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Face à la crise : l’urgence écologiste, d’Alain Lipietz

Numéro 2 Février 2010 par Gaëlle Hubert

février 2010

Direc­teur de recherche au CNRS et dépu­té euro­péen des Verts fran­çais entre 1999 et 2009, repré­sen­tant du cou­rant « régu­la­tion­niste » en éco­no­mie, Alain Lipietz est un auteur pro­li­fique. Son livre Face à la crise : l’urgence éco­lo­giste est le der­nier en date d’une longue pano­plie d’écrits (articles, confé­rences, ouvrages indi­vi­duels ou col­lec­tifs) trai­tant de pro­blé­ma­tiques socioé­co­no­miques et environnementales […]

Direc­teur de recherche au CNRS et dépu­té euro­péen des Verts fran­çais entre 1999 et 2009, repré­sen­tant du cou­rant « régu­la­tion­niste » en éco­no­mie, Alain Lipietz est un auteur pro­li­fique. Son livre Face à la crise : l’urgence éco­lo­giste1 est le der­nier en date d’une longue pano­plie d’écrits (articles, confé­rences, ouvrages indi­vi­duels ou col­lec­tifs) trai­tant de pro­blé­ma­tiques socioé­co­no­miques et envi­ron­ne­men­tales contem­po­raines, des agro­car­bu­rants aux accords inter­na­tio­naux en matière d’environnement, de la crise éco­no­mique, sociale et cli­ma­tique aux pistes pro­po­sées par l’économie sociale et soli­daire, de la « gou­ver­nance mon­diale » aux poli­tiques euro­péennes ; de l’écologie poli­tique à la phi­lo­so­phie de la nature en pas­sant par la géo­gra­phie éco­no­mique… Dans la veine de l’ouvrage dont il est ques­tion ici, on cite­ra notam­ment Qu’est-ce que l’écologie poli­tique ? La grande trans­for­ma­tion du XXIe siècle (La Décou­verte, 1999), où l’auteur s’attachait à déve­lop­per les dimen­sions sociale et poli­tique qu’appelle la pré­ser­va­tion de notre envi­ron­ne­ment : com­ment réorien­ter notre déve­lop­pe­ment éco­no­mique pour le rendre soutenable ?

Ici, sous la forme d’une conver­sa­tion avec Ber­trand Richard, Alain Lipietz se pose la ques­tion à nou­veaux frais étant don­né le contexte que d’aucuns qua­li­fient de « crise » — éco­no­mique, sociale, envi­ron­ne­men­tale… Il en ana­lyse dans un pre­mier temps les res­sorts — en par­ve­nant à expli­ci­ter clai­re­ment les dyna­miques (en par­ti­cu­lier finan­cières) du contexte socioé­co­no­mique actuel, par­tant de leurs ori­gines dans les pra­tiques quo­ti­diennes de « mon­sieur-et-madame-tout-le-monde » jusqu’à la forme « mon­dia­li­sée » qu’elles prennent, loin de toute réa­li­té sociale concrète — pour, dans un second temps, pro­po­ser des solu­tions ins­pi­rées de l’écologie poli­tique, appe­lant de ses vœux un New Deal éco­lo­giste qui remet­trait en cause le par­tage des richesses ain­si que les modes de pro­duc­tion, de consom­ma­tion et les modes de vie occidentaux.

Une triple crise

L’auteur qua­li­fie la crise actuelle de « crise des années trente puis­sance deux ». D’après lui, il s’agit d’une triple crise. Une crise sociale tout d’abord, déclen­chée par trente années de modèle « libé­ral-pro­duc­ti­viste ». Sur­fant sur la crise du modèle social-démo­crate d’après-guerre, ce modèle néo­li­bé­ral a mis à mal le com­pro­mis for­diste et le sys­tème de pro­tec­tion sociale carac­té­ris­tique de l’État pro­vi­dence. Se déve­lop­pant sur le sou­bas­se­ment d’une foi inébran­lable en la capa­ci­té auto­ré­gu­la­trice du mar­ché, pour laquelle la finance pal­lie­rait les manques de l’État pro­vi­dence, il a entrai­né une pola­ri­sa­tion des reve­nus entre riches et pauvres. « Le pro­blème de cette grande crise n’est pas en der­nier res­sort la finance, c’est que l’économie mon­diale pro­duit trop pour trop de pauvres insol­vables » (p. 21). La grande dif­fé­rence d’avec les années trente, ajoute Lipietz, tient à ce que le libé­ral-pro­duc­ti­visme s’est déve­lop­pé sur la base d’une mon­dia­li­sa­tion de la pro­duc­tion. La pres­sion de la concur­rence sala­riale est ain­si plus rude et empêche d’autant l’augmentation des salaires occi­den­taux, qui doivent res­ter compétitifs.

