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Contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS. Quels enseignements pour l’action sociale au niveau local ?
Au travers de l’évolution des missions données aux « directeurs généraux des CPAS », on peut identifier un point de tension entre « idéologie gestionnaire » et prise en compte des solidarités.
Nous nous intéressons à la thématique de l’action sociale localisée par la focale d’observation spécifique que représentent les centres publics d’action sociale. Notre recherche prend pour point de départ les décrets du gouvernement wallon relatifs à la réforme des gardes légaux, entrés en vigueur en septembre 2013.
Ces décrets portent intrinsèquement une philosophie de la gouvernance des pouvoirs locaux, axée sur le management par projets, la qualité et la culture du résultat.
Ainsi, depuis 2013, il est demandé aux directeurs généraux de CPAS de produire sur demande du pouvoir politique, un contrat d’objectifs, contrat qui doit, en principe, rendre opérationnelle la vision politique de l’action sociale territorialisée, en actions et en projets concrets.
Ce sujet de recherche nous permet de poser une réflexion sur ce que représente aujourd’hui l’action sociale des CPAS. Quelles formes prend-elle ? Quels publics vise-t-elle ? Quelles problématiques sociales ambitionne-t-elle de gérer ? Quels débats ouvre-t-elle ? Et, fondamentalement, quels liens peut-on établir entre cette action sociale institutionnalisée et les phénomènes de solidarité ?
De manière spécifique, après une brève digression relative à l’approche méthodologique, nous présenterons trois points de discussion qui émergent de l’analyse des résultats de notre enquête. Enfin, nous conclurons ces quelques pages par une réflexion, croisant le concept de solidarité avec les éléments d’action sociale recensés dans les contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS.
Méthodologie de la recherche
Dans la lignée d’un paradigme de recherche exploratoire (Pourtois, Desmet, Lahaye, s.d.), nous avons dans un premier temps constitué un cadre de référents, de points de repère, s’appuyant sur deux éléments.
Le premier élément qui nous a servi de guide est la typologie proposée par Ladsous (2006) concernant le concept d’action sociale. Le second renvoie, quant à lui, au cadre légal issu de la mise en œuvre de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui, « la réforme des grades légaux ».
Par rapport à l’échantillon de recherche, nous avons eu la possibilité de procéder à une analyse de contenu (Bardin, 1977) de sept contrats d’objectifs de Directeurs généraux. Cet échantillon, non représentatif mais caractéristique (Van Campenhoudt, Quivy, 2011) des réalités rencontrées sur le terrain, s’est constitué de manière volontaire (Berthier, 2010), à la suite d’un appel aux directeurs généraux des CPAS Wallons.
Enfin, il est important de signaler que l’on retrouve dans l’échantillon des communes de différentes catégories (en fonction du nombre d’habitants) et de profils différents (communes rurales et urbaines). En ce sens, le principe de territorialisation de l’action sociale, la densité de population et la typicité urbaine ou rurale peuvent engendrer l’émergence de problématiques sociales diverses et dès lors, des prises en charge différenciées.
Action sociale des CPAS et contrats d’objectifs des directeurs généraux
Que retenir de l’analyse de contenu des contrats d’objectifs analysés ? Trois points importants peuvent, à cet effet, être mis en discussion.
D’abord, la territorialisation de l’action sociale et les dynamiques partenariales.
Lors de cette recherche, nous avons abordé la territorialisation des politiques sociales, dont les CPAS sont les premiers représentants. Qu’il s’agisse d’une représentation naturelle, issue de l’histoire des centres et de la prise en charge de la pauvreté au niveau local ou, à contrario d’une représentation forcée, relative par exemple aux nombreux transferts de missions des différents gouvernements vers l’échelon local.
Nous avons ainsi pu recueillir des informations concernant les différents partenariats noués entre les CPAS et l’extérieur. Mais également sur les territoires d’actions des projets mis en œuvre.
Dans ce cadre, il convient de signaler que les contrats d’objectifs analysés développent des partenariats relativement nombreux et diversifiés.
