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Droits des détenus, réalité ou vœu pieux ?
Depuis quelques années, des interventions de plus en plus nombreuses en Belgique, mais aussi aux États-Unis, au Canada, aux Pays Bas, en Pologne, en Allemagne, en Italie, en France, en Suisse et ailleurs, demandent la reconnaissance dans les textes et le respect dans la pratique quotidienne de droits aux personnes légalement privées de l’état de […]
Depuis quelques années, des interventions de plus en plus nombreuses en Belgique, mais aussi aux États-Unis, au Canada, aux Pays Bas, en Pologne, en Allemagne, en Italie, en France, en Suisse et ailleurs, demandent la reconnaissance dans les textes et le respect dans la pratique quotidienne de droits aux personnes légalement privées de l’état de liberté.
Ce mouvement en faveur des droits des détenus n’est pas neuf. En 1777 John Howard1, qui attirait l’attention sur les conditions déplorables dans lesquelles vivaient les détenus, proposait entre autres que les mesures disciplinaires prises à leur encontre soient fixées par une loi ou déterminées par des magistrats, que les détenus soient informés des règles auxquelles ils sont soumis et des sanctions qu’ils encourent et qu’ils aient le droit d’être présents devant l’autorité qui décide de leur sort.
Ce mouvement a connu un développement important dès le début du XXe siècle grâce à l’action qu’ont menée certains pénologues et humanistes à l’intérieur de la Commission internationale pénale et pénitentiaire.
Dès 1926, cet organisme intergouvernemental de collaboration en matière de prévention du crime et de traitement des délinquants décidait d’élaborer « un minimum de droits pour tous ceux qui sont privés de liberté par une décision de l’autorité judiciaire ». Il déposait un texte en 1929 qui fut adopté par l’Assemblée générale de la Société des Nations en 1934.
Un nouveau texte, déposé en 1951, fut approuvé par les Nations unies en 1955. Cet « ensemble des règles minimales pour le traitement des détenus » constitue sur le plan international la première tentative véritable pour fixer les limites du châtiment que l’on peut imposer à un délinquant condamné à une peine d’emprisonnement. Elles visent à protéger non seulement les droits du détenu, mais également sa dignité et le respect de lui-même et à lui permettre de retrouver en temps voulu sa place et sa réputation dans la société. Elles visent également à promouvoir des méthodes plus modernes de traitement en tenant compte de l’évolution des institutions.
Réexaminées dans le cadre du Conseil de l’Europe2, ces règles ont abouti, en 1973, à une version européenne qui ne se distingue guère de celle des Nations unies.
À la différence des règles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ces textes ont la forme de recommandations et n’ont donc aucune valeur impérative pour les États membres de l’ONU ou du Conseil de l’Europe.
Comme telles, elles n’assurent donc pas le respect des droits fondamentaux ; leur approbation par des instances internationales aussi importantes que le Conseil économique et social de l’ONU et le Comité des ministres du Conseil de l’Europe leur confère cependant une autorité morale certaine. La Belgique, par exemple, a introduit récemment3 dans son règlement pénitentiaire quelques modifications de nature à le mettre en concordance, sur certains points du moins, avec l’ensemble des règles minimales.
On constate également qu’une tendance se dégage au niveau des instances internationales « pour donner aux règles minimales le statut juridique d’une convention », dont les dispositions, en s’incorporant à la législation interne des différents pays membres, pourraient être invoquées en cas de violation devant les tribunaux tant nationaux qu’internationaux.
La doctrine classique : pas de droits pour les prisonniers
Ce principe va à l’encontre de la doctrine classique du statut juridique du détenu selon laquelle celui-ci perdrait avec sa liberté individuelle ses droits fondamentaux. Certains auteurs expliquent cette limitation en invoquant l’incapacité de fait dans laquelle se trouverait le détenu d’exercer ses libertés individuelles ; d’autres tirent argument du rapport de « sujétion particulière » auquel le détenu serait soumis au même titre que les fonctionnaires ou les militaires qui voient leur liberté — d’expression, par exemple — limitée du fait du rapport particulier qui les lie à l’État.
