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Crise économique et sociale : la mise hors-jeu des ministres de l’Emploi

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par Olyeka Demugir

juillet 2009

Depuis la dif­fu­sion de la crise au mar­ché du tra­vail, l’un des débats socioé­co­no­miques les plus vivants en Bel­gique a por­té sur une éven­tuelle exten­sion du chô­mage tem­po­raire aux employés. Les grands argen­tiers de l’UE ont été de conni­vence avec la pré­si­dence tchèque pour l’im­po­ser aux ministres de l’Em­ploi. Alors que l’Eu­rope vou­lait faire rayon­ner son modèle social et ses valeurs dans le monde (voir l’ar­ticle 3 du pro­jet de trai­té de Lis­bonne), du Conseil euro­péen infor­mel de ceci au som­met de cela en pas­sant par l’anes­thé­sié Conseil Emploi et Affaires sociales, toutes les occa­sions auront été bonnes pour orga­ni­ser leur mise hors-jeu, comme si les tra­vailleurs et les ménages n’a­vaient que peu d’im­por­tance en com­pa­rai­son avec les acteurs finan­ciers et éco­no­miques. Para­doxa­le­ment, au niveau inter­na­tio­nal, la ten­dance inverse semble se des­si­ner et l’im­pact social de la crise est pris en compte.

Genèse du plan de relance européen

Tout a débu­té avec le Conseil euro­péen des 15 et 16 octobre sous la pré­si­dence fran­çaise. Bien que les pré­vi­sions de crois­sance en matière d’emplois se soient net­te­ment assom­bries, la décla­ra­tion se borne à évo­quer les tristes réper­cus­sions de la crise sur le sys­tème finan­cier, la crois­sance et les entre­prises. Pour­tant, alors qu’au prin­temps 2008, la Com­mis­sion euro­péenne annon­çait certes un ralen­tis­se­ment dans les créa­tions d’emplois (+0,5% en 2009 contre +0,9% en 2008), l’actualisation de ces pré­vi­sions réa­li­sée au moment du som­met fai­sait état d’une des­truc­tion d’emplois de 0,4%. Le dif­fé­ren­tiel était de 1,1 mil­lion d’emplois rien que dans la zone euro…

Man­da­tée par le Conseil euro­péen pour « for­mu­ler d’ici la fin de l’année des pro­po­si­tions adap­tées, notam­ment pour pré­ser­ver la com­pé­ti­ti­vi­té inter­na­tio­nale de l’industrie euro­péenne », la Com­mis­sion euro­péenne pré­sen­ta le 26 novembre un plan de relance éco­no­mique1 arti­cu­lé autour d’une dizaine d’actions ins­crites dans la stra­té­gie-cou­pole de Lis­bonne qui oriente les poli­tiques éco­no­miques et de l’emploi des États membres. Concrè­te­ment, cela impli­quait une injec­tion de quelque 200 mil­liards d’euros (1,5% du PIB euro­péen) répar­tis pour 170 mil­liards en efforts sup­plé­men­taires des États membres (soit 1,2% du PIB) et en finan­ce­ment euro­péen (pour 30 mil­liards, 0,3% du PIB). Le plan devait être adop­té par les chefs d’État et de gou­ver­ne­ment lors de leur ren­contre des 11 et 12 décembre. Dans le même temps, les États-Unis et la Chine pas­saient à l’attaque avec des plans d’une taille rela­ti­ve­ment plus consé­quente2.

Tou­te­fois, dans la méca­nique euro­péenne, le Conseil, c’est-à-dire les ministres, doit dis­cu­ter, amen­der, voire reje­ter les pro­po­si­tions de l’exécutif euro­péen avant que les chefs d’État et de gou­ver­ne­ment s’en saisissent.

