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Dix ans après. Les prémices d’une nouvelle crise ?

Numéro 6 - 2017 - par Xavier Dupret -

Il y a dix ans, à l’été 2007, éclatait aux États-Unis une crise majeure, comme il y en a deux par siècle. L’auteur de ces lignes a participé, il y a peu, à un débat radiophonique consacré à ce bien triste anniversaire. C’était beau. C’était émouvant.

Tout le monde était d’accord, même Étienne de Callataÿ qui vaticinait, non, d’ailleurs, sans componction, que « oui, il va y avoir une nouvelle crise ». On aurait pu ajouter monseigneur Léonard et Raoul Hedebouw autour de la table que cela n’aurait rien changé. U-na-ni-mi-té.

Mi-figue mi-raisin

Bien sûr, dès lors qu’il s’agit d’apporter des solutions, plus personne n’est d’accord. Cela dit, cette belle communauté de vues était, naguère, impensable alors que pourtant, des productions hétérodoxes, pas toutes académiques d’ailleurs, tiraient la sonnette d’alarme depuis des années [1].

Saluons donc ce grand progrès et travaillons, dès lors, à identifier les facteurs de fragilisation de l’économie américaine. Pour chacune des hypothèses, on tentera d’anticiper l’ampleur du choc en retour.

Les États-Unis, pour lesquels « on » [2] pronostiquait, il y a peu, un retour triomphal de l’inflation sur fond de plein-emploi, sont, aujourd’hui, en difficulté. La chose était confirmée, il y a peu, par le FMI qui baissait la prévision de croissance des États-Unis à 2,1% pour 2017 et 2018 [3]. Pour l’heure, l’évolution de l’inflation aux États-Unis confirme ce scénario de décélération. La core inflation (c’est-à-dire l’inflation défalquée de l’évolution de certains produits fluctuants comme les matières premières alimentaires et énergétiques) y était en juillet de 1,6%. Pour retrouver un niveau aussi bas, il faut remonter à mai 2015 [4].

Inutile de préciser qu’une embardée d’origine financière mettrait davantage de pression sur la croissance états-unienne. Or, cette dernière est tirée par la consommation des ménages et le crédit. Au deuxième trimestre 2017, le montant nominal des dettes des ménages états-uniens était supérieur à celui de 2008 (12840 milliards de dollars aujourd’hui contre 12690 il y a dix ans [5]). Si la tendance au resserrement monétaire se poursuit, nul ne peut exclure une nouvelle vague de crédits impayés. Le passé est là pour nous en convaincre. Début 2005, les taux directeurs de la FED étaient de 1%. En un an, ces taux ont été propulsés au-delà des 5%. La crise des crédits immobiliers subprimes pouvait débuter. Pour l’heure, on se bornera à constater que le mouvement de remontée des taux est bien moins énergique. À l’été 2017, après une dernière augmentation, les taux directeurs de la FED se situaient dans une bande de 1 à 1,25%. Le vrai danger n’est pas là.

Imprévu

L’augmentation des taux courts états-uniens n’a, jusqu’à présent, pas conduit à un durcissement des conditions de refinancement sur les marchés. Ce paradoxe s’explique par le maintien en l’état de la politique de quantitative easing.

Cette dernière consiste en des rachats massifs de titres de dettes par la FED et vise à assurer la liquidité des marchés. Le poids des banques centrales est devenu particulièrement important au sein de l’économie mondiale. La liquidité mondiale représentait, en 2016, près de 30% du PIB mondial contre 6% à la fin des années 1990.

À vrai dire, rien ne peut se produire tant que la FED ne coupe pas le robinet des liquidités. Les acteurs peuvent refinancer leurs passifs sans trop de difficultés. Si la FED, malgré la baisse du niveau de l’inflation, devait revoir son apport en liquidités de façon trop importante, on s’acheminerait alors vers une situation problématique où les difficultés de refinancement s’ajouteraient au volume des prêts impayés. Jusqu’à présent, le message de la FED s’est voulu rassurant.

