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Imparfait virtuel
Au fond, si la grammaire serait logique, elle adopterait le conditionnel après « si ». On dirait, comme dans La guerre des boutons : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu. » C’est du reste ainsi que la plupart des marmots et bon nombre de non-francophones en usent naturellement, à la grande consternation des parents et des enseignants. Tout est ici […]
Au fond, si la grammaire serait logique, elle adopterait le conditionnel après « si ». On dirait, comme dans La guerre des boutons : « Si j’aurais su, j’aurais pas venu. » C’est du reste ainsi que la plupart des marmots et bon nombre de non-francophones en usent naturellement, à la grande consternation des parents et des enseignants.
Tout est ici affaire de mode et de temps, de formes et de sens qui se mélangent. Le temps, c’est la catégorie par laquelle on situe l’action sur un axe où un présent fugace sépare le passé du futur ; et le mode, celle par laquelle on voyage dans l’imaginaire en prenant en compte les rapports entre l’action du verbe et la disposition d’esprit (les états d’âme, les intentions…) de celui qui parle ou de celui qui agit. Les nuances du temps comme celles du mode s’expriment par la conjugaison (la flexion des terminaisons), le recours à des auxiliaires (pouvoir, devoir, etc.) ou encore le jeu des adverbes. Or, dans le cas qui nous occupe, le verbe qui suit « si » et qui adopte une terminaison de l’indicatif imparfait est situé sur le même plan virtuel (le même mode) que le conditionnel présent de la proposition dite principale… Manifestement donc cette forme de l’imparfait de l’indicatif dont on est si fier de faire suivre régulièrement les « si » est investie d’une valeur modale conditionnelle du genre « admettons que j’aurais su… ». Donc la logique est assurément dans le camp du « si j’aurais » des enfants que nous reprenons, alors qu’ils se contentent d’associer naturellement une forme modale (aurais) à une valeur modale, celle du jeu de l’esprit qui fait envisager les conséquences d’un fait dont on admet qu’il ne s’est pas produit.
Mais, tout gluants de logique et de bons sentiments qu’ils sont, ces mômes ne devraient pas se sentir autorisés à nous faire la leçon. Car ce sont eux les premiers à se saisir de l’imparfait de l’indicatif pour se la jouer « symbolique », au présent, dans les bacs à sable ou autour des maisons de poupées : « Alors, on disait que j’étais la maman, Zorro, Son-Guku, etc. (biffez la mention la plus ringarde) et toi, tu étais… (même liste et même remarque) ». Ainsi l’indicatif, mode réputé du constat pragmatique et serein, celui du bovin qui regarde passer les trains ou les camions, devient ici le signal de l’entrée dans la fiction.
Les grammairiens sont chargés de nous expliquer avec de bonnes raisons comme nous parlons bien. Rude tâche, tant nous sommes apparemment peu cohérents dans l’usage que nous faisons de la parole. Quant à prétendre avec le philosophe et gourou du MR Richard Miller que le français serait une langue plus logique que les autres, il faut avoir arrêté ses lectures linguistiques il y a deux cents ans environ, au temps où la langue de Molière et de Rivarol se pavanait encore dans les cours d’Europe, alors même que l’épopée napoléonienne lui offrait ses dernières heures de gloire.