À l’argument de la « sujétion particulière », les partisans de la reconnaissance de droits aux détenus opposent l’évolution du droit administratif qui reconnait que « la personne soumise au rapport de sujétion particulière reste un sujet de droit et qu’elle peut en conséquence exiger la protection de droits fondamentaux4 ». À l’argument de l’incapacité de fait, les auteurs opposent des solutions pragmatiques à la portée de tout administrateur compétent et l’obligation pour les pouvoirs publics de garantir les libertés fondamentales lors de l’organisation des services publics.
La vraie peine (la seule?): la privation de liberté
Le Conseil national des États-Unis sur le crime et la délinquance publiait en 1972 une « Charte modèle des droits des détenus » et énonçait comme principe de base que « les personnes incarcérées conservent tous leurs droits de citoyens sauf ceux qui leur sont expressément ou nécessairement retirés par la loi », P. Landreville, grand pénologue canadien, a retenu le même principe dans les nombreux travaux qu’il a consacrés aux droits des détenus : « les personnes incarcérées doivent conserver tous leurs droits de citoyens, sauf celui d’être en liberté5 ». Et C.N. Robert répétait il y a peu que « la peine n’est juridiquement que la privation d’un seul droit fondamental : la liberté. Les peines ou mesures accessoires, telles qu’incapacités ou déchéances, qui privent le condamné de l’exercice ou de la jouissance d’autres droits particuliers, démontrent théoriquement que, pour autant que ces mesures ne sont pas prononcées, les droits auxquels elles se rapportent subsistent, tant dans leur exercice que dans leur jouissance. »
Il ressort d’un arrêt récent du tribunal fédéral suisse que le droit à la liberté individuelle s’oppose à toute entrave à la liberté des détenus qui s’avèrerait être, « indigne d’un traitement humain, une pure chicane ou une mesure objectivement indéfendable6 ».
La Commission officielle d’enquête sur l’administration de la justice en matière criminelle et pénale au Québec a pris également, dans le rapport qu’elle publia en 1969, une position claire au sujet des droits des détenus : « les détenus eux-mêmes possèdent des droits. On s’étonne qu’il soit nécessaire de formuler de telles évidences. Pourtant, notre tradition carcérale a maintes fois voulu que les détenus perdent, en même temps que le droit à la liberté, leur droit à l’intimité, leur droit d’expression écrite et verbale, leur droit à une vie sexuelle normale… La société n’est pas mieux protégée lorsqu’un individu perd son droit d’écrire ! La société ne retire rien de plus comme sécurité ou comme dynamisme si un individu perd le droit à un travail rémunérateur7 ».
La reconnaissance des droits des prisonniers ne serait au fond rien d’autre que leur réhabilitation en qualité d’êtres humains. Si le courant en ce sens se généralise en milieu « scientifique » et international, sur le lieu même du combat, les administrations nationales et les zones d’enfermement dont elles assument la gestion n’y semblent guère perméables. Résistance au changement ou politique délibérée ? Allez donc savoir…
En Belgique : droits ou faveurs ?
Il n’est pas possible d’analyser en quelques pages l’ensemble de la situation belge relative aux droits des détenus. Cela supposerait que l’on procède, entre autres, à une enquête systématique sur ce qui se passe quotidiennement dans les prisons. Nous nous limiterons ici à examiner le règlement des établissements pénitentiaires et les voies de recours ouvertes aux détenus, sans préjuger de ce qu’il en est dans la pratique carcérale.
Le statut juridique du détenu est défini par quelques articles de droit pénal, mais surtout par le Règlement général des établissements pénitentiaires (arrêté royal du 21 mai 1965) ainsi que par les Instructions générales pour les établissements pénitentiaires prises par arrêté ministériel du 12 juillet 1971, tous textes administratifs élaborés en dehors d’un contrôle rigoureux du Parlement.