La rupture avec le quantitative easing s’effectuera graduellement afin de ne pas perturber les marchés. La presse spécialisée s’est, toutefois, montrée moins optimiste que la FED [6]. Les opérations de quantiative easing portent sur des obligations à maturité longue (parmi lesquelles les titres de la dette publique américaine). Le reflux de la liquidité risque fort bien de conduire à une augmentation des taux sur la dette publique. Cela n’aurait rien d’anodin. En effet, le taux d’intérêt d’une obligation est la fonction inverse de son prix. Par conséquent, la valeur de marché des actifs détenus sous forme d’obligations risque de piquer du nez. L’endettement net de l’économie américaine en sortirait alors alourdi.

Il en résulterait une diminution du crédit interbancaire qui s’est légèrement relevé depuis le plus-bas historique de la semaine du 30 septembre 2015. À cette époque, les banques américaines s’étaient prêtées 54,414 milliards de dollars. Pour retrouver un score aussi bas, il faut remonter à 1979. De décembre 2016 à juin 2017, le niveau de l’activité interbancaire aux États-Unis s’est relevé de façon constante, passant de 59,542 à 86,685 milliards de dollars par semaine. Cette embellie a, jusqu’à présent, servi de justification à la politique de resserrement monétaire. Las, l’été a vu le crédit interbancaire diminuer à nouveau aux États-Unis qui, à la fin juillet 2017, oscillait autour de 83 milliards de dollars par semaine [7].

Finalement, un processus autoentretenu de pression à la baisse sur la croissance se mettrait en œuvre si le crédit interbancaire chutait. À vrai dire, la politique de resserrement monétaire de la FED n’intervient pas à un bon moment puisque la croissance américaine bat de l’aile. Cette détérioration pourrait, sauf revirement de la part de la FED, constituer l’étincelle susceptible de mettre le feu aux poudres.

Deux bulles

Deux dossiers doivent retenir notre attention. Il s’agit des prêts étudiants et des prêts voitures qui représentaient 3500 milliards de dollars, soit 26% de la masse des crédits aux États-Unis.

On aura beau jeu de dire que les prêts aux étudiants sont nationalisés de facto. Tout de même, 11,2% des prêts étudiants (392 milliards de dollars) présentaient un retard de paiement au deuxième trimestre 2017. Si les taux d’intérêt devaient augmenter dans les mois qui viennent sur fond de déclin de la croissance, la masse supplémentaire des crédits étudiants impayés finirait par rajouter de la pression sur la dette publique américaine. Cela dit, les prêts étudiants sont peu titrisés et donc le risque de contagion n’est pas spécialement étendu. Une crise dans le secteur est donc susceptible d’entretenir un climat de morosité, mais pas de le provoquer.

Les prêts voitures subprimes représentaient 179 milliards de dollars en avril 2017, soit 16% du volume des prêts pour ce segment [8]. Le nombre d’emprunteurs présentant un retard supérieur à deux mois pour le paiement de leurs traites était au plus haut depuis sept ans. Pour l’heure, les saisies de véhicules se multiplient outre-Atlantique. L’augmentation du nombre de véhicules mis en vente a augmenté au point de voir les prix des voitures d’occasion fondre de 8% de février 2016 à février 2017 [9]. En cas d’élévation des taux d’intérêt, cette situation s’aggravera puisque le refinancement des prêts deviendra plus difficile. Le nombre de véhicules mis en vente augmentera et le prix des voitures d’occasion baissera. Certes, les quelque 180 milliards de dollars du crédit auto subprime, comparés aux 600 milliards de dollars du segment subprime de l’immobilier américain en 2006 paraissent bien peu dangereux.

Il faut se méfier des apparences. Sur les 107 millions d’Américains qui bénéficient d’un crédit voiture, il y a 6 millions de véhicules pour lesquels un crédit présente un retard de paiement égal ou supérieur à trois mois.

Les ventes de véhicules automobiles aux États-Unis ont été de 7,105 millions d’unités en 2016. Si le robinet du crédit continuait à être resserré, on pourrait alors assister à une augmentation des saisies et des reventes d’automobiles pour un volume supérieur à la production annuelle de véhicules neufs. De quoi déstabiliser un secteur qui pèse plus lourd en Amérique que celui de la construction.

