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Derrière les barreaux
Dans une indifférence quasi générale, les droits des détenus régressent, rendant leur séjour dans des cellules surpeuplées un peu plus infernal et leurs chances de réinsertion beaucoup plus ténues. Et les mesures au caractère populiste prises concernant la libération conditionnelle risquent fort d’accroitre le ressentiment de certains prisonniers face à une société qui les rejette.
[**Statut juridique interne du détenu : 2013 ou les contre-innovations législatives*]
[/Damien Scalia/]
Outre l’aggravation du statut juridique externe du détenu, liée au durcissement des possibilités de mise en libération conditionnelle, l’année 2013 marque aussi un recul du statut juridique interne du détenu, c’est-à-dire le durcissement des droits durant la privation de liberté. Ce statut est régi principalement par la loi de principes concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus du 12 janvier 2005.
La loi de principes énonce cinq principes fondamentaux de gestion, à appliquer dans les établissements pénitentiaires. Marie-Aude Beernaert, présidente de la commission Prison de la LDH, les résume ainsi : respect, protection juridique, limitation des effets préjudiciables de la détention, participation et exigence générale de motivation des décisions1. Bien que ces principes soient peut-être « symboliques et sans doute difficiles à mobiliser de manière opérationnelle2 », on ne peut que regretter les diverses modifications législatives qui, depuis 2005, ne les respectent pas. La loi du 1er juillet 2013 en est un triste exemple3 : quatre articles, notamment, portent atteinte à ces principes et marquent un recul net et inacceptable du statut juridique interne du détenu.
Reculs législatifs
La suppression de l’obligation, dans certains cas, d’informer le détenu de la rédaction d’un rapport disciplinaire à son encontre (art. 9) crée un risque d’établir des antécédents « secrets » ou implicites établis hors de toute procédure, mais mobilisables dans des procédures disciplinaires postérieures. En effet, cette modification législative va permettre de consigner des informations sur le détenu sans que celui-ci n’en soit informé, mais qui sont néanmoins assez importantes pour faire l’objet d’un rapport. Les principes du contradictoire (et de la publicité) sont évidemment mis à mal par cette « innovation » législative. Et rien ne garantit que les informations contenues dans ces rapports seront exactes — le détenu n’aura pu les contester.
La deuxième modification concerne la qualification du non-respect du règlement d’ordre intérieur (ROI) d’infraction de deuxième catégorie (art. 7). Elle traduit un certain paradoxe quant à l’entrée du droit en prison. Si la mise en place d’un ROI a entrainé l’espoir de voir l’arbitraire disparaitre de derrière les murs, cette règlementation de la vie en prison semble se retourner contre le détenu. En effet, toute violation du ROI sera susceptible d’être sanctionnée par l’administration et passible d’une sanction disciplinaire (jusqu’à trois jours de cachot et quinze jours de privation d’activités, de visite et de téléphone), alors que ce règlement est peu connu des détenus, pour des raisons linguistiques notamment, et peut varier d’une prison à l’autre. Le principe d’accessibilité (et donc de légalité) risque ainsi d’être violé.
Non moins problématique, mais peut-être déjà avortée, la troisième modification de juillet dernier systématise les fouilles corporelles (art. 5), mesure intrusive et souvent humiliante, à l’entrée en prison, avant tout placement en cellule sécurisée ou de punition, et après les visites en salle commune. La fouille corporelle requérait jusqu’alors une décision individuelle et motivée du directeur de l’établissement pénitentiaire, justifiée par l’insuffisance de la fouille des vêtements pour garantir l’ordre et la sécurité. En l’automatisant, et alors que des mesures moins intrusives auraient pu être mises en place, sans qu’aucun risque concret et personnalisé ne doive être démontré, le législateur viole la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : les juges de Strasbourg ont en effet considéré que les fouilles à nu systématiques constituent un traitement inhumain ou dégradant. Le 30 octobre dernier, la Cour constitutionnelle a suspendu cette disposition de la loi du 1er juillet 2013, dont on espère la suppression rapide.