La lecture du règlement général suscite quelques questions : le règlement, et donc l’article examiné, respecte-t-il le principe selon lequel le détenu conserve tous les droits dont il n’a pas expressément ou indirectement été déchu par la loi ou par la condamnation ? Les limites imposées à l’exercice de certains droits sont-elles nécessaires à l’exécution des peines de prison ? Celle-ci en constitue-t-elle une justification ? Les critères qui permettent de limiter ces droits sont-ils clairs et précis ? Enfin, quelle est la nature de ce qui est reconnu au détenu : s’agit-il d’un droit au sens juridique du terme ou d’une simple faveur ?
On peut distinguer dans le règlement et dans les instructions générales des dispositions de portées variables : certains articles limitent explicitement l’exercice des libertés ou de certains droits ; d’autres accordent aux détenus diverses prérogatives, faveurs ou droits ; quelques-uns, enfin, imposent à première vue à l’État la prestation de certains services.
Les libertés interdites
Parmi les articles qui limitent l’exercice de certains droits, nous pouvons citer à tire d’exemple l’article 79 du règlement général qui stipule que les réclamations collectives sont interdites aux détenus. Le texte est précis, les critères qui autorisent l’interdiction sont clairs parce qu’absolus. L’article n’ouvre aucun droit aux détenus.
La seule question qui se pose est de savoir si une telle limitation dans l’exercice d’un droit fondamental est justifiée. Cet article est, en effet, contraire à l’article 23 de la Constitution qui stipule expressément que chacun a le droit d’adresser aux autorités publiques des pétitions signées par une ou plusieurs personnes. On doit donc se demander si la privation d’une liberté aussi fondamentale est nécessaire à l’exécution normale de privation de liberté, si elle est nécessaire à l’ordre public et donc justifiée. On peut estimer qu’il n’en est rien et en tout cas, qu’une telle limitation ne peut être imposée par un arrêté royal et qu’elle requiert le vote d’une loi voire une révision constitutionnelle dont l’élaboration offre plus de garanties.
Des constatations à peu près identiques peuvent être faites au sujet des articles 20 à 24 qui concernent le secret de la correspondance. L’article 20 autorise le directeur ou son délégué à contrôler la correspondance du détenu. L’article 24 ajoute que la correspondance échangée entre le détenu et les autorités ou personnes énumérées au même article (autorités politiques, administratives, judiciaires) ne peut faire l’objet de ce contrôle.
Le principe de base de ces articles est bien que le secret de la correspondance n’est pas automatiquement enlevé au détenu. L’article 20 limite un droit supposé toujours existant, n’en laissant subsister qu’une modalité d’exercice toute réduite. Les critères qui permettent cette limitation ne sont cependant guère précisés. Le contrôle, stipule l’article 21, a un caractère exclusivement pénitentiaire. L’imprécision du terme est telle que, dans la pratique, le directeur ou son délégué peuvent lire absolument toute la correspondance du détenu, au-delà même de ce qui est nécessaire au maintien de l’ordre interne pénitentiaire et qui serait par là justifié. Cette pratique est effective et dans l’état actuel des textes, inattaquable. Elle peut toujours se justifier par le souci de repérer les éventuelles tentatives d’évasion ou de vérifier si le détenu ne tient pas des propos injurieux à l’égard des autorités pénitentiaires.
Des prérogatives de nature indéterminée
Les textes qui accordent aux détenus différentes prérogatives suscitent des questions nombreuses et la détermination de leur portée est particulièrement malaisée.
L’article 19 du règlement, qui a trait à la correspondance que les détenus entretiennent avec de personnes extérieures à la prison, stipule que « les condamnés peuvent, dans les limites fixées par le ministre, correspondre par écrit avec leurs parents et alliés en ligne directe, leur tuteur, leur conjoint, leurs frères, sœurs, oncles et tantes, et recevoir des lettres de ceux-ci ; leur correspondance avec d’autres personnes est soumise à une autorisation du directeur ». Une disposition de ce type suppose que le détenu perd automatiquement le droit de correspondre avec des personnes extérieures à la prison et que ce droit ne peut lui être rendu qu’en application d’un règlement qui en précise les conditions et les limites. Ceci est contraire au principe selon lequel le détenu garde tous ses droits sauf ceux qui lui sont expressément ou indirectement enlevés par une loi ou par la condamnation.
De plus, les critères qui permettent de limiter le droit de correspondre librement ne sont pas énoncés.
Tout se passe comme si l’incarcération entrainait ipso facto la perte de tout droit. Le règlement des prisons accorde certaines faveurs, notamment celle de la correspondance. Ces faveurs sont surveillées, elles sont parfois ôtées en cas d’usage frauduleux. L’article 82 stipule que « les punitions sont, entre autres, les suivantes : privation de travail, de lecture, de cantine, de visites, de correspondances et des autres faveurs — c’est nous qui soulignons — accordées en vertu du présent règlement ou des règlements particuliers ».
On le voit clairement, le travail, la libre information, la correspondance, la visite ne sont pas des droits dans l’esprit du règlement mais des faveurs qui prennent l’apparence de droits, dans la mesure où, de fait, le directeur de l’établissement ne peut pas refuser arbitrairement les faveurs prévues dans le règlement. Sa décision est en effet toujours susceptible d’un recours devant le Conseil d’État, mais cette possibilité reste fictive si le requérant ne peut s’appuyer sur des textes précis qui définissent les critères qui obligent le directeur à accorder certaines faveurs ou qui l’autorisent à les retirer et s’il ne peut prouver le moment précis où la décision directoriale est intervenue ou a été portée à sa connaissance. Que faut-il entendre par « usage frauduleux » ? À partir de quel niveau d’infraction et avec quelle garantie procédurale le directeur peut-il enlever au détenu la faveur de travailler, de lire, de correspondre ou de recevoir la visite de ses proches ?
Le directeur, seul maitre à bord
Plusieurs articles du règlement qui accordent apparemment certaines faveurs ou octroient des droits aux détenus ne font en fait qu’autoriser le directeur de l’établissement à prendre certaines décisions.
Ainsi peut-on lire à l’article 89 que « le directeur peut autoriser les détenus placés en cellule de punition à assister aux offices religieux les dimanches et jours fériés ». On lit aussi à l’article 91 des instructions générales que « les détenus professant un culte non reconnu par l’État peuvent être autorisés par le directeur à pratiquer leur culte, notamment en matière de nourriture ou de jeûne ».
Ces articles ne créent aucune obligation dans le chef du directeur. Ils ne précisent en aucune manière les conditions dans lesquelles il serait tenu de répondre à la demande du détenu. Son pouvoir discrétionnaire est total. Les détenus ne peuvent donc, sur la base de ces articles, faire état d’un droit quelconque. On peut même se demander quelle utilité il y a à insérer de tels articles dans le règlement, sinon pour faire illusion.
Ainsi l’article 96 des instructions générales : « Le directeur peut autoriser les détenus à faire usage de livres non compris dans la bibliothèque de l’établissement ou dans la bibliothèque centrale de littérature étrangère :
1) lorsque les bibliothèques ne comprennent pas un nombre suffisant d’ouvrages publiés dans la seule langue que connaissent ces détenus ;
2) lorsque des détenus possédant une instruction suffisante désirent utiliser des publications scientifiques, juridiques ou culturelles. »
Une fois encore, nous devons relever que cet article a été rédigé en admettant à priori que le détenu a perdu, du fait de son incarcération, les droits fondamentaux à l’instruction tels qu’ils sont reconnus dans l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il ne donne aucun droit au détenu que celui-ci pourrait faire valoir devant une instance quelconque. Il autorise le directeur à accorder une faveur sans lui en faire aucune obligation dans des conditions précises.
Quelques rares garanties…
La critique que nous pouvons faire de la plupart des articles du règlement est mise en relief par contraste lorsqu’on les compare aux quelques rares dispositions qui offrent quelques garanties sérieuses quant au respect des droits qu’elles consacrent. II en va ainsi par exemple des articles qui traitent de la liberté de culte.
