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Convention internationale des droits de l’enfant. Joyeux anniversaire ?

Numéro 12 Décembre 2009 par Manuel Lambert

décembre 2009

Le 20 novembre 2009, la Conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’enfant (CIDE) a fêté ses vingt ans d’existence. Un anni­ver­saire, c’est avant tout l’occasion de se réjouir, de faire la fête, de se retrou­ver pour célé­brer un pas­sage sym­bo­lique. Mais, un anni­ver­saire, c’est aus­si l’occasion de dres­ser un bilan de son évo­lu­tion, de se lais­ser aller […]

Le 20 novembre 2009, la Conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’enfant (CIDE) a fêté ses vingt ans d’existence. Un anni­ver­saire, c’est avant tout l’occasion de se réjouir, de faire la fête, de se retrou­ver pour célé­brer un pas­sage sym­bo­lique. Mais, un anni­ver­saire, c’est aus­si l’occasion de dres­ser un bilan de son évo­lu­tion, de se lais­ser aller à l’introspection et de por­ter un regard lucide sur un par­cours déter­mi­né. Alors, ne convien­drait-il pas d’analyser rapi­de­ment la condi­tion du nou­veau vingtenaire ?

C’est en 1978 que fut prise, par l’Organisation des Nations-unies, la déci­sion de mettre sur pied une com­mis­sion char­gée de plan­cher sur une décla­ra­tion solen­nelle concer­nant les droits de l’enfant. Il fau­dra attendre onze ans pour que la Conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’enfant voie enfin le jour, le 20 novembre 1989. La nais­sance ne se fit donc pas sans dou­leur… S’il est un thème consen­suel, c’est bien celui des droits de l’enfant. En effet, si cer­tains tentent encore de s’opposer à la recon­nais­sance ou à l’application des droits de l’homme à cer­tains indi­vi­dus (déte­nus, sans-papiers, ter­ro­ristes, etc.), per­sonne n’ose remettre en cause la néces­saire pro­tec­tion des droits de l’enfant. Cela devrait donc signi­fier que les droits de l’enfant, fai­sant l’objet d’un tel consen­sus, de la gauche à la droite, du Nord au Sud, du centre fer­mé à la mai­son royale (ah non, pas le centre fer­mé, par­don), les droits de l’enfant sont plei­ne­ment recon­nus et appli­qués en Bel­gique. Joyeux anni­ver­saire, donc ?

En fait, il n’y a pas tou­jours lieu de célé­brer… En effet, mal­gré toutes les bonnes inten­tions (affi­chées), les droits de l’enfant ont encore du che­min à faire, même en Belgique.

Des zones d’ombre

S’il est vrai que les droits de l’enfant sont glo­ba­le­ment bien pro­té­gés dans notre État, qu’il serait abu­sif et injuste d’accuser celui-ci de s’en dés­in­té­res­ser, il n’en reste pas moins quelques zones d’ombre. Entre autres exemples : mal­gré les mul­tiples pro­messes poli­tiques, des enfants sont tou­jours incar­cé­rés dans des centres fer­més pour étran­gers illé­gaux ; les rap­ports se mul­ti­plient pour indi­quer que le fait de vivre dans la pau­vre­té pour des enfants entraîne des consé­quences impor­tantes sur leur déve­lop­pe­ment et la jouis­sance de leurs droits ; des pro­blèmes demeurent dans les domaines de l’accueil extra­s­co­laire, de l’hospitalisation des mineurs, du droit au res­pect des rela­tions fami­liales, des enfants souf­frant d’un han­di­cap, etc.

La ges­tion de la délin­quance juvé­nile par les pou­voirs publics illustre bien ce malaise : le recours à l’enfermement de ces jeunes semble être le seul hori­zon poli­tique envi­sa­gé pour gérer le malaise social des mineurs.

À un point tel que le Comi­té des droits de l’enfant de l’ONU a, dans son der­nier rap­port, recom­man­dé à la Bel­gique de veiller à ce que « la pri­va­tion de liber­té ne consti­tue qu’une mesure de der­nier res­sort et soit d’une durée aus­si brève que possible. »

Pas en reste, le Comi­té contre la tor­ture de l’ONU a éga­le­ment recom­man­dé à la Bel­gique « de mettre en place un sys­tème de jus­tice pour mineurs qui soit entiè­re­ment conforme, en droit et en pra­tique, aux dis­po­si­tions de la Conven­tion des droits de l’enfant et de veiller à ce que les per­sonnes de moins de dix-huit ans ne soient pas jugées comme des adultes ».

