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Culture du redoublement dans l’enseignement obligatoire, dégâts collatéraux dans l’enseignement supérieur (version longue)
Politiques de « stratification » dans l’enseignement obligatoire : où se situe la FWB ? L’OCDE organise, tous les trois ans depuis l’année 2000, la vaste enquête internationale Pisa (septante-deux pays participants en 2015) portant sur les compétences (en lecture, en mathématiques et en sciences) des élèves âgés de 15 ans. Au-delà de la mesure des compétences des élèves, ces […]
Politiques de « stratification » dans l’enseignement obligatoire : où se situe la FWB ?
L’OCDE organise, tous les trois ans depuis l’année 2000, la vaste enquête internationale Pisa (septante-deux pays participants en 2015) portant sur les compétences (en lecture, en mathématiques et en sciences) des élèves âgés de 15 ans. Au-delà de la mesure des compétences des élèves, ces enquêtes Pisa fournissent aussi l’occasion de collecter un grand nombre d’informations sur diverses dimensions et caractéristiques structurelles des systèmes éducatifs.
Une caractéristique structurelle de première importance, en termes d’implications sur les performances des systèmes, se révèle être l’ampleur de la « stratification » organisée entre élèves ou groupes d’élèves. Cette stratification peut prendre deux dimensions (non exclusives): « horizontale » et/ou « verticale »1.
Par « stratification horizontale », on vise les politiques de segmentation de la population scolaire en « filières » distinctes (tracking en anglais). En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), une telle politique paraît aller de soi tant nous sommes accoutumés à voir les élèves orientés, dès la troisième année du secondaire (c’est-à-dire en principe à l’âge de 14 ans), vers l’une de nos quatre « filières » (général, technique de transition, technique de qualification, professionnel). Certes, d’autres pays européens pratiquent aussi une politique de segmentation en « filières », pour certains à un âge même plus précoce que chez nous. Mais un certain nombre de pays (pays scandinaves, Royaume-Uni, Espagne, États-Unis, Canada, etc.) ont une approche — dite « intégrée » (ou comprehensive) — radicalement différente, par laquelle tous les élèves poursuivent leur scolarité au sein d’un même programme.
La « stratification verticale » vise essentiellement la pratique pédagogique du redoublement qui a pour effet de distribuer des élèves du même âge en des années d’études de niveaux différents. Les enquêtes Pisa nous permettent de mesurer l’ampleur de cette pratique, dans les différents pays de l’OCDE, par le « taux de retard scolaire » (à l’âge de 15 ans), c’est-à-dire la proportion d’élèves qui, à l’âge de 15 ans, ont déjà redoublé au moins une fois. En moyenne, au sein de l’OCDE, cette proportion (dans la dernière enquête Pisa 2015) est de 11%. Sous cette moyenne, se situent des pays (Norvège, Japon) qui ne recourent pas au redoublement (taux de 0%) et plusieurs pays (pays scandinaves, Royaume-Uni) qui n’y recourent que de façon très « parcimonieuse » (taux de quelques pourcents seulement). Le contingent des pays « gros redoubleurs » (Allemagne, Suisse, Pays-Bas, France, Communauté flamande) se retrouve regroupé autour des 20%. Au-delà des 20%, on ne trouve plus aucun pays2, sauf la FWB, qui, avec un taux de… 46% (soit plus de quatre fois la moyenne de l’OCDE!) peut être qualifiée de « championne hors catégorie de l’OCDE » en matière de redoublement.
[*Figure 1 présente l’évolution de ce taux de retard sur les 25 dernières années (voir les sources et commentaires plus “techniques” en Annexe 1).*]
Figure 1. Taux de retard scolaire en 5e année de l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice (en %)
(source : FWB ; voir Annexe 1)
Si le taux de retard scolaire à l’âge de 15 ans est actuellement de 46%3 en FWB, il atteint le chiffre effarant de 61%4 en cinquième année du secondaire (où l’âge « théorique » est de seize ans). La figure 1 présente l’évolution de ce taux de retard sur les vingt-cinq dernières années (voir les sources et commentaires plus « techniques » en annexe 1).
Ce taux s’est maintenu à des niveaux très élevés, supérieurs à 50%, tout au long de la période. Il présente néanmoins des fluctuations qui reflètent l’alternance de périodes de modération ou, au contraire, d’exacerbation de la pratique du redoublement dans l’enseignement fondamental et secondaire5 : le taux de retard scolaire, qui s’était (quelque peu) réduit tout au long des années 1990, s’est remis à croitre à partir du milieu de la décennie 20006.
Si, en FWB, la pratique du redoublement atteint ces niveaux inégalés, c’est qu’elle peut s’appuyer sur une « culture du redoublement » encore largement partagée par certains parents et enseignants, qui y voient une garantie de rigueur et donc le moyen le plus sûr — perçu comme pénible, certes, mais nécessaire — pour viser l’excellence.
Comme on le verra à la section suivante, cette croyance dans les vertus du redoublement « à large échelle » est non seulement infondée, mais elle produit des résultats désastreux.
Conséquences désastreuses de ces politiques pour le secondaire
De nombreux travaux7 ont examiné les mérites présumés de la politique de segmentation de la population scolaire en « filières » distinctes (tracking). Ces travaux aboutissent à des conclusions convergentes : le tracking tend à répliquer les disparités socioéconomiques et à exacerber les inégalités dans l’éducation, avec des effets négatifs d’autant plus prononcés que la segmentation en filières distinctes s’opère à un âge précoce8.
De même, les recherches menées sur la pratique du redoublement9 aboutissent à des conclusions tout aussi sévères. Du point de vue pédagogique d’abord, cette pratique apparait inefficace et même — plus grave — contre-productrice pour le cursus ultérieur de l’élève. Si pour certains élèves un redoublement permet effectivement de poursuivre le cursus sur des bases plus solides, il s’agit d’une minorité ; pour la grande majorité des élèves, le redoublement — a fortiori, s’il se répète10 — abime profondément et durablement la confiance de l’élève dans ses propres capacités et réduit par conséquent son gout d’apprendre et sa ténacité à l’effort. Et du point de vue des implications sociales, il apparait que ce sont les élèves des catégories socioéconomiques modestes qui sont, dans les faits, les principales victimes de cette pratique du redoublement.
Lorsqu’un système combine, comme c’est le cas en FWB, la politique de tracking avec une pratique « compulsive » du redoublement, les résultats sont désastreux. Un examen récent des évolutions du secondaire en FWB (Lambert, 2014) illustre comment la pratique exacerbée du redoublement (souvent accompagné d’un changement d’école) conduit à des « relégations » en cascade d’une filière à l’autre, comment ces « relégations » affectent préférentiellement les élèves issus des milieux socioéconomiques modestes et comment ces « relégations » aboutissent à éjecter du système scolaire, sans aucune certification du secondaire supérieur, une proportion élevée de jeunes de la classe d’âge 20 – 24 ans.
Il n’est donc pas surprenant que notre enseignement secondaire apparaisse comme l’un des plus « inégalitaires » de l’OCDE, quel que soit le critère adopté : écart entre les scores moyens des 25% des élèves les plus et les moins favorisés (Quittre et al., 2016), ségrégation sociale entre les écoles (Hindriks, 2017), etc.
Peut-être pourrait-on se poser la question suivante « Certes, notre pratique exacerbée du redoublement génère de fortes inégalités, mais, peut-être, est-ce le prix à payer pour générer des performances moyennes élevées ? ». Hélas, la réponse est sans appel : les scores moyens de nos élèves sont très médiocres, inférieurs à ceux de la moyenne de l’OCDE et bien inférieurs à ceux de nos voisins (voir Quittre et al., 2016).
Ce n’est pas surprenant, les travaux menés à partir des enquêtes Pisa montrent en effet que les systèmes inégalitaires assurent une moindre mobilité sociale à l’école et génèrent des performances moyennes plus faibles de la part des élèves (voir Hindriks et Godin, 2017).
On pourrait alors reformuler la question comme suit « Certes, notre pratique exacerbée du redoublement génère de fortes inégalités et des performances moyennes médiocres, mais sans doute, en segmentant davantage les élèves selon leurs aptitudes, parvenons-nous, in fine, à “produire” un bon contingent d’élèves “forts”?». Hélas à nouveau, les travaux menés à partir des enquêtes Pisa montrent que la FWB se caractérise par une proportion d’élèves « forts »11 très réduite, bien plus faible que celle des pays à faible retard scolaire et que celle des pays à retard scolaire « moyen » (voir Lambert, 2018).
C’est sur la base de ces constats que, soucieuse à la fois d’améliorer les performances et de réduire les inégalités, l’OCDE prêche, depuis de nombreuses années, pour une réduction des redoublements. Les pays de l’OCDE ont bien compris le message : entre Pisa 2009 et Pisa 2015, tous les pays de l’OCDE présentant des taux de retard scolaire supérieurs à la moyenne de l’OCDE ont réduit ce taux, parfois de façon spectaculaire ( – 16% pour la France, –7% pour les Pays-Bas) [voir OECD, 2016]. Tous… sauf la FWB qui reste accrochée à son niveau, inchangé, « hors catégorie ». Certes, beaucoup d’espoirs sont mis dans le « Pacte pour un enseignement d’excellence », mais sur la question du redoublement celui-ci apparait fort timide12.
Culture du redoublement dans le secondaire : effets directs sur le supérieur
Les dégâts des politiques de « stratification » de l’enseignement secondaire restent-ils confinés à ce niveau d’enseignement ? Se pourrait-il que ces politiques, en particulier le recours exacerbé à la pratique du redoublement, exercent également des effets directs sur l’enseignement supérieur ? C’est cette question, souvent négligée, que nous examinons à présent.
À cette fin, nous avons collecté et (re)constitué, à partir de diverses sources, un certain nombre de séries longues de données statistiques pertinentes pour notre propos. Pour la clarté de l’exposé, les données utiles seront présentées graphiquement dans le texte, les séries statistiques étant reléguées en annexe(s), avec mention des sources. Pour des raisons pratiques (disponibilité des données13), nous examinerons surtout les effets directs sur l’université avec, lorsque des données sont disponibles, quelques observations complémentaires sur le supérieur « hors université ».
Si la pratique exacerbée du redoublement dans le secondaire devait également affecter l’université, c’est évidemment au début du cursus universitaire, au moment du « test » des résultats de fin de première année, que les éventuels effets seraient les plus visibles.
La figure 2 présente l’évolution du taux de réussite des étudiants universitaires de première génération14 sur la période qui va de l’année académique 1975 – 1976 à l’année académique 2012 – 2013 (voir les sources et commentaires plus « techniques » en annexe 2).
Figure 2. Taux de réussite des étudiants universitaires
de première génération (en %)
(source : Droesbeke et al., 2001 et CRef ; voir Annexe 2)
Si l’on fait abstraction des quelques observations de la fin des années 1970, bref intermède marqué par des taux de réussite « anormalement » élevés, et que l’on porte son attention sur la suite, que constate-t-on ? Sur l’ensemble de la période qui va de 1980 – 1981 à 2013 – 2014 (dernière observation disponible), on constate que le taux de réussite a constamment fluctué dans un « couloir » compris entre 37% et 43%15. On ne peut discerner de « tendances séculaire » à la hausse ni à la baisse, mais on peut clairement discerner des « cycles », soit des alternances de périodes caractérisées par une progressive amélioration et de périodes caractérisées par une progressive dégradation. Ainsi, pour prendre l’exemple des vingt dernières années, après plus d’une décennie de redressement continu entamé au début des années 1990, l’évolution s’est-elle inversée au milieu des années 2000 et nous assistons maintenant, depuis près de dix ans, à une irrésistible dégradation.
Premier effet : via le « taux de retard scolaire » de la population étudiante de première génération
Pour tenter de comprendre les ressorts de ce phénomène, il faut se reporter aux conclusions des nombreux travaux et sources statistiques16 visant à identifier les caractéristiques des étudiants de première génération les plus susceptibles d’affecter leurs taux de réussite. Une constante se dégage : sur l’ensemble de la période étudiée (des années 1970 à ce jour), la caractéristique, de loin, la plus « discriminante » pour la réussite (ou non) des étudiants de première génération se révèle être l’absence (ou non) de retard scolaire à l’entrée de l’université17. La différence (en matière de taux de réussite) est très importante entre les étudiants « à l’heure » (ceux qui ne présentent aucun retard scolaire à l’issue du secondaire) et les étudiants « en retard » : taux de réussite autour de 50% pour les premiers et à peine la moitié (de l’ordre de 25%) pour les seconds18.
On comprend dès lors comment la pratique du redoublement dans le secondaire peut exercer des effets directs sur l’enseignement supérieur (en l’occurrence, ici, l’université). Quand la pratique du redoublement se fait plus mesurée dans le secondaire, la proportion d’élèves abordant l’université « à l’heure » augmente (et celle abordant l’université « en retard » diminue) et inversement quand la pratique du redoublement s’exacerbe. Et quand, dans le contingent des étudiants universitaires de première génération, la part des étudiants « à l’heure » (dont les taux de réussite sont nettement plus élevés que ceux des étudiants « en retard ») augmente, le taux global de réussite des étudiants universitaires de première génération augmente (et inversement quand la part des étudiants « à l’heure » diminue).
