Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

De quelques paradoxes et illusions en matière de transparence des nominations

Numéro 10 Octobre 2008 par Alain Dye

octobre 2008

Se fon­der sur un arrê­té annu­lé par le Conseil d’É­tat pour nom­mer le secré­taire géné­ral de la Com­mu­nau­té fran­çaise, ex-chef de cabi­net du pré­sident du Par­ti socia­liste, n’a pas contri­bué à cré­di­bi­li­ser les nou­velles règles cen­sées nous débar­ras­ser de l’emprise des par­tis sur les nomi­na­tions dans l’ad­mi­nis­tra­tion. Et ce d’au­tant moins que le Conseil d’É­tat avait […]

Se fon­der sur un arrê­té annu­lé par le Conseil d’É­tat pour nom­mer le secré­taire géné­ral de la Com­mu­nau­té fran­çaise, ex-chef de cabi­net du pré­sident du Par­ti socia­liste, n’a pas contri­bué à cré­di­bi­li­ser les nou­velles règles cen­sées nous débar­ras­ser de l’emprise des par­tis sur les nomi­na­tions dans l’ad­mi­nis­tra­tion. Et ce d’au­tant moins que le Conseil d’É­tat avait décla­ré illé­gal l’ar­rê­té en ques­tion… en rai­son, notam­ment, de l’ab­sence d’im­par­tia­li­té dans la pro­cé­dure de sélec­tion. On ne crie­ra pas direc­te­ment au retour pur et simple des bonnes vieilles pra­tiques par­ti­sanes, en se conten­tant de consta­ter, à tout le moins, le manque de rodage du per­son­nel poli­tique au B.A.-ba de la moti­va­tion juri­dique de ses actes. La « simple erreur tech­nique » avan­cée par le ministre Daer­den doit nous pré­pa­rer à une pluie de recours, à l’ins­tar de ce qu’a pro­vo­qué la réforme Coper­nic au niveau fédéral.

Soyons cepen­dant de bon compte, les pro­cé­dures de nomi­na­tion dans la haute fonc­tion publique de la Région wal­lonne et de la Com­mu­nau­té fran­çaise se sont rela­ti­ve­ment amé­lio­rées. La marge de pro­gres­sion était, cela dit, énorme, vu l’o­pa­ci­té totale qui per­met­tait il y a quelques années encore de dis­tri­buer les postes en fonc­tion de la seule carte de par­ti des fonc­tion­naires. Désor­mais, les déci­sions doivent être jus­ti­fiées au regard d’une série de prin­cipes de base : publi­ci­té des appels à can­di­da­ture, sélec­tion par le Bureau de sélec­tion de l’ad­mi­nis­tra­tion (Selor), régime de man­dats, etc. Rien de spec­ta­cu­laire, donc. Rien non plus qui soit de nature à ali­men­ter une vision béate de la trans­pa­rence de la nomi­na­tion des fonc­tion­naires. Le diable peut se cacher dans le détail de la mise en œuvre de ces dif­fé­rents prin­cipes bien inten­tion­nés et per­mettre in fine leur détour­ne­ment ou les faire som­brer dans un cer­tain for­ma­lisme absurde et contre-productif.

Mais ce qui est le plus frap­pant, c’est que le pre­mier effet de cette nou­velle trans­pa­rence a été que plus de 75% des per­sonnes nom­mées par le gou­ver­ne­ment wal­lon sont éti­que­tées socia­listes. Ceux qui font mine de s’é­ton­ner et remettent en cause l’ob­jec­ti­vi­té de la pro­cé­dure, voire chu­chotent à mots cou­verts que les ques­tions d’exa­men auraient été rédi­gées dans les bureaux du bou­le­vard de l’Em­pe­reur, se trompent dans les faits, mais sur­tout dans l’a­na­lyse. Dans un cer­tain sens, la réa­li­té est en effet plus per­verse. On pour­rait tout d’a­bord se dire qu’il n’y a, à pre­mière vue, rien d’é­ton­nant à cette supré­ma­tie du PS. Dans la mesure où la poli­ti­sa­tion struc­tu­relle de la fonc­tion publique sur la longue durée devait néces­sai­re­ment don­ner une lon­gueur d’a­vance à des fonc­tion­naires liés au par­ti ultra­do­mi­nant, il aurait même été inquié­tant que des exa­mens por­tant sur des com­pé­tences acquises après une si longue expé­rience pro­fes­sion­nelle se tra­duisent par des échecs massifs.
Se conten­ter de cette expli­ca­tion, c’est en rater une autre, plus fon­da­men­tale : plus que des fonc­tion­naires, les per­sonnes qui ont réus­si divers exa­mens dans les minis­tères wal­lons, à la tête de l’ad­mi­nis­tra­tion de la CF, etc. sont sou­vent d’an­ciens membres de cabi­nets et autres res­pon­sables de ser­vice d’é­tudes. À ce titre, ils ont non seule­ment défi­ni les poli­tiques sur les­quelles les can­di­dats sont inter­ro­gés, mais, acces­soi­re­ment, ont par­fois contri­bué à défi­nir les pro­fils des fonc­tions aux­quelles ils pos­tulent… Bref, à la fois à défaut et en guise d’E­NA pour for­mer les cadres de l’ad­mi­nis­tra­tion publique, la CFWB dis­pose de l’ins­ti­tut Émile Van­der­velde et des cabi­nets. Dans de telles condi­tions, des pro­cé­dures claires et trans­pa­rentes ne peuvent conduire qu’à légi­ti­mer des dis­tinc­tions à l’o­ri­gine non légi­times dans la fonc­tion publique, car fon­dées sur un choix d’af­fi­lia­tion. C’est là que se niche la per­ver­si­té d’un sys­tème dont la trans­pa­rence sert de cache-sexe. Il est à noter que cer­tains impé­trants ont car­ré­ment sui­vi des cours offerts par les par­tis, qui en ont fait de réelles « bêtes de concours ». S’il n’est donc pas ques­tion de dis­cu­ter leurs com­pé­tences, il est dif­fi­cile d’en­tre­te­nir des illu­sions sur ce qu’ils doivent au parti.