La seule pos­si­bi­li­té pour dis­cu­ter du plan était le conseil Eco­fin du 2 décembre, le conseil des ministres de l’Économie et des Finances. Les ministres de l’Emploi qui s’étaient déjà réunis les 2 et 3 octobre n’auraient donc pas voix au cha­pitre alors que le plan envi­sage des actions qui res­sor­tissent clai­re­ment à leurs com­pé­tences : modi­fi­ca­tions du Fonds social euro­péen et du Fonds euro­péen d’ajustement à la mon­dia­li­sa­tion dédié aux tra­vailleurs licen­ciés, conso­li­da­tion des qua­li­fi­ca­tions, réduc­tions de coti­sa­tions patro­nales pour les bas reve­nus et les peu qua­li­fiés ain­si que mise en place de dis­po­si­tifs tels que les chèques ser­vices pour les ménages, les gardes d’enfants et l’embauche tem­po­raire des groupes vul­né­rables. Sans oublier un impor­tant volet de déve­lop­pe­ment des emplois dans les sec­teurs qui amé­liorent l’efficacité éner­gé­tique de l’UE (construc­tion, éner­gie et automobile).

Une étude ulté­rieure de la Com­mis­sion ana­ly­sant les quelque cinq cents mesures consti­tuant les plans natio­naux révé­le­ra que 16% d’entre elles visaient à sou­te­nir le mar­ché du tra­vail et que 28% avaient l’emploi pour objec­tif3.

Sans sur­prise, le Conseil euro­péen approu­va les grandes lignes du plan de relance. Les ministres de l’Emploi qui se retrou­vaient les 16 et 17 décembre ne purent que s’en féliciter.

D’engagements non respectés au dégonflement du sommet pour l’Emploi

Le 11 février der­nier, la tenue d’un som­met pour l’Emploi fut annon­cée par le pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne, José Manuel Bar­ro­so, et le Pre­mier ministre tchèque, Mirek Topolá­nek. Cette nou­velle était tota­le­ment inat­ten­due. Le som­met serait un évé­ne­ment inédit dans sa confi­gu­ra­tion car jamais aupa­ra­vant, une réunion au plus haut niveau euro­péen — chefs d’État et de gou­ver­ne­ment — n’avait été pro­gram­mée avec un seul mot à son ordre du jour : l’emploi. Dès lors, l’initiative n’était pas sans poser cer­taines ques­tions, au pre­mier rang des­quelles la nature de l’implication des ministres de l’Emploi dans sa préparation.

En dépit de la demande expri­mée conjoin­te­ment par les ministres de l’Emploi belge, espa­gnol et hon­grois (le pro­chain trio de pré­si­dences de l’UE en 2010 – 2011) dès décembre, le conseil Emploi, Poli­tique sociale, San­té et Consom­ma­teurs (Eps­co) n’adoptera pas de conclu­sions rela­tives au volet emploi du plan euro­péen de relance éco­no­mique lors de sa réunion du 9 mars. Il fau­dra se conten­ter d’une dis­cus­sion entre la poire (un état des lieux des négo­cia­tions sur la direc­tive « temps de tra­vail ») et le fro­mage (l’assouplissement du Fonds euro­péen d’ajustement à la mon­dia­li­sa­tion), lors de leur lunch. Un seul docu­ment ayant trait à la crise sera adop­té, la contri­bu­tion annuelle du conseil Eps­co au Conseil euro­péen. Ce docu­ment ne fait pas l’objet d’une dis­cus­sion appro­fon­die ; il est approu­vé, pour ain­si dire, auto­ma­ti­que­ment. Dès lors, pour la pré­si­dence tchèque, la crise, c’est « busi­ness as usual ». Ain­si, le Conseil Eps­co ne livra pas de contri­bu­tion au som­met consa­cré à l’emploi et à cause de la mol­lesse de la pré­si­dence tchèque qui était pour­tant à l’initiative de cet évé­ne­ment, s’excluait de lui-même du processus.

Cela va sans dire que le rap­port du Par­le­ment euro­péen pré­pa­ré par Eli­sa Fer­rei­ra qui for­mu­lait des pro­po­si­tions pour que les plans de relance soient mis au ser­vice de l’emploi ne reçut guère davan­tage d’écho.

Pour­tant, le som­met fixé au 7 mai était ini­tia­le­ment pré­vu pour éva­luer les mesures prises, dis­cu­ter d’une approche coor­don­née pour limi­ter l’impact social de la crise, encou­ra­ger les États membres à prendre les mesures néces­saires pour conser­ver les oppor­tu­ni­tés d’emploi, sou­te­nir la relance éco­no­mique en trai­tant les fai­blesses des mar­chés de l’emploi et les défis à long terme à rele­ver (y com­pris sou­te­nir la mobi­li­té), aug­men­ter les com­pé­tences et leur har­mo­ni­sa­tion avec les besoins du mar­ché, lan­cer un nou­veau consen­sus avec les par­te­naires sociaux et les par­ties pre­nantes pour aug­men­ter la com­pé­ti­ti­vi­té de l’UE, amé­lio­rer l’environnement entre­pre­neu­rial et moder­ni­ser les poli­tiques sociales et de flexi­cu­ri­té au pro­fit des employés et des employeurs.

