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Justice : coups d’arrêts
Aout 2011 : début de l’ère Salduz. Mais depuis son avènement, Salduz erre. Faute de budget et de volonté politique de mettre ce texte fondamental en œuvre, les droits du justiciable sont insuffisamment garantis en cas d’arrestation. Dommage pour les nombreux manifestants qui se font désormais arrêter préventivement par la police, voire violenter, au seul titre… qu’ils manifestent.
Salduz : l’entrée du droit dans les commissariats ?
Delphine Paci
Depuis de nombreuses années, les activistes des droits humains les plus acharnés militent pour que toute personne privée de liberté ou susceptible de l’être puisse être utilement conseillée et assistée par un avocat lors de son audition à la police, puis devant le magistrat du parquet ou le juge d’instruction. Cette nécessité a été consacrée pour la première fois le 27 novembre 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Salduz, du nom de ce jeune Turc qui allait révolutionner sans le savoir la procédure pénale en Belgique et ailleurs en Europe.
Avant même que le législateur ne se penche sur la question, et malgré les réticences de nombreux magistrats de l’instruction et du parquet, certains barreaux ont mis en place un système d’assistance des personnes arrêtées qui devaient comparaitre devant le juge d’instruction. Malheureusement, le ministre n’ayant pas estimé devoir rétribuer les avocats pour leur travail, ces permanences ont pris fin.
Une loi a été votée dans le but évident de créer une sécurité juridique et d’uniformiser les pratiques développées tous azimuts aux quatre coins du pays, mais aussi de limiter au maximum l’intervention des avocats, décrits dans les travaux parlementaires comme des « malins » prêts à sauter sur toute faute procédurale.
La loi du 13 aout 2011 est en vigueur depuis le 1er janvier 2012. Elle confère de nouveaux droits à la personne entendue, à savoir notamment d’informer une personne de confiance et de bénéficier d’une assistance médicale.
Les droits de la personne entendue lui seront communiqués, à savoir notamment : le droit de ne pas s’auto-incriminer et de recevoir une information succincte des faits pour lesquels elle sera entendue
Pour les autres droits, ceux-ci seront reconnus ou non aux « auditionnés » en fonction de leur statut, soit :
● premier statut : audition d’une personne entendue en quelque qualité que ce soit (victime, dénonciateur, témoin des faits, témoin de moralité…). Aucun droit supplémentaire n’est reconnu.
● deuxième statut : audition d’une personne entendue sur des faits qui pourraient lui être imputés, soit audition d’un suspect. Ces personnes se verront communiquer qu’elles ont le droit au silence et le droit de concertation confidentielle avec un avocat avant la première audition.
● troisième statut : audition d’une personne privée de liberté. Ces personnes bénéficieront également de la possibilité d’être assistées par un avocat pendant leur audition.
La concertation avec l’avocat aura une durée maximale de trente minutes.
Si cette loi représente une avancée indéniable en termes de garantie des droits des justiciables, certains effets pervers sont à souligner.
Le droit à la concertation avec l’avocat ou à l’assistance de celui-ci pendant l’audition n’est reconnu que pour la première audition.
L’intervention de l’avocat est conçue de manière minimaliste. Il s’agira pour l’homme de loi d’être garant de ce que les droits sont bien communiqués à la personne auditionnée, et qu’il n’est pas exercé sur elle de pressions physiques ou morales. Aucun accès au dossier ne lui est reconnu. La « plus-value » d’une présence humaine par rapport à des caméras de surveillance ne semble pas évidente, compte tenu du faible champ d’action des avocats et de l’énergie qui sera nécessaire pour assurer l’assistance — passive et silencieuse — des citoyens.
Cette frilosité du législateur pose question à l’ensemble du barreau : les avocats seront-ils amenés à jouer au mieux le rôle d’alibi procédural, au pire celui de pot de fleurs ? L’avocat ne peut en effet interrompre l’audition, ne peut ni parler, ni « plaider », ni demander à ce qu’une question soit posée.
Ainsi, le collège des procureurs généraux préconise que les avocats s’assoient derrière leur client pendant l’audition (et pourquoi pas dans le placard à balais?).
De plus, le juge d’instruction peut désormais prolonger le délai de privation de liberté, fixé à vingt-quatre heures par la Constitution, par un nouveau délai de vingt-quatre heures.
