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Contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS. Quels enseignements pour l’action sociale au niveau local ?

Numéro 8 - 2017 - action sociale CPAS par Nikola Gerin

décembre 2017

Au tra­vers de l’évolution des mis­sions don­nées aux « direc­teurs géné­raux des CPAS », on peut iden­ti­fier un point de ten­sion entre « idéo­lo­gie ges­tion­naire » et prise en compte des solidarités.

Dossier

Nous nous inté­res­sons à la thé­ma­tique de l’action sociale loca­li­sée par la focale d’observation spé­ci­fique que repré­sentent les centres publics d’action sociale. Notre recherche prend pour point de départ les décrets du gou­ver­ne­ment wal­lon rela­tifs à la réforme des gardes légaux, entrés en vigueur en sep­tembre 2013.

Ces décrets portent intrin­sè­que­ment une phi­lo­so­phie de la gou­ver­nance des pou­voirs locaux, axée sur le mana­ge­ment par pro­jets, la qua­li­té et la culture du résultat.

Ain­si, depuis 2013, il est deman­dé aux direc­teurs géné­raux de CPAS de pro­duire sur demande du pou­voir poli­tique, un contrat d’objectifs, contrat qui doit, en prin­cipe, rendre opé­ra­tion­nelle la vision poli­tique de l’action sociale ter­ri­to­ria­li­sée, en actions et en pro­jets concrets.

Ce sujet de recherche nous per­met de poser une réflexion sur ce que repré­sente aujourd’hui l’action sociale des CPAS. Quelles formes prend-elle ? Quels publics vise-t-elle ? Quelles pro­blé­ma­tiques sociales ambi­tionne-t-elle de gérer ? Quels débats ouvre-t-elle ? Et, fon­da­men­ta­le­ment, quels liens peut-on éta­blir entre cette action sociale ins­ti­tu­tion­na­li­sée et les phé­no­mènes de solidarité ?

De manière spé­ci­fique, après une brève digres­sion rela­tive à l’approche métho­do­lo­gique, nous pré­sen­te­rons trois points de dis­cus­sion qui émergent de l’analyse des résul­tats de notre enquête. Enfin, nous conclu­rons ces quelques pages par une réflexion, croi­sant le concept de soli­da­ri­té avec les élé­ments d’action sociale recen­sés dans les contrats d’objectifs des direc­teurs géné­raux de CPAS.

Méthodologie de la recherche

Dans la lignée d’un para­digme de recherche explo­ra­toire (Pour­tois, Des­met, Lahaye, s.d.), nous avons dans un pre­mier temps consti­tué un cadre de réfé­rents, de points de repère, s’appuyant sur deux éléments.

Le pre­mier élé­ment qui nous a ser­vi de guide est la typo­lo­gie pro­po­sée par Lad­sous (2006) concer­nant le concept d’action sociale. Le second ren­voie, quant à lui, au cadre légal issu de la mise en œuvre de ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui, « la réforme des grades légaux ».

Par rap­port à l’échantillon de recherche, nous avons eu la pos­si­bi­li­té de pro­cé­der à une ana­lyse de conte­nu (Bar­din, 1977) de sept contrats d’objectifs de Direc­teurs géné­raux. Cet échan­tillon, non repré­sen­ta­tif mais carac­té­ris­tique (Van Cam­pen­houdt, Qui­vy, 2011) des réa­li­tés ren­con­trées sur le ter­rain, s’est consti­tué de manière volon­taire (Ber­thier, 2010), à la suite d’un appel aux direc­teurs géné­raux des CPAS Wallons.

Enfin, il est impor­tant de signa­ler que l’on retrouve dans l’échantillon des com­munes de dif­fé­rentes caté­go­ries (en fonc­tion du nombre d’habitants) et de pro­fils dif­fé­rents (com­munes rurales et urbaines). En ce sens, le prin­cipe de ter­ri­to­ria­li­sa­tion de l’action sociale, la den­si­té de popu­la­tion et la typi­ci­té urbaine ou rurale peuvent engen­drer l’émergence de pro­blé­ma­tiques sociales diverses et dès lors, des prises en charge différenciées.

Action sociale des CPAS et contrats d’objectifs des directeurs généraux

Que rete­nir de l’analyse de conte­nu des contrats d’objectifs ana­ly­sés ? Trois points impor­tants peuvent, à cet effet, être mis en discussion.