La figure 3 illustre ces effets en présentant en parallèle les évolutions de deux statistiques : dans la courbe du haut (qui n’est que la reproduction de la figure 2), le taux de réussite des étudiants universitaires de première génération (mesuré sur l’axe vertical de droite) et, dans la courbe du bas, la proportion des étudiants « à l’heure » parmi les étudiants universitaires de première génération (mesurée sur l’axe vertical de gauche).
Figure 3. Taux de réussite des étudiants universitaires de première génération (en %)
(courbe du haut ; axe vertical de droite ; sources : voir Annexe 2)/small>
Proportion des étudiants “à l’heure” parmi les étudiants universitaires de première génération (en %)
(courbe du bas ; axe vertical de gauche ; sources : voir Annexe 3)
On vérifie que :
- la proportion des étudiants « à l’heure » parmi les étudiants universitaires de première génération présente des fluctuations au cours de la période. Sachant que, sauf rares exceptions, les étudiants de première génération sortent directement du secondaire, ces fluctuations reflètent directement les fluctuations dans l’intensité des pratiques de redoublement à l’œuvre dans l’enseignement secondaire (se reporter à la discussion de la section 1 et, en particulier, à la figure 119).
- chaque épisode de réduction — ou, inversement, de redressement — de la proportion des étudiants de première génération « à l’heure » entraine une évolution analogue du taux de réussite global des étudiants de première génération.
Les variations en matière de pratiques de redoublement dans le secondaire exercent donc clairement un impact direct sur le taux de réussite des étudiants universitaires de première génération.
L’exercice mené jusqu’ici ne s’est penché que le seul impact des variations du « taux de retard » scolaire à l’entrée de l’université. La « culture du redoublement » produit aussi d’autres effets sur l’université, que nous examinerons à présent.
Deuxième effet : via la composition de la population étudiante de première génération en termes de « filières » d’origine
Comme vu plus haut en section 1, la « culture du redoublement » s’articule étroitement à la segmentation de notre enseignement secondaire en « filières » distinctes. À l’exception d’une petite minorité d’élèves qui font le choix délibéré de l’enseignement secondaire qualifiant (technique de qualification et professionnel), la réalité est celle d’un processus progressif de relégation20 en cascade (au gré des échecs scolaires, des attestations d’orientation délivrées par les conseils de classe et des conseils donnés aux parents) d’une filière à l’autre : du général vers le technique de transition, du technique de transition vers le technique de qualification et ensuite vers le professionnel.
Dans les périodes où la pratique du redoublement s’exacerbe dans le secondaire, le nombre d’élèves se voyant progressivement relégués dans les filières techniques (de transition ou de qualification) et professionnelle augmente, au détriment de la population du secondaire général (voir Lambert, 2014).
Ces modifications de la composition du public des élèves de fin du secondaire rejaillissent aussi sur l’université, comme l’illustre le tableau de l’annexe 4 qui présente (pour le maximum d’observations disponibles) la proportion d’étudiants provenant de l’enseignement secondaire technique (de transition et de qualification) et professionnel parmi les étudiants universitaires de première génération. Les étudiants universitaires de première génération sont, dans leur immense majorité (historiquement, autour des 93%), issus de l’enseignement secondaire général. Mais on constate que cette proportion peut également fluctuer dans le temps. L’annexe 4 illustre deux épisodes intéressants. Au cours des années 1990, période marquée, comme on l’a vu plus haut, par une progressive modération des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire, la part des étudiants universitaires de première génération issus des filières technique ou professionnel se contracte ; tandis que dans les années 2004 – 2005 à 2012 – 2013, marquées, comme on l’a vu plus haut, par une forte exacerbation des pratiques de redoublement et de relégation dans le secondaire, cette même part augmente fortement (de 7% à près de 12%).
Ceci n’est évidemment pas sans conséquence pour les taux de réussite à l’entrée de l’université. Le secondaire général (qui regroupe près de 50% des élèves en fin de secondaire) est la filière qui, par vocation, prépare principalement — et le mieux — à l’université (et à l’enseignement supérieur en général). En témoignent les taux de réussite des étudiants universitaires de première génération, identifiés par filière d’origine : celui des étudiants issus du secondaire général dépasse les 40% tandis que celui des étudiants issus des filières technique ou professionnel est de l’ordre des 10%21. Dès lors, quand la composition du public des étudiants universitaires de première génération se modifie au détriment au détriment de la part d’étudiants issus du secondaire général, le taux de réussite global des étudiants de première génération se dégrade (et inversement dans les périodes où la part des étudiants issus du secondaire général augmente).
Nous avons montré que la « culture du redoublement » dans le secondaire affecte aussi l’université. Nous n’avons considéré, jusqu’ici, que deux effets directs : celui des variations de la part des étudiants « à l’heure » et celui des variations de la part des étudiants issus du secondaire général. On pourrait croire, de prime abord, que ces variations, somme toute ténues (quelques pourcents seulement), sont insuffisantes pour expliquer véritablement les variations enregistrées dans le taux de réussite des étudiants universitaires de première génération. Il n’en est rien : on vérifie aisément que ces deux effets directs rendent compte, à eux seuls, de l’essentiel des variations du taux de réussite22.
Troisième effet : via la composition de la population étudiante de première génération en matière d’options suivies dans le secondaire général
Mais la « culture du redoublement » produit aussi d’autres effets, au travers des choix d’options dans le secondaire général. Certaines options de base, comme « mathématiques fortes » (6 heures ou plus) et « langues anciennes » sont réputées plus exigeantes que d’autres et elles attirent d’ailleurs les « meilleurs » élèves. Dans les périodes où la pratique du redoublement s’exacerbe, une proportion plus élevée des élèves du secondaire général se résigne à choisir l’option de la « sécurité » en désertant les options de base réputées « difficiles » pour d’autres options moins risquées23. Ce faisant, ils évitent peut-être le redoublement dans le secondaire, mais n’échappent pas à un risque accru à l’entrée de l’université. Tous les travaux disponibles24 convergent, en effet, pour montrer que le taux de réussite des étudiants universitaires de première génération issus du secondaire général est considérablement plus élevé pour les étudiants ayant suivi les options réputées « exigeantes » (taux moyen de réussite supérieur à 50%) que pour les étudiants n’ayant pas suivi ces options (taux moyen de réussite autour de 30%). Et donc quand, dans les périodes d’exacerbation de la pratique du redoublement dans le secondaire, la part des étudiants de première génération ayant suivi des options réputées « exigeantes » se contracte, cette modification du « profil » moyen des étudiants entraine inéluctablement une réduction du taux global de réussite des étudiants de première génération.