Hor­mis ce som­met, la pré­si­dence tchèque de l’UE fut pous­sée dans le dos par la France et l’Allemagne pour orga­ni­ser un Conseil euro­péen infor­mel le 1er mars, dont l’objectif serait de bali­ser la future dis­cus­sion du G20 à Londres (2 avril) qui devait faire le point sur les réa­li­sa­tions depuis le som­met de Washing­ton (15 novembre) et sur les actions à mener. La lettre (22 février) de Mirek Topolá­nek invi­tant ses homo­logues à ce Conseil euro­péen infor­mel n’ignora pas la ques­tion de l’emploi et, sans attendre le som­met sur l’Emploi, invi­tait déjà les États membres à « examin[er] les pro­chaines étapes de notre réponse à la crise ». Les Vingt-sept devraient éga­le­ment « échan­ger [leurs] expé­riences sur les meilleurs moyens de sti­mu­ler l’emploi et d’empêcher ou de limi­ter les pertes d’emploi ». Un autre cour­rier signé par José Manuel Bar­ro­so confir­mait que la situa­tion de l’emploi devait être l’un des trois sujets abor­dés. Le pré­sident de la Com­mis­sion euro­péenne ajou­tait qu’il fau­drait aus­si dis­cu­ter de ce qui pou­vait être fait au niveau de l’UE en sou­tien aux mesures envi­sa­gées par les États membres pour affron­ter le chômage.

Ils n’en feront rien, mais dans la décla­ra­tion qui fit suite à leur ren­contre, ils s’engageaient à « pro­fi­ter du som­met extra­or­di­naire sur l’emploi qui se tien­dra à la fin du prin­temps pour arrê­ter des orien­ta­tions et des mesures concrètes afin d’atténuer l’impact de la crise dans le domaine social et sur l’emploi ».

Cepen­dant, lors du Conseil euro­péen de prin­temps (19 et 20 mars) habi­tuel­le­ment consa­cré à un exa­men appro­fon­di des ques­tions éco­no­miques et sociales, cinq pays ont sapé le som­met. Her­man Van Rom­puy s’était ran­gé aux côtés de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie (dont le ministre de l’Emploi avait pro­po­sé le 9 mars de tenir un Conseil Eps­co extra­or­di­naire fin avril pour nour­rir la réflexion du som­met!) qui avaient plai­dé pour l’annulation de l’événement mal­gré un accord au sein du gou­ver­ne­ment belge qui, de plus, deman­dait même l’élargissement du som­met4. De là à pen­ser que ce revi­re­ment de Her­man Van Rom­puy soit moti­vé par les seules cri­tiques de Karel de Gucht à l’égard de la pro­fu­sion des réunions infor­melles, il n’y a qu’un pas que l’on ose­ra fran­chir allè­gre­ment. Et ce d’autant que l’explication offi­cielle don­née par le Pre­mier ministre selon laquelle « on ne veut pas, à quelques semaines des élec­tions euro­péennes, don­ner l’impression que les auto­ri­tés peuvent garan­tir l’emploi par une sur­en­chère d’initiatives ; cela ne pour­rait débou­cher que sur des décep­tions » n’était pas très convaincante.