Ensuite, la crise actuelle est une crise éco­lo­gique : l’économie mon­diale « pro­duit mal en fai­sant trop pres­sion sur la terre » (p. 21). C’est une deuxième grande dif­fé­rence d’avec la crise des années trente. L’auteur note que le pro­duc­ti­visme à outrance du modèle néo­li­bé­ral ne se sou­cie aucu­ne­ment de la raré­fac­tion des res­sources non renou­ve­lables et même renou­ve­lables, telles les récoltes, dont les causes sont à recher­cher dans des fac­teurs comme les chan­ge­ments cli­ma­tiques, l’accroissement de la popu­la­tion mon­diale ou, plus récem­ment encore, les nou­velles uti­li­sa­tions don­nées à cer­tains pro­duits de base, les agro­car­bu­rants, par exemple. La flam­bée des prix ali­men­taires et des prix éner­gé­tiques est venue aggra­ver la crise sociale, le « pou­voir d’achat » des ménages étant réin­ves­ti dans les biens de pre­mière néces­si­té, tout en déclen­chant une crise ali­men­taire dans les pays du tiers-monde.

La crise déclen­chée en 2007 est enfin une crise finan­cière. Enfin et non pas d’abord car, pour Lipietz, c’est la conjonc­tion de la crise sociale et de la crise éco­lo­gique qui a pré­ci­sé­ment mis en péril tout le sys­tème de cré­dit ban­caire. Com­ment en com­prendre les ressorts ?

La mécanique s’emballe

De manière très concrète, l’auteur décor­tique le méca­nisme par lequel la crise sociale — un citoyen deve­nu pauvre ou plu­tôt une foule de citoyens deve­nus pauvres — a entrai­né la crise finan­cière. Com­ment Madame Jones, une mère céli­ba­taire de l’Ohio, ven­deuse de super­mar­ché, a‑t-elle pu d’un coup se retrou­ver actrice, bien mal­gré elle, de l’effondrement du sys­tème ban­caire de son pays ? Alain Lipietz décrit en détail, de manière simple, l’enchainement des évè­ne­ments : en rai­son de sa situa­tion pré­caire, Madame Jones a contrac­té un emprunt auprès d’un usu­rier à un taux éle­vé (il s’agit des fameux sub­primes). Un jour, elle ne peut plus le rem­bour­ser étant don­né la stag­na­tion de son salaire et la hausse des prix (crise sociale, crise éco­lo­gique). L’usurier ne fait pas pour autant faillite car il a trans­for­mé la recon­nais­sance de dette de Madame Jones en titre et l’a reven­du à des banques qui, elles-mêmes, l’ont mélan­gé à d’autres. La recon­nais­sance de dettes est ain­si deve­nue un titre sur le mar­ché. Ce titre est inves­ti et com­mence à cir­cu­ler dans l’économie, mal­gré sa décon­nexion totale avec la réa­li­té qui l’a consti­tué. Telle est une carac­té­ris­tique cen­trale du modèle libé­ral-pro­duc­ti­viste : cette « extra­or­di­naire sophis­ti­ca­tion de la finance » (p. 25). Il s’agit de la troi­sième dif­fé­rence d’avec la grande crise précédente.