En com­pa­rai­son à la situa­tion anté­rieure, le saut qua­li­ta­tif est donc réel mais limi­té : plu­tôt que de se far­cir des créa­tures et autres porte-flingues incom­pé­tents, alcoo­liques ou dres­sés au réflexe pav­lo­vien du détour­ne­ment de la lettre comme de l’es­prit de la règle, les admi­nis­tra­tions wal­lonnes et de la Com­mu­nau­té fran­çaise pour­ront désor­mais comp­ter sur des per­sonnes com­pé­tentes… mais demeu­rant aux ordres : ce ne sont évi­dem­ment ni leurs com­pé­tences ni le renou­vel­le­ment géné­ra­tion­nel qu’elles repré­sentent qui les garan­tissent de tout ren­voi d’as­cen­seur. For­mer des per­sonnes n’est en rien inter­dit. Pas d’illé­ga­li­té liée à de sombres conspi­ra­tions dans l’his­toire. En jouant sim­ple­ment le jeu intel­li­gem­ment, le PS règle au final deux pro­blèmes d’un coup : celui du main­tien de son contrôle struc­tu­rel sur l’ap­pa­reil d’É­tat et celui du renou­vel­le­ment légal de ses cadres dans la haute admi­nis­tra­tion, en dou­blant sur des bases « objec­tives » de vieux ser­vi­teurs que le par­ti traîne comme des boulets…

On note­ra avec amu­se­ment qu’outre les rangs de l’op­po­si­tion MR et Éco­lo, dont l’ar­gu­men­ta­tion tourne essen­tiel­le­ment à vide dans la mesure où elle prend plus ou moins la forme de théo­ries du com­plot, les cri­tiques prin­ci­pales du méca­nisme de nomi­na­tion pro­viennent en réa­li­té du CDH… Les fonc­tion­naires por­tant sa casaque ont en effet été lami­nés. Ce par­ti est pour­tant bien l’hé­ri­tier d’une machine de guerre qui a au moins autant, sinon pro­por­tion­nel­le­ment plus, pro­fi­té d’un sys­tème clien­té­liste, en l’oc­cur­rence le PSC. Or, la nou­velle trans­pa­rence a, de manière inat­ten­due, fait voler en éclats le bon vieux prin­cipe du deux tiers (PS), un tiers (CDH), réveillant immé­dia­te­ment les anciens réflexes de poli­ti­sa­tion au CDH : le ministre Antoine n’a nom­mé aucun des trois can­di­dats ayant réus­si l’exa­men du Selor à la tête de la direc­tion géné­rale de l’A­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire. Infon­dée, cette déci­sion a sus­ci­té une révolte contre la poli­ti­sa­tion de la part d’une kyrielle de hauts fonc­tion­naires wal­lons. Ultime para­doxe ou réel réveil des consciences chez cer­tains ser­vi­teurs sin­cères de l’É­tat, étouf­fés jus­qu’i­ci par le sys­tème en vigueur ?

En réa­li­té, il ne sera pas mis fin à ce qui res­semble lit­té­ra­le­ment à un car­na­val — cha­cun endos­sant, pour un jour, le rôle peu seyant de vierge effa­rou­chée et de gar­dien de la trans­pa­rence et de l’ob­jec­ti­vi­té — tant que n’au­ra pas été rap­pe­lée cette véri­té élé­men­taire : dans l’ex­cep­tion belge mar­quée par la toute-puis­sance des cabi­nets par rap­port à l’ad­mi­nis­tra­tion, la trans­pa­rence des pro­cé­dures ne sert que de chambre d’en­té­ri­ne­ment et de légi­ti­ma­tion à un rap­port des forces biai­sé entre le pou­voir poli­tique et l’administration.

Alain Dye


Auteur