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Guide de survie pour les académiques (et les autres) en période de pandémie

Numéro 8 – 2020 - Covid-19 crise pandémie par Derek Moss

décembre 2020

Depuis le début de la pan­dé­mie, que ne nous a‑t‑on pas bas­si­né avec le « monde d’après » ! Tout allait chan­ger : un autre rap­port au réel, de l’entraide, du vivre ensemble, la fin du capi­ta­lisme, le retour du social, une prise de conscience éco­lo­gique. Dans les faits, le monde d’après, c’est encore plus d’incertitude, plus d’impuissance, de […]

Billet d’humeur

Depuis le début de la pan­dé­mie, que ne nous a‑t-on pas bas­si­né avec le « monde d’après » ! Tout allait chan­ger : un autre rap­port au réel, de l’entraide, du vivre ensemble, la fin du capi­ta­lisme, le retour du social, une prise de conscience éco­lo­gique. Dans les faits, le monde d’après, c’est encore plus d’incertitude, plus d’impuissance, de l’angoisse et de la soli­tude, mais avec un émo­ji « soli­daire » sur Face­book. Notre besoin de pic­to­grammes soli­daires sera-t-il pos­sible à ras­sa­sier ? Per­met­tez-moi d’en dou­ter. Aus­si, j’ai jeté sur l’écran quelques idées des­ti­nées à mes col­lègues pour en réchapper.

1°) Soyez réa­listes sur votre capa­ci­té à pro­duire ! Votre ins­ti­tu­tion sur­vi­vra. Vous, que ce soit phy­si­que­ment ou psy­cho­lo­gi­que­ment, c’est moins sûr. Dans un tel contexte, la fameuse injonc­tion néo­li­bé­rale « publish or per­ish » peut tout aus­si bien se réduire à « per­ish ». On pour­rait croire que le confi­ne­ment est un atout pour le labeur intel­lec­tuel, la recherche, la rédac­tion. Eh bien, non. Pour beau­coup, seul fonc­tionne le désir fou de se pri­ver volon­tai­re­ment de liber­té pour pen­ser et écrire quand on pour­rait faire autre chose d’agréable.

2°) Soyez réa­listes, encore, quant à votre deve­nir digi­tal ! Certain·e·s semblent reve­nir à la nor­male, comme on dit, avec télé-ensei­gne­ment et autres confé­rences online, alors que vous vous sen­tez anxieux·ses, déprimé·e·s et tota­le­ment dépassé·e·s, épuisé·e·s après des heures pas­sées devant un écran ano­nyme (étudiant·e·s, êtes-vous là?) tan­dis que deux enfants braillards vous courent entre les jambes. Ava­lez un xanax, votre meilleur ami aca­dé­mique de tou­jours, et rap­pe­lez-vous que vous êtes la « nou­velle nor­ma­li­té ». Vous pou­vez aus­si crier dans une cou­ver­ture douce et hur­ler sur un ani­mal en peluche.

3°) Vous l’aurez com­pris, l’hygiène (men­tale) d’abord ! Gel hydro­al­coo­lique, gants sté­riles, masques, visière évi­dem­ment. Tous­sez et éter­nuez dans votre épaule ou, mieux, dans l’un de ces rap­ports admi­nis­tra­tifs que vous ne lirez de toute façon pas.

4°) Ché­ris­sez l’être domes­tique qui est en vous ! Moi qui suis ochlo­phobe et qui déteste voya­ger, le confi­ne­ment a la ver­tu de me don­ner de fous dési­rs de bain de foule. Je rêve de m’évader au milieu des pèle­rins de La Mecque, à un concert des Rol­ling Stones à Wem­bley, dans la cohue des tou­ristes au Taj Mahal ou encore fai­sant la queue pour le Crush Coaster’s à Dis­ney­land. Mais, fran­che­ment, qui aime ces méga­con­fé­rences à vous rendre claus­tro­phobes, les ren­contres avec des col­lègues tout aus­si névrosé·e·s et les épui­santes mis­sions d’enseignement inter­uni­ver­si­taires ? À la mai­son, vous trou­ve­rez votre espace de retraite : je vous écris depuis mon frigo.

5°) Consi­dé­rez les aspects posi­tifs des mesures sani­taires ! Ensei­gner camouflé·e der­rière un masque et une visière aide­ra à cacher au monde votre éter­nel sen­ti­ment d’être un impos­teur. Pour un râleur comme moi, le masque, c’est éga­le­ment la chance de pou­voir tirer la gueule en per­ma­nence. Don­nez cours en ligne, et vous pour­rez res­ter chez vous, affublé·e d’un vieux pyja­ma troué et vautré·e dans votre cana­pé, ce qui ren­for­ce­ra très pro­ba­ble­ment votre impres­sion d’imposture.

6°) Décon­nec­tez-vous des réseaux sociaux et faites-vous du bien ! Face­book, Twit­ter et consorts consti­tuent une source avé­rée de nom­breuses patho­lo­gies : la para­noïa vir­tuelle (qui se mani­feste par une sen­sa­tion que cer­tains com­men­taires vous sont adres­sés per­son­nel­le­ment), le mal­en­ten­du thé­ra­peu­tique digi­tal (se dit de celles et ceux qui prennent les réseaux sociaux pour un psy), ou encore le cyber­ma­so­chisme (com­por­te­ment addic­tif d’un indi­vi­du qui jouit de visi­ter la page de gens qu’il trouve insup­por­tables). Rien de tel que de se faire du bien en dehors de ces espaces numé­riques. Ce soir, par exemple, je lirai De l’inconvénient d’être né de Cio­ran, un air de Bar­ba­ra en arrière-fond, quelques ognons crus en guise de gueu­le­ton, et puis je regar­de­rai Shoah de Claude Lanzmann.

Bref, cher·e·s col­lègues, faites atten­tion à vous en ces temps trou­blés et incertains.

Derek Moss


Auteur

anthropologue