Lipietz explique que la sup­pres­sion du lien de la mon­naie avec l’or dans les années sep­tante a ouvert l’ère du cré­dit. Mais le pro­blème est qu’«à l’idée que la mon­naie est fon­dée sur le cré­dit, au sens tech­nique (« Je prête à quelqu’un ») et au sens moral (« Je prête à quelqu’un en qui j’ai confiance, et confiance dans ses reve­nus futurs »), s’est sub­sti­tuée vers l’an deux-mille, au cours du modèle néo­li­bé­ral, l’idée que le mar­ché régule tout […]. On en était arri­vé à l’idée que le simple fait d’introduire sur le mar­ché un titre repré­sen­tant un cré­dit fai­sait de votre titre une mon­naie comme une autre ». Ain­si, les prêts de créan­ciers sont deve­nus des titres sans plus aucun lien avec la réa­li­té du débi­teur, les titres ont été mélan­gés dans des pla­ce­ments col­lec­tifs, connais­sant une évo­lu­tion propre régu­lée par le mar­ché. Plus per­sonne ne connait la pro­por­tion de cré­dits ris­qués, la dilu­tion est com­plète. Tout est deve­nu mon­naie et les mon­naies des banques cen­trales sont deve­nues objet de marché.

Si l’on revient à l’exemple pré­ci­té et que l’on compte les mil­lions de Madame Jones sur le ter­ri­toire amé­ri­cain, dus à l’explosion du nombre de tra­vailleurs pauvres… on com­prend com­ment ce méca­nisme de titri­sa­tion a entrai­né la ruine du sys­tème ban­caire : les gens ne peuvent plus payer leur loge­ment, ne rem­boursent plus leurs créan­ciers, la valeur des titres s’écroule… Et si ce modèle a tenu un cer­tain temps, écrit Lipietz, c’est en rai­son de la poli­tique de la Réserve fédé­rale amé­ri­caine sous la direc­tion de Greens­pan, prô­nant des taux d’intérêt très bas afin de sti­mu­ler l’économie. Au niveau du pays, cette poli­tique de l’«argent facile » a notam­ment per­mis aux entre­prises amé­ri­caines d’investir mas­si­ve­ment ; au niveau mon­dial, elle a per­mis le décol­le­ment des pays émer­gents, tels que la Chine ou l’Inde. Mais cette poli­tique, en auto­ri­sant le décol­le­ment de la mon­naie de cré­dit par rap­port à l’économie réelle, n’a fait que retar­der l’éclatement de la bulle.

Face à ce constat de triple crise, Alain Lipietz pro­pose des solu­tions au nom de l’écologie poli­tique. Il va pui­ser tan­tôt dans les vieilles recettes key­né­siennes, tan­tôt dans les libé­rales, tan­tôt dans celles que l’on pour­rait qua­li­fier d’«autonomes ». Pour s’y retrou­ver, nous avons réa­li­sé le sché­ma ci-après qui reprend en syn­thèse ces trois façons d’envisager la socié­té, selon l’axe « Pro­grès » (anciennes recettes) ver­sus « Déve­lop­pe­ment durable » (recettes actua­li­sées). Lipietz joue sur les trois tableaux du déve­lop­pe­ment durable.

Syn­thèse des solu­tions à la crise pro­po­sées par Lipietz
Éta­tisme (ou supranational) Libé­ra­lisme Auto­no­mie
Pro­grès Socia­lisme (modèle sovié­tique, planification) Libé­ra­lisme éco­no­mique (libre marché) Anar­chisme, autogestion
Déve­lop­pe­ment durable Néo­key­né­sia­nisme vert
(exemple du « super-Com­mis­sa­riat géné­ral euro­péen au Plan »)
Le « nou­vel esprit du capi­ta­lisme » : le capi­ta­lisme qui intègre la cri­tique écologiste
(exemple des quo­tas de pollution)
La décrois­sance,
le localisme
(exemple de la consom­ma­tion axée sur le local)