D’abord, la ter­ri­to­ria­li­sa­tion de l’action sociale et les dyna­miques partenariales.

Lors de cette recherche, nous avons abor­dé la ter­ri­to­ria­li­sa­tion des poli­tiques sociales, dont les CPAS sont les pre­miers repré­sen­tants. Qu’il s’agisse d’une repré­sen­ta­tion natu­relle, issue de l’histoire des centres et de la prise en charge de la pau­vre­té au niveau local ou, à contra­rio d’une repré­sen­ta­tion for­cée, rela­tive par exemple aux nom­breux trans­ferts de mis­sions des dif­fé­rents gou­ver­ne­ments vers l’échelon local.

Nous avons ain­si pu recueillir des infor­ma­tions concer­nant les dif­fé­rents par­te­na­riats noués entre les CPAS et l’extérieur. Mais éga­le­ment sur les ter­ri­toires d’actions des pro­jets mis en œuvre.

Dans ce cadre, il convient de signa­ler que les contrats d’objectifs ana­ly­sés déve­loppent des par­te­na­riats rela­ti­ve­ment nom­breux et diversifiés.

Les par­te­na­riats et syner­gies avec l’administration com­mu­nale, pou­voir de tutelle des CPAS, sont sys­té­ma­tiques. On retrouve aus­si des par­te­na­riats avec le sec­teur de l’économie sociale et le sec­teur pri­vé. Prin­ci­pa­le­ment, en ce qui concerne les mises à l’emploi sous contrat article 60§7 et article 61. Viennent ensuite les par­te­na­riats avec le sec­teur asso­cia­tif qui sont sou­vent foca­li­sés sur les dyna­miques pré­ven­tives du tra­vail social (éner­gie, sur­en­det­te­ment…). Enfin, des rela­tions avec le sec­teur public sont éga­le­ment avan­cées dans les contrats d’objectifs. Par exemple, avec les agences immo­bi­lières sociales en matière de loge­ment, avec le Forem concer­nant l’activation par l’emploi, ou encore avec des écoles et des hôpitaux…

En paral­lèle aux dyna­miques par­te­na­riales très nom­breuses, nous obser­vons un ter­ri­toire d’action essen­tiel­le­ment com­mu­nal. Ces dyna­miques dépassent peu les limites com­mu­nales. Cela n’est pas une sur­prise, dans la mesure où les CPAS sont tenus de garan­tir la digni­té humaine des habi­tants de leur com­mune. Cepen­dant, la phi­lo­so­phie du déve­lop­pe­ment local durable (Antoine, Decos­ter, 2013), nous invite à pen­ser davan­tage le prin­cipe de « supra­com­mu­na­li­té ». En effet, ce sont les pro­blé­ma­tiques sociales qui devraient déli­mi­ter les ter­ri­toires d’intervention et non les pro­jets sociaux, être cade­nas­sés par les frac­tures ter­ri­to­riales administratives.

Ensuite, la pra­tique de l’insertion sociale dans un contexte d’activation par le travail.

En matière de dis­po­si­tifs et de pro­jets d’action sociale, on retrouve de nom­breuses men­tions faites à l’insertion socio­pro­fes­sion­nelle des bénéficiaires
de CPAS.

Le para­digme de l’activation par le tra­vail, impo­sé par le légis­la­teur depuis 2002, se mani­feste par des pro­jets de for­ma­tion et d’emploi. Notam­ment par le déve­lop­pe­ment de la mesure article 60§7.

Dans ce contexte, Hae­lewyck, Lahaye et Saffre (2013), consi­dèrent que l’activation détient une double orien­ta­tion : « la par­ti­ci­pa­tion au mar­ché du tra­vail et l’intégration sociale ». Et les auteurs d’ajouter que dans ce cadre : « les acti­vi­tés des CPAS peuvent se dis­tin­guer en trois fonc­tions : la par­ti­ci­pa­tion par le tra­vail rému­né­ré ; la par­ti­ci­pa­tion à des acti­vi­tés visant une éven­tuelle mise à l’emploi ; la par­ti­ci­pa­tion à des acti­vi­tés qui favo­risent l’intégration de l’individu dans la société ».