Cette section 3 avait essentiellement pour objectif de dépasser les simples déclarations selon lesquelles « l’enseignement secondaire nous envoie des étudiants moins bien préparés que par le passé ». Nous avons montré par quelles voies la « culture du redoublement » dans le secondaire affecte les taux de réussite des étudiants universitaires de première génération et avons démontré que ces effets combinés sont importants, à même d’expliquer les fluctuations de ces taux de réussite et, en particulier, la forte baisse enregistrée depuis dix ans. La section suivante se proposera d’établir une « évaluation politique » des dégâts.
Avant de passer à la section suivante, quelques mots sur l’enseignement supérieur « hors université ». Nous avons ici porté notre attention sur l’université car c’est ce type d’enseignement supérieur qui a fait l’objet des travaux les plus nombreux et pour lequel nous disposions donc des séries statistiques les plus fournies. On dispose néanmoins, pour l’enseignement supérieur « hors université » de type long et de type court, de statistiques portant sur la période 2003 – 2004 à 2012 – 201325. Ces statistiques permettent d’évaluer l’effet des variations de la part des étudiants « à l’heure » et celui des variations de la part des étudiants issus du secondaire général. On vérifie aisément que les constats établis pour l’université sont totalement transposables à l’ensemble de l’enseignement supérieur26.
« Culture du redoublement » dans le secondaire : « évaluation politique » des dégâts dans le supérieur
Dans cette section, nous examinerons les effets de la « culture du redoublement » dans le secondaire — et, en particulier, de l’exacerbation de la pratique du redoublement et de la relégation — sur les grands objectifs « politiques » que constituent, pour les nouvelles générations concernées, le taux d’accès à l’enseignement supérieur et la proportion d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur.
Examinons d’abord l’évolution de notre « score » en matière de proportion de la classe d’âge 25 – 34 ans diplômée de l’enseignement supérieur. Pour rappel, l’Union européenne (UE) a retenu l’amélioration de cet indicateur comme un des objectifs de la stratégie « Europe 2020 ». Il s’agit à la fois de doter l’Europe des compétences exigées par une « société de la connaissance » et de doter les jeunes européens des atouts nécessaires pour évoluer dans une société qui exige un niveau de qualification plus élevé que par le passé.
Le tableau 1 présente l’évolution de cet indicateur pour plusieurs pays (ou groupe de pays) européens, pour l’UE dans son ensemble, ainsi que pour la zone « Amérique du Nord-Asie-Pacifique », sur les quinze dernières années.
Tableau 1. Proportion de la classe d’âge 25 – 34 ans diplômée
de l’enseignement supérieur (en %)27
(source : OCDE et Eurostat)
2000 | 2005 | 2010 | 2015 | |
Belgique ‑FWB — Communauté flamande |
36 33 38 |
41 39 43 |
44 43 45 |
43 41 45 |
Pays-Bas | 27 | 35 | 41 | 45 |
France | 31 | 40 | 43 | 45 |
Royaume-Uni | 29 | 35 | 46 | 49 |
Pays scandinaves28 | 34 | 39 | 42 | 45 |
Allemagne29 | 22 | 22 | 26 | 30 |
Moyenne UE | 24 | 30 | 35 | 40 |
Amérique du Nord-Asie-Pacifique30 | 40 | 47 | 53 | 57 |
On vérifie que l’Europe reste encore très à la traine par rapport aux pays concurrents de la zone « Amérique du Nord-Asie-Pacifique » en matière de proportion de la classe d’âge 25 – 34 ans diplômée de l’enseignement supérieur. On constate aussi que la FWB qui, en 2000, faisait encore figure de bon élève, avec un score supérieur à celui de la moyenne européenne et même de ses voisins européens, se fait à présent (en 2015) dépasser par la plupart de ses voisins (à l’exception du cas particulier de l’Allemagne : voir la note de bas de page sur l’«exception culturelle » allemande).
Que s’est-il passé ? Alors que tous les pays européens (comme non européens, d’ailleurs) ont vu progresser de façon continue, de 2000 à 2015, la proportion de leur classe d’âge 25 – 34 ans diplômée de l’enseignement supérieur, il n’en a pas été de même pour la FWB. Pour cette dernière, après une belle progression entre 2000 et 2010, le système s’est grippé à partir de 2010, pour générer même une régression du taux de diplômés de l’enseignement supérieur. La FWB constitue le seul cas d’un « pays » de l’OCDE qui a vu son taux de diplômés de l’enseignement supérieur (de la tranche d’âge 25 – 34 ans) régresser au cours des cinq dernières années !
Ce constat de la « panne » de notre ascenseur social31 est également mis en avant dans le récent rapport remis, à sa demande, au président de l’Ares (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), par un « Collège d’experts extérieurs » (voir Ares, 2017). Mais l’origine et les causes de cette « panne » restaient, jusqu’à présent, une énigme, faute d’examen plus approfondi. C’est cet examen que nous mènerons à présent.
L’évolution du taux de diplomation de l’enseignement supérieur d’une tranche d’âge donnée dépend de deux variables : d’une part, l’évolution du taux d’accès à l’enseignement supérieur des jeunes de la tranche d’âge considérée et, d’autre part, l’évolution du taux final de diplomation de ces jeunes ayant accédé à l’enseignement supérieur.
L’évolution du taux d’accès à l’enseignement supérieur dépend certes d’évolutions « culturelles » (comme la progression de l’accès des femmes à l’enseignement supérieur, mais aussi, comme on le verra plus loin, des évolutions de l’enseignement secondaire. Pour prendre un exemple, si la filière du secondaire général, principale « pourvoyeuse » d’étudiants du supérieur, venait à se contracter, le taux d’accès à l’enseignement supérieur en souffrirait nécessairement.
L’évolution du taux final de diplomation des étudiants accédant au supérieur dépend crucialement de l’évolution du taux de réussite en première année de ces étudiants de première génération. On sait, en effet, que la toute grande majorité des échecs suivis d’abandon se produisent à l’issue de cette première année32. Or nous avons vu plus haut, dans la section 3, que les évolutions du taux de réussite des étudiants de première génération sont très étroitement déterminées par l’alternance de la modération ou, au contraire, de l’exacerbation des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire.
Examinons donc comment ont évolué ces deux variables pour la tranche d’âge des 25 – 34 ans. Il s’agit d’établir soigneusement les repères chronologiques : à titre d’illustration, les personnes se trouvant en 2005 dans la tranche d’âge des 25 – 34 ans sont nées entre 1971 (pour les 34 ans) et 1980 (pour les 25 ans). Elles accédaient donc à l’enseignement supérieur (au plus tôt, c’est-à-dire à l’âge de 18 ans) entre les années académiques 1989 – 1990 (pour les 34 ans) et 1998 – 1999 (pour les 25 ans).
