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De la délation comme un des Beaux-Arts (ou comment se concocter un parfum d’infection en cinq leçons…)

Numéro 4 Avril 2011 par Bernard Mouffe

avril 2011

Qui a dit que « l’ap­pel à la déla­tion ne serait jamais que le dégui­se­ment d’un sub­til inter­dit de pen­ser » ? N’en dou­tez plus : la déla­tion fait par­tie du registre des com­por­te­ments poli­tiques clas­siques. De tout temps, l’É­tat a fait appel aux déla­teurs pour ses œuvres de basse et de haute police. Dans L’Es­prit des lois, Mon­tes­quieu ana­lyse, selon les dif­fé­rents types de gou­ver­ne­ments, le régime des accu­sa­tions d’in­di­vi­dus contre d’autres indi­vi­dus. Et il cite ces « bouches de la véri­té » promptes à accueillir, dans la Venise médié­vale, les billets des sycophantes.

Ce n’est pas sans rai­son que le dic­tion­naire éty­mo­lo­gique rap­proche les termes de déla­tion (issu du latin dela­tor, de deferre, rap­por­ter) et de défé­rence, attes­tant qu’un déla­teur ne cherche jamais qu’à se confor­mer à la volon­té de quelqu’un. Et pour cause : la déla­tion est un com­por­te­ment indis­so­ciable du champ social qui la sol­li­cite. Comme le relève Jacques Has­soun, la déla­tion « est un mal endé­mique. Telle la peste, il ne connait aucune véri­table éra­di­ca­tion. Il peut frap­per à chaque ins­tant, cha­cun étant sus­cep­tible d’être consi­dé­ré selon l’air du temps comme un non-confor­miste propre à être mis à l’écart, à être don­né, ven­du, dénoncé ».

Si le déla­teur a un rap­port non éthique à la loi, ce n’est que parce que la loi s’est faite com­plice du déla­teur ; parce que la loi pré­sente elle-même l’acte de déla­tion comme consti­tuant un acte de salu­bri­té publique. Les per­sonnes qui n’attendent que de recueillir vos confi­dences en sont bien conscientes : la fron­tière entre infor­ma­tion, témoi­gnage et déla­tion est sou­vent floue.

Vous trou­ve­rez ci-après quelques rai­sons (et quelques moyens) pour ne plus hési­ter à caf­ter le (sup­po­sé) sus­pect de quelque inavouable délit…

* * * *

Pre­mière leçon. Une fois n’est pas cou­tume, vous avez déci­dé de vous octroyer un jour de congé. Vous avez soi­gneu­se­ment veillé à débran­cher votre réveil, mais voi­là : il s’agit aus­si du jour choi­si par votre voi­sin pour, accom­pa­gné de quelque main‑d’œuvre polo­naise, lan­cer ses gros tra­vaux de démolition…

Pre­nez dix minutes pour apprendre par cœur le « clas­sique » article 12 de la loi du 16 novembre 1972, loi rela­tive à l’inspection du tra­vail, ain­si rédi­gé : « Sauf auto­ri­sa­tion expresse de l’auteur d’une plainte ou d’une dénon­cia­tion rela­tive à une infrac­tion aux dis­po­si­tions des légis­la­tions dont ils exercent la sur­veillance, les ins­pec­teurs sociaux ne peuvent révé­ler en aucun cas, même devant les tri­bu­naux, le nom de l’auteur de cette plainte ou de cette dénon­cia­tion. Il leur est de même inter­dit de révé­ler à l’employeur ou à son repré­sen­tant qu’il a été pro­cé­dé à une enquête à la suite d’une plainte ou d’une dénon­cia­tion. » Et puis, sans oublier de vous pré­sen­ter, appe­lez direc­te­ment l’inspecteur du tra­vail de votre res­sort : il ne fau­dra pas une heure pour que cesse le tumulte, que vous puis­siez vous recou­cher et jouir enfin plei­ne­ment du calme retrouvé.