C’était la pre­mière fois qu’une pré­si­dence de l’UE, sou­te­nue par la Com­mis­sion, dut subir un tel camou­flet. Mais afin de ne pas lui infli­ger une trop grande honte, les conclu­sions du Conseil euro­péen men­tion­naient tou­jours le fameux som­met5. Mais, per­sonne — y com­pris au Par­le­ment euro­péen où la démarche fut cri­ti­quée par l’ensemble des par­tis — ne nour­ris­sait d’illusion quant à ce qu’on pou­vait en attendre de ce non-som­met qui met­trait autour de la table des repré­sen­tants de la pré­si­dence tchèque de l’UE ain­si que des futures pré­si­dences (sué­doise et espa­gnole), les par­te­naires sociaux euro­péens (CES, Busi­nes­sEu­rope, CEEP et Ueapme) et les pré­si­dences des comi­tés pour l’Emploi, pour la Pro­tec­tion Sociale qui tra­vaillent tous deux pour le Conseil Eps­co ain­si que le Comi­té de poli­tique éco­no­mique qui pré­pare les tra­vaux du Conseil… Eco­fin. Ce der­nier comi­té gar­dait le cap et comp­tait bien pré­sen­ter une contri­bu­tion qui s’appuierait sur un gros docu­ment de cent huit pages mar­chant sans com­plexe sur les plates-bandes des deux comi­tés sociaux6.

Pour ajou­ter à la confu­sion, le jour même de l’annulation du som­met dans sa ver­sion « haut niveau », le cabi­net Spid­la invi­tait au nom du com­mis­saire et des trois ministres de l’Emploi de l’actuelle pré­si­dence et des deux sui­vantes, tous les ministres de l’Emploi aux trois séances de tra­vail qui devaient pré­pa­rer le ter­rain du som­met pour l’Emploi : la ques­tion des com­pé­tences serait trai­tée le 15 avril à Madrid, celle por­tant sur l’accès à l’emploi le 20 avril à Stock­holm et la der­nière sur le main­tien dans l’emploi et la pro­mo­tion de l’emploi le 27 avril à Prague. À l’image de l’ensemble de la pré­si­dence tchèque, le cour­rier et l’organisation de ces ate­liers étaient confus ; cer­tains ministres rece­vaient même des mes­sages contra­dic­toires, les invi­tant tan­tôt à être « key­note spea­ker » à Stock­holm, tan­tôt à être inter­ve­nant à Madrid… En réa­li­té, rien n’incitait les ministres qui, faut-il le rap­pe­ler, sont déjà débor­dés, à faire le trajet.

Le modèle social pour redorer le blason économique de l’UE

Assez curieu­se­ment, le sou­tien au monde du tra­vail est venu de la Com­mis­sion qui, à contre-cou­rant de ce qu’elle avait tou­jours prô­né, recom­man­dait désor­mais aux États membres de « relev[er] le niveau du reve­nu-salaire mini­mum, [d’étendre] la cou­ver­ture des pres­ta­tions de chô­mage ou de la durée de l’indemnisation, [d’]augment[er] les indem­ni­tés de loge­ment ou des allo­ca­tions familiales ».

D’ailleurs, le ver­se­ment d’allocations en période de vaches maigres, voire famé­liques, per­met­tait à l’UE de pré­sen­ter un meilleur pro­fil face aux États-Unis dans la pers­pec­tive du G20. En effet, l’administration Oba­ma (de même que le FMI) vou­lait enga­ger l’UE à aug­men­ter l’impulsion bud­gé­taire, ce à quoi se refu­saient les États membres pour qui la prio­ri­té tenait dans une (meilleure) régle­men­ta­tion des mar­chés finan­ciers. Mais avec des plans de relance attei­gnant péni­ble­ment les 200 mil­liards (1,5% du PIB) sou­hai­tés en novembre par la Com­mis­sion, ils fai­saient office de petits joueurs face aux Amé­ri­cains qui avaient débour­sé 5,5% de leur PIB (le plan Oba­ma de 787 mil­liards). Pour conser­ver leur cré­di­bi­li­té et par­tant, pré­ser­ver la posi­tion de lea­der dans les dis­cus­sions à Londres qu’ils vou­laient occu­per, les Euro­péens ajou­tèrent à ces 200 mil­liards l’effet des sta­bi­li­sa­teurs auto­ma­tiques qui se chiffrent à 1,7% du PIB7. Un fait unique dans l’histoire de la construc­tion euro­péenne que le modèle social euro­péen est appe­lé au secours des argentiers…

Le G8 à la rescousse du social

Mais, comme on l’a vu, l’Europe n’ira pas plus loin pour défendre son modèle social et l’emploi. Il fau­dra comp­ter sur le groupe très hété­ro­gène (du point de vue des modèles sociaux qui s’y côtoient) qu’est le G8 pour mettre en avant les ques­tions sociales si bien que contre toute attente, le com­mu­ni­qué dont la réunion a accou­ché ouvre cer­taines pers­pec­tives pour qui sera capable de les sai­sir (lisez : une fois l’UE déli­vrée de la pré­si­dence tchèque qui, dans le domaine de l’emploi, est obnu­bi­lée par la seule mobi­li­té des travailleurs).

