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Jean Louvet (1934-2015)

Numéro 8 - 2015 - par Joëlle Kwaschin -

« Ce monde-ci n’est pas le bon, je l’ai su tout de suite, enfant déjà. » Soutenu par cette lucidité, Jean Louvet s’est engagé à changer le monde, en donnant de la voix à ceux qui en sont dépourvus. Né à Moustier-sur-Sambre, il a choisi de s’installer à La Louvière, la ville d’André Balthazar, Pol Bury, Achille Chavée… Homme profondément généreux, il a donné sans compter à ses élèves, aux comédiens amateurs du Studio Théâtre de La Louvière, aux metteurs en scène Michèle Fabien, Philippe Sireuil, Armand Delcampe…
À La (...)

« Ce monde-ci n’est pas le bon, je l’ai su tout de suite, enfant déjà [1]. » Soutenu par cette lucidité, Jean Louvet s’est engagé à changer le monde, en donnant de la voix à ceux qui en sont dépourvus. Né à Moustier-sur-Sambre, il a choisi de s’installer à La Louvière, la ville d’André Balthazar, Pol Bury, Achille Chavée… Homme profondément généreux, il a donné sans compter à ses élèves, aux comédiens amateurs du Studio Théâtre de La Louvière, aux metteurs en scène Michèle Fabien, Philippe Sireuil, Armand Delcampe…

À La Revue nouvelle, nous entretenions un lien fait d’amitié, de discussions, de divergences aussi, notamment lors de la rédaction d’un texte avec Toudi et Les Cahiers marxistes, « La Wallonie est-elle invisible [2] ? » qui s’inscrivait dans le prolongement du Manifeste pour la culture wallonne [3], dont Louvet était l’un des coauteurs. La deuxième édition, Manifeste pour une Wallonie maitresse de sa culture, de son éducation et de sa recherche parut en 2003 et Louvet resta jusqu’à sa mort président du Mouvement du Manifeste wallon.

Plus tard, lors d’une de nos ultimes réunions chez lui, le ton était monté entre Théo Hachez, le directeur de la revue, et l’un des participants, qui soutenait que critiquer le PS comme elle le faisait — c’était juste au moment de la révélation des magouilles de ceux que Di Rupo a appelé les « parvenus » — revenait à faire le jeu des Flamands… La question était grave, l’un, debout, avait déjà attrapé son veston, prêt à partir tout en poursuivant ce qui commençait à ressembler à une dispute, on frôlait le drame…, et Jean riait doucement, avec son gout du bonheur, caressait du regard sa femme, la céramiste et comédienne Janine Laruelle, un couple magnifique de complicité.

Loin du cliché qu’on lui a parfois, par paresse, accolé de « théâtre ouvriériste » ou militante, l’œuvre de Jean Louvet, qui n’a cessé de renouveler les formes d’écriture, interroge les rapports entre les hommes dans un monde déserté en proie au capitalisme financier. Le moyen qu’il a trouvé « pour échapper à une certaine écriture exclusivement politique » a été de « faire trembler l’écriture ». « Si vous prenez la vie et que vous la mettez au théâtre, il ne se passe rien… J’écris de manière à faire apparaitre un léger effet d’étrangeté qui tord la naturalité du langage, de sorte que celui qui reçoit le texte doute sans cesse, consciemment ou non […] Dans toutes mes pièces, il y a une “surchauffe” du langage métaphorique [4] », écriture fragmentée qui rend parfois le texte difficile au premier abord. « Au théâtre, l’idéologie, c’est d’arriver à faire tenir par des personnages un discours, que personne ne tiendrait dans la vie quotidienne, mais qui permet de faire apparaitre la réalité. » « Comme le texte de théâtre est un “dire” pour un “faire”, vous ne pouvez percevoir sa virtualité profonde que sur la scène », ce que démontrent les profonds remaniements qu’il a fait subir à ses textes dans un aller-retour avec les comédiens, le texte ne devenant définitif que grâce à l’échange et au partage.

Les Archives du futur ont entrepris l’édition du théâtre complet. Sur les cinq tomes prévus, trois sont déjà parus. Sa toute dernière pièce, Tournée générale, a fait l’objet d’une lecture au dernier festival de Spa. Son travail a été honoré de nombreuses distinctions, dont la dernière date d’avril 2015, le prix quinquennal de littérature de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

De grandes pièces qui sont autant de grands souvenirs de théâtre restent, Conversation en Wallonie, L’homme qui avait le soleil dans sa poche, Un Faust, Le chant de l’oiseau rare…

Une œuvre à pousuivre, à faire vivre sur scène…

Voir également le dossier de La Revue nouvelle « Hiver 60 : un trou de mémoire », novembre 2010, en particulier de Jean Louvet « Amnésie », Le train du bon dieu (extraits) et à propos du Train, Vincent Radermecker, « Une métaphore pour un propos » ; Joëlle Kwaschin, « Le fil de l’histoire », décembre 2006.

[1Alternatives théâtrales, dossier « Jean Louvet », « Un parcours d’auteur », n° 69, juillet 2001.

[2La Revue nouvelle, mai-juin 1999.

[3« Wallonie, autour d’un manifeste », La Revue nouvelle, janvier 1984.

[4Entretien avec Jean Louvet, Textyles, n° 1-4.

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Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie