Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Exil et santé mentale
À la suite de la pandémie de Covid-19, et des périodes de confinement qu’elle a générées, la problématique de la santé mentale a gagné une certaine visibilité médiatique. Cet intérêt s’est notamment traduit au sein de La Revue nouvelle par un dossier thématique publié en 2021 consacré à la santé mentale ainsi qu’un autre consacré à la santé mentale des personnes LGBTQIA+ qui sera publié dans le prochain numéro. Jusqu’alors relativement peu traitée dans les débats médiatiques, cette question a très rapidement fait l’objet d’une attention particulière à côté des préoccupations de santé somatique et d’ordre socioéconomique. Au-delà de cette attention médiatique, il convient cependant de relever l’importance toujours limitée accordée jusqu’à présent à cette dimension dans les dispositifs de sécurité sociale, notamment à travers un remboursement, certes en progression, mais encore très limité des soins psychosociaux. Or, les besoins sont criants : « 12 % de la population est très peu satisfaite de sa vie, 33 % éprouve des difficultés psychologiques qui témoignent d’un certain malêtre, et seulement 14 % jouit d’un niveau optimal d’énergie vitale ». Bien qu’il ne s’agisse pas de « psychologiser » à outrance des difficultés dont l’origine se trouve aussi dans la violence des rapports sociaux et économiques, pouvoir collectivement bénéficier de soins de santé mentale contribue assurément au bienêtre général. La crise du Covid a ainsi davantage visibilisé la faiblesse structurelle de la prise en charge collective des difficultés psychosociales, ce qui implique que les individus doivent encore, le plus souvent, compter sur leurs propres capacités (notamment financières) pour se procurer les soins ad hoc. En matière de santé mentale, les inégalités sociales sont encore plus criantes.
À la suite de la pandémie de Covid-19, et des périodes de confinement qu’elle a générées, la problématique de la santé mentale a gagné une certaine visibilité médiatique. Cet intérêt s’est notamment traduit au sein de La Revue nouvelle par un dossier thématique publié en 2021 consacré à la santé mentale1 ainsi qu’un autre consacré à la santé mentale des personnes LGBTQIA+ qui sera publié dans le prochain numéro. Jusqu’alors relativement peu traitée dans les débats médiatiques, cette question a très rapidement fait l’objet d’une attention particulière à côté des préoccupations de santé somatique et d’ordre socioéconomique. Au-delà de cette attention médiatique, il convient cependant de relever l’importance toujours limitée accordée jusqu’à présent à cette dimension dans les dispositifs de sécurité sociale, notamment à travers un remboursement, certes en progression, mais encore très limité des soins psychosociaux. Or, les besoins sont criants : « 12 % de la population est très peu satisfaite de sa vie, 33 % éprouve des difficultés psychologiques qui témoignent d’un certain malêtre, et seulement 14 % jouit d’un niveau optimal d’énergie vitale »2. Bien qu’il ne s’agisse pas de « psychologiser » à outrance des difficultés dont l’origine se trouve aussi dans la violence des rapports sociaux et économiques, pouvoir collectivement bénéficier de soins de santé mentale contribue assurément au bienêtre général. La crise du Covid a ainsi davantage visibilisé la faiblesse structurelle de la prise en charge collective des difficultés psychosociales, ce qui implique que les individus doivent encore, le plus souvent, compter sur leurs propres capacités (notamment financières) pour se procurer les soins ad hoc. En matière de santé mentale, les inégalités sociales sont encore plus criantes3.
Cependant, si cet enjeu a davantage été mis en lumière, toutes les franges de la population n’ont pas fait l’objet de la même attention. Par exemple, certaines composantes de la jeunesse considérées comme particulièrement impactées par la crise ont bénéficié d’une couverture médiatique importante. Certes, la forte réduction des contacts sociaux et l’impossibilité de voyager n’ont pas été sans conséquence sur le moral de nombreuses personnes. Mais les groupes et les individus les plus démunis d’un point de vue matériel et social, ceux par exemple dont le logement – si tant est qu’ils en aient un – était trop exigu, ne disposaient même pas des ressources matérielles minimales pour résister un tant soit peu aux effets les plus néfastes des confinements. Toutes les catégories de la population n’en ont donc pas affronté les affres à armes égales. Une catégorie tout particulièrement vulnérable est celle des exilé·es, du fait d’une multitude de facteurs : moindre connaissance du contexte local à la suite d’une arrivée récente en Belgique, faiblesse en ressources économiques, réseau social limité et, dans bien des cas, absence même de titre de séjour. L’accumulation de ces difficultés ne date pas de la crise du Covid. Un certain nombre d’organisations avaient déjà commencé à sensibiliser la population, les médias et les pouvoirs publics à l’importance de la santé mentale des personnes exilées, comme par exemple l’Organisation mondiale de la santé4. Les difficultés qu’elles rencontrent s’enracinent dans les déficiences profondes des structures publiques, qui organisent peu ou mal l’accueil et l’insertion des exilé·es pour en faire des citoyen·nes à part entière et égaux et égales en droits et en dignité. La gravité et la récurrence des « crises »5 successives de l’accueil des demandeur·euses d’asile – dont celle qui sévit actuellement – en est une bien triste illustration. Malgré tout, cet accueil – y compris en matière de santé mentale – s’organise bon an mal an, notamment grâce à la bonne volonté et aux initiatives d’acteurs associatifs et de citoyen·nes engagé·es6. Paradoxalement, iels bénéficient d’ailleurs d’un soutien certain d’une partie des pouvoirs publics (généralement régionaux ou locaux).
Si les grandes difficultés que les exilé·es peuvent vivre laissent à penser que certaines préoccupations les concernant sont plus urgentes (logement, santé somatique, malnutrition, situation administrative, etc.), délaisser ou remettre à plus tard la prise en charge des difficultés psychosociales ne peut qu’avoir des répercussions négatives à plus long terme. D’autant plus que leur parcours de migration, avant et après leur arrivée en Belgique, est souvent émaillé de violences et traumatismes divers (par exemple les Subsaharien·nes subissant des violences et tortures en Lybie, les survivant·es des naufrages en mer Méditerranée, les violences policières une fois arrivé·es en Europe, la précarité matérielle, etc.).
Un dossier coconstruit en partenariat autour d’un webdocumentaire
Ce dossier thématique entend ainsi décrire la manière dont la santé mentale des exilé·es – quels que soient les motifs de leur exil – est considérée et prise en charge en Belgique. Il a été coconstruit en partenariat avec l’asbl « Regards Croisés » qui porte un webdocumentaire intitulé « Le Journal d’Ulysse » qui traite de cette question, et dont la réalisation est assurée notamment par Jacques Borzykowski7. Ce film met en avant comment un espace collectif de soins au sein du service de santé mentale « Ulysse » peut contribuer à la réappropriation et la reconstruction de soi chez des personnes qui ont dû subir l’épreuve de l’exil. À cet égard, ce dossier thématique se clôture par une interview du réalisateur qui y décrit sa démarche spécifique de travail. Dans son travail, Jacques Borzykowski entend capter et transmettre avec pudeur et sensibilité le vécu intime de personnes ayant souffert de l’exil et les réalités sociales qu’il traduit. Sa démarche est animée par une visée pédagogique qui entend tout à la fois sensibiliser les professionnel·les de la santé mentale à cette problématique, et à travers elleux, toucher un public plus large en suscitant l’empathie. Mais avant d’arriver à la conclusion de ce dossier, Benoît Majerus nous propose d’abord une mise en perspective historique qui décrit la manière dont la problématique de la santé mentale des exilé·es à émerger