Le G8 réuni en for­mat « social » sous pré­si­dence ita­lienne (29 et 31 mars)8 influen­ça la décla­ra­tion du som­met de Londres qui avait pour slo­gan « Sta­bi­li­ty, Growth, Jobs ». En rai­son des dys­fonc­tion­ne­ments du Conseil Eps­co, les ministres de l’Emploi du G8 ont livré l’unique contri­bu­tion de la filière « emploi » au som­met de Londres. Ils se sont enten­dus sur cinq mesures prio­ri­taires. Mais plus inté­res­sant que cette recette déjà connue, ils ont expli­ci­te­ment recon­nu que « la crise ne doit pas ser­vir de pré­texte pour affai­blir les droits des tra­vailleurs. Au contraire, elle doit être vue comme une oppor­tu­ni­té pour réaf­fir­mer et étendre, là où c’est pos­sible, les sys­tèmes de pro­tec­tion sociale. Là où de tels sys­tèmes n’existent pas vrai­ment, des actions devraient être entre­prises à cet égard ». Ils appe­laient éga­le­ment les entre­prises à assu­mer leur res­pon­sa­bi­li­té sociale. Fina­le­ment, ils inci­taient les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales, en par­ti­cu­lier l’OCDE et l’Organisation inter­na­tio­nale du tra­vail, à coopé­rer étroi­te­ment, à déve­lop­per des indi­ca­teurs glo­baux pour aider à sur­veiller les connexions entre les poli­tiques éco­no­miques et sociales, à prendre en compte l’impact social et sur le mar­ché du tra­vail dans leurs avis et recom­man­da­tions et à dif­fu­ser les meilleures pratiques.

Au même moment, les sinistres pré­vi­sions de l’OCDE (30 mars) et de la Banque mon­diale (31 mars) annon­çaient que d’ici à 2010, le taux de chô­mage aurait grim­pé à des niveaux plus obser­vés depuis le début des années nonante et qu’aucune région ne serait épargnée.

Il faut noter que la pré­si­dence tchèque qui par­ti­ci­pait au G20 pour y repré­sen­ter l’UE ne sié­geait pas au G8 social. Les mau­vaises langues diront que cela explique sûre­ment le reten­tis­se­ment posi­tif de ce der­nier sur le G20…

Le com­mu­ni­qué du G20 ne fit peut-être pas une place aus­si impor­tante à l’emploi que n’eut pu l’espérer Juan Soma­via, direc­teur géné­ral du BIT pour qui « la finance, le com­merce, l’économie, l’emploi et les ori­gines sociales de la crise mon­diale sont liés, tout comme doivent l’être les réponses poli­tiques ». Néan­moins, l’OIT fut man­da­té pour tra­vailler avec les autres grandes orga­ni­sa­tions pour éva­luer les actions prises pour sou­te­nir l’emploi et celles qui sont recom­man­dées à l’avenir. Aus­si, afin de mieux enca­drer la mon­dia­li­sa­tion, le G20 accueilla favo­ra­ble­ment une dis­cus­sion sur la Charte pour une gou­ver­nance éco­no­mique durable qui sera plus ample­ment dis­cu­tée lors de la pro­chaine réunion9.

Des perspectives pour le sommet de New York

Le suc­ces­seur du G20 du 2 avril sera un nou­veau som­met à New York à l’automne (après les élec­tions du 27 sep­tembre en Alle­magne?). Si ces points sont pris au sérieux, alors New York dis­cu­te­ra des impacts sociaux de la crise ain­si que sur le mar­ché du travail.

Il est temps que les lea­ders mon­diaux com­prennent que, s’il importe de res­tau­rer la confiance de l’ensemble des acteurs sur les mar­chés finan­ciers et des entre­prises, celle des tra­vailleurs et ou des ménages ne doit pas être non plus igno­rée, faute de quoi la reprise sera retardée.