En soi, la fabrication de voitures proprement dite représente aux États-Unis 3 à 3,5% du PIB, comme l’immobilier résidentiel. Mais si on inclut toute la chaine de valeur du secteur automobile qui comprend également la recherche et le développement, l’entretien et la vente d’automobiles, on arrive à un total équivalant à 11,5% du PIB. On se rassurera à peu de frais en se disant que la titrisation des prêts autos est sans commune mesure avec sa variante immobilière de 2007. C’est oublier un peu vite que la finance américaine est beaucoup plus fragile aujourd’hui qu’il y a dix ans. Le graphique qui suit est, de ce point de vue, particulièrement éloquent.

Activité de prêt interbancaire hebdomadaire aux États-Unis (1982-2017)

Source : BIS Working Papers No 651 Segmented money markets and covered interest parity arbitrage, juillet 2017, p. 72.

Depuis la fin de l’année 2015, le niveau des prêts interbancaires est environ dix fois inférieur à celui de 2008. Il n’est, dès lors, guère besoin d’un choc cataclysmique comme celui de 2008 pour que l’économie américaine connaisse de sérieuses difficultés. À l’époque, 1.300 milliards de crédits subprimes avec un taux d’impayés de 3,09% [10] ont englouti une activité de prêt interbancaire qui représentait 26.000 milliards de dollars par an. Les prêts hypothécaires subprimes en crise représentaient donc 5% du volume annuel de crédit interbancaire. Aujourd’hui, le crédit interbancaire mobilise 4.300 milliards de dollars annuellement et le volume des crédits auto subprimes est de 180 milliards de dollars, c’est-à-dire 4% du volume de crédit interbancaire annuel. Le taux de défaut pour les prêts autos subprimes (nonante jours de retard au moins dans le paiement des traites) était de 3,92% à la fin du deuxième trimestre 2017 [11]. Au vu de tous ces chiffres, on peut penser que les prêts auto sont susceptibles de causer bien du souci à l’économie américaine.

Pour terminer, on précisera qu’en cas d’éclatement de la bulle du subprime automobile, il faut moins redouter une déflagration (les montants absolus titrisés sont, malgré tout, faibles) qu’une longue entrée en léthargie de l’économie américaine à la suite d’un étouffement du crédit interbancaire. Cette perspective explique sans doute la prudence des banquiers centraux dans leurs annonces de politique monétaire à l’issue de la réunion annuelle de Jackson Hole (États-Unis) qui s’est tenue fin aout de cette année…


[1Dans le genre underground, on citera A. Freeman, « When Things Go Wrong : The Political Economy of Market Breakdown », dans Richard Westra and Alan Zuege (dir), Value and the World Economy Today. Production, Finance and Globalization, Palgrave Macmillan UK, London, 2003, p. 91-118. Dans le registre prophétique, mais chic, on renverra à Fr. Chesnais, « Les contradictions et les antagonismes propres au capitalisme mondialisé et leurs menaces pour l’humanité », dans Actuel Marx, 2006/2 (n° 40), Fin du néolibéralisme, Paris, 2006, p. 71-85.

[2Dans une veine tragicomique, voir et écouter à ce sujet Br. Colmant, La semaine de Marc, BFMTV, 3 mars 2017.

[3IMF, World Economic Outlook Update, juillet 2017.

[4US Bureau of Labour Statistics, aout 2017.

[5Federal Reserve Bank of New York, Quarterly Report on Household Debt and Credit, deuxième trimestre 2017, aout 2017.

[6Financial Times, édition mise en ligne du 8 juin 2017.

[7Federal Reserve Bank of Saint Louis, Interbank Loans, All Commercial Banks database, 25 aout 2017.

[8Federal Reserve Bank of New York, idem, aout 2017.

[9Business Insider, 15 avril 2017.

[10Federal Reserve Bank of Saint Louis, idem, aout 2017.

[11Federal Reserve Bank of New York, Center for Microeconomic Data, juillet 2017.

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Xavier Dupret


Auteur

chercheur auprès de l’association culturelle Joseph Jacquemotte et doctorant en économie à l’université de Nancy (France)