Le règlement impose en cette matière une procédure précise. L’article 16 stipule que : « A son arrivée dans l’établissement, le détenu reçoit du greffe un formulaire (relatif au culte qu’il souhaite exercer): il le remplit librement et il le signe avant de le remettre le lendemain au directeur ou à son délégué, au cours de l’entretien que celui-ci lui accorde ».
Le principe à la base de cet article est bien que le détenu malgré son incarcération garde le droit à l’exercice libre de son culte. Il offre certaines garanties de procédure et il est certain qu’un recours devant le Conseil d’État aurait toutes les chances d’aboutir au cas où la procédure n’aurait pas été suivie. Cas exemplaire qui mérite d’être épinglé.
La prestation à charge de l’État : vœux pieux
Si on examine les articles qui imposent à l’État la prestation de certains services, on constate également que beaucoup d’entre eux ne créent en fait aucun droit pour les détenus.
L’article 56, par exemple, stipule que « le directeur doit promouvoir la formation générale et professionnelle des détenus. À cet effet il peut charger un membre du personnel de direction d’organiser sous son contrôle les diverses activités permettant d’atteindre ce but ». L’article 59 ajoute que « les détenus dont l’instruction est insuffisante font l’objet d’une attention particulière ».
On peut encore citer à titre d’exemple l’article 63, § 1, qui précise que « le travail pénitentiaire est organisé en vue de contribuer activement à la rééducation et au reclassement social. Une attention particulière est accordée à la formation professionnelle ».
Ces articles ne font que proclamer des intentions qui ne lient nullement les pouvoirs publics et qui ne s’actualisent en fait que très partiellement dans la réalité pénitentiaire.
Des recours souvent illusoires
On ne pourra parler véritablement de reconnaissance de droits aux détenus que lorsque des possibilités de recours effectifs existeront contre les décisions de l’administration pénitentiaire prises en violation des rares droits existants.
Des possibilités toutes théoriques existent aux trois niveaux suivants : le droit de plainte au sein même de l’administration, les recours devant les tribunaux, les recours devant la Commission européenne des droits de l’homme.
Le règlement général des prisons ne prévoit pas explicitement le droit de plainte qui peut cependant se déduire de l’article 24 aux termes duquel les détenus peuvent échanger en tout temps de la correspondance avec un certain nombre d’autorités pénitentiaires, judiciaires et politiques, sans que celle-ci ne soit soumise au contrôle pénitentiaire.
Mais ce « droit » est d’une efficacité réduite, le règlement ne précisant pas quelle suite doit être réservée aux plaintes qui seront pour la plupart traitées par l’administration pénitentiaire, à la fois juge et partie. Il faut rappeler que l’article 79 interdit les réclamations collectives et que l’article 80 stipule que « les détenus qui font des réclamations non fondées s’exposent à être punis» ; ces textes incitent évidemment les prisonniers à limiter l’exercice de leur droit de plainte d’autant que les exigences de la procédure applicable en matière de libération conditionnelle sont telles que les détenus estiment, à tort ou à raison, que les plaintes diminuent leurs chances de se voir octroyer une libération anticipée.
Les détenus peuvent, comme tout citoyen, porter plainte auprès du Parquet lorsqu’ils s’estiment victimes d’une infraction pénale (exemple : coups, vols, etc.); ceci reste vrai même si l’auteur de l’infraction éventuelle est un agent de l’administration pénitentiaire. Il faut cependant souligner qu’il est beaucoup plus difficile pour un détenu que pour un autre citoyen de faire établir les faits au sujet desquels il dépose plainte : les témoins par exemple préfèrent s’abstenir…
Les détenus peuvent également s’adresser au Conseil d’État pour demander l’annulation de décisions administratives qui auraient été prises à leur égard, mais ils utilisent rarement cette voie de recours dont on a dit plus haut le caractère aléatoire. Le Conseil d’État déclare généralement que les recours introduits sont irrecevables parce qu’ils ne concernent pas des actes administratifs créatifs ou privatifs de droits mais de simples décisions d’ordre intérieur.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme permet au détenu comme à tout citoyen des pays signataires d’une clause particulière, dont la Belgique, d’introduire un recours devant la Commission européenne des droits de l’homme. Les États membres de la Convention s’engagent à se soumettre aux décisions de cette Commission ou, ultérieurement, de la Cour qui n’interviennent qu’après épuisement des recours internes.