Si par la suite — et je ne doute pas que vous aurez à cœur de mettre à pro­fit cette dis­po­si­tion que vous n’êtes plus cen­sée igno­rer — vous êtes confron­tés à l’agression d’un jus­ti­ciable peu cou­tu­mier de la pra­tique déla­tion­nelle ou (au contraire) bel­li­queux parce qu’il l’a (trop) fré­quem­ment subie, vous pour­rez même abré­ger l’article sus­dit par son per­ti­nent conden­sé : «… en aucun cas, même devant les tri­bu­naux…», sans hési­ter à accen­tuer les termes libel­lés en italique.

Ce pre­mier et meilleur outil du déla­teur a été jugé à ce point remar­quable et sub­stan­tiel qu’il ne cesse d’être pla­gié par toutes les dis­po­si­tions sociales émises par toutes les ins­tances du pays, toutes races et langues confon­dues. Ain­si, il siège à l’article 58 § 2 de la loi du 15 jan­vier 1990 (rela­tive à l’institution et à l’organisation d’une Banque Car­re­four de la sécu­ri­té sociale); il fleu­rit à l’article 11 du décret du 5 février 1998 de la Région wal­lonne (rela­tif à la sur­veillance et au contrôle des légis­la­tions rela­tives à la poli­tique de l’emploi) ain­si qu’à l’article 12 du décret du 5 février 1998 (sur la sur­veillance et le contrôle des légis­la­tions rela­tives à la recon­ver­sion et au recy­clage pro­fes­sion­nels); et, dans la langue de Von­del, il enri­chit l’article 8 § 2 du décret du 30 avril 2004 de la Com­mu­nau­té fla­mande (por­tant uni­for­mi­sa­tion des dis­po­si­tions de contrôle de la régle­men­ta­tion en matière de légis­la­tion sociale)… 

Deuxième leçon. Infa­tué et tou­jours supé­rieur, votre beau-père vous exas­père ? Et, lors d’un repas fami­lial fort arro­sé, il s’est van­té de quelque for­fai­ture peu catho­lique… N’hésitez pas : allez direc­te­ment vous en plaindre à la police. Elle aime les déla­teurs. Comme le dit Georges Marion, « l’indic est le gagne-pain du flic, son faire-valoir auprès de ses chefs, celui auquel est atta­chée une bonne par­tie de sa car­rière pro­fes­sion­nelle ». N’oubliez cepen­dant pas votre carte d’identité : l’article 3.4 de l’arrêté minis­té­riel du 28 décembre 2001 (por­tant exé­cu­tion de l’AR du 30 mars 2001 sur le per­son­nel des ser­vices de police) pré­cise qu’une « plainte ano­nyme n’est pas prise en considération ».

Dans son arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cas­sa­tion a rap­pe­lé que « tant avant la loi du 8 avril 2002 qu’aujourd’hui encore, la per­sonne qui col­la­bore à l’instruction et qui est enten­due en témoi­gnage sous ser­ment par le juge d’instruction ou le juge pénal peut refu­ser de révé­ler l’identité de la per­sonne qui a fait la dénon­cia­tion du fait ins­truit ». C’est ce qu’on appelle être « témoin X ». Une qua­li­té faci­le­ment acces­sible puisque la même Cour de cas­sa­tion a confir­mé (dans le même arrêt) qu’il appar­tient à ce col­la­bo­ra­teur [enten­dez le fonc­tion­naire de police qui a dres­sé le pro­cès-ver­bal] de « déci­der, pour des motifs rai­son­nables, en son âme et conscience, de pro­mettre l’anonymat au dénon­cia­teur ». Cet ano­ny­mat est d’autant plus acces­sible que la Cour rap­pelle enfin que celui-ci est octroyé non seule­ment « dans l’intérêt de l’action publique », mais aus­si « aux fins de pro­tec­tion dudit dénon­cia­teur ». Des juri­dic­tions n’ont pu qu’acter qu’il n’existait effec­ti­ve­ment « pas de moyens légaux pour contraindre les ver­ba­li­sants à révé­ler cette identité ».

