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Crise des réfugiés. L’anémie intellectuelle et morale de la gauche

Numéro 4 - 2016 par Albert Bastenier

juillet 2016

Au sein du « petit monde » des pro­fes­sion­nels de la poli­tique, l’argument de la real­po­li­tik a bon dos. Aujourd’hui, même au sein des par­tis pro­gres­sistes, il finit par l’emporter. Face à l’urgent besoin d’une poli­tique migra­toire consé­quente au sein de l’Union euro­péenne, la congé­la­tion intel­lec­tuelle et morale ronge la gauche. De renon­ce­ment en renon­ce­ment, elle fini­ra par y perdre sa rai­son d’exister.

Dossier

Jean-Claude Jun­cker a cru pou­voir l’affirmer : après la crise grecque qui l’a mise à rude épreuve en 2015 et mal­gré la crise des réfu­giés qui conti­nue de la secouer, « la soli­da­ri­té euro­péenne fini­ra par pré­va­loir » (Le Monde, 12 jan­vier 2016). À sa suite, on vou­drait qu’il fût vrai que l’Union n’est pas prise dans un irré­sis­tible pro­ces­sus de fai­blesse et de lâcheté.

Mais à vrai dire, de quel type de soli­da­ri­té Jun­cker parle-t-il ? Dans le sillage du suc­cès élec­to­ral de Syri­za, après qu’on eut espé­ré la voir sur­gir à gauche tout au moins sinon à droite, ce fut l’abandon de cette pers­pec­tive par l’ensemble des sociaux-démo­crates des autres pays euro­péens. En Grèce ensuite, ce fut le réfé­ren­dum-tra­hi­son de juillet 2015 où, en l’absence de tout sou­tien par une for­ma­tion poli­tique impor­tante, on vit Alexis Tsi­pras for­cé de ren­trer dans le rang et d’accepter les exi­gences de la Troï­ka. Et aujourd’hui, pour sur­mon­ter la crise des réfu­giés, que fera Jun­cker sinon remettre le cou­vert d’une soli­da­ri­té aus­si déna­tu­rée que la pré­cé­dente ? Dès jan­vier, la Com­mis­sion avait déjà mis le menu sur la table : tri­pler les inter­ven­tions de sur­veillance de Fron­tex en mer Médi­ter­ra­née, créer un corps de garde-fron­tières euro­péen qui inten­si­fie­ra l’identification et le fil­trage des migrants, coor­don­ner le retour de ceux de plus en plus nom­breux aux­quels le droit d’asile sera refu­sé, un « sou­tien huma­ni­taire » dans la mesure du pos­sible. Vieille façon de faire de la poli­tique. Sem­blable à ce que, en matière de migra­tions, les pays euro­péens ont tou­jours fait : l’encourager en période de crois­sance et se fer­mer au moment où les réfu­giés affluent. Comme si, aujourd’hui encore, les migra­tions mon­dia­li­sées pou­vaient être com­prises comme un simple para­graphe au cha­pitre des poli­tiques de l’emploi. Une soli­da­ri­té pure­ment expres­sive donc de l’étroitesse des égoïsmes natio­naux que l’UE ne fait que relayer via son conseil des ministres. Quant à la Bel­gique, ce n’est certes pas l’indigence intel­lec­tuelle et le cynisme des pro­pos tenus par cer­tains par­mi les élites poli­tiques qui contri­bue­ront à modi­fier pareille orien­ta­tion1. Dans ce pays, on se demande par­fois ce que sont le vivier du recru­te­ment et les pro­cé­dures de pro­mo­tion du cadre des partis.