Cepen­dant, les contrats d’objectifs ana­ly­sés laissent appa­raitre une pré­do­mi­nance de l’activation par l’emploi. La pra­tique de l’insertion sociale, c’est-à-dire : le tra­vail social de groupe des­ti­né au déve­lop­pe­ment per­son­nel des publics vul­né­rables est soit absent des rai­son­ne­ments, soit pré­sen­té comme un moyen d’atteindre l’emploi. L’insertion sociale n’est jamais consi­dé­rée comme une fin en soi, visant la digni­té humaine et l’inclusion pro­gres­sive de béné­fi­ciaires par­ti­cu­liè­re­ment marginalisés.

Dans cette pers­pec­tive, nous pou­vons effec­tuer un lien avec les tra­vaux de Her­man et Van Yper­sele (2001). Mal­gré les effets prou­vés de l’insertion sociale sur le bien-être, l’autonomie et le rap­port à l’emploi, ces pra­tiques sociales souffrent tou­jours de pré­ju­gés. Elles seraient pour cer­tains, syno­nyme d’activités occu­pa­tion­nelles, de perte de temps, de mater­nage ou de tou­risme pour le public béné­fi­ciaire du CPAS.

Le tra­vail d’insertion sociale repré­sente donc un chan­tier à sou­te­nir et à docu­men­ter davantage.

Le der­nier élé­ment de dis­cus­sion est la pré­sence de l’idéologie ges­tion­naire au cœur de l’action sociale des CPAS et, par exten­sion, la ques­tion du mana­ge­ment des ins­ti­tu­tions sociales.

Sui­vant l’enseignement de de Gau­le­jac (2009), nous pou­vons obser­ver dans les contrats d’objectifs des indi­ca­teurs de l’idéologie ges­tion­naire. En l’espèce, l’instrumentalisation des tra­vailleurs est fré­quente. Cette pra­tique consiste à consi­dé­rer les col­la­bo­ra­teurs comme une res­source de l’organisation de tra­vail. Res­source qu’il convient de gérer et de ren­ta­bi­li­ser, au même titre que d’autres res­sources (finan­cières, foncières…).

L’informatisation des pro­ces­sus de tra­vail, sou­vent avan­cée comme mesure de contrôle par l’idéologie de la ges­tion, est éga­le­ment citée dans les contrats. Elle s’apparente sou­vent à la moder­ni­sa­tion des pra­tiques de tra­vail social des CPAS.

Enfin, l’idéologie ges­tion­naire pose fon­da­men­ta­le­ment la ques­tion du sens de l’action. La ren­ta­bi­li­té, la per­for­mance et la ges­tion des res­sources, consi­dé­rées comme des fins en soi, feraient ain­si perdre le sens pro­fond des actions (Pour qui ? Pour quoi ? Dans quel but agis­sons-nous?). Nous remar­quons que les contrats ana­ly­sés n’apportent pas, ou très peu, de réflexion quant au sens des actions sociales proposées.

Ce constat ouvre la porte à une réflexion plus glo­bale sur le mana­ge­ment des ins­ti­tu­tions sociales, ain­si sur les pro­fils des mana­geurs en charge de la lutte contre la pau­vre­té et du déve­lop­pe­ment local durable en matière d’action sociale territorialisée.

Manifestations du concept de solidarité dans les contrats d’objectifs des directeurs généraux de CPAS

Lors du der­nier congrès de l’Association inter­na­tio­nale pour la for­ma­tion, la recherche et l’intervention sociale (Aifris) à Mont­réal, nous avons pré­sen­té les résul­tats pro­vi­soires de la recherche expo­sée ci-avant, en croi­sant de manière spé­ci­fique, le conte­nu des contrats d’objectifs des direc­teurs géné­raux de CPAS avec le concept de solidarité.

La soli­da­ri­té revêt un carac­tère poly­sé­mique, voire plu­riel au tra­vers de ses mani­fes­ta­tions concrètes. Supiot (2015) en cla­ri­fie les contours, lorsqu’il dif­fé­ren­cie la soli­da­ri­té « natio­nale », des soli­da­ri­tés « civiles ».