Vous savez donc ce qui vous reste à faire : feindre quelque panique liée à une crainte de rétor­sion [ajou­tez une cein­ture noire de kara­té et un pit­bull aux pos­ses­sions indues de votre beau-père] et, par les bonnes grâces (et l’opiniâtreté) de la police elle-même, votre ano­ny­mat sera plei­ne­ment conservé.

Rap­pe­lez-vous aus­si qu’il est des cas dans les­quels vous ne pour­rez faire autre­ment que de rendre visite à votre com­mis­saire : dénon­cer un crime est un devoir civique et s’y sous­traire consti­tue un délit sanc­tion­né par le code pénal. De nom­breux « numé­ros confi­den­tiels et gra­tuits » sont, jour et nuit, dis­po­nibles qui contre­ra votre force morale en cas de défaillance et, à titre de sti­mu­lant, vous pou­vez même escomp­ter, dans cer­tains cas, quelque récom­pense pécu­niaire non imposable.

Troi­sième leçon. Votre beau-père est en pri­son. Comme votre voi­sin d’ailleurs. Et c’est main­te­nant votre employeur que vous tenez dans votre ligne de mire, ayant obte­nu une preuve patente de ses tur­pi­tudes en reco­piant, pen­dant que vous exer­ciez comme por­tier de nuit, sa « double comp­ta­bi­li­té ». Vous connais­sez par cœur tous les flics de votre bri­gade ? Ou vous sou­hai­tez sim­ple­ment chan­ger ? Expé­ri­men­tez la dénon­cia­tion ano­nyme, qui a ici toutes les chances d’aboutir.

N’en dou­tez pas : toutes les juri­dic­tions, Cour de cas­sa­tion en tête, vous rap­pel­le­ront qu’un juge ne peut décla­rer éta­blie une infrac­tion si la preuve en a été obte­nue de manière irré­gu­lière. Mais ces mêmes juges (et la Cour de cas­sa­tion aus­si) vous diront tout autant que ce prin­cipe ne vaut pas « si la preuve de l’infraction est rap­por­tée par d’autres élé­ments de preuve qui ne résultent ni direc­te­ment ni indi­rec­te­ment de la preuve obte­nue irrégulièrement ».

Or vous ima­gi­nez bien que l’autorité pour­sui­vante — cette bonne âme — ne va pas s’empresser de jeter à la cor­beille [« cachez cette comp­ta­bi­li­té que je ne sau­rais voir…»] la copie de cette « double comp­ta­bi­li­té » tom­bée du ciel. Elle va cher­cher, ingé­nu­ment, autour et alen­tour, quelque autre élé­ment pro­bant et confortant…

Et quand une juri­dic­tion [Gand, 7 jan­vier 1992] ose acquit­ter un pré­ve­nu au (si louable) motif que « la preuve des infrac­tions mises à sa charge est fon­dée sur une preuve obte­nue dans son ensemble de manière irré­gu­lière parce qu’elle trouve son ori­gine dans les pièces jointes à la dénon­cia­tion ano­nyme, obte­nues en abu­sant gra­ve­ment de la rela­tion de confiance exis­tant entre l’employé et ses employeurs»…, la Cour de cas­sa­tion [4 jan­vier 1994] s’empresse de la remettre sur le bon che­min : « La cir­cons­tance que le dénon­cia­teur prend note de docu­ments aux­quels il a accès par sa fonc­tion ne consti­tue ni une infrac­tion ni aucune obten­tion irré­gu­lière de docu­ments, de sorte que la preuve d’une infrac­tion qui peut, le cas échéant, être rap­por­tée de cette manière, ne contient aucune irrégularité. »