Le retour de l’État

Conju­guant inter­ven­tion éta­tique — ou supra­na­tio­nale — avec déve­lop­pe­ment durable, Lipietz se pose en faveur d’un retour de l’État tout en met­tant en garde contre la ten­ta­tion d’un État fort, pla­ni­fi­ca­teur. Il en appelle pour sa part à un pla­nisme ou capi­ta­lisme vert (et non pro­duc­ti­viste), ou encore New Deal éco­lo­giste, qui remet­trait en cause les pri­vi­lèges des plus nan­tis ain­si que les modes de vie actuels (tout en évi­tant les dérives ou « fausses solu­tions » éco­lo­giques pla­nistes à la crise, tels que les agro­car­bu­rants). Ce nou­veau New Deal se base­rait sur l’État, mais aus­si sur les asso­cia­tions, les coopé­ra­tives, l’économie sociale et soli­daire. Concrè­te­ment, l’auteur pro­pose une relance par les inves­tis­se­ments — les inves­tis­se­ments verts s’entend (trans­ports col­lec­tifs, iso­la­tion des mai­sons, etc.) — ain­si qu’une relance de la consom­ma­tion, verte elle aus­si : consom­ma­tion bio et locale, etc. On retrouve ici un accent mis sur le loca­lisme, croi­sant le déve­lop­pe­ment durable avec celui de la sphère auto­nome. Si l’auteur est en faveur d’une crois­sance verte, il parle éga­le­ment de « faire décroitre ce qui pol­lue » (p. 108)… Le débat « crois­sance ver­sus décrois­sance » est d’après lui un faux débat et dépend du sec­teur visé.

Le New Deal vert passe éga­le­ment par une nou­velle manière de consi­dé­rer le sujet et le rap­port au tra­vail : « Tout s’est pas­sé comme si, dans le modèle for­diste comme dans le modèle libé­ral-pro­duc­ti­viste, on avait aban­don­né la réa­li­sa­tion de soi dans son acti­vi­té en échange de la réa­li­sa­tion de soi dans la consom­ma­tion » (p. 124). Lipietz défend le déve­lop­pe­ment d’un tiers sec­teur qui ferait office de zone tam­pon entre l’État et le mar­ché et qui serait « asso­cia­tif et coopé­ra­tif d’utilité sociale, soli­daire et éco­lo­giste pour s’occuper des per­sonnes âgées à domi­cile, du sou­tien sco­laire, des espaces verts, des espaces com­muns dans les loge­ments sociaux, de la culture…» (p. 136).

Un super-Com­mis­sa­riat européen
au Plan

Lipietz ne s’arrête tou­te­fois pas à la sphère d’intervention éta­tiste. Il sou­ligne qu’il s’agit d’une crise sans fron­tières qui appelle dès lors une échelle d’intervention plus large et d’en appe­ler à l’intervention de l’Union euro­péenne. À la déré­gu­la­tion finan­cière, il oppose ain­si la créa­tion d’un « super-Com­mis­sa­riat géné­ral euro­péen au Plan », énon­çant les pro­jets prio­ri­taires à finan­cer en fonc­tion d’objectifs euro­péens édic­tés au préa­lable (recherche, édu­ca­tion, envi­ron­ne­ment, éco­no­mie d’énergie, etc.). Ces pro­jets auraient accès au finan­ce­ment de la Banque euro­péenne d’investissement. Ce ne sont donc pas néces­sai­re­ment les entre­prises les plus solides qui seraient finan­cées en pre­mier, mais bien celles por­tant un pro­jet de « déve­lop­pe­ment sou­te­nable ». La libre entre­prise n’en serait pas étouf­fée pour autant, pré­cise-t-il, sou­cieux de répondre à cer­tains de ses détrac­teurs ; sim­ple­ment, les pro­jets répon­dant à cer­tains axes prio­ri­taires seraient plus aisés à financer.

Au niveau mon­dial, l’auteur est pour la concur­rence non faus­sée, ce qui va, selon lui, de pair avec la conver­gence vers le haut des normes sociales, fis­cales et éco­lo­giques. Le pro­tec­tion­nisme euro­péen assu­re­rait en effet un mode de tran­si­tion vers une concur­rence non faus­sée au niveau mon­dial soit, nous dit-il, un pro­tec­tion­nisme qui serait aban­don­né si, par exemple, les Chi­nois avaient les mêmes salaires par uni­té produite.