Par la voix de Juan Soma­via, l’OIT a déjà annon­cé la cou­leur : par­tant du constat que les plans de relance actuels penchent lar­ge­ment en faveur du sau­ve­tage des banques et des réduc­tions d’impôts, plu­tôt que la créa­tion d’emplois et la pro­tec­tion sociale10, l’OIT s’emploiera à rééqui­li­brer la balance et à faire pro­gres­ser la coor­di­na­tion inter­na­tio­nale dans ce domaine.

Il est en effet impor­tant que les pays ne se four­voient pas dans un dum­ping social et sala­rial pour res­tau­rer leur com­pé­ti­ti­vi­té, leur balance des paie­ments et leurs finances publiques. Et de même que les sti­mu­li bud­gé­taires doivent être coor­don­nés, les mesures en faveur de l’emploi doivent l’être éga­le­ment : si elles le sont dans les trois mois, le BIT estime qu’il serait pos­sible de sta­bi­li­ser le chô­mage et la crois­sance de l’emploi pour­rait reprendre dès 2010. Mais, si elles sont repor­tées de six mois, la reprise ne démar­re­rait qu’au début de 2011… L’OIT déve­lop­pe­ra ses idées dans le cadre d’un Pacte mon­dial pour l’emploi qui sera pré­sen­té lors de la confé­rence annuelle tri­par­tite de juin.

Outre cela, le som­met de New York doit aller au-delà de la dis­cus­sion sur la Charte pour une gou­ver­nance éco­no­mique mon­diale, il faut l’adopter for­mel­le­ment comme s’y était enga­gé le Conseil euro­péen (19 et 20 mars) car cela « consti­tue­rait un pre­mier pas vers un ensemble de normes en matière de gou­ver­nance mondiale ».

Fina­le­ment, dans la mesure où le G20 s’est réso­lu­ment enga­gé dans la voie d’une éco­no­mie peu gour­mande en car­bone, on ne peut se conten­ter de simples décla­ra­tions à ce sujet. Le pro­chain som­met doit être l’occasion de concré­ti­ser cette louable ambi­tion. À cet égard, l’OIT pour­rait éga­le­ment être mis à contri­bu­tion puisque, avec ses tra­vaux en matière d’emplois verts, il fait office de pion­nier. Ces emplois per­mettent de conci­lier la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique avec la créa­tion d’emplois, le sou­tien du pou­voir d’achat et la crois­sance éco­no­mique. On pour­rait éga­le­ment se deman­der dans quelle mesure le G20 de New York qui prône le « ver­dis­se­ment » de l’économie ne pour­rait pas alors à son tour livrer une contri­bu­tion à la confé­rence des Nations unies sur le chan­ge­ment cli­ma­tique qui se tien­dra en décembre à Copen­hague et dont l’objectif est de trou­ver un accord sur les objec­tifs post-Kyo­to (2012).

Ain­si, si les enceintes inter­na­tio­nales com­mencent à prendre en compte la dimen­sion sociale de la crise, le pro­chain conseil Emploi se dérou­le­ra les 8 et 9 juin, le len­de­main des élec­tions euro­péennes et, comme cela avait déjà été le cas avec l’adoption tar­dive du plan de relance qui aurait dû être pré­sen­té au plus tard en mars 200811, l’UE risque de déce­voir ses citoyens quant à sa len­teur dans l’action, d’autant que l’actuelle Com­mis­sion euro­péenne qui jouit du mono­pole du droit d’initiative est en fin de règne et ne sera pas renou­ve­lée avant novembre.

En atten­dant, l’Europe (ou plu­tôt ses tra­vailleurs et sans-emploi) cherche déses­pé­ré­ment son Ches­ley Sul­len­ber­ger du social12.