en Belgique dans les années 1960, tout particulièrement dans le champ de la psychiatrie. On y découvre alors que, il y a plus de cinquante ans déjà, des réseaux d’individus se sont intéressés à cette question, dans le sillage notamment des mouvements critiques à l’égard de l’institution psychiatrique. Dans le texte suivant, Ouafa Boughir analyse les conséquences désastreuses du très mauvais accueil et de la difficulté d’accès aux soins que réserve la Belgique à ses exilé·es, qu’iels soient en situation irrégulière ou demandeur·ses d’asile. Elle illustre en particulier son propos par le cas des réfugié·es ukrainien·nes qui, bien que faisant l’objet d’un discours en apparence bienveillant de la part des responsables politiques, n’en sont pas moins victimes des déficiences structurelles du système d’accueil belge. Ensuite, une interview en deux parties de Cihan Gunes et Alain Vanoeteren, qui œuvrent tous·tes les deux au sein du service de santé mentale Ulysse, décrit les nombreuses difficultés que rencontrent les exilé·es dans les différentes étapes de leur parcours de migration. Loin de mettre un point final à ce qui s’apparente souvent à un véritable parcours du combattant et de la combattante, leur arrivée en Belgique – y compris la procédure de demande d’asile pour celleux qui s’y lancent – est semée d’embuches qui engendrent des effets délétères sur leur santé psychique. Au point parfois de raviver et amplifier les traumatismes dont iels ont cru définitivement s’échapper. Les analyses qu’iels partagent montrent ainsi les difficultés dans l’accompagnement de leurs usagers et usagères, sans réduire les obstacles rencontrés à leurs caractéristiques individuelles, mais en replaçant les troubles mentaux et la pratique de soins dans le contexte social et politique où ils prennent place.
Enfin, la rubrique Italique propose une série de textes poétiques rédigés par Pierre-Jean Foulon, dont l’inspiration lui provient du visionnage du webdocumentaire de Jacques Borzykowski et des impressions que cela lui a suscitées.
À l’heure où la Belgique se voit condamner à des milliers de reprises pour non-respect de ses obligations en matière de prise en charge des demandeur·euses d’asile8, où des milliers d’exilé·es sont livré·es à elleux-mêmes dans la rue ou dans des lieux d’occupation insalubres ou inadéquats, se préoccuper de la santé mentale des exilé·es n’est pas un luxe superflu. Il est le reflet d’une société qui, même en temps de crise, ne se résigne pas à se retrancher sur elle-même en se regardant le nombril, mais entend faire du respect du bienêtre et de la dignité de toutes et tous une boussole de sa raison d’être.
- | « Santé mentale : à prendre avec soin », coordonné par Mathieu De Backer, publié dans le n°2021/6 : https://cutt.ly/l7gBgRY. Il est à noter que les contributeurs et contributrices de ce dossier travaillent sur la question depuis bien plus longtemps.
- | Gisle L., Drieskens S., Demarest S. & Van der Heyden J., Santé mentale. Enquête de santé 2018. Bruxelles : Sciensano, 2020, Numéro de rapport : D/2020/14.440/3. P. 6. Disponible en ligne : https://cutt.ly/E7rsCfB
- | Sholokhova S., Noirhomme C., Morissens A. & Verniest R., L’impact de la pandémie de COVID-19 sur le recours des enfants et adolescents aux soins de santé mentale. MC-Informations, décembre, 2021 , n°286 : https://cutt.ly/P7rs5ep
- | Dans le sillage de son Plan d’action mondial pour promouvoir la santé des réfugiés et des exilés 2019 – 2023 : https://cutt.ly/r7rxakC
- | Le terme n’est probablement pas le plus approprié tant leur répétition et l’absence de prise en compte des erreurs du passé laissent à penser que ces politiques sont délibérément menées pour dissuader les potentiels candidat·es réfugié·es de venir en Belgique, et renvoyer l’image d’un pays peu accueillant à leur égard. De telles velléités contreviennent pourtant aux engagements internationaux de la Belgique à travers la Convention de Genève.
- | Voir à ce propos le dossier « Mobilisé·es avec ou sans papiers », coordonné par Corinne Torrekens et Azzedine Hajji, publié dans le n°2022/6 de La Revue nouvelle : https://cutt.ly/a7gBc95
- | Plus d’informations sur le site de l’asbl : https://regards-croises.be/
- | Gribomont H., « Crise de l’accueil », non-respect des décisions de Justice par Fedasil et mesures provisoires : de Bruxelles à Strasbourg, 2023, Disponible en ligne : https://cutt.ly/q7iMnPG