Et il ne s’agit pas là d’une incon­grui­té pas­sa­gère : à plu­sieurs reprises, la Cour de cas­sa­tion, chambre néer­lan­do­phone [23 avril 2002, 21 jan­vier 2003] comme fran­co­phone [4 avril 2001], a confir­mé cette bonne argu­men­ta­tion sous la forme du syl­lo­gisme sui­vant : « La preuve d’une infrac­tion dif­fère de la dénon­cia­tion d’une infrac­tion ; une dénon­cia­tion ne peut être consi­dé­rée comme inexis­tante ; en cas de dénon­cia­tion d’une infrac­tion, il appar­tient au minis­tère public com­pé­tent d’apprécier les suites qu’il y a lieu d’y don­ner et s’il paraît pos­sible de recueillir une preuve régu­lière ; la cir­cons­tance que le dénon­cia­teur d’une infrac­tion en a eu connais­sance à la suite d’une illé­ga­li­té n’affecte pas la régu­la­ri­té de la preuve qui a été obte­nue ulté­rieu­re­ment sans aucune illégalité. »

Quand je vous disais qu’une dénon­cia­tion ano­nyme a toutes les chances d’aboutir puisque vous pou­vez ici comp­ter sur le « minis­tère public com­pé­tent » qui fera « son pos­sible » pour recueillir quelque « preuve régulière»… 

Un sec­teur dans lequel cette « douce » pra­tique pro­fite du bon vent, c’est évi­dem­ment le domaine fis­cal. Ici aus­si, évi­dem­ment, le sec­teur se gar­ga­rise de l’illégalité de toute infor­ma­tion reçue en vio­la­tion du secret des lettres ou par lettre ano­nyme. Et pourtant…

Confron­tée à un cas de dénon­cia­tion par lettre ano­nyme, la cour d’appel d’Anvers [17 juin 2003] s’offusque ver­te­ment de ce pro­cé­dé, « incon­ci­liable avec le prin­cipe du droit de la défense et inac­cep­table du point de vue de l’éthique […] L’administration, qui doit ser­vir d’exemple dans notre socié­té, ne peut y prê­ter sa col­la­bo­ra­tion. Le fisc ne peut en aucun cas encou­ra­ger des dénon­cia­tions en uti­li­sant des infor­ma­tions ano­nymes et en don­nant ain­si aux citoyens l’impression que la dénon­cia­tion peut consti­tuer un com­por­te­ment acceptable ».

Mais, l’offuscation n’est que de prin­cipe, la Cour s’empressant de pré­ci­ser, confor­mé­ment à sa juris­pru­dence constante [Anvers, 27 oct. 1981, 21 sept. 1993, 14 mars 1994…], que « des infor­ma­tions ano­nymes consti­tuent des don­nées à véri­fier»… Et, mon­trant l’exemple de ce qu’il faut (ou ne faut pas?) faire, elle applique cette vision au cas concret qu’elle avait à juger. En l’espèce, une lettre ano­nyme avait accu­sé un contri­buable au chô­mage d’exercer une acti­vi­té com­plé­men­taire de pho­to­graphe géné­rant des « reve­nus non décla­rés ». Après avoir effec­tué sa propre enquête, l’administration n’avait obte­nu aucune preuve de ce que cette acti­vi­té (qu’elle qua­li­fiait de simple passe-temps) lui avait pro­cu­ré des reve­nus, mais elle avait éta­bli mal­gré tout un décompte indi­ciaire parce qu’elle arri­vait à la conclu­sion que les dépenses expo­sées par le contri­buable étaient supé­rieures à ses « reve­nus connus ». L’administration lui ayant impo­sé le manque indi­ciaire à titre de reve­nus pro­fes­sion­nels com­plé­men­taires, le contri­buable contes­tait cette taxa­tion devant la cour d’appel d’Anvers. Celle-ci, après avoir « consta­té » que, sur la base de sa « propre enquête », l’administration avait elle-même admis que le passe-temps du contri­buable ne lui pro­cu­rait aucun reve­nu, annule effec­ti­ve­ment la coti­sa­tion que­rel­lée, mais uni­que­ment dans la mesure où le manque indi­ciaire y était qua­li­fié de « reve­nus pro­fes­sion­nels » puisqu’elle l’impose… à titre de « reve­nus d’origine indéterminée » ! 