Le « petit monde » des professionnels de la politique

À par­tir de ce qui se dit et s’écrit aujourd’hui au sein du « petit monde » des pro­fes­sion­nels de la poli­tique, tout donne à pen­ser que, à gauche autant qu’à droite, la trans­for­ma­tion que la mon­dia­li­sa­tion a confé­rée d’une façon irré­ver­sible à la ques­tion migra­toire n’est tou­jours pas réel­le­ment com­prise. Et qu’elle ne sera donc pas luci­de­ment prise en charge. Les poli­tiques en parlent froi­de­ment ou pas­sion­né­ment, mais dans l’instant, sans la moindre vision d’avenir. Pour­tant, aux côtés de l’écologie, elle est deve­nue un enjeu poli­tique majeur du XXIe siècle. Car la mon­dia­li­sa­tion qui pour­suit son déve­lop­pe­ment ne concerne évi­dem­ment pas que la sau­va­ge­rie des mou­ve­ments finan­ciers et la relo­ca­li­sa­tion de l’activité pro­duc­tive. Pour les socié­tés euro­péennes, les flux de popu­la­tion consti­tuent désor­mais l’une des sources de leur peu­ple­ment2. Face à cette réa­li­té, il y a évi­dem­ment un devoir de luci­di­té poli­tique. Et donc aus­si une cou­pable céci­té des diri­geants à igno­rer que, comme mani­fes­ta­tions d’une crise des iden­ti­tés col­lec­tives, tant la mon­tée en puis­sance des popu­lismes euro­péens que celle du ter­ro­risme inter­na­tio­na­li­sé sont des expres­sions déri­vées de cette nou­velle et irré­ver­sible donne démographique.

Aucun gou­ver­ne­ment n’est à vrai dire en mesure de mettre un terme au pro­ces­sus démo­gra­phique en cours, ni de mira­cu­leu­se­ment faire dis­pa­raitre l’insécurité cultu­relle et sociale qui, de part et d’autre, inévi­ta­ble­ment l’accompagne. Mais pour ne pas enfon­cer davan­tage les socié­tés euro­péennes dans la géo­gra­phie de la colère qui s’y mani­feste déjà, la seule atti­tude qui vaille est de ne pas abon­der dans les lamen­ta­tions sécu­ri­taires deve­nues « poli­ti­que­ment cor­rectes » à par­tir d’un dis­cours dans lequel l’extrême droite excelle. Car il n’y a là aucune pers­pec­tive d’avenir, rien d’autre qu’une ten­ta­tive de repê­chage pro­vi­soire d’un élec­to­rat qui a peur. Certes, parce que les cultures dif­fé­rentes ne se ren­contrent que rare­ment d’une manière paci­fique ou har­mo­nieuse, il ne s’agit pas pour la gauche de déve­lop­per une rhé­to­rique enthou­siaste au sujet des pro­messes que contien­drait la nou­velle hété­ro­gé­néi­té cultu­relle que génère la mon­dia­li­sa­tion. L’exigence est plu­tôt de four­nir à ce monde neuf les moyens de se connaitre et de se com­prendre, de l’aider à jeter un regard lucide sur sa réa­li­té plu­tôt que de le lais­ser vivre dans la nos­tal­gie d’une situa­tion qui n’existe plus et vers laquelle, n’en déplaise aux par­ti­sans de la ver­tu des fron­tières, il ne sera plus jamais pos­sible de reve­nir. Ne pas faire prendre conscience de ces muta­tions sociales en cours, c’est en réa­li­té trom­per l’opinion publique qui, à terme, sera bien contrainte d’accepter la réa­li­té et ses impli­ca­tions trop long­temps lais­sées à la dérive. Il reste que, aujourd’hui tou­jours, dans les par­tis poli­tiques on pré­fère sacri­fier à la « stra­té­gie de la clô­ture » qui se réduit à une pra­tique de com­mu­ni­ca­tion publique du pou­voir cen­tral. En ren­dant de nou­veau visible leurs fron­tières, les États entendent mani­fes­ter et convaincre qu’ils répondent aux aspi­ra­tions de sécu­ri­té d’une par­tie non négli­geable de la popu­la­tion. Mais ce n’est là qu’un mes­sage poli­tique à usage interne, la mise en scène pares­seuse d’un pro­blème qui demande d’être géré d’une tout autre manière.

À ce qui vient d’être dit, on peut évi­dem­ment oppo­ser qu’aucune effi­ca­ci­té poli­tique n’est envi­sa­geable en dehors de la prise en compte de ce qui s’avère rece­vable par l’opinion publique. On ne gou­verne pas un pays en étant en rup­ture avec la majo­ri­té de la popu­la­tion. À cet égard, tout au long des der­nières décen­nies, les options des par­tis de la gauche euro­péenne ont d’ailleurs trans­pa­ru : sous la pres­sion des échéances élec­to­rales, les pro­gres­sistes n’ont ces­sé d’aligner leurs posi­tions sur celles de l’opinion majo­ri­taire. Ils ont adop­té la ligne de ceux pour les­quels, après en avoir abu­sé, il n’y a plus à attendre quoi que ce soit des poli­tiques uni­ver­sa­listes des Human Rigths puisqu’elles ne servent plus les inté­rêts occi­den­taux. Quant aux réfu­giés, ils arrivent tou­jours à un mau­vais moment. Et c’est donc lorsqu’on parle le plus de glo­ba­li­sa­tion que la frag­men­ta­tion de la pla­nète entre ceux qui ont des droits et ceux qui n’en ont pas atteint des pro­por­tions rare­ment égalées.

