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Détention : droits fondamentaux à la peine

Numéro 2 - 2015 par Commission Jeunesse LDH Marie-Aude Beernaert Diane Bernard Martin Bouhon Vanessa De Greef Damien Scalia

mars 2015

Une réforme péni­ten­tiaire contes­table et contes­tée Marie-Aude Beer­naert En mars 2014, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a intro­duit un recours en annu­la­tion contre plu­sieurs dis­po­si­tions de la loi du 1er juillet 2013 modi­fiant la loi de prin­cipes en matière péni­ten­tiaire. Cette loi, connue éga­le­ment sous le nom de « loi Dupont », défi­nit le sta­tut juridique […]

Dossier

Une réforme pénitentiaire contestable et contestée

Marie-Aude Beer­naert

En mars 2014, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a intro­duit un recours en annu­la­tion contre plu­sieurs dis­po­si­tions de la loi du 1er juillet 2013 modi­fiant la loi de prin­cipes en matière péni­ten­tiaire. Cette loi, connue éga­le­ment sous le nom de « loi Dupont », défi­nit le sta­tut juri­dique des déte­nus et régit les règles de vie en pri­son. Près de dix ans après son adop­tion, elle n’est tou­jours que très par­tiel­le­ment entrée en vigueur.

Sans ren­trer dans tous les détails d’un recours sur lequel la Cour consti­tu­tion­nelle doit encore se pro­non­cer à l’heure où nous écri­vons ces lignes, trois dis­po­si­tions de la réforme, dénon­cées à l’occasion de ce recours, méritent d’être développées.

Le déte­nu qui tra­vaille est exclu de la pro­tec­tion sociale atta­chée à la qua­li­fi­ca­tion de contrat de travail

L’article 2 de la loi du 1er juillet 2013 dis­pose que « le tra­vail mis à dis­po­si­tion en pri­son ne fait pas l’objet d’un contrat de tra­vail au sens de la loi du 3 juillet 1978 rela­tive aux contrats de tra­vail ». La pré­ci­sion est tout sauf ano­dine puisque, en l’absence d’un contrat de tra­vail, les déte­nus peuvent se voir reti­rer leur emploi du jour au len­de­main, sans pré­avis, ni indem­ni­té. Ils ne béné­fi­cient pas non plus des dif­fé­rentes pres­ta­tions sociales pré­vues en faveur des tra­vailleurs sala­riés telles le droit à une indem­ni­té en cas d’accident de tra­vail ou de mala­die pro­fes­sion­nelle ou celui de voir les périodes de tra­vail en pri­son entrer en ligne de compte pour le cal­cul ulté­rieur de la pension.

La LDH estime qu’il y a là une dis­cri­mi­na­tion pro­hi­bée et inac­cep­table par rap­port aux tra­vailleurs sala­riés ordinaires.

Le non-res­pect des dis­po­si­tions du règle­ment d’ordre inté­rieur est éri­gé en infrac­tion disciplinaire

Depuis le 1er sep­tembre 2011, chaque éta­blis­se­ment péni­ten­tiaire dis­pose d’un règle­ment d’ordre inté­rieur (ROI) décri­vant les moda­li­tés de la vie quo­ti­dienne au sein de l’établissement. L’article 7 de loi du 1er juillet 2013 pré­voit que tout man­que­ment à ce règle­ment sera désor­mais consti­tu­tif d’une infrac­tion dis­ci­pli­naire (dite « de pre­mière caté­go­rie »). En d’autres termes, le déte­nu qui ne res­pec­te­ra pas le ROI peut se voir infli­ger jusqu’à quinze jours d’isolement ou trois jours de cachot. Il s’agit là pour la LDH d’une modi­fi­ca­tion inac­cep­table, notam­ment parce qu’elle n’offre aucune sécu­ri­té juridique.

