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Guatemala. Après la tempête Agatha, l’heure du bilan

Numéro 07/8 Juillet-Août 2010 - Amérique latine par Aldo Tobar Gramajo

juillet 2010

La tem­pête tro­pi­cale Aga­tha s’est s’abattue à la fin du mois de mai sur l’Amérique cen­trale. La majo­ri­té des vic­times et des dégâts enre­gis­trés se trouve dans la Répu­blique du Gua­te­ma­la. La tem­pête ravive les sou­ve­nirs de phé­no­mènes cli­ma­tiques pas­sés : Mitch, Stan… À l’instar de Sisyphe, le Gua­te­ma­la, pays vul­né­rable aux phé­no­mènes natu­rels, se penche sur sa […]

La tem­pête tro­pi­cale Aga­tha s’est s’abattue à la fin du mois de mai sur l’Amérique cen­trale. La majo­ri­té des vic­times et des dégâts enre­gis­trés se trouve dans la Répu­blique du Gua­te­ma­la. La tem­pête ravive les sou­ve­nirs de phé­no­mènes cli­ma­tiques pas­sés : Mitch, Stan… À l’instar de Sisyphe, le Gua­te­ma­la, pays vul­né­rable aux phé­no­mènes natu­rels, se penche sur sa reconstruction.

Une dépêche dans les quo­ti­diens belges (31 mai 2009) pré­ci­sait que « Les habi­tants de la région se sou­viennent de l’ouragan Mitch qui avait cau­sé presque 11.000 morts et 8.000 dis­pa­rus dans les cou­lées de boues en 1998 ». Le second oura­gan le plus meur­trier dans l’histoire du bas­sin atlan­tique affec­ta lour­de­ment, mais de manière rela­tive (en com­pa­rai­son aux chiffres men­tion­nés) le Gua­te­ma­la. Mais s’il est vrai que Mitch a mar­qué la mémoire, rap­pe­lons qu’entre la tem­pête tro­pi­cale Aga­tha et l’ouragan Mitch, une autre tem­pête, Stan, a ren­du visite à ces pays en octobre 2005. Les sinistres décomptes du Centre for Research on the Epi­de­mio­lo­gy of Disas­ters (CRED) dans l’après-Stan dépassent encore en impor­tance ceux de Mitch au Gua­te­ma­la : 1.513 morts, 475.000 per­sonnes direc­te­ment affec­tées et près d’un mil­liard de dol­lars de pertes.

La tem­pête tro­pi­cale Aga­tha qui s’est déve­lop­pée au large des côtes de l’océan Paci­fique n’a pas sur­pas­sé les scores de ses pré­cé­dentes consœurs Mitch et Stan comme pré­vu. Les der­niers chiffres offi­ciels publiés le mar­di 8 juin dénombrent au Gua­te­ma­la 170 morts, 101 per­sonnes por­tées dis­pa­rues, 152.632 Gua­té­mal­tèques éva­cués dont plus de 90.000 per­sonnes se trouvent encore à cette heure dans des refuges. La par­ti­cu­la­ri­té des pluies tor­ren­tielles d’Agatha fut leur spec­ta­cu­laire concor­dance d’agenda avec l’éruption du vol­can le plus actif d’Amérique cen­trale, le Pacaya. Le 28 mai 2010, des pluies de cendre et de pierres pro­vo­quèrent un chaos à l’étrange conso­nance avec l’activité du vol­can islan­dais Eyjaf­jöll au mois de mars. L’histoire du pays semble être ponc­tuée par des catas­trophes « naturelles ».

Répondre aux causes structurelles par une réforme agraire

Si la sai­son cyclo­nique est annuelle, il est tou­te­fois néces­saire de ques­tion­ner les pro­blèmes struc­tu­rels qui font du Gua­te­ma­la un pays « vic­time » de ces phé­no­mènes cli­ma­tiques. Pour­quoi un pays comme Cuba dans la région Amé­rique Cen­trale-Caraïbes a pu déve­lop­per une capa­ci­té de résis­tance telle qu’à un phé­no­mène natu­rel simi­laire, l’ile en res­sort à peine ébranlée ?