Le résul­tat qu’il escomp­tait étant atteint, le déla­teur ano­nyme a donc, ici aus­si, toutes les rai­sons de se réjouir. Et de recom­men­cer à dénon­cer puisque, même si les faits qu’il dénonce sont par­fai­te­ment faux, l’administration et le juge se conten­te­ront d’indices — fussent-ils d’origine indé­ter­mi­née… — pour condamner !

Qua­trième leçon. Vous avez réus­si : vous êtes (enfin) notaire, huis­sier de jus­tice, révi­seur d’entreprise, expert comp­table ou avo­cat ? Ou vous tra­vaillez dans une de leurs études ? Ou dans une banque, un éta­blis­se­ment de cré­dit, une com­pa­gnie d’assurances, à la Poste, dans une entre­prise de gar­dien­nage, dans une socié­té de conseil en pla­ce­ments ou de loca­tion-finan­ce­ment, dans le com­merce des diamants… ? 

La loi du 11 jan­vier 1993 (rela­tive à la pré­ven­tion de l’utilisation du sys­tème finan­cier aux fins du blan­chi­ment de capi­taux) vous prie de « trans­mettre des infor­ma­tions » à la Cetif (la Cel­lule de trai­te­ment des infor­ma­tions finan­cières) lorsque vous « savez ou soup­çon­nez qu’une opé­ra­tion est liée au blan­chi­ment de capi­taux » ou lorsque vous avez « connais­sance d’un fait qui pour­rait être l’indice d’un blan­chi­ment de capitaux ».

Vous hési­tez ? Afin de vous ôter vos doutes (avant) et vos scru­pules (après), le légis­la­teur s’est fen­du du condi­tion­nel et s’est conten­té de l’infime éva­nes­cent… : puisqu’on vous dit qu’un indice ou un soup­çon suffisent…

Et si vous res­tez rétif, dépê­chez un subor­don­né : la loi vous impose de « prendre les mesures appro­priées pour sen­si­bi­li­ser [vos] employés et [vos] repré­sen­tants aux dis­po­si­tions de la loi»… 

En remer­cie­ment de vos dili­gences, la loi vous octroie l’impunité abso­lue puisqu’aucune « action civile, pénale ou dis­ci­pli­naire ne peut être inten­tée ni aucune sanc­tion pro­fes­sion­nelle pro­non­cée » contre vous, voire — il n’est vrai­ment pas inter­dit d’être altruiste — contre vos employés ou repré­sen­tants. Et c’est évi­dem­ment pour la forme que figure la pré­ci­sion selon laquelle votre infor­ma­tion doit avoir été déli­vrée « de bonne foi»… 

La loi vous rap­pelle aus­si, mais cela va sans dire au bon déla­teur que vous com­men­cez à être, qu’il vous est inter­dit de caf­ter auprès des « clients » ou de toute « per­sonne tierce » que vous les avez dénoncés…

Cin­quième leçon. Vous vou­lez agir en grand. Et faire en sorte que la répu­ta­tion et l’honneur de votre vic­time soient irré­mé­dia­ble­ment souillés ? Offrez-vous un jour­na­liste. Ici aus­si, le jour­na­liste (qui est deman­deur : comme le recon­nait Edwy Ple­nel, « il n’y a pas d’information sans mani­pu­la­tion ») sera en défi­ni­tive votre meilleur allié.