Il faut savoir en effet que les ROI sont des textes truf­fés de dis­po­si­tions au conte­nu fort indé­ter­mi­né. Ain­si, la par­tie com­mune des règle­ments d’ordre inté­rieur, éla­bo­rée par l’administration cen­trale et appli­quée de manière uni­forme dans toutes les pri­sons, impose notam­ment aux déte­nus « de veiller à ne pas por­ter atteinte à l’ordre (cli­mat social humain) et à la sécu­ri­té de par leur com­por­te­ment à l’égard du per­son­nel, des codé­te­nus et d’autres per­sonnes », d’être « tou­jours habillés de manière cor­recte » lorsqu’ils quittent leur espace de séjour ou encore d’avoir un com­por­te­ment « irré­pro­chable » durant les visites et de « faire preuve de res­pect envers les autres déte­nus et les visiteurs ».

De telles dis­po­si­tions, loin d’être for­mu­lées en des termes qui per­met­traient aux déte­nus de savoir à l’avance quels actes et omis­sions pré­cis pour­ront leur valoir d’être sanc­tion­nés dis­ci­pli­nai­re­ment, laissent au contraire aux auto­ri­tés un pou­voir d’appréciation discrétionnaire.

La durée maxi­male de la sanc­tion de mise au cachot est por­tée à qua­torze jours en cas de prise d’otage

Pour les infrac­tions dis­ci­pli­naires les plus graves (celles dites de « deuxième caté­go­rie »), la sanc­tion dis­ci­pli­naire la plus lourde pré­vue par la loi est l’enfermement en cel­lule de puni­tion. La durée de cette « mise au cachot » était fixée, jusqu’à pré­sent, à neuf jours maxi­mum. Lors du vote des modi­fi­ca­tions de la « loi de prin­cipes », le légis­la­teur a pré­vu de por­ter cette durée à qua­torze jours dans un cas pré­cis, à savoir pour les infrac­tions de prise d’otages en milieu pénitentiaire.

La LDH a dénon­cé cette modi­fi­ca­tion dont elle ne per­çoit pas ce qui jus­ti­fie de trai­ter avec plus de sévé­ri­té les infrac­tions de prise d’otages par rap­port à d’autres infrac­tions dis­ci­pli­naires créant des troubles tout aus­si graves à l’ordre ou à la sécu­ri­té de la pri­son. D’autant que la prise d’otages est aus­si péna­le­ment punis­sable (article 347bis du Code pénal) et qu’en plus de la sanc­tion dis­ci­pli­naire de mise au cachot, l’auteur pour­ra donc éga­le­ment être condam­né à une peine pri­va­tive de liber­té supplémentaire.

Exclu­sion du béné­fice des droits sociaux des tra­vailleurs, menaces par des pro­cé­dures dis­ci­pli­naires arbi­traires, expo­si­tion à des sanc­tions inuti­le­ment aggra­vées : comme on le voit, toutes les modi­fi­ca­tions appor­tées par la loi du 1er juillet 2013 vont dans le sens d’un dur­cis­se­ment du régime appli­cable aux déte­nus. La LDH ne pou­vait res­ter indif­fé­rente à ce constat. La balle est main­te­nant dans le camp de la Cour consti­tu­tion­nelle. Wait and see…


Le travail en prison : qu’en pensent les détenus ?

Damien Sca­lia et Mar­tin Bouhon

Le tra­vail en pri­son a occu­pé une place pri­vi­lé­giée dans l’actualité en 2014 : la presse s’est fait l’écho des reven­di­ca­tions des agents péni­ten­tiaires, des sou­haits des entre­prises pri­vées et de la Régie du tra­vail péni­ten­tiaire ou encore des appels d’associations de défense des droits des déte­nus. Cepen­dant, presque per­sonne n’a deman­dé aux déte­nus ce qu’ils pen­saient du tra­vail péni­ten­tiaire. Il s’agit pour­tant d’un élé­ment cru­cial au moment où s’opposent les tenants d’un « tra­vail » en pri­son sous-rému­né­ré, mais concur­ren­tiel et les per­sonnes dénon­çant une exploi­ta­tion. Pour per­mettre une prise de posi­tion à la fois res­pec­tueuse des droits et de l’avis des déte­nus, la LDH a enquê­té auprès d’eux.