Alors que les catas­trophes cli­ma­tiques affectent des popu­la­tions de plus en plus nom­breuses dans le monde, l’immense majo­ri­té des vic­times vit dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment. Or, ces per­sonnes sont aus­si les plus pauvres et géné­ra­le­ment les plus vul­né­rables, parce que leurs moyens d’existence dépendent sou­vent de res­sources qui sont liées au climat.

L’ancien pré­sident conser­va­teur du Gua­te­ma­la Oscar Ber­ger disait à pro­pos de Stan que « Le bon côté de la situa­tion, c’est que les pauvres sont habi­tués à souf­frir ». En rai­son de son igno­rance et de ses ori­gines sociales, on ne pou­vait pas espé­rer meilleur récon­fort de sa part aux vic­times. Mais l’actuel pré­sident, Álva­ro Colom, pro­voque une pro­fonde décep­tion en voi­lant la réa­li­té : « Le pays vit une grande tra­gé­die comme consé­quence de deux attaques de la nature : l’éruption du vol­can Pacaya et la tem­pête tro­pi­cale Aga­tha. » Avant la fin de la sai­son cyclo­nique (fin novembre) et avant que son man­dat ne se ter­mine (novembre 2011), il est encore temps de rap­pe­ler au man­da­taire poli­tique que les causes des catas­trophes sont situées dans l’interface entre la socié­té et l’environnement. L’environnement dit « natu­rel » est façon­né par les hommes. Il n’échappe pas à l’immoralité fon­cière de la mon­dia­li­sa­tion ou de l’immondialisation, pour reprendre un terme cher à l’anthropologue Michael Sin­gle­ton. Une catas­trophe n’est pas autre chose que le résul­tat d’un risque (Aga­tha) en puis­sance arti­cu­lé à des formes de vulnérabilité.

L’analyse des tem­pêtes tro­pi­cales au Gua­te­ma­la montre que les pro­blèmes fon­ciers et les inéga­li­tés socioé­co­no­miques his­to­riques sont à l’origine des phé­no­mènes de dété­rio­ra­tion envi­ron­ne­men­tale et ont four­ni les condi­tions qui exposent davan­tage le Gua­te­ma­la aux tem­pêtes tro­pi­cales. La pau­vre­té à laquelle sont sou­mises les popu­la­tions à pré­do­mi­nance indi­gène conduit à la défo­res­ta­tion, à la construc­tion d’habitations inadé­quates et à l’occupation de zones à hauts risques. Ces phé­no­mènes sont le résul­tat de nom­breuses années de modèles éco­no­miques excluants. Or, la mise en place effec­tive d’une réforme agraire1 per­met­trait de solides avan­cées dans la réduc­tion des risques de catas­trophes sur le long terme. Car, outre le fait de rendre jus­tice aux popu­la­tions majo­ri­tai­re­ment indi­gènes pra­ti­quant une agri­cul­ture de sur­vi­vance (parce que relé­guées aux terres les moins fer­tiles), une telle réforme per­met­trait de contrer l’inégale expo­si­tion aux risques de catas­trophes pro­duite par l’inégale répar­ti­tion des terres à l’échelle nationale.

Conséquences à long terme

Outre l’analyse des pro­blèmes struc­tu­rels qui ont fait de cet évè­ne­ment natu­rel extrême une catas­trophe natio­nale et régio­nale, il est éga­le­ment impor­tant de se pen­cher sur les dégâts qui se feront res­sen­tir dans le long terme.