Les partenariats et synergies avec l’administration communale, pouvoir de tutelle des CPAS, sont systématiques. On retrouve aussi des partenariats avec le secteur de l’économie sociale et le secteur privé. Principalement, en ce qui concerne les mises à l’emploi sous contrat article 60§7 et article 61. Viennent ensuite les partenariats avec le secteur associatif qui sont souvent focalisés sur les dynamiques préventives du travail social (énergie, surendettement…). Enfin, des relations avec le secteur public sont également avancées dans les contrats d’objectifs. Par exemple, avec les agences immobilières sociales en matière de logement, avec le Forem concernant l’activation par l’emploi, ou encore avec des écoles et des hôpitaux…
En parallèle aux dynamiques partenariales très nombreuses, nous observons un territoire d’action essentiellement communal. Ces dynamiques dépassent peu les limites communales. Cela n’est pas une surprise, dans la mesure où les CPAS sont tenus de garantir la dignité humaine des habitants de leur commune. Cependant, la philosophie du développement local durable (Antoine, Decoster, 2013), nous invite à penser davantage le principe de « supracommunalité ». En effet, ce sont les problématiques sociales qui devraient délimiter les territoires d’intervention et non les projets sociaux, être cadenassés par les fractures territoriales administratives.
Ensuite, la pratique de l’insertion sociale dans un contexte d’activation par le travail.
En matière de dispositifs et de projets d’action sociale, on retrouve de nombreuses mentions faites à l’insertion socioprofessionnelle des bénéficiaires
de CPAS.
Le paradigme de l’activation par le travail, imposé par le législateur depuis 2002, se manifeste par des projets de formation et d’emploi. Notamment par le développement de la mesure article 60§7.
Dans ce contexte, Haelewyck, Lahaye et Saffre (2013), considèrent que l’activation détient une double orientation : « la participation au marché du travail et l’intégration sociale ». Et les auteurs d’ajouter que dans ce cadre : « les activités des CPAS peuvent se distinguer en trois fonctions : la participation par le travail rémunéré ; la participation à des activités visant une éventuelle mise à l’emploi ; la participation à des activités qui favorisent l’intégration de l’individu dans la société ».
Cependant, les contrats d’objectifs analysés laissent apparaitre une prédominance de l’activation par l’emploi. La pratique de l’insertion sociale, c’est-à-dire : le travail social de groupe destiné au développement personnel des publics vulnérables est soit absent des raisonnements, soit présenté comme un moyen d’atteindre l’emploi. L’insertion sociale n’est jamais considérée comme une fin en soi, visant la dignité humaine et l’inclusion progressive de bénéficiaires particulièrement marginalisés.
Dans cette perspective, nous pouvons effectuer un lien avec les travaux de Herman et Van Ypersele (2001). Malgré les effets prouvés de l’insertion sociale sur le bien-être, l’autonomie et le rapport à l’emploi, ces pratiques sociales souffrent toujours de préjugés. Elles seraient pour certains, synonyme d’activités occupationnelles, de perte de temps, de maternage ou de tourisme pour le public bénéficiaire du CPAS.
Le travail d’insertion sociale représente donc un chantier à soutenir et à documenter davantage.
Le dernier élément de discussion est la présence de l’idéologie gestionnaire au cœur de l’action sociale des CPAS et, par extension, la question du management des institutions sociales.
Suivant l’enseignement de de Gaulejac (2009), nous pouvons observer dans les contrats d’objectifs des indicateurs de l’idéologie gestionnaire. En l’espèce, l’instrumentalisation des travailleurs est fréquente. Cette pratique consiste à considérer les collaborateurs comme une ressource de l’organisation de travail. Ressource qu’il convient de gérer et de rentabiliser, au même titre que d’autres ressources (financières, foncières…).
L’informatisation des processus de travail, souvent avancée comme mesure de contrôle par l’idéologie de la gestion, est également citée dans les contrats. Elle s’apparente souvent à la modernisation des pratiques de travail social des CPAS.