L’argument de la realpolitik

La source de cette situa­tion contra­dic­toire ne se trouve nulle part ailleurs que dans l’argument clas­sique de la real­po­li­tik où la recherche de l’intérêt natio­nal absorbe tous les cli­vages idéo­lo­giques. En fait, cela revient à éri­ger l’«impuissance publique » en mode de gou­ver­ne­ment. Des contraintes objec­tives s’imposeraient qui jus­ti­fient que l’on inverse la hié­rar­chie morale des valeurs : l’efficacité d’abord et, à titre rési­duel ensuite, la démo­cra­tie. Avec l’actuelle crise des réfu­giés, les choses ont tou­te­fois dépas­sé le seuil de l’indécence. Car peut-on avoir l’audace, comme cela s’est enten­du, de consi­dé­rer cette crise dans les termes d’un simple et regret­table effet col­la­té­ral d’une mon­dia­li­sa­tion contre laquelle on ne peut rien ? Et, conti­nuant à rai­son­ner dans ces termes, à ne pas per­ce­voir qu’il y aurait quelque motif à entendre la voix de ceux pour les­quels, dans le dénue­ment éco­no­mique et dans la guerre, le seuil du réa­lisme poli­tique est depuis long­temps atteint ? Cer­tains, sans honte, ont même ava­li­sé l’argument selon lequel on ne bute que sur des dif­fi­cul­tés tech­niques de triage que les États de l’UE sont en droit d’opposer à la récep­tion de ceux qui fuient les bom­bar­de­ments, le gazage ou la famine. Ceux des lea­deurs poli­tiques de la gauche qui tiennent pareil lan­gage savent-ils qu’à force de s’abriter der­rière leur impuis­sance, ils conduisent des élec­teurs de plus en plus nom­breux à s’interroger sur l’utilité même de l’existence de res­pon­sables poli­tiques ? Et, par­tant, à s’interroger sur le rôle des élections.

Il faut être clair : les dif­fi­cul­tés existent, mais auraient été sur­mon­tées sans délai exces­sif si ne s’y oppo­sait une conscience euro­péenne anes­thé­siée aux mains d’un per­son­nel poli­tique médiocre. Cela, avec la com­pli­ci­té de ceux qui se disent de gauche. Or, en ne s’impliquant pas vrai­ment dans la recherche d’autre chose que le consen­te­ment à une poli­tique qui n’a rien à voir avec la soli­da­ri­té vis-à-vis de ceux qui doivent prio­ri­tai­re­ment en béné­fi­cier, la gauche ne contri­bue en rien au dépas­se­ment de la dif­fi­cile séquence actuelle de l’histoire euro­péenne. Elle dila­pide sa légi­ti­mi­té his­to­rique parce que, d’un point de vue de gauche, l’action poli­tique n’est pas d’accepter le monde tel qu’il est et de renon­cer à le trans­for­mer, mais de cher­cher obs­ti­né­ment à le rap­pro­cher de ce qu’il devrait être. Le para­doxe d’aujourd’hui est bien que c’est le centre droit de Mme Mer­kel en Alle­magne qui a été a été le plus prompt à élar­gir sa concep­tion de l’asile. Et qu’ailleurs en Europe, ce soit non pas au sein des gou­ver­ne­ments et/ou des par­tis que se sont trou­vés ceux qui demeurent atten­tifs à la soli­da­ri­té et à la res­pon­sa­bi­li­té vis-à-vis des réfu­giés, mais au sein des ONG et du monde du béné­vo­lat où ils se sont trans­fé­rés. Crise pro­fonde de la démo­cra­tie représentative !