Le Pro­gramme ali­men­taire mon­dial (PAM — orga­nisme d’aide ali­men­taire de l’ONU) estime que les effets d’Agatha cor­ré­lés à l’éruption du vol­can Pacaya vont aggra­ver la crise ali­men­taire dans le pays qui a connu l’année pas­sée plus de quatre cents décès pour cause d’inanition. L’année 2009 a été par­ti­cu­liè­re­ment mar­quée par la sèche­resse, pro­dui­sant des situa­tions extrêmes de famine dans de nom­breuses régions du Gua­te­ma­la, et en par­ti­cu­lier dans les couches sociales pré­caires et pay­sannes. Selon l’ONU, 48% des enfants de moins de cinq ans souffrent de mal­nu­tri­tion chro­nique, soit un des indices les plus éle­vés du monde et le pre­mier de toute l’Amérique latine. 51% des 13 mil­lions d’habitants vivent dans la pau­vre­té et 15% vivent dans l’extrême pau­vre­té. Le manque d’eau au cours de la sai­son des pluies de 2009, le vent et les inon­da­tions de 2010 ont empê­ché le bon déve­lop­pe­ment et la crois­sance des céréales de base. Les gre­niers à grain vides, les familles sont contraintes de s’endetter pour pou­voir se nour­rir. Aux évè­ne­ments cli­ma­tiques s’ajoute l’augmentation des prix mon­diaux des ali­ments depuis les crises éco­no­miques de 2008. La cor­ré­la­tion de ces phé­no­mènes engendre une dimi­nu­tion de l’accès aux den­rées ali­men­taires de base par la popu­la­tion gua­té­mal­tèque. Dès lors, il faut se deman­der com­ment les auto­ri­tés gua­té­mal­tèques résou­dront la crise ali­men­taire qu’elles n’arrivaient déjà pas à endi­guer avant le pas­sage de la nou­velle tem­pête tropicale.

Au Gua­te­ma­la, une soli­da­ri­té inter­na­tio­nale incroyable s’est pré­sen­tée pour pal­lier les défi­cits de l’État. Mais n’est-il pas temps de trans­fé­rer davan­tage de moyens dans la pré­ven­tion et l’accompagnement vers une bonne gou­ver­nance plu­tôt que de miser sur les excel­lentes poli­tiques de réponses urgen­tistes ? L’idée que les catas­trophes sont sim­ple­ment des évè­ne­ments phy­siques extrêmes inévi­tables qui néces­sitent des solu­tions pure­ment tech­no­cra­tiques reste encore le para­digme domi­nant pour les ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales et pour les agences de finan­ce­ment mul­ti­la­té­ral telles que la Banque mondiale.

Le pro­fes­seur haï­tien Laën­nec Hur­bon (direc­teur de recherches au CNRS et pro­fes­seur à l’université Quis­queya de Port-au-Prince), en visite au Labo­ra­toire d’anthropologie pros­pec­tive de Lou­vain-la-Neuve, émet­tait l’hypothèse que seule l’éducation, et non la coopé­ra­tion, serait le ciment de la recons­truc­tion du pays ébran­lé par le violent trem­ble­ment de terre. Aga­tha, Stan, Mitch… pour­raient alors être des impul­sions vers des chan­ge­ments struc­tu­rels éco­no­mique, cultu­rel et social. Le pro­grès des connais­sances et des tech­niques pour­rait per­mettre de s’adapter dans le long terme aux phé­no­mènes natu­rels. Mais il faut encore que les déci­deurs poli­tiques en prennent conscience…

  1. Selon le der­nier recen­se­ment acces­sible de l’Institut natio­nal de sta­tis­tiques du Gua­te­ma­la (INE, 2003), l’indice de Gini sur la dis­tri­bu­tion inégale des terres n’a presque pas chan­gé entre 1979 et 2003, allant de 0.848 à une légère modi­fi­ca­tion de 0.834. Ces don­nées font du Gua­te­ma­la un des pays les plus inéga­li­taires au monde. Pour rap­pel, une éga­li­té par­faite dans la dis­tri­bu­tion des terres cor­res­pon­drait à 0 et une inéga­li­té par­faite cor­res­pon­drait à 1.

Aldo Tobar Gramajo


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