Les détenus utilisent régulièrement cette voie : sur les cinq-mille requêtes individuelles présentées à la Commission avant 1971, près de 40 % provenaient de personnes emprisonnées ou détenues8.
La jurisprudence de la Commission démontre cependant que cette voie de recours est peu efficace. Elle a jusqu’ici rejeté presque toutes les requêtes introduites par des détenus, en invoquant l’article 8, § 2, de la Convention qui prévoit que l’ingérence de l’autorité publique dans la vie privée est permise pour autant que « dans une société démocratique, ceci soit nécessaire à la sécurité nationale, à la sureté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
C’est ainsi par exemple que la Commission, statuant sur des plaintes de détenus qui ne recevaient pas l’autorisation de se marier, a estimé que le droit au mariage n’était pas absolu et que l’autorisation pouvait être subordonnée à des circonstances particulières propres à chaque cas. Elle a considéré que des refus en raison de la durée de la peine, du trouble que pareille autorisation pourrait apporter au bon ordre de la prison ou d’un doute sur le sérieux de la demande n’étaient pas contraires à la Convention.
Qu’il s’agisse du droit de plainte, des recours devant le Conseil d’État, devant les tribunaux ou devant la Commission européenne des droits de l’homme, les voies actuellement existantes paraissent bien insuffisantes. On se trouve confronté à une absence de garanties autant qu’à une absence de droits.
Ce vide juridique qui entoure la situation du détenu et qui permet de dire que celui-ci est un sujet de non-droit est en totale contradiction, non seulement avec les idées modernes en la matière, mais bien plus simplement avec les exigences élémentaires du respect des droits de l’homme.
Une refonte globale des dispositions règlementaires actuelles et l’instauration de voies efficaces de recours sont des revendications essentielles, dont l’administration semble vouloir différer la satisfaction au profit de concessions partielles quelquefois importantes, telle la restriction de la censure sur la correspondance, souvent secondaires comme les normes nouvelles sur le port de la moustache, la longueur des cheveux et la périodicité du changement de chaussettes9…
Paru dans le dossier « En prison » du n° 3, mars 1979.
- J. Howard, The State of the prisons, London, Dent & Sons Ltd., Evenyman’s library.
- Dupreel, « La version européenne de l’ensemble de règles minimales pour le traitement de détenus. Présentation et commentaire », dans Bulletin de l’administration pénitentiaire, Bruxelles, 1975, p. 5.
- Arrêté ministériel du 7 avril 1975, Moniteur du 3 mai.
- CN Robert, La participation du juge à l’application des sanctions pénales, Genève, Librairie de l’Université, 1974, p. 41.
- P. Landreville, A. Gagnon et S. Desrosiers, Les prisons de par ici, Montréal, Ed. Parti-Pris, 1976, p. 151.
- Arrêt du 30 juin 1976, cité dans Revue internationale de criminologie et police technique, 1976, 3, p. 332.
- Y. Prévost (prés.), La société face au crime : commission d’enquête sur l’administration de la justice en matière criminelle et pénale au Québec, Québec, 1969, Éditeur officiel du Québec, cité dans H. Dumont et P. Landreville, « Discipline et droits des détenus dans les institutions pénales au Québec », Revue canadienne de criminologie, Montréal, 1973, 15, 3.
- Chiffres cités in C.N. Robert, op. cit., p. 56.
- Circulaire 1223/VII du 5 mars 1975, Bulletin de l’administration pénitentiaire, 1975, p. 157 et ss.