L’enquête a été menée par ques­tion­naire dans cinq éta­blis­se­ments : Ittre, Forest, Saint-Gilles, Dinant et Mar­neffe. Si l’accueil de cette démarche a été posi­tif, les retours de ques­tion­naires ont été variables — nous avons reçu 143 ques­tion­naires rem­plis. Bien que cette enquête soit encore en cours, notam­ment via la Liga voor men­sen­rech­ten, nous en pré­sen­tons ici quelques résul­tats pré­li­mi­naires per­met­tant de mettre en exergue une ten­dance quant à la per­cep­tion du tra­vail en pri­son par les détenus.

Un tra­vail nécessaire…

Les réponses aux ques­tion­naires laissent appa­raitre la néces­si­té que consti­tue le tra­vail en pri­son. Qu’il soit effec­tué au pro­fit de l’administration péni­ten­tiaire (lin­ge­rie, cui­sine, etc.) ou d’une entre­prise exté­rieure, il per­met au déte­nu de s’occuper et de per­ce­voir un (très) maigre reve­nu, mais pour­tant néces­saire pour cer­tains déte­nus. Les réponses aux ques­tion­naires confirment que tra­vailler per­met de sor­tir de sa cel­lule, de tuer le temps, d’économiser un peu et de ren­con­trer des per­sonnes. Nom­breux sont aus­si les déte­nus affir­mant que tra­vailler per­met de gar­der un cer­tain rythme en pri­son. Un déte­nu de Dinant estime par exemple que s’il ne tra­vaillait pas, il res­te­rait enfer­mé 22 heures par jour (en cel­lule). Un déte­nu de Saint-Gilles explique qu’il n’a ni visite ni famille et que le tra­vail lui per­met de côtoyer d’autres per­sonnes que ses codé­te­nus. La plu­part des éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires offrant peu d’activités sti­mu­lantes, une can­tine oné­reuse et une nour­ri­ture peu variée et fai­ble­ment calo­rique, pou­voir tra­vailler en pri­son per­met de « s’en sor­tir » un peu mieux.

… mais qui doit être amélioré

À côté de ces quelques points posi­tifs, les réponses aux ques­tion­naires mettent en exergue prin­ci­pa­le­ment trois pro­blèmes. Le pre­mier réside dans la façon dont le tra­vail est attri­bué. Une grande opa­ci­té est pré­sente : s’il existe la plu­part du temps une liste d’attente, l’attribution du tra­vail s’effectue prin­ci­pa­le­ment par « favo­ri­tisme », « au petit bon­heur la chance, quand la liste est res­pec­tée », par « pri­vi­lège », en fonc­tion des rela­tions avec les agents ou encore en fonc­tion d’un com­por­te­ment. Une grande majo­ri­té des déte­nus inter­ro­gés estiment qu’avoir un tra­vail en pri­son est dû à un « passe-droit ». Les qua­li­fi­ca­tions per­son­nelles des déte­nus ne sont qua­si­ment jamais prises en consi­dé­ra­tion, ce que beau­coup déplorent.

Le second pro­blème concerne la for­ma­li­sa­tion du tra­vail en pri­son et la pro­tec­tion des tra­vailleurs. Aucun contrat de tra­vail n’existe, aucune assu­rance sociale ou chô­mage n’est pré­vue. Les déte­nus semblent être à la mer­ci de l’employeur. De plus, la sécu­ri­té au tra­vail semble faire défaut dans de nom­breux cas. Cer­tains dénoncent le manque de maté­riel, l’insalubrité, l’utilisation de pro­duits chi­miques sans pro­tec­tion, ni puri­fi­ca­tion d’air, le manque de pro­tec­tion audi­tive ou de chaus­sures de sécu­ri­té, la répé­ti­tion des gestes favo­ri­sant des dou­leurs mus­cu­laires, etc.