Enfin, le com­mis­saire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a quant à lui affir­mé que « le pla­ce­ment des mineurs en centre fer­mé qui doit demeu­rer l’exception, au sens de l’article 37 de la Conven­tion des droits de l’enfant, risque de se pra­ti­quer plus fré­quem­ment. Le com­mis­saire appelle les auto­ri­tés à assu­rer […] la pleine effec­ti­vi­té des sanc­tions alter­na­tives et édu­ca­tives afin de limi­ter le recours à la pri­va­tion de liberté. »

Une telle una­ni­mi­té au niveau inter­na­tio­nal est rare. On pour­rait donc légi­ti­me­ment s’attendre à ce que l’État belge prête une atten­tion par­ti­cu­lière à ces recom­man­da­tions répé­tées. Et bien on peut tou­jours attendre : l’enfermement reste bien le seul hori­zon poli­tique pour les jeunes délin­quants, deux cent quatre-vingts nou­velles places pour mineurs dans des struc­tures fer­mées, ce qui dou­ble­ra le nombre de places dis­po­nibles, étant en attente de création.

Dans ce cadre, l’État belge a été encore plus loin dans le cynisme. En effet, pour fêter digne­ment les vingt ans de ce texte fon­da­men­tal recon­nais­sant chaque enfant comme déten­teur de droits atta­chés à sa per­sonne, le ministre de la Jus­tice a publié au Moni­teur belge les arrê­tés royaux por­tant la créa­tion d’un nou­veau centre fer­mé pour mineurs à la pri­son de Tongres. Cet arrê­té pré­voit son entrée en vigueur… le 20 novembre 2009, jour anni­ver­saire des vingt ans de la CIDE.

Justice trop répressive pour les mineurs

Faut-il consi­dé­rer cette coïn­ci­dence pro­gram­ma­tique comme une déso­lante dis­trac­tion, une pro­vo­ca­tion cynique ou un indice de la consi­dé­ra­tion avec laquelle la Bel­gique envi­sage les droits de l’enfant ? On est impa­tient de poser la ques­tion au Comi­té des droits de l’enfant, devant lequel la Bel­gique va devoir pas­ser dans le cou­rant de 2010…

Quoi qu’il en soit, la réponse à cette ques­tion semble se trou­ver tout entière dans la ges­tion de la désor­mais ex-ancienne pri­son de Tongres. Pri­son désaf­fec­tée, deve­nue musée, la pri­son-musée de Tongres était un remar­quable lieu de sen­si­bi­li­sa­tion car­cé­rale. Des ex-déte­nus y orga­ni­saient des visites gui­dées pour des jeunes en dif­fi­cul­té. La pri­son-musée a fer­mé ses portes, faute de sub­sides, en novembre 2008. Un bud­get pour sa réaf­fec­ta­tion en pri­son pour mineurs pou­vant y accueillir des jeunes délin­quants a, lui, été trouvé.

Ce choix illustre la poli­tique sans pers­pec­tive et répres­sive vis-à-vis de la jeune délin­quance en Bel­gique. Une poli­tique qui fait peu de cas de la phi­lo­so­phie pro­tec­tion­nelle qui fonde la CIDE.

En pla­çant le gâteau d’anniversaire de la CIDE der­rière ces sinistres bar­reaux, le ministre met dans l’ombre les réjouis­sances qui avaient lieu d’être au vu des diverses mesures concrètes et posi­tives prises en faveur des droits de l’enfant depuis la rati­fi­ca­tion de la CIDE par la Bel­gique en 1992. Il reste le goût amer de ces lacunes, par­mi les­quelles une jus­tice trop répres­sive des mineurs (des­sai­sis­se­ment, enfer­me­ments trop nom­breux, etc.). 

Cet anni­ver­saire quelque peu gâché reste néan­moins l’occasion de rap­pe­ler à nou­veau ce que le Comi­té des droits de l’enfant avait sou­li­gné, à savoir que les per­sonnes âgées de moins de dix-huit ans ne doivent pas être jugées comme des adultes et que l’enfermement des jeunes doit res­ter une mesure exceptionnelle.

Joyeux anni­ver­saire, donc.

Manuel Lambert


Auteur

conseiller juridique, membre de la commission Prison (LDH)