Enfin, par la quatrième modification, le législateur inscrit dans la loi une pratique ancienne : désormais, « le travail mis à disposition en prison ne fait pas l’objet d’un contrat de travail » (art. 2). Le législateur refuse donc au travailleur détenu l’accès au droit du travail et aux garanties sociales concomitantes — en termes d’égalité, de droits fondamentaux et de réinsertion, voilà certainement un non-progrès. Une telle modification n’est sans doute pas conforme aux prescriptions internationales de l’Organisation internationale du travail.
Ainsi, en quatre coups douloureux, la loi du 1er juillet 2013 traduit un recul du statut juridique interne du détenu. Et c’est d’autant plus dommageable qu’elle s’ajoute à d’autres manquements, comme l’instauration de commissions de plaintes au sein de chaque commission de surveillance, inscrite dans la loi de principes, mais qui attend toujours son entrée en vigueur ou encore l’absence de mise en place d’un organe de contrôle indépendant des lieux privatifs de liberté.
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Difficultés de détention renforcées
On peut l’affirmer : d’inapplications en contre-innovations, le législateur n’améliore pas le statut juridique interne du détenu. Il renforce même les difficultés de la détention, déjà problématique sous tous ses aspects de principe (détention préventive et inefficacité) et de mise en œuvre (bâtiments, surpopulation, finances, etc.). La Belgique ne respecte plus (mais l’a‑t-elle respecté un jour ?) le principe fondamental, énoncé dans la loi de principes elle-même, selon lequel « le détenu n’est soumis à aucune limitation de ses droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que les limitations qui découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté, celles qui sont indissociables de la privation de liberté et celles qui sont déterminées par ou en vertu de la loi ».
L’exécution de la peine, en Belgique, est ainsi loin de s’effectuer « dans des conditions psychosociales, physiques et matérielles qui respectent la dignité humaine » affirmées dans la loi de principes. C’est en substance ce que le Comité contre la torture de l’ONU vient de rappeler une fois de plus, en novembre dernier, dans ses observations finales du troisième rapport périodique de la Belgique.
[**Libération conditionnelle : cent-vingt-cinquième anniversaire…*]
[/Renaud Bony/]
La Belgique aurait pu s’enorgueillir, en 2013, de fêter une loi de 1888, dite loi Lejeune, instaurant la libération conditionnelle des détenus. Cette loi était fondée sur un postulat humaniste : un être humain, même s’il a commis un acte condamnable, peut s’amender, changer, se reconstruire… pour autant que les moyens nécessaires soient mis à sa disposition.
Cette disposition du Code pénal a prouvé, durant plus d’un siècle, son efficacité dans la lutte contre la récidive. Toutes les études démontrent que les libérés conditionnels sont ceux qui récidivent le moins…, contrairement aux détenus accomplissant l’intégralité de leur peine. La libération conditionnelle contribue donc à une société plus sure et, par conséquent, plus respectueuse des droits de chacun, dont le droit à la sécurité, au sens le plus large du terme, fait bien sûr partie.
Ainsi donc, ce qui aurait dû être une année jubilaire d’une de ces nombreuses (petites) avancées vers une société plus humaine s’est transformé, à l’image des tendances politiques et sociétales actuelles, en une régression des droits fondamentaux.
Une Justice désavouée
Retour à l’été 2012 et aux réactions à l’annonce de la libération conditionnelle de Michelle Martin… « Dites-le : faut qu’elle crève ! Allez, criez-le bien fort ! Allez, Ryan, vas‑y p’tit mafiosi ! Crie-le, crie-le ! Faut qu’elle crève, ma couille ! (Ryan-ma-couille s’exécute timidement : “Faut qu’elle crève…”, murmure-t-il) Ouais, c’est bien, ma couille ! C’est une grosse poufiasse. Allez, dites-le… » Un brave père de famille fait ainsi partager à ses enfants et au monde entier, par la grâce d’internet, son idéal de justice…
Même si l’ensemble des réactions n’étaient pas aussi finement exprimées, ces paroles reflètent le climat de l’époque et le fonds de la pensée d’une partie de la population.