Enfin, la rému­né­ra­tion appa­rait comme la plainte prin­ci­pale des par­ti­ci­pants à notre enquête. Ain­si, selon les réponses obte­nues, le taux horaire est d’environ 1,10 € à 1,60 €. Cer­tains men­tionnent 0,62 € ou 0,85 € de l’heure. Mais au-delà de la fai­blesse de ces « gra­ti­fi­ca­tions », c’est le flou qui règne sur l’affectation des béné­fices déga­gés par l’activité des déte­nus auprès d’entreprises externes qui semble éga­le­ment for­te­ment déran­ger les détenus.

Ces dif­fé­rents élé­ments conduisent à une double éva­lua­tion du tra­vail en pri­son par les déte­nus. En effet, si cer­tains le consi­dèrent comme « occu­pa­tion­nel », « encou­ra­geant » ou, plus rare­ment, « inté­res­sant » ou « ins­truc­tif », pour la grande majo­ri­té des répon­dants, il est syno­nyme d’«esclavage », de « pro­fit pour la pri­son », de « ruine pour la san­té », bref, d’«exploitation ».

Alors qu’un label « Cell made » pour­rait voir le jour pro­chai­ne­ment, ces élé­ments doivent abso­lu­ment et urgem­ment être pris en consi­dé­ra­tion pour rendre les condi­tions de tra­vail en pri­son res­pec­tueuses des droits humains et du droit du tra­vail. Car pour para­phra­ser une nou­velle fois la Cour euro­péenne des droits de l’homme : le droit « ne sau­rait s’arrêter à la porte des prisons ».

Les auteurs tiennent à remer­cier Manu Lam­bert et Véro­nique van der Plancke pour leur pré­cieuse col­la­bo­ra­tion, ain­si que toutes les per­sonnes de la LDH ou exté­rieures qui ont par­ti­ci­pé à cette enquête.


Nouvelle loi relative à l’internement, un pas en avant, un pas en arrière ?

Diane Ber­nard et Vanes­sa De Greef

Le 5 mai 2014, une nou­velle loi rela­tive à l’internement des per­sonnes, éga­le­ment appe­lée « loi Anciaux », a été adop­tée par le Par­le­ment fédé­ral1. Cette nou­velle loi est ame­née à régir, à par­tir du 1er jan­vier 2016, la situa­tion des per­sonnes qui ont com­mis un fait qua­li­fié de crime ou délit punis­sable d’une peine d’emprisonnement et qui, au moment du juge­ment, sont atteintes d’un trouble men­tal qui abo­lit ou altère gra­ve­ment la capa­ci­té de dis­cer­ne­ment ou de contrôle de leurs actes. Pour ordon­ner leur inter­ne­ment, il faut éga­le­ment que le dan­ger existe que ces per­sonnes com­mettent de nou­velles infractions.

Cette loi consti­tue une avan­cée à plu­sieurs égards. Citons notam­ment le ren­for­ce­ment du carac­tère obli­ga­toire de l’expertise psy­chia­trique ain­si qu’un assou­plis­se­ment des moda­li­tés d’exécution de l’internement, per­met­tant de mieux l’adapter aux besoins de la per­sonne inter­née et de pro­po­ser à cette der­nière « les soins dont elle a besoin pour mener une vie conforme à la digni­té humaine ». Des chambres de pro­tec­tion sociale sont éga­le­ment créées au sein des tri­bu­naux de l’application des peines, garan­tis­sant la spé­cia­li­sa­tion des magis­trats — ce qui devrait per­mettre une meilleure connais­sance des « troubles men­taux », quand bien même elle demeure encore trop sou­vent approximative.