Enfin, Lipietz pro­pose des solu­tions conju­guant le déve­lop­pe­ment durable avec la logique libé­rale du mar­ché en pro­po­sant des méca­nismes ins­ti­tu­tion­nels nou­veaux per­met­tant que les acteurs et les col­lec­ti­vi­tés « gagnent », sur le court terme, à inves­tir dans des éco­no­mies d’énergie. Il fait ain­si réfé­rence aux méca­nismes de mar­ché déjà en vogue au niveau inter­na­tio­nal, comme la vente de quo­tas de pollution.

Limites et critiques

Alain Lipietz pro­pose donc diverses échelles d’intervention en réponse à la crise, pui­sées dans plu­sieurs recettes, sans tou­te­fois les arti­cu­ler ni, et c’est regret­table, en pro­po­ser une vue d’ensemble. Cer­taines de ses pro­po­si­tions semblent par ailleurs fort idéa­listes : croire qu’une Europe « ver­tueu­se­ment pro­tec­tion­niste » entrai­ne­rait le relè­ve­ment de vie de cha­cun des tra­vailleurs, l’instauration d’un sys­tème de sécu­ri­té sociale et l’autorisation des liber­tés syn­di­cales au Kenya, en Chine ou en Argen­tine, parait être un rai­son­ne­ment un peu trop sim­pliste. À cet égard, Lipietz semble faire fi des réa­li­tés poli­tiques et sociales des autres pays, dont l’histoire et les struc­tures en place dif­fèrent de celles des pays occi­den­taux. Si des évo­lu­tions doivent être opé­rées dans les condi­tions de tra­vail dans plu­sieurs pays du monde, il nous semble illu­soire — et sans doute un rien pré­ten­tieux… — de croire que cela vien­drait d’une Europe pro­tec­tion­niste — qu’on appelle d’ailleurs cela un pro­tec­tion­nisme dur ou « régu­la­toire ». La « concur­rence non faus­sée » est aus­si une visée idéa­liste qui, d’ailleurs, remonte aux ori­gines du capi­ta­lisme : c’est le prin­cipe de base du libé­ra­lisme et c’est bien à cela que veille la Com­mis­sion euro­péenne — de ten­dance actuel­le­ment libé­rale faut-il le rap­pe­ler — en inter­di­sant par exemple les aides d’État.

À cet égard, on doit éga­le­ment cri­ti­quer sa foi presque inébran­lable en la capa­ci­té de l’Europe d’apporter des solu­tions à la « gou­ver­nance mon­diale ». Théo­ri­que­ment, trois fois oui : l’Europe a les capa­ci­tés de se his­ser en acteur ins­ti­tu­tion­nel et éco­no­mique unique au rang mondial.

Mais si, aujourd’hui, les mesures à prendre pour pal­lier la crise ne peuvent plus être uni­que­ment d’ordre éta­tiste, il convient d’acter le fait que, poli­ti­que­ment, l’Europe est tout sauf un acteur unique. Lipietz semble en effet oublier que l’Europe, c’est d’abord et avant tout vingt-sept États qui n’ont, dans la plu­part des domaines, de com­mun qu’une réa­li­té ins­ti­tu­tion­nelle et juri­dique euro­péenne. Ain­si, Lipietz semble tom­ber dans le mythe pro­mé­théen : ah si seule­ment on avait la volon­té poli­tique en Europe ! On ne peut repro­cher l’éthique de convic­tion qui habite l’auteur — sinon à quoi bon ! —, mais sub­stan­tiel­le­ment, son ana­lyse nous paraît trop can­ton­née à l’actualité immé­diate sans remise en contexte, les recettes qu’il pro­pose manquent d’une vision d’ensemble et, cultu­rel­le­ment, sa vision presque pro­phé­tique nie les réa­li­tés sociales et cultu­relles des socié­tés euro­péennes, pour ne men­tion­ner qu’elles. Si l’auteur cherche certes à don­ner de la sub­stance à la phrase d’Eluard « Un autre monde est pos­sible…, mais il est dans celui-ci », il ne nous semble pas qu’il en des­sine pour autant un « réfor­misme radi­cal », comme annon­cé en couverture.

  1. Alain Lipietz, Face à la crise : l’urgence éco­lo­giste, conver­sa­tion avec Ber­trand Richard, édi­tion Tex­tuel, 2009.

Gaëlle Hubert


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