  1. Com­mis­sion euro­péenne, Un plan euro­péen pour la relance éco­no­mique, 26 novembre 2008.
  2. Aux États-Unis, le plan Paul­son (3 octobre) pour le sec­teur finan­cier repré­sen­tait 700 mil­liards de dol­lars. Le 10 décembre, 15 mil­liards de dol­lars sou­te­naient les banques et Barack Oba­ma avait entre-temps annon­cé un plan qui, une fois approu­vé le 13 février, serait de 787 mil­liards de dol­lars. Des mesures et plans com­plé­men­taires vien­draient les conso­li­der. En Chine, une impul­sion de 455 mil­liards d’euros fut déci­dée en novembre. Outre cela, la Chine avait déjà accor­dé des baisses de taxes sur les pre­miers achats d’appartements ou de véhi­cules peu pol­luants, des rabais fis­caux pour cer­tains types d’exportations ; un plan de sou­tien à l’industrie tex­tile et à la pétro­chi­mie était annon­cé en jan­vier ain­si que 124 mil­liards de dol­lars d’ici à la fin 2011 pour remettre à niveau l’ensemble du réseau de san­té du pays et garan­tir à chaque citoyen une cou­ver­ture médi­cale minimale.
  3. Il est éga­le­ment inté­res­sant d’indiquer que la moi­tié des mesures indi­quées par les États membres s’inscrivait dans la pla­ni­fi­ca­tion des réformes à moyen terme et l’autre moi­tié est une réponse à la crise (Com­mis­sion euro­péenne, Dri­ving Euro­pean Eco­no­my, annexe II, 4 mars 2009).
  4. Point 29 des noti­fi­ca­tions du Conseil des ministres du 13 mars. Lors du som­met du 7 mai 2009, à Prague, la Bel­gique deman­de­ra que l’on aborde, outre les ques­tions d’emploi, l’ensemble des ques­tions sociales liées à la crise.
  5. « Le som­met sur l’emploi pré­vu en mai 2009 per­met­tra de pro­cé­der à un échange d’expériences afin de déter­mi­ner dans quelles pro­por­tions les mesures de relance prises sont par­ve­nues à sou­te­nir l’emploi. En par­ti­cu­lier, des sujets tels que le main­tien des niveaux d’emploi par la flexi­cu­ri­té et la mobi­li­té, l’amélioration des com­pé­tences et l’anticipation des besoins du mar­ché du tra­vail, en vue de défi­nir des orien­ta­tions concrètes, seront exa­mi­nés lors de ce som­met, qui offri­ra en outre la pos­si­bi­li­té de se pen­cher sur la manière de ren­for­cer et de restruc­tu­rer le mar­ché du tra­vail afin de le pré­pa­rer pour l’avenir. Ce som­met sera pré­pa­ré en coopé­ra­tion avec tous les acteurs concer­nés, y com­pris les par­te­naires sociaux. »
  6. Com­mis­sion euro­péenne, First pre­li­mi­na­ry assess­ment of employ­ment and social poli­cies to sof­ten the impact of the cri­sis, Note foxr the atten­tion of the Eco­no­mic Poli­cy Com­mit­tee, avril 2009.
  7. Le même rai­son­ne­ment sous-ten­dra l’annonce avec fra­cas de 5.000 mil­liards de dol­lars d’impulsions bud­gé­taires par le G20 : ce chiffre cal­cu­lé par le FMI cor­res­pond à l’estimation de l’augmentation des défi­cits cumu­lés des pays du G20 entre 2007 et 2010 consé­cu­ti­ve­ment à la crise (Finan­cial Times, 3 avril).
  8. Outre les pays du G8, les ministres du Bré­sil, de Chine, d’Inde, d’Afrique du Sud, du Mexique et d’Égypte ont été invi­tés à prendre part aux tra­vaux. Cela témoigne éga­le­ment de la prise de conscience que les ques­tions mon­diales ne peuvent plus être réglées au coin du feu par les lea­ders des grandes puis­sances occi­den­tales et japonaise.
  9. Olye­ka Demu­gir, « Une crise qui rebat les cartes », La Revue nou­velle, février 2009.
  10. Les mesures de poli­tique sociale ne repré­sentent en moyenne que 9,2% des dépenses des plans de relance, les mesures d’aide à l’emploi ne repré­sen­tant que 1,8%.
  11. Olye­ka Demu­gir, « Une crise qui rebat les cartes », op. cit.
  12. Ches­ley Sul­len­ber­ger est le pilote qui, en réus­sis­sant un amer­ris­sage for­cé de son Air­bus A 320 le 16 jan­vier, a sau­vé ses cent cin­quante-cinq occu­pants et est deve­nu le nou­veau héros de l’Amérique.

Olyeka Demugir


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