Délais inte­nables, frais inacceptables

Hélas, la nou­velle loi ren­contre éga­le­ment plu­sieurs écueils, comme l’illustrent les deux exemples sui­vants. Pre­miè­re­ment, les droits de la défense des inter­nés laissent for­te­ment à dési­rer : un délai de qua­rante-huit heures pour intro­duire un pour­voi en cas­sa­tion est une pure folie, sur­tout lorsque le degré d’appel est doré­na­vant sup­pri­mé ! Le fait que le tri­bu­nal déter­mine lui-même le délai endéans lequel la per­sonne inter­née pour­ra réin­tro­duire une nou­velle demande — pour une durée de deux ans maxi­mum — consti­tue une autre aber­ra­tion en termes de droits de la défense. À cet égard, le Comi­té pour la pré­ven­tion de la tor­ture du Conseil de l’Europe (CPT) a recom­man­dé, à la suite de sa visite en 2009, que « des mesures soient prises pour que la déci­sion de main­tien de la mesure d’hospitalisation non volon­taire soit auto­ma­ti­que­ment revue par le juge com­pé­tent, dans des inter­valles n’excédant pas trois à six mois ». En outre, il paraît indis­pen­sable que les frais d’expertise autant que de contrex­per­tise soient à charge de l’État, afin que même les per­sonnes les plus pré­ca­ri­sées puissent se défendre correctement.

Deuxiè­me­ment, la loi pré­voit que la fac­ture de l’internement soit adres­sée à l’interné ou « ceux qui lui doivent des ali­ments » lorsque l’interné réside dans un cer­tain type d’établissement orga­ni­sé par une ins­ti­tu­tion pri­vée, une Com­mu­nau­té ou une Région ou par une auto­ri­té locale (art. 84, § 2). Sui­vie par des cen­taines de pra­ti­ciens et d’experts, la Ligue des droits de l’Homme a pris posi­tion contre cette dis­po­si­tion, intro­duite en der­nière minute dans le pro­jet de loi (bien après la consul­ta­tion du sec­teur et des asso­cia­tions). Hélas, notre mobi­li­sa­tion n’a per­mis qu’un bref débat à la Chambre et une décla­ra­tion publique de la ministre de la Jus­tice, Anne­mie Tur­tel­boom : « Il fau­dra qu’une pro­po­si­tion de loi soit dépo­sée en vue d’adapter cet article2. » Cela paraît indis­pen­sable : cette dis­po­si­tion entre en contra­dic­tion avec les prin­cipes mêmes de l’internement, de la défense sociale et de l’exercice de son pou­voir par l’État (si un trouble men­tal jus­ti­fie que la socié­té exclue l’un de ses membres, l’État qui impose cette déci­sion à l’individu (fra­gile, en sus) doit en assu­mer les frais). Selon le pré­sident de la Chambre, « les docu­ments par­le­men­taires attes­te­ront de ce qui a été dit » à ce sujet3. Ces der­niers incitent sur­tout à res­ter vigi­lants, d’autant plus que l’amendement sus­men­tion­né a été expli­ci­te­ment lié à la pri­va­ti­sa­tion de cer­tains éta­blis­se­ments médi­co­lé­gaux4 — voi­là qui fleure bon les pri­sons et soins à la carte (ban­caire).

L’incarcération nuit à la san­té mentale

Enfin, il serait dif­fi­cile de clore cet article sans évo­quer la situa­tion dra­ma­tique que connaissent les per­sonnes inter­nées dans les annexes psy­chia­triques en pri­son. Faut-il encore rap­pe­ler au légis­la­teur les nom­breuses condam­na­tions de l’État belge par la Cour euro­péenne des droits de l’homme en la matière ? Ou lui sug­gé­rer de réflé­chir à la gra­vi­té de la situa­tion à l’origine de la demande d’euthanasie intro­duite par un inter­né, déses­pé­ré de ne pou­voir gué­rir der­rière les bar­reaux d’une pri­son. La quin­zaine de demandes simi­laires qui l’ont sui­vie font toutes état du même déses­poir. Le légis­la­teur peut-il rai­son­na­ble­ment croire que l’incarcération ne nuit pas gra­ve­ment à la san­té, y com­pris men­tale ? Il est en tout cas clair que le légis­la­teur n’a tou­jours pas pris la mesure de la gra­vi­té de la situa­tion et consi­dère que l’internement peut se « dérou­ler pro­vi­soi­re­ment dans la sec­tion psy­chia­trique d’une pri­son » en contra­dic­tion avec la juris­pru­dence européenne.