En ver­tu du prin­cipe du secret des sources, ava­li­sé par la loi du 7 avril 2005, tout jour­na­liste a aujourd’hui le droit et le devoir de ne pas divul­guer l’identité de la per­sonne qui lui a livré une infor­ma­tion. S’agissant d’un secret, il s’applique aus­si lorsque le jour­na­liste est appe­lé à s’expliquer ou à témoi­gner en jus­tice puisque ce secret est oppo­sable « non seule­ment sur le plan pénal, mais aus­si sur le plan civil ».

Vous ne connais­sez aucun jour­na­liste ? Qu’à cela ne tienne. Conçu d’une manière par­ti­cu­liè­re­ment large, ce secret appar­tient non seule­ment à tout jour­na­liste (fût-il occa­sion­nel), mais aus­si aux col­la­bo­ra­teurs de rédac­tion. Vous n’en connais­sez pas plus ? Remer­ciez la Cour d’arbitrage d’avoir ren­du, le 7 juin 2006, un arrêt qui octroie ce même secret aux jour­na­listes ama­teurs (un blo­gueur, par exemple) aux motifs que « le droit au secret des sources jour­na­lis­tiques doit être garan­ti, non pas pour pro­té­ger les inté­rêts des jour­na­listes en tant que groupe pro­fes­sion­nel, mais bien pour per­mettre à la presse de jouer son rôle de « chien de gard » […] Il s’ensuit que toute per­sonne qui exerce des acti­vi­tés jour­na­lis­tiques puise dans les dis­po­si­tions consti­tu­tion­nelles et conven­tion­nelles pré­ci­tées un droit au secret de ses sources d’information ».

À défaut d’une meilleure ouver­ture, vous publie­rez donc, le plus léga­le­ment du monde, votre cra­pu­leu­se­rie sur le blog de votre petit-neveu en l’avisant qu’il devra, lors de la visite de la police qui l’interrogera sur sa source, ânon­ner qu’il est en droit de les envoyer au diable…

Et si enfin, mal­gré l’interdiction appo­sée par la loi, un juge estime oppor­tun de faire des misères à votre petit-neveu, il vous suf­fi­ra de vous en plaindre auprès du Conseil supé­rieur de la jus­tice. Là, alors même qu’aucune dis­po­si­tion légale ne pré­voit rien de sem­blable, sachez que le csj oppo­se­ra une fin de non-rece­voir (sous pré­texte d’un soi-disant « secret pro­fes­sion­nel ») au juge qui ten­te­rait de connaitre l’identité du plaignant…

* * * *

De là, qui ose­rait encore sérieu­se­ment sou­te­nir que la déla­tion serait contraire aux bonnes mœurs ? En novembre 1997, le pré­sident du tri­bu­nal de com­merce de Bruxelles eut à juger de la légi­ti­mi­té d’une publi­ci­té axée sur un appel à la déla­tion : l’annonceur pro­met­tait des récom­penses pou­vant s’élever jusqu’à 100.000 francs à tout qui dénon­ce­rait ceux qui uti­li­saient ou ven­daient des logi­ciels infor­ma­tiques pirates. Le pré­sident ordon­ne­ra sa ces­sa­tion au motif que « cette méthode [de l’appel à la déla­tion] n’est pas neuve et a fait la preuve de sa per­ver­si­té, à une toute autre échelle il est vrai, dans un pas­sé qui n’est pas si loin­tain et dont l’enseignement com­mande de la qua­li­fier de contraire aux bonnes mœurs dans la moindre de ses appli­ca­tions ». Ah bon ! Ces quelques ouver­tures, ci-des­sus réfé­ren­cées, ne démontrent-elles pas clai­re­ment que la déla­tion conti­nue de consti­tuer aujourd’hui un acte d’une haute qua­li­té civique ?

Cela vous choque ? Il ne vous reste plus qu’à dénon­cer les délateurs…

Bernard Mouffe


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