La soli­da­ri­té natio­nale peut-être sym­bo­li­sée par la figure de l’État pro­vi­dence et de la sécu­ri­té sociale. C’est-à-dire, un sys­tème de redis­tri­bu­tion des res­sources qui unit les coti­sants, les assu­rés et sans que ce terme ne prenne une conno­ta­tion péjo­ra­tive, les assis­tés. Par la per­cep­tion des dif­fé­rents impôts des coti­sants, la soli­da­ri­té natio­nale s’appuie donc sur deux pôles, l’assurantiel et l’assistantiel.

Les soli­da­ri­tés civiles sont, quant à elles, plus diver­si­fiées en termes de mani­fes­ta­tions concrètes. Supiot (2015) avance dans ce cadre les soli­da­ri­tés pro­fes­sion­nelles, dont font par­tie les syn­di­cats et autres asso­cia­tions spé­ci­fiques de travailleurs.

Outre ces soli­da­ri­tés rela­tives au monde du tra­vail, nous pou­vons éga­le­ment iden­ti­fier les soli­da­ri­tés fami­liales, inter­gé­né­ra­tion­nelles, citoyennes, com­mu­nau­taires, ter­ri­to­riales… Par­tant de ce cadre concep­tuel, il est pos­sible d’identifier cer­taines mani­fes­ta­tions de la soli­da­ri­té ou, à contra­rio, l’absence de mani­fes­ta­tions, dans les contrats d’objectifs analysés.

Ain­si, concer­nant la « soli­da­ri­té natio­nale » défi­nie par Supiot (2015), les contrats d’objectifs font lar­ge­ment réfé­rence aux dyna­miques cor­ré­la­tives aux reve­nus d’intégration. Au tra­vers de l’encadrement et de la ges­tion des reve­nus du pôle assis­tan­tiel, les CPAS peuvent en ce sens, être consi­dé­rés comme des ins­tru­ments incon­tour­nables de la soli­da­ri­té natio­nale. De manière concrète, on retrouve dans les docu­ments ana­ly­sés bon nombre de pro­jets d’activation socio­pro­fes­sion­nelle (déve­lop­pe­ment des mesures article 60 et article 61, mise en place de modules de for­ma­tion ou d’insertion sociale…).

Du côté des soli­da­ri­tés « civiles », ce sont d’abord, comme nous l’avons expo­sé ci-avant via les dyna­miques par­te­na­riales, les soli­da­ri­tés orga­ni­sa­tion­nelles qui res­sortent des contrats d’objectifs.

De manière pré­pon­dé­rante, ce sont sur­tout des soli­da­ri­tés inter­gé­né­ra­tion­nelles qui se mani­festent. En effet, qu’il s’agisse de construc­tion ou de réno­va­tion de struc­tures d’hébergement telles que les mai­sons de repos et de soins, ou bien de la mise en œuvre de pro­jets sociaux des­ti­nés aux séniors, les CPAS iden­ti­fient le public âgé comme étant l’une des prio­ri­tés de l’action sociale locale.

La soli­da­ri­té inter­cul­tu­relle s’exprime quant à elle prin­ci­pa­le­ment par la ges­tion des ini­tia­tives locales d’accueil et par l’encadrement des can­di­dats réfu­giés, héber­gés par les centres.

Enfin, nous conclu­rons par une note plus sombre, celle de l’absence com­plète dans les contrats d’objectifs des direc­teurs géné­raux de CPAS des soli­da­ri­tés au travail.

Nous citions plus haut de Gau­le­jac (2009), et l’instrumentalisation des col­la­bo­ra­teurs en res­sources humaines de l’organisation de tra­vail. Force est de consta­ter qu’à côté des pro­ces­sus de ges­tion, aucune action n’est pen­sée en termes de bien-être au tra­vail ou de ges­tion de la charge psy­cho­so­ciale que peut engen­drer l’encadrement des publics en situa­tion de grande précarité.

En ce sens, nous sommes inti­me­ment convain­cus que le déve­lop­pe­ment et l’activation des soli­da­ri­tés locales, passent avant tout par l’expérience de la soli­da­ri­té et du bien-être dans les équipes et au sein des orga­ni­sa­tions de tra­vail. N’en déplaise aux adeptes de l’idéologie ges­tion­naire. Et comme l’affirme très jus­te­ment Chau­vière (2010): « Trop de ges­tion tue le social ».

Nikola Gerin


Auteur

directeur des services sociaux du CPAS de Quaregnon, professeur invité à la HEH-catégorie sociale de Mons, chercheur/doctorant à l’U-Mons