Enfermement des mineurs délinquants, l’illusion de la sécurité

Com­mis­sion Jeu­nesse LDH

Depuis le début des années 1980, on est pas­sé, en Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, de dix à près de sep­tante places fer­mées dans les ins­ti­tu­tions publiques de pro­tec­tion de la jeu­nesse (IPPJ). Il faut y ajou­ter les places en centre fédé­ral fer­mé : les vingt-six places du pre­mier centre d’Everberg qui sont elles-mêmes pas­sées à cin­quante avec le démé­na­ge­ment au sein du nou­veau centre de Saint-Hubert en 2010. Dans ce centre, éta­bli à côté d’une pri­son pour adultes (on ne cherche plus à évi­ter la res­sem­blance!) se retrouvent des jeunes pour les­quels le juge ne trouve pas de place en IPPJ à régime ouvert ou fer­mé (pla­ce­ment pro­vi­soire de mineurs ayant com­mis un fait qua­li­fié infrac­tion selon la loi de 2002 dite d’Everberg), des jeunes cités en des­sai­sis­se­ment, des jeunes des­sai­sis et des jeunes majeurs ayant fait l’objet d’un des­sai­sis­se­ment qui ont com­mis des faits qua­li­fiés infrac­tions durant leur mino­ri­té et condam­nés à une peine d’emprisonnement. Iro­nie de l’histoire, c’est éga­le­ment dans la ville de Saint-Hubert que la pre­mière mai­son péni­ten­tiaire spé­cia­li­sée pour les mineurs délin­quants avait vu le jour en 1844… et avait dû fer­mer ses portes dans les années 1950 à la suite de dif­fé­rents scan­dales de mau­vais traitements.

À ces places fer­mées « clas­siques », il faut ajou­ter les sec­tions « UTI » (uni­tés de trai­te­ment inten­sif, ex-ForK). Ces éta­blis­se­ments psy­chia­triques fer­més ren­forcent encore davan­tage l’enfermement des mineurs délin­quants tout en leur ajou­tant l’étiquette psy­chia­trique. On compte actuel­le­ment qua­rante-quatre places, alors qu’elles étaient inexis­tantes il y a dix ans.

Le des­sai­sis­se­ment est le fait pour un juge de la jeu­nesse de déci­der qu’un jeune devra être jugé non pas par une juri­dic­tion spé­cia­li­sée pour la jeu­nesse mais par une chambre spé­ciale (voire une cour d’Assises) qui applique le Code pénal, c’est-à-dire un droit appli­cable aux adultes.

On assiste donc à une nette aug­men­ta­tion de l’enfermement des mineurs délin­quants alors que, contrai­re­ment à une idée reçue, les don­nées enre­gis­trées ne montrent pas d’augmentation de la délin­quance des mineurs. Au contraire, selon les obser­va­tions de l’INCC (orga­nisme public de recherche scien­ti­fique), le nombre de jeunes délin­quants signa­lés aux par­quets de la jeu­nesse tend à dimi­nuer au regard des années 1980. Les sta­tis­tiques 2012 des par­quets de la jeu­nesse révèlent que ces der­niers ont enre­gis­tré 10% d’affaires pro­tec­tion­nelles en moins qu’en 2010. L’ensemble des arron­dis­se­ments judi­ciaires a été confron­té à une chute de 25% du flux d’entrée des affaires « faits qua­li­fiés infrac­tions ». A contra­rio, le nombre d’affaires « mineurs en dan­ger » a aug­men­té de 5% entre 2010 et 2012.