Pour les 25 – 34 ans de 2005 ainsi que ceux de 2010 [ensemble des personnes nées entre 1971 et 1985 et qui ont donc accédé à l’enseignement supérieur (au plus tôt, c’est-à-dire à l’âge de 18 ans) entre les années académiques 1989 – 1990 et 2003 – 2004], les deux variables déterminantes étaient orientées comme suit :
- Le taux d’accès à l’enseignement supérieur se voyait d’abord « boosté » par un premier facteur : le phénomène de « rattrapage » (puis de « dépassement ») de la participation des femmes à l’enseignement supérieur33. Ce phénomène est mondial : dans (quasi) tous les pays de l’OCDE, les femmes sont à présent plus nombreuses que les hommes dans l’enseignement supérieur.
- Le taux d’accès à l’enseignement supérieur se voyait également « boosté » par un second facteur : la modération progressive, durant toutes les années 1990 jusqu’au début des années 2000, des pratiques du redoublement et de relégation dans le secondaire (voir la section 3). Cette modération a entrainé plusieurs effets bénéfiques34 : d’abord, elle a permis, en réduisant les relégations, de maintenir dans la filière « générale » du secondaire, le maximum d’élèves. Or le secondaire général, dont la vocation principale est de préparer à l’enseignement supérieur, présente un taux d’accès à l’enseignement supérieur de très loin supérieur à celui des autres filières. Ensuite le taux de retard scolaire se réduisant dans l’ensemble du secondaire, toutes les filières ont vu augmenter leur taux d’accès à l’enseignement supérieur, mais c’est pour la filière « générale » que l’augmentation fut la plus marquée.
- Le taux final de diplomation des étudiants ayant accédé à l’enseignement supérieur s’est également amélioré tout au long de la décennie 1990 jusqu’au début des années 2000, au fur et à mesure que l’augmentation de la part « à l’heure » des étudiants de première génération améliorait les taux de réussite (voir la section 3).
Conclusion : la progression continue du taux de diplomation de l’enseignement supérieur des 25 – 34 ans entre 2000 et 2010 s’explique par l’amélioration — conjointe et continue — des deux variables déterminantes durant toute la décennie 1990 jusqu’au début des années 2000, sous l’effet de la modération progressive des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire pendant cette période.
Les 25 – 34 ans de 2015 [nés entre 1981 et 1990 et qui ont donc accédé à l’enseignement supérieur (au plus tôt, c’est-à-dire à l’âge de 18 ans) entre les années académiques 1999 – 2000 et 2008 – 2009] ont connu, pour la plupart d’entre eux, des conditions très différentes de leurs ainés. À l’exception des plus âgés de cette cohorte, ils ont été « victimes » (dès le début des années 2000) du revirement — dans le sens de l’exacerbation — des pratiques du redoublement et de relégation dans le secondaire :
- L’amélioration du taux d’accès à l’enseignement supérieur s’est arrêtée pour faire place à une stabilisation35. Cette stabilisation du taux recouvre néanmoins des évolutions contrastées entre le secondaire général, dont le taux d’accès à l’enseignement supérieur s’est dégradé tandis que le taux d’accès des autres filières du secondaire (bien inférieur à celui du secondaire général) a continué de s’améliorer. Outre la réduction de son taux d’accès, le secondaire général a aussi vu son poids relatif se réduire (dans la population des années terminales du secondaire)36 sous l’effet de l’amplification des pratiques de relégation ;
- Le taux final de diplomation des étudiants ayant accédé à l’enseignement supérieur a commencé à se dégrader peu avant le milieu des années 2000, au fur et à mesure que l’altération du « profil » des étudiants de première génération (augmentation de la proportion des étudiants « en retard », réduction de la part des étudiants issus du secondaire général, etc.) plombait progressivement les taux de réussite (voir la section 3).
- Conclusion : le recul du taux de diplomation de l’enseignement supérieur des 25 – 34 ans entre 2010 et 2015 s’explique par la dégradation (amorcée peu avant le milieu des années 2000) des deux variables déterminantes, sous l’effet du revirement — dans le sens de l’exacerbation — des pratiques du redoublement et de relégation dans le secondaire.
Et pour les 25 – 34 ans de 2020 [nés entre 1986 et 1995 et qui ont donc accédé à l’enseignement supérieur (au plus tôt, c’est-à-dire à l’âge de 18 ans) entre les années académiques 2004 – 2005 et 2013 – 2014], quel sera le taux de diplômés de l’enseignement supérieur ? Bien sûr, à ce jour, cette statistique n’est pas encore connue, mais nous connaissons déjà, par diverses publications37, l’évolution des deux variables déterminantes :
- Le taux d’accès à l’enseignement supérieur est resté globalement stable. Cette stabilisation du taux recouvre des évolutions contrastées entre le secondaire général, dont le taux d’accès à l’enseignement supérieur reste stable tandis que le taux d’accès des autres filières du secondaire (bien inférieur à celui du secondaire général) a continué de s’améliorer. Mais le secondaire général a continué à voir son poids relatif se réduire (dans la population des années terminales du secondaire)38 sous l’effet de l’amplification des pratiques de relégation ;
- Le taux final de diplomation des étudiants ayant accédé à l’enseignement supérieur a continué à se dégrader, au fur et à mesure que l’altération du « profil » des étudiants de première génération (augmentation de la proportion des étudiants « en retard », réduction de la part des étudiants issus du secondaire général, etc.) plombait progressivement les taux de réussite (voir la section 3).
Conclusion : on peut anticiper une poursuite du recul, entre 2015 et 2020, du taux de diplomation de l’enseignement supérieur des 25 – 34 ans.
Conclusions
Les enquêtes Pisa ont mis en lumière les faibles performances de notre enseignement obligatoire, surtout au niveau du secondaire : score (moyen) médiocre des élèves, inégalités extrêmes entre élèves et entre les écoles, forte ségrégation sociale entre les écoles, etc.
Mais les enquêtes Pisa ont aussi fourni l’occasion de mettre en évidence — grâce aux collectes internationales de données — certaines caractéristiques structurelles de notre enseignement secondaire. Il apparait particulièrement « stratifié », tant horizontalement (segmentation de la population scolaire en filières distinctes) que verticalement (ampleur du recours au redoublement). En matière de redoublement, la FWB s’illustre même comme la championne « hors catégorie » de l’OCDE avec ses taux de retard scolaire à des distances « stratosphériques » de ceux de tous les autres pays — même des plus « gros redoubleurs » — de l’OCDE. Or les travaux menés, depuis de nombreuses années, sur ces questions aboutissent à des résultats convergents : les politiques de « stratification » dans l’enseignement secondaire induisent de faibles performances du système, à l’image de celles fournies par la FWB.
