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L’idéologie de Bart De Wever, par Bart De Wever. Identité et démocratie

Numéro 07/8 Juillet-Août 2010 par Bart De Wever

juillet 2010

Dans une tri­bune du Monde du 12 février, Guy Verhof­stadt était inter­ve­nu dans le débat fran­çais sur l’i­den­ti­té natio­nale, en met­tant en avant le cos­mo­po­li­tisme. Bart De Wever a émis une posi­tion cri­tique : l’af­fir­ma­tion de l’i­den­ti­té — y com­pris fla­mande — ne mène pas for­cé­ment à un natio­na­lisme fermé.

Le débat fran­çais sur l’identité natio­nale s’est vite embour­bé dans une petite tour­née d’islamophobie pro­cé­dant de l’extrême droite. À gauche, comme c’était pré­vi­sible, on a répon­du à par­tir de cette posi­tion de départ : le seul lien pos­sible entre iden­ti­té et citoyen­ne­té est d’exclusion. […]

Cette oppo­si­tion stricte entre natio­na­lisme civil et natio­na­lisme eth­nique, sur laquelle Verhof­stadt table encore, est contre­dite par une évi­dence : tout concept d’identité (natio­nale) pro­cède d’un mixte d’éléments civils et culturels.

Pour une approche équilibrée et dynamique de l’identité

Cette affir­ma­tion ouvre à une approche plus équi­li­brée et dyna­mique selon laquelle le vécu col­lec­tif d’une iden­ti­té est à éva­luer sur la base de la façon dont celle-ci est défi­nie concrètement.

Si l’accent porte sur des élé­ments eth­no-cultu­rels que les alloch­tones ne peuvent faire leurs, cela donne un natio­na­lisme fer­mé qui peut ser­vir d’appui à une mobi­li­sa­tion contre l’autre. Si, par contre, l’accent porte sur une citoyen­ne­té basée sur des élé­ments civils et cultu­rels, cela donne un natio­na­lisme inclusif.

La plus-value socié­tale d’un vécu sain de l’identité consiste avant tout dans la créa­tion d’une com­mu­nau­té éthique. Dire qui on est, ce n’est pas un énon­cé lais­sé à notre libre choix. Cela relie le locu­teur à tous les joueurs de la même équipe et vice-ver­sa. Dans ce contexte, l’organisation d’une soli­da­ri­té impli­cite va de soi. L’identité donne aus­si réponse à la ques­tion de savoir qui appar­tient au peuple ou non. Ain­si se crée une com­mu­nau­té démocratique. […]

Le cas de la Belgique

Qu’est-ce que cela donne à pen­ser dans le cas de la Bel­gique ? Contrai­re­ment à la concep­tion lar­ge­ment répan­due, la Bel­gique, en tant qu’État nation, n’était pas une construc­tion pure­ment arti­fi­cielle. Une iden­ti­té des Pays-Bas du Sud exis­tait de longue date et fut à la base de la réus­site de la révo­lu­tion de 1830. Le jeune État-nation fut défi­ni cultu­rel­le­ment comme éma­na­tion de sa haute bour­geoi­sie, laquelle béné­fi­ciait du suf­frage cen­si­taire et était entiè­re­ment fran­co­phone. En matière de langues, signa­lait à juste titre Charles Rogier, la liber­té fut défi­nie dans la Consti­tu­tion comme la liber­té pour les fran­co­phones de ne jamais avoir à apprendre le néerlandais.

Dans cette optique, l’historien Her­man Van Goe­them situe la pre­mière lézarde dans l’État-nation belge en 1893, avec l’élargissement du droit de vote. Avec ce chan­ge­ment, le Fla­mand ordi­naire, dénué de la connais­sance du fran­çais, entra dans la démo­cra­tie belge. Le mou­ve­ment fla­mand évo­lua pro­gres­si­ve­ment : de l’ambition de don­ner une meilleure défi­ni­tion à la Bel­gique […] à l’organisation d’une sous-nation flamande.

En même temps, la prise de pou­voir fla­mande pro­vo­qua un contre-mou­ve­ment fran­co­phone. À par­tir de là, la lézarde dans l’État-nation belge allait se creu­ser jusqu’à deve­nir une rup­ture irré­pa­rable : dans les années soixante, la démo­cra­tie Bel­gique se dédou­bla com­plè­te­ment en enti­tés auto­nomes, fla­mande et fran­co­phone. Depuis ce moment, la Bel­gique n’est plus une com­mu­nau­té éthique ou démocratique.

Elle a rapi­de­ment évo­lué vers ce que Karel De Gucht (Open VLD) a un jour décrit comme une confé­rence diplo­ma­tique per­pé­tuelle. Sa force effec­tive de gou­ver­nance en tant qu’autorité publique directe est deve­nue de plus en plus pro­blé­ma­tique. La par­tie fla­mande de l’État fait preuve d’ambition pour com­bler le vide et sou­tient une iden­ti­té fla­mande qui se ren­force en termes objec­tifs. Mais en termes sub­jec­tifs, le pro­jet fla­mand n’a pas encore réus­si à convaincre l’ensemble de la popu­la­tion. Par consé­quent, l’abandon de la Bel­gique et le choix de la Flandre ne mènent pas (encore) au posi­tion­ne­ment de l’opinion publique fla­mande sur d’autres lignes de frac­ture. Pro­vi­soi­re­ment, il en résulte une para­ly­sie de l’État fédé­ral et un vécu de l’identité (aus­si bien belge que fla­mande) trop pro­blé­ma­tique et trop faible pour offrir une plus-value à une citoyen­ne­té active.

Les plus-values d’un vécu sain de l’identité sont donc encore devant nous. C’est dom­mage quand on scrute les alter­na­tives qui se pro­filent. D’un côté, le natio­na­lisme fer­mé qui nous place dans une dia­lec­tique d’opposition et de conflit. De l’autre, la citoyen­ne­té post­na­tio­nale de Verhof­stadt. […] Pour les nan­tis, le rêve libé­ral ultime désor­mais est de s’affranchir com­plè­te­ment par rap­port à des struc­tures com­mu­nau­taires. Les moins chan­ceux vivent la menace d’un monde désa­gréable dans lequel ils ne peuvent se voir que comme des indi­vi­dus qui rament sur une sur­face cultu­relle, éco­no­mique et démocratique. 

Tra­duit du néer­lan­dais par Paul Géradin

Bart De Wever


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