Fort de cet « élan citoyen », la classe politique belge a courageusement embrayé et, une fois encore, a caressé cette frange de la population dans le sens du poil. Personne, ni à droite, ni au centre, ni à gauche, n’a osé opposer un raisonnement légaliste à ces cris de vengeance. La Justice, dans son idéal et dans son institution, a été foulée au pied, décrédibilisée, désavouée. Seule la frange du peuple qui hurle a raison…
Certains ont osé ramer à contrecourant : des avocats et des juges, vite taxés de corporatistes. Puis des philosophes, des sociologues, des scientifiques que d’aucuns n’ont pas hésité à traiter de pseudo-intellectuels, voire bien pire. Et enfin des victimes elles-mêmes, qui nous faisaient passer, par leur silence ou en quelques mots, de la barbarie à l’humanité : « Il existe des lois. […] Si Martin répond aux conditions établies par la loi, il n’y a aucune raison que cette même loi ne s’applique pas aussi à son cas, et c’est ce que nous devrions respecter. »
Mais le gouvernement n’a pas profité de cette brèche pour ouvrir le débat et faire œuvre de pédagogie. Il fallait, à tout prix, appliquer le fameux « accord de gouvernement » et aller vers plus de sévérité, vers un amoindrissement des droits des détenus.
Trois mesures régressives
Pour en revenir au cœur du sujet, la libération conditionnelle est une mesure qui permet à un détenu de finir sa peine au sein de la société, en vue de sa réinsertion, moyennant le respect d’une série de conditions. Il s’agit donc d’un outil visant à la préparation d’une libération définitive et, en aucun cas, d’une mesure quelconque de grâce ou d’un acte généreux. Il nécessite un encadrement rigoureux et, de la part du condamné, un travail sur lui-même et un investissement de tous les instants pour prouver qu’il peut retrouver sa place dans la société.
Nos parlementaires ont dévoyé l’image d’une mesure aux ambitions positives pour la société en laissant à penser que la société était trop généreuse avec ces personnes.
Trois mesures essentielles ont donc été votées. La première est l’allongement de la durée précédant l’admissibilité à la libération conditionnelle pour les détenus condamnés à des peines de trente ans et plus. Elle passe de la moitié aux deux tiers de la peine.
La seconde est le durcissement des conditions d’accès à la libération conditionnelle pour les récidivistes, alourdie encore en fusionnant et additionnant les peines correctionnelles et les peines criminelles.
La dernière et, à notre avis, la plus attentatoire aux droits des détenus, est le durcissement du processus décisionnel du tribunal de l’application des peines (TAP). Outre que, pour les peines de plus de trente ans, la décision unanime d’un TAP composé de cinq juges sera nécessaire (contre, auparavant, la majorité simple de trois juges) pour être admis à la libération conditionnelle, elle supprime surtout l’automaticité de l’examen de l’admissibilité pour tous les condamnés.
Ainsi donc, les détenus devront introduire eux-mêmes et de façon explicite leur demande de libération conditionnelle. Inutile de préciser que compte tenu de la méconnaissance de leurs droits, de leurs difficultés à maitriser le langage (qui plus est juridique), de leurs difficultés financières pour faire appel à un avocat, des freins sans cesse mis par l’administration pénitentiaire à l’élaboration d’un plan de réinsertion… la libération conditionnelle risque de passer, au fil des années, d’un outil de réhabilitation à un simple objet d’étude pour les historiens du droit…
- M.-A. Beernaert, Manuel de droit pénitentiaire, 2e éd., Anthemis, 2012, p. 87 – 92.
- Ibid., p. 87.
- MB, 6 septembre 2013.