L’opinion des élec­teurs n’est pas favo­rable aux étran­gers, sur­tout s’ils sont de culture musul­mane ? Indé­nia­ble­ment, l’argument est connu. Mais l’est tout autant le fait que les concep­tions élec­to­ra­listes, c’est-à-dire la vision pure­ment poli­ti­cienne de la poli­tique, sont tou­jours conser­va­trices. Dès lors, la vraie ques­tion serait plu­tôt de se deman­der depuis com­bien de temps et pour quelle rai­son la gauche n’agit pas pour trans­for­mer cette opi­nion. Sont loin les com­bats de celles et ceux qui, anté­rieu­re­ment, mili­tèrent contre l’opinion publique domi­nante qui n’était pas favo­rable à l’abolition de la peine de mort ou à l’IVG. Le mal est récur­rent : les par­tis deve­nus des car­tels d’élus ou d’éligibles pré­fèrent pra­ti­quer une « com­mer­cia­li­sa­tion élec­to­rale » plu­tôt qu’entrer dans les débats autour des enjeux poli­tiques sen­sibles. En résulte une gauche amorphe qui atteint un niveau d’impuissance qui frise la pro­vo­ca­tion puisque dans le débat public elle n’a rien à argu­men­ter d’autre que les slo­gans d’un anti­fas­cisme ima­gi­naire ou ceux qui sont rece­vables au sein du club de plus en plus large des confor­mistes d’un conti­nent de per­sonnes âgées.

L’urgent besoin d’une politique migratoire conséquente

Pour­tant, pour ne pas déri­ver davan­tage encore vers le sépa­ra­tisme social et eth­nique qui la marque depuis plu­sieurs décen­nies, l’Europe a urgem­ment besoin d’une poli­tique migra­toire cohé­rente et dif­fé­rente de celle du pas­sé qui ne se pré­oc­cu­pait que de la ges­tion des flux inter­na­tio­naux de main‑d’œuvre. Elle a besoin d’une poli­tique qui prenne tout autant en charge la dif­fi­cile ques­tion de ce qu’on a tra­di­tion­nel­le­ment appe­lé, mais sans s’en sou­cier vrai­ment, l’«intégration des immi­grés ». Si l’on veut faire bar­rage à la logique de l’exclusion qui engendre une socié­té de qua­si-apar­theid, c’est même ce der­nier aspect des choses qui doit venir au centre d’une réflexion lucide sur les migra­tions au XXIe siècle. Et à cet égard, disons clai­re­ment que, désor­mais, il vau­drait cer­tai­ne­ment mieux par­ler de la « réin­té­gra­tion glo­bale des socié­tés euro­péennes » élar­gies par l’immigration. Ceci parce qu’elles sont deve­nues irré­ver­si­ble­ment com­po­sites, plu­ri­cul­tu­relles et, de fait, « post­na­tio­nales ». Les États demeurent certes néces­saires, mais en menant des poli­tiques har­dies de droits civiques, sociaux et cultu­rels qui s’imposent si l’on veut vaincre le ter­rible constat qu’il y a dans l’Europe contem­po­raine des « citoyens de seconde zone » qui y campent sans en faire véri­ta­ble­ment par­tie. Une action poli­tique obs­ti­née qui seule sera capable de vaincre les peurs mutuelles et réins­tau­rer la confiance de tous ses seg­ments dans des formes d’appartenance et de soli­da­ri­té poli­tique réno­vées. Ain­si seule­ment se pré­pa­re­ra la mise en place d’institutions sociales autres que celles qui, pour les seuls gens « de souche », régis­saient les socié­tés monoculturelles.

Le mal qui ronge la gauche euro­péenne conti­nue­ra-t-il à la vider de sa par­ti­ci­pa­tion au tra­vail des acteurs qui font l’avenir ? La congé­la­tion intel­lec­tuelle et morale de ses cadres confir­me­ra-t-elle son impuis­sance face à un objec­tif qui est évi­dem­ment fort dif­fé­rent de la pers­pec­tive pure­ment sécu­ri­taire vers laquelle elle s’est fina­le­ment rabat­tue ? La réponse demeure en sus­pens en rai­son de l’importance prise par un per­son­nel poli­tique cap­tif des échéances élec­to­rales. Mais c’est pré­ci­sé­ment parce que le peuple des élec­teurs est aujourd’hui de plus en plus à droite qu’il y a un urgent besoin de pré­pa­rer l’opinion publique à de véri­tables pro­po­si­tions élec­to­rales de gauche.