Boucle sans fin…

On assiste à un cercle vicieux : depuis une tren­taine d’années, les dénon­cia­tions du « manque de places en régime fer­mé » pour les mineurs délin­quants sont récur­rentes alors que l’augmentation de la capa­ci­té ins­ti­tu­tion­nelle en régime fer­mé est la réponse appor­tée en prio­ri­té. Cela confirme que l’extension des capa­ci­tés d’enfermement ne dimi­nue pas la satu­ra­tion des centres de pla­ce­ment. Au contraire, l’offre créant la demande, elle conduit à une réac­tion en chaine : mul­ti­pli­ca­tion et rou­ti­ni­sa­tion de l’enfermement par les acteurs judi­ciaires, satu­ra­tion rapide des nou­velles ins­ti­tu­tions qui sus­cite à son tour, dans un sché­ma d’autoreproduction, la créa­tion de nou­velles ins­ti­tu­tions, etc. Tout cela alors que l’on connait le peu d’efficacité de ce type de mesures en termes d’arrêt de la délin­quance et de réin­ser­tion sociale des jeunes concer­nés. Tout cela alors que les pro­fes­sion­nels comme les scien­ti­fiques pointent de plus en plus l’absence d’une poli­tique concer­tée de ges­tion de l’offre et de la demande en places fer­mées comme le point de départ du pro­blème, de même que le non-res­pect en pra­tique des recom­man­da­tions inter­na­tio­nales et natio­nales de sub­si­dia­ri­té du pla­ce­ment. On connait pour­tant le cout éle­vé du recours à l’enfermement des jeunes alors qu’avec la même somme, il est pos­sible de mettre en place d’autres types de mesures qui, dans un objec­tif de pré­ven­tion géné­rale, tou­che­raient un nombre beau­coup plus grand de jeunes.

… et fuite en avant

Aujourd’hui, les gou­ver­ne­ments font face à une nou­velle phase dans la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de la Pro­tec­tion de la jeu­nesse. Il s’agit là d’une réelle oppor­tu­ni­té pour chan­ger ou, du moins, réorien­ter la poli­tique de prise en charge des mineurs délin­quants. Mais vont-ils déci­der d’investir une nou­velle fois dans les murs, grillages, ser­rures et gar­diens, alors que cette poli­tique ren­force le cercle vicieux, dan­ge­reux parce que sans fin ? Du peu que l’on en sait, le centre fédé­ral de Saint-Hubert sera bel et bien repris par la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles. Il y aurait pour­tant tel­le­ment mieux à faire avec les moyens de ces poli­tiques répres­sives. Chaque année, la Bel­gique inves­tit quelque 500 mil­lions d’euros dans une poli­tique d’enfermement pour mineurs qui n’apporte que l’illusion de la sécu­ri­té. Jusqu’où va-t-on accep­ter cette fuite en avant ?

Cet article a été publié en 2014 dans le docu­ment « On croise les droits », réa­li­sé par la CODE à l’occasion des vingt-cinq ans des droits de l’enfant.

  1. Loi rela­tive à l’internement des per­sonnes, MB, 9 juillet 2014.
  2. Séance plé­nière des 22 et 23 avril 2014, compte ren­du intégral.
  3. Séance plé­nière des 22 et 23 avril 2014, compte ren­du intégral.
  4. Séance plé­nière des 22 et 23 avril 2014, compte ren­du intégral.

Commission Jeunesse LDH


Auteur

Marie-Aude Beernaert


Auteur

Diane Bernard


Auteur

Martin Bouhon


Auteur

Vanessa De Greef


Auteur

Damien Scalia


Auteur

docteur en droit, chercheur et enseignant, membre de la commision Prison (LDH)