Cette brève remise en perspective faite, nous abordons la question suivante, jusqu’ici souvent négligée : au-delà des dégâts internes causés à notre enseignement secondaire, ces politiques et pratiques « structurelles » de notre enseignement secondaire affecteraient-elles aussi notre enseignement supérieur (en ce compris l’université)? On pressent que oui. Encore faut-il le démontrer, identifier les différents canaux de transmission des effets et en mesurer l’importance.
Nous montrons que les périodes de modération de la pratique du redoublement et de la relégation dans le secondaire (comme celle que l’on a connue tout au long des années 1990 jusqu’au début des années 2000) génèrent une amélioration progressive des taux de réussite des étudiants de première génération accédant à l’enseignement supérieur et que les périodes d’exacerbation de ces pratiques dans le secondaire (comme celle que nous connaissons depuis le milieu des années 2000) génèrent une dégradation progressive des taux de réussite de ces étudiants de première génération.
Il ne s’agit pas d’une simple corrélation, car la causalité est clairement mise en évidence : l’orientation (modération ou exacerbation) de la pratique du redoublement et de la relégation dans le secondaire exerce un effet puissant sur la « qualité » — disons plutôt le « profil académique »39 — des générations d’étudiants accédant au supérieur. On vérifie que, dans les périodes de modération des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire, les jeunes accédant à l’enseignement supérieur comptent, d’année en année, une proportion de plus en plus réduite d’étudiants « en retard » et d’étudiants issus des filières « qualifiantes », catégories d’étudiants dont le taux de réussite est très nettement inférieur à celui de leurs condisciples issus — sans retard scolaire — du secondaire général. Le taux de réussite global des étudiants de première génération (tant à l’université que dans le supérieur « hors université ») s’améliore donc, mécaniquement, d’année en année. Les mêmes effets — mais dans le sens inverse — jouent dans les périodes d’exacerbation des pratiques du redoublement et de la relégation dans le secondaire, ce qui explique la dégradation continue du taux de réussite des étudiants de première génération à laquelle nous assistons, depuis plus de dix ans, dans l’ensemble de l’enseignement supérieur de la FWB.
Nous démontrons également que les pratiques malheureuses de notre enseignement secondaire sont à la base d’un phénomène parfois présenté comme une énigme : pourquoi, alors que tous les pays de l’OCDE ont réussi à faire augmenter de façon continue, entre 2000 et 2015, la proportion de leur population de 25 – 34 ans diplômée de l’enseignement supérieur, la FWB n’a‑t-elle pas réussi à faire de même, cette proportion se réduisant même chez nous entre 2010 et 2015 ? L’évolution de cet indicateur dépend de celle de deux variables déterminantes : le taux d’accès à l’enseignement supérieur des nouvelles tranches d’âge et le taux de diplomation final des étudiants de première génération accédant au supérieur. Nous montrons que taux d’accès à l’enseignement supérieur, après avoir longtemps augmenté, s’est mis à plafonner, essentiellement sous l’effet de la contraction de la part du secondaire général dans la population totale des années terminales du secondaire40. Quant au taux de diplomation final des étudiants de première génération accédant au supérieur, il ne peut que se contracter, dès lors que les taux de réussite en première année du supérieur — déterminants pour la suite du parcours dans le supérieur — se mettent à plonger sous l’effet des pratiques pédagogiques du secondaire, comme expliqué plus haut.
Terminons par quelques réflexions à la tonalité plus « politique » :
- La réduction — de l’ordre de 2 à 3% — entre 2010 et 2015, de la proportion des 25 – 34 ans diplômés de l’enseignement supérieur signifie concrètement, si l’on fait le compte, que 15000 de ces jeunes (de l’ensemble de la tranche d’âge 25 – 34 ans) ont été privés d’un diplôme de l’enseignement supérieur et cela, comme nous l’avons vu, par les seuls effets de l’exacerbation de la « culture du redoublement » dans le secondaire. Une telle politique — unique dans l’OCDE — n’est-elle pas « suicidaire » lorsqu’on sait que les multiples défis41 que nos sociétés devront affronter requièrent une élévation du niveau de qualification des nouvelles générations42 ?
- Au-delà du « cout humain », la « culture du redoublement » entraine aussi des couts budgétaires importants, comme le souligne l’OCDE. Pour une même population de la tranche d’âge 12 – 18 ans, les pays recourant de façon intensive à la pratique du redoublement maintiendront dans le secondaire une population scolaire plus nombreuse, a fortiori s’ils recourent volontiers (comme la FWB) au redoublement répété (élèves ayant redoublé à plus d’une reprise). Cette population scolaire plus nombreuse nécessite davantage d’infrastructures (écoles), d’enseignants, etc. On calcule que, si la FWB alignait ses pratiques de redoublement sur celles de la Flandre (classée pourtant parmi les « gros redoubleurs » de l’OCDE, mais qui recourt très peu au redoublement répété), la population scolarisée dans le secondaire de la FWB serait inférieure de plus de 11% à ce qu’elle est actuellement. Soit un « surcout budgétaire »43 annuel de quelque 350 millions d’euros par rapport à la Flandre, ce qui équivaut à la moitié du budget annuel des universités de la FWB.
- Les choix politiques en matière d’éducation en FWB ne pèchent-ils pas par un manque de cohérence ? C’est, en effet, au moment où l’exacerbation de la « culture du redoublement » dans le secondaire aboutit à envoyer vers l’enseignement supérieur un public étudiant plus « fragile » qu’auparavant que les responsables politiques décident d’étrangler financièrement l’enseignement supérieur (via le système d’enveloppe fermée), le contraignant à réduire drastiquement les conditions d’encadrement de ces nouveaux étudiants44 ?
- Confrontés à la chute des taux de réussite à l’entrée de l’enseignement supérieur, de nombreux responsables (tant académiques que politiques) incriminent les défaillances quant à l’orientation des étudiants. Or l’origine du « problème » n’est pas là, comme on vient de le démontrer, mais plutôt dans la dégradation de la « qualité » — ou, si l’on veut, du « profil académique » — des nouvelles générations d’étudiants de première génération. Une meilleure orientation des étudiants est certes bienvenue, dans l’état actuel des choses, mais elle s’apparente davantage à « un emplâtre sur une jambe de bois » qu’à une solution de fond. Mieux vaut attaquer le « problème » à la racine en assignant (plus) explicitement au « Pacte pour un enseignement d’excellence » un objectif prioritaire de réduction rapide (avec échéancier et suivi) des taux de redoublement et de son corolaire, la relégation en cascade.
- Voir OECD (2016).
- Sauf le Portugal et Espagne, tous deux à 31%.
- Avec une proportion d’élèves de quinze ans accusant un retard scolaire de deux ans (ou plus) de 13%.