Enfin, l’idéologie gestionnaire pose fondamentalement la question du sens de l’action. La rentabilité, la performance et la gestion des ressources, considérées comme des fins en soi, feraient ainsi perdre le sens profond des actions (Pour qui ? Pour quoi ? Dans quel but agissons-nous?). Nous remarquons que les contrats analysés n’apportent pas, ou très peu, de réflexion quant au sens des actions sociales proposées.
Ce constat ouvre la porte à une réflexion plus globale sur le management des institutions sociales, ainsi sur les profils des manageurs en charge de la lutte contre la pauvreté et du développement local durable en matière d’action sociale territorialisée.
Manifestations du concept de solidarité dans les contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS
Lors du dernier congrès de l’Association internationale pour la formation, la recherche et l’intervention sociale (Aifris) à Montréal, nous avons présenté les résultats provisoires de la recherche exposée ci-avant, en croisant de manière spécifique, le contenu des contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS avec le concept de solidarité.
La solidarité revêt un caractère polysémique, voire pluriel au travers de ses manifestations concrètes. Supiot (2015) en clarifie les contours, lorsqu’il différencie la solidarité « nationale », des solidarités « civiles ».
La solidarité nationale peut-être symbolisée par la figure de l’État providence et de la sécurité sociale. C’est-à-dire, un système de redistribution des ressources qui unit les cotisants, les assurés et sans que ce terme ne prenne une connotation péjorative, les assistés. Par la perception des différents impôts des cotisants, la solidarité nationale s’appuie donc sur deux pôles, l’assurantiel et l’assistantiel.
Les solidarités civiles sont, quant à elles, plus diversifiées en termes de manifestations concrètes. Supiot (2015) avance dans ce cadre les solidarités professionnelles, dont font partie les syndicats et autres associations spécifiques de travailleurs.
Outre ces solidarités relatives au monde du travail, nous pouvons également identifier les solidarités familiales, intergénérationnelles, citoyennes, communautaires, territoriales… Partant de ce cadre conceptuel, il est possible d’identifier certaines manifestations de la solidarité ou, à contrario, l’absence de manifestations, dans les contrats d’objectifs analysés.
Ainsi, concernant la « solidarité nationale » définie par Supiot (2015), les contrats d’objectifs font largement référence aux dynamiques corrélatives aux revenus d’intégration. Au travers de l’encadrement et de la gestion des revenus du pôle assistantiel, les CPAS peuvent en ce sens, être considérés comme des instruments incontournables de la solidarité nationale. De manière concrète, on retrouve dans les documents analysés bon nombre de projets d’activation socioprofessionnelle (développement des mesures article 60 et article 61, mise en place de modules de formation ou d’insertion sociale…).
Du côté des solidarités « civiles », ce sont d’abord, comme nous l’avons exposé ci-avant via les dynamiques partenariales, les solidarités organisationnelles qui ressortent des contrats d’objectifs.
De manière prépondérante, ce sont surtout des solidarités intergénérationnelles qui se manifestent. En effet, qu’il s’agisse de construction ou de rénovation de structures d’hébergement telles que les maisons de repos et de soins, ou bien de la mise en œuvre de projets sociaux destinés aux séniors, les CPAS identifient le public âgé comme étant l’une des priorités de l’action sociale locale.
La solidarité interculturelle s’exprime quant à elle principalement par la gestion des initiatives locales d’accueil et par l’encadrement des candidats réfugiés, hébergés par les centres.
Enfin, nous conclurons par une note plus sombre, celle de l’absence complète dans les contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS des solidarités au travail.
Nous citions plus haut de Gaulejac (2009), et l’instrumentalisation des collaborateurs en ressources humaines de l’organisation de travail. Force est de constater qu’à côté des processus de gestion, aucune action n’est pensée en termes de bien-être au travail ou de gestion de la charge psychosociale que peut engendrer l’encadrement des publics en situation de grande précarité.
En ce sens, nous sommes intimement convaincus que le développement et l’activation des solidarités locales, passent avant tout par l’expérience de la solidarité et du bien-être dans les équipes et au sein des organisations de travail. N’en déplaise aux adeptes de l’idéologie gestionnaire. Et comme l’affirme très justement Chauvière (2010): « Trop de gestion tue le social ».