique. Le 17 mars 2011, le même tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Bruxelles a condam­né dix mili­tants à un mois de pri­son avec sur­sis et à une amende.

Ces affaires illus­trent par­fai­te­ment la ten­dance à pour­suivre péna­le­ment des expres­sions poli­tiques paci­fiques, ce qui conduit à limi­ter les droits d’expression et de mani­fes­ta­tion. Dans les deux affaires, le simple fait de pour­suivre était dis­pro­por­tion­né et les pré­ven­tions arti­fi­ciel­le­ment gon­flées. Elles seront reju­gées en appel. Les images vidéo ont joué un rôle impor­tant, le tri­bu­nal n’hésitant pas à s’y réfé­rer dans les deux cas, y com­pris pour contre­dire cer­taines men­tions des pro­cès-ver­baux. Par contraste, la bru­ta­li­té poli­cière est géné­ra­le­ment trai­tée avec bien plus de man­sué­tude et le sou­ve­nir des vio­lences com­mises fin sep­tembre 2010 lors de l’euromanifestation de Bruxelles est encore vif : 250 per­sonnes avaient été arrê­tées, dont 148 pré­ven­ti­ve­ment — les images avaient d’ailleurs été déci­sives dans la déci­sion du Comi­té des droits de l’homme de l’ONU de tan­cer la Bel­gique à ce sujet. En octobre 2011, c’est encore aux images mon­trant un poli­cier en civil à Bruxelles assé­ner un violent coup de pied au visage d’une jeune indi­gnée — assise par terre, les mains liées dans le dos, n’opposant aucune résis­tance — que l’on doit une réac­tion ferme et rapide de la police.

Enfin, on relè­ve­ra l’inquiétante exten­sion du péri­mètre de l’intimidation, préa­lable à la cri­mi­na­li­sa­tion. Après avoir ciblé les plus fra­giles, la cri­mi­na­li­sa­tion tou­chait leurs sou­tiens directs : acti­vistes, asso­cia­tions, avo­cats, voire simples citoyens ponc­tuel­le­ment soli­daires qui mani­fes­taient paci­fi­que­ment — ou ten­taient de le faire avant d’être arrê­tés pré­ven­ti­ve­ment — leur sou­tien ou leur désap­pro­ba­tion. Avec ces arres­ta­tions pré­ven­tives et ces listes poli­cières, une nou­velle étape est fran­chie : on empêche à prio­ri toute expres­sion dans un cas, on cri­mi­na­lise ceux qui se montrent soli­daires des soli­daires dans l’autre. Il est temps de se deman­der où s’arrêtera l’intimidation.

Delphine Paci


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