- Avec une proportion d’élèves de 5e secondaire accusant un retard scolaire de deux ans (ou +) s’élevant à 33%.
- C’est dans le secondaire que la pratique du redoublement est la plus virulente : le taux de retard scolaire n’est « que » de 19% en sixième année du primaire alors qu’il atteint 61% en cinquième année du secondaire. Plus de 2/3 des retards scolaires s’accumulent dans le secondaire.
- Voir FWB (2006 – 2016), section « Redoublement dans l’enseignement ordinaire de plein exercice ».
- Voir, par exemple, Oakes (2005), Hanushek et Woessmann (2005) et OECD (2016).
- Raison pour laquelle le « Pacte pour un enseignement d’excellence » recommande, pour la FWB, l’allongement (d’un an, en l’occurrence) du « tronc commun ».
- Voir Crahay (2013) et Demeuse et al. (2005) pour des travaux belges et OECD (2016) pour les références à des travaux internationaux.
- En FWB, plus de la moitié des élèves en retard scolaire en fin de secondaire a redoublé deux fois, sinon plus. À titre de comparaison, très rares sont les élèves que l’on fait redoubler plus d’une fois en Communauté flamande, pourtant classée parmi les pays « gros redoubleurs ».
- Les enquêtes Pisa, qui mesurent les compétences des élèves de quinze ans (en lecture, mathématiques et sciences) étalonnent ces compétences selon des niveaux allant de 1 (élèves « faibles ») à 5 et 6 (élèves « forts »).
- Les travaux préparatoires du « Pacte » désignaient explicitement la réduction des redoublements comme un objectif de la plus haute priorité. Ce caractère prioritaire s’est progressivement estompé à la faveur des révisions successives du texte, la réduction des redoublements étant à présent évoquée davantage comme une « retombée » possible, certes souhaitable mais nullement garantie, d’un ensemble de mesures qui mettront de longues années à se concrétiser. On constate combien la « culture du redoublement » fait de la résistance en FWB…
- L’université ayant fait l’objet de davantage de recherches en FWB que le supérieur « hors université », c’est pour l’université que des séries statistiques longues sont disponibles.
- Sont dits « de première génération » les étudiants inscrits pour la première fois en première année du premier cycle dans une université de la FWB et qui n’ont jamais été inscrits auparavant dans une université belge ou étrangère.
- Sauf rares et fugaces excursions aux marges de ce « couloir » en 1984 – 1985, 1992 – 1993 et 2004 – 2005.
- Voir, par exemple, de Kerchove et Lambert (1996), Droesbeke et al. (2001) ainsi que, pour les années 2003 – 2004 et suivantes, les tableaux 2.3.2 des Annuaires statistiques du CRef.
- Ce constat rejoint les conclusions des travaux évoqués dans la section 2 sur le caractère contreproductif du redoublement pour la poursuite du cursus ultérieur de l’élève.
- Ce taux de réussite de 50% pour les étudiants (de première génération) « à l’heure » apparait stable, avec des variations réduites (de l’ordre de 2 à 3%), tout au long de la période d’observation, qu’il s’agisse des années 1975 – 1980 ou des années 1990 (Droesbeke et al., 2001) ou de la décennie 2003 – 2004 à 2012 – 2013 (Annuaires du CRef). Pour ces mêmes années d’observations, le taux de réussite des étudiants (de première génération) « en retard » évolue entre 22% et 28%, selon l’évolution des poids respectifs des étudiants en retard d’un an (taux de réussite moyen de 30%) et de ceux en retard de deux ans ou plus (taux de réussite moyen de 20%, voire moins).
- Si on peut confronter la figure 1 avec la courbe du bas de la figure 3 pour identifier les périodes de réduction (ou, alternativement, de croissance) des taux de retard scolaire, on ne peut comparer directement ces deux courbes pour ce qui concerne les niveaux de ces taux de retard. La figure 1 présente en effet les taux de retard en cinquième année du secondaire, toutes filières confondues, tandis que la courbe du bas de la figure 3 présente les taux de « non-retard » scolaire des étudiants universitaires de première génération qui, dans leur immense majorité, viennent de l’enseignement secondaire général (lequel ne scolarise qu’un peu moins de 50% des élèves de 6e année du secondaire).
- La réalité de ce processus de relégation en cascade est d’ailleurs explicitement exprimée dans des publications officielles de la FWB (voir FWB, 2006 – 2016).
- Voir, pour les années 1990, la section 7.7 de Droesbeke et al. (2001) et, pour les années 2003 – 2004 à 2012 – 2013, le Tableau « Taux de réussite en première année des étudiants de première génération dans l’enseignement supérieur en haute école et à l’université » dans les publications FWB (2006 – 2016).
- Illustrons pour l’épisode le plus récent, qui a vu se dégrader de quelque 4% le taux de réussite depuis le premier tiers des années 2000. Sur la même période, la part des étudiants « à l’heure » (taux moyen de réussite = 50%) s’est réduite de quelque 7% au profit de celle des étudiants « en retard » (taux moyen de réussite = 25%). Et, dans le même temps, la part des étudiants issus du secondaire général (taux moyen de réussite = 42%) s’est réduite de quelque 4% au profit des étudiants issus des filières techniques et professionnelle (taux moyen de réussite = 10%). Un bref calcul montre que ces deux effets génèrent, à eux seuls, une réduction de plus de 3% du taux de réussite global des étudiants universitaires de première génération, soit plus de 3/4 de la réduction observée.
- Voir le tableau 21 dans Vermandele et al. (2010) pour le choix d’option « mathématiques fortes » durant la période 1997 – 1998 à 2007 – 2008 et ETNIC (FWB) pour les choix d’options de base « langues anciennes » et « mathématiques 6 heures » sur la période 2009 – 2010 à 2015 – 2016.
- Voir, pour les années 1990, la section 7.7 de Droesbeke et al. (2001) et, pour l’année 2001 – 2002, le tableau 1 de Vermandele et al. (2012).
- Voir FWB (2006 – 2016), tableau « Taux de réussite en première année des étudiants de première génération dans l’enseignement supérieur en haute école et à l’université ».