Pour aller dans cette direc­tion, il est indis­pen­sable qu’un nombre suf­fi­sant de poli­tiques par­vienne à se convaincre de la néces­si­té d’un redé­ploie­ment idéo­lo­gique qui ne semble pas pou­voir être atten­du des appa­reils atro­phiés des par­tis. Et qu’ils entament l’indispensable tra­vail qui n’a jamais été accom­pli par le pas­sé : faire com­prendre, expli­quer et expli­quer encore à l’opinion publique la nou­veau­té des pro­ces­sus sociaux, démo­gra­phiques et cultu­rels en cours en Europe. Car ce sont des com­po­santes déci­sives de son ave­nir qu’il serait mor­tel de taire. Dire cette véri­té est le préa­lable indis­pen­sable à l’action, la pre­mière obli­ga­tion d’authenticité de la parole publique qui doit rendre les choix à faire col­lec­ti­ve­ment les plus lisibles pos­sibles. C’est en per­met­tant à la socié­té de mieux se connaitre elle-même que l’on convain­cra le plus grand nombre qu’ils n’ont pas à être les sujets d’un État dont les ins­ti­tu­tions poli­tiques les dominent par des slo­gans poli­tiques éphé­mères, mais les citoyens d’une démo­cra­tie qui n’est rien d’autre qu’une his­toire faite d’expériences, de dif­fi­cul­tés, de ten­sions et de tâton­ne­ments, dont la cohé­sion n’a pas à être subie, mais conti­nuel­le­ment construite et réhabilitée.

  1. En février 2016, à la suite d’une action de béné­voles appor­tant de la nour­ri­ture à des réfu­giés au port de Zee­bruges, C. Deca­luwé (gou­ver­neur CD&V de Flandre occi­den­tale), recom­man­dait de ne pas inter­ve­nir ain­si. Ne nour­ris­sez pas les réfu­giés, décla­ra-t-il, car cela ne fera qu’en atti­rer d’autres. Beau­coup com­prirent qu’il com­pa­rait les deman­deurs d’asile aux mouettes qu’il est contrin­di­qué de nour­rir en bord de mer. Wou­ter Beke (pré­sident du CD&V) dut admettre que c’était là un « pro­pos mal­heu­reux ». À peu près au même moment, J. Jam­bon (ministre N‑VA de l’Intérieur), par­lait quant à lui d’un « net­toyage de Molen­beek mai­son par mai­son ». Cela rap­pelle évi­dem­ment l’éloquence raf­fi­née de N. Sar­ko­zy qui, pour sa part, vou­lait net­toyer les quar­tiers immi­grés au kar­cher. Déra­page ver­bal ou indi­ca­teur d’une médio­cri­té intel­lec­tuelle et morale par­mi le per­son­nel politique ?
  2. L’OCDE indique que les flux migra­toires vers l’Union euro­péenne n’ont jamais ces­sé d’augmenter au cours des der­nières décen­nies. Ils ont atteint une moyenne annuelle de 1,2 mil­lion d’unités durant les quinze der­nières années, plus que les 850000 de l’Amérique du Nord. Les simu­la­tions dis­po­nibles pré­voient que les flux devraient croitre plu­tôt que décroitre. En 2010, il y avait 47 mil­lions d’immigrés recen­sés (chiffre plan­cher auquel il faut ajou­ter les per­sonnes natu­ra­li­sées) au sein de 500 mil­lions d’habitants de l’UE à 27. Les don­nées d’Eurostat per­mettent de dire que même dans le scé­na­rio d’une crois­sance démo­gra­phique faible de l’Union à l’horizon 2030, celle-ci sera à mettre au seul cré­dit de l’immigration. Le main­tien de la popu­la­tion euro­péenne, ne fût-ce qu’à son niveau actuel, ne pour­ra donc venir que de la per­ma­nence de cet apport externe. Sans immi­gra­tion, l’Europe ver­rait sa popu­la­tion décroitre de 43 mil­lions à l’horizon 2050.

Albert Bastenier


Auteur

Sociologue. Professeur émérite de l'université catholique de Louvain. Membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1967. S'y est exprimé régulièrement sur les questions religieuses, les migrations et l'enseignement.