Enfin, différents obstacles d’ordre budgétaire s’opposent à ce que la loi entre en vigueur au 1er janvier 2012. Il appartient au ministre, selon la jurisprudence strasbourgeoise, de mettre tout en œuvre pour que les permanences puissent fonctionner, ce qui ne semble pas encore être le cas.
On ne peut que constater que la loi du 13 aout 2011 est insuffisante pour que les droits des citoyens soient réellement garantis.
Manifester sa solidarité, liberté très surveillée
Pierre-Arnaud Perrouty
Les crises économiques et sociales constituent des temps propices aux remises en question radicales de la société et les autorités peuvent être tentées de contenir les critiques au prix de quelques entorses aux droits fondamentaux. Palpable depuis plusieurs années, la crispation autour de manifestations de contestation du système ou de solidarité avec les personnes les plus exposées (sans-papiers, chômeurs, sans-abris, etc.) continue de poser question, comme l’illustrent deux affaires récentes.
La première concerne des membres du Comité d’action et de soutien aux sans-papiers, comité étudiant né au moment d’une occupation des locaux de l’université libre de Bruxelles par des sans-papiers. Il leur était reproché, d’une part, d’avoir manifesté devant le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides en octobre 2008 pour soutenir des Afghans et, d’autre part, d’avoir perturbé un meeting de campagne des libéraux européens en avril 2009. Le 28 octobre 2011, le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné six étudiants à un mois de prison avec sursis et à une amende. Outre la disproportion de la peine, plusieurs aspects de cette affaire méritent d’être relevés. Alors que le choix de poursuivre au pénal était fort discutable, le procureur du Roi avait — fait rare — requis l’acquittement. Ensuite, les préventions initiales, déjà réduites par la chambre du conseil, se sont presque totalement dégonflées, pour ne retenir que la rébellion, notion éminemment floue et souvent utilisée par les policiers pour se couvrir dans ce genre de circonstances. Enfin, dans ce qui s’apparente à de la pure intimidation, la police avait relevé l’identité des personnes qui souhaitaient assister à une audience du procès. La liste fut finalement détruite grâce à la fermeté des avocats et à l’intervention du bâtonnier.
La deuxième affaire concerne des militants de l’association Greenpeace poursuivis pour avoir utilisé de fausses accréditations en décembre 2009 afin de s’approcher en limousine de l’entrée du bâtiment du Conseil européen à Bruxelles et dérouler des banderoles « EU : Save Copenhaguen ». Or il s’agissait de faux grossiers (le nom de Greenpeace figurait sur les badges) et l’action était pacifique. Le 17 mars 2011, le même tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné dix militants à un mois de prison avec sursis et à une amende.
Ces affaires illustrent parfaitement la tendance à poursuivre pénalement des expressions politiques pacifiques, ce qui conduit à limiter les droits d’expression et de manifestation. Dans les deux affaires, le simple fait de poursuivre était disproportionné et les préventions artificiellement gonflées. Elles seront rejugées en appel. Les images vidéo ont joué un rôle important, le tribunal n’hésitant pas à s’y référer dans les deux cas, y compris pour contredire certaines mentions des procès-verbaux. Par contraste, la brutalité policière est généralement traitée avec bien plus de mansuétude et le souvenir des violences commises fin septembre 2010 lors de l’euromanifestation de Bruxelles est encore vif : 250 personnes avaient été arrêtées, dont 148 préventivement — les images avaient d’ailleurs été décisives dans la décision du Comité des droits de l’homme de l’ONU de tancer la Belgique à ce sujet. En octobre 2011, c’est encore aux images montrant un policier en civil à Bruxelles asséner un violent coup de pied au visage d’une jeune indignée — assise par terre, les mains liées dans le dos, n’opposant aucune résistance — que l’on doit une réaction ferme et rapide de la police.
Enfin, on relèvera l’inquiétante extension du périmètre de l’intimidation, préalable à la criminalisation. Après avoir ciblé les plus fragiles, la criminalisation touchait leurs soutiens directs : activistes, associations, avocats, voire simples citoyens ponctuellement solidaires qui manifestaient pacifiquement — ou tentaient de le faire avant d’être arrêtés préventivement — leur soutien ou leur désapprobation. Avec ces arrestations préventives et ces listes policières, une nouvelle étape est franchie : on empêche à priori toute expression dans un cas, on criminalise ceux qui se montrent solidaires des solidaires dans l’autre. Il est temps de se demander où s’arrêtera l’intimidation.