- L’enseignement supérieur « hors université », tant de type long (SHU long) que de type court (SHU court), enregistre, comme l’université, une chute du taux de réussite des étudiants de première génération entre 2003 – 2004 et 2012 – 2013 : de – 7% pour le type long et de – 4% pour le type court. Comme à l’université, les taux de réussite des étudiants de première génération « à l’heure » y sont significativement supérieurs à ceux des étudiants « en retard ». Comme à l’université, la proportion des étudiants « à l’heure » chute, pour le SHU long, de 59% en 2003 – 2004 à 48% en 2012 – 2013 et, pour le SHU court, de 45% en 2003 – 2004 à 33% en 2012 – 2013. Comme à l’université, on retrouve, tant dans le SHU long que dans le SHU court, la « hiérarchie » suivante des taux de réussite pour les étudiants issus des filières du secondaire : général > technique de transition > technique de qualification > professionnel. Comme à l’université, la proportion des étudiants issus du secondaire général chute, pour le SHU long, de 87% en 2003 – 2004 à 81% en 2012 – 2013 et, pour le SHU court, de 54% en 2003 – 2004 à 45% en 2012 – 2013 (voir FWB (2006 – 2016), tableau « Taux de réussite en première année des étudiants de première génération dans l’enseignement supérieur en haute école et à l’université »).
- Les statistiques des pays de l’OCDE (y compris la Belgique) proviennent de la publication Regards sur l’éducation de l’OCDE. La source EUROSTAT, qui fournit des statistiques régionales, nous livre les statistiques pour la Région flamande, la Région wallonne et la Région de Bruxelles-Capitale. Les statistiques relatives aux Communautés (FWB et Communauté flamande) ont été calculées à partir des statistiques régionales, en prenant en compte les poids démographiques respectifs des Régions dans la population de la classe d’âge considérée et en considérant que la FWB recouvre la Région wallonne + 80% de la Région de Bruxelles-Capitale (et que la Communauté flamande recouvre la Région flamande + 20% de la Région de Bruxelles-Capitale).
- Pays scandinaves : Danemark, Norvège, Suède, Finlande
- L’Allemagne présente, avec quelques pays de son ancienne “aire culturelle” (République Tchèque, Slovaquie, Hongrie) la particularité – unique parmi les pays développés de l’OCDE – de ne former qu’une très faible proportion de sa population au niveau de l’enseignement supérieur. On remarquera cependant qu’elle met les bouchées doubles depuis 2005.
- Zone “Amérique du Nord-Asie-Pacifique” : Etats-Unis, Canada, Japon, Corée, Australie.
- Voir Lambert (2014) et IDD (2017).
- Au surplus, même pour les étudiants qui, après un premier échec, ne se résignent pas à l’abandon mais décident de redoubler ou de se réorienter, la probabilité de réussite à ce deuxième essai reste négativement affectée par les retards scolaires accumulés dans le secondaire (voir Vermandele et al., 2012).
- Ce n’est qu’en 1994 – 1995 que le nombre d’étudiantes universitaires de première génération a dépassé celui de leurs condisciples masculins (voir CRef, Tableau 3.3.) et l’écart entre les deux courbes n’a fait que s’amplifier depuis lors.
- Voir FWB (2009), Les Indicateurs de l’enseignement 2009, section 24 « Taux d’accès à l’enseignement supérieur ».
- Les informations communiquées dans cette section sur les évolutions du taux d’accès à l’enseignement supérieur proviennent des éditions annuelles de la publication Les Indicateurs de l’enseignement, FWB (2006 – 2016). Dans cette publication, le taux d’accès à l’enseignement supérieur est mesuré, année par année, pour les élèves de 17 ans présents dans l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice. Ce taux d’accès surestime donc quelque peu le taux d’accès « réel » dans la mesure où il ignore les jeunes de 17 ans scolarisés dans d’autres formes de l’enseignement secondaire (secondaire spécialisé, secondaire en alternance) qui n’accèderont jamais à l’enseignement supérieur. La part des jeunes de 17 ans scolarisés dans ces autres formes de l’enseignement secondaire n’est pas négligeable (de l’ordre de 5 à 6% du total des jeunes de 17 ans). Cette part augmente également avec l’exacerbation des pratiques de redoublement et de relégation dans le secondaire ordinaire de plein exercice : elle est ainsi passée de 4,7% du total à la fin des années 1990 à 6,7% du total au début des années 2010. La « stabilité » du taux d’accès à l’enseignement supérieur (pour les élèves de 17 ans présents dans l’enseignement secondaire ordinaire de plein exercice) évoquée ci-dessus pour les 25 – 34 ans de 2015 recouvre donc une érosion du taux « réel » d’accès à l’enseignement supérieur (pour l’ensemble des jeunes de 17 ans).
- La part du « général » dans la population totale des années terminales du secondaire, qui était encore de 52% en 2001 – 2002, s’était déjà contractée à 50% en 2008 – 2009. Voir les publications annuelles Les Annuaires de l’Enseignement : l’enseignement de plein exercice de ETNIC (FWB).
- Les Indicateurs de l’enseignement (FWB), Annuaires statistiques (CRef).
- La part du « général » dans la population totale des années terminales du secondaire, qui était encore de 52% en 2001 – 2002 et s’était déjà contractée à 50% en 2008 – 2009 ne se situe plus qu’à 48% en 2014 – 2015. Voir les publications annuelles Les Annuaires de l’Enseignement : l’enseignement de plein exercice de ETNIC (FWB).
- Le terme « académique » ne vise pas ici la seule université mais l’ensemble de l’enseignement supérieur : il a trait aux conditions requises pour aborder l’enseignement supérieur avec les meilleures chances de réussite.
- Cette contraction de la part du secondaire général résulte de l’exacerbation de la pratique du redoublement, avec son corolaire, la relégation en cascade d’une filière à l’autre, qui « vide » progressivement le secondaire général au profit des filières « qualifiantes » (technique de transition, technique de qualification, professionnel).
- L’inversion de la pyramide des âges provoquée par l’accession progressive à la retraite des « babyboumeurs » impliquera d’augmenter le taux d’activité (dont on sait qu’il est plus élevé pour les diplômés de l’enseignement supérieur) pour maintenir le niveau de notre protection sociale ; la capacité d’innovation d’une économie est intimement liée à la disponibilité d’un personnel hautement qualifié ; l’impact des nouvelles technologies sur tous les secteurs d’activité requerra non seulement des « codeurs », mais aussi — et surtout — la maitrise de larges compétences transversales, etc.
- Sans compter que la formation de diplômés de l’enseignement supérieur constitue, pour les pouvoirs publics eux-mêmes, un investissement au retour inégalé (voir Lambert, 2013).
- Le calcul du « surcout budgétaire » se base sur la proportion (11%) d’élèves « en surplus » dans la population du secondaire et tient aussi compte du fait que les élèves ayant subi des redoublements répétés se retrouvent principalement dans les filières qualifiantes, plus couteuses, notamment en termes d’encadrement.
- Dans les universités, en l’espace de quinze ans (1997 – 1998 à 2013 – 2014), le nombre de scientifiques (assistants) pour 100 étudiants s’est réduit de 27%, le nombre d’académiques de 17% et le nombre de personnels administratifs de soutien de 26% (voir Annuaires du CRef).