Les propos qui suivent sont nés d’une soudaine curiosité à l’égard du Congo anciennement belge. Le responsable n’est ni un africaniste ni un spécialiste de ce pays. Il n’est qu’un simple géopolitologue dont le centre d’intérêt est plutôt l’Eurasie. Son attention a été attirée par l’excellent ouvrage de Jean-Claude Willame sur Les « faiseurs de paix » au Congo - Gestion d’une crise internationale dans un État sous tutelle. Afin de mieux comprendre la situation de ce pays dans une optique internationale, on peut (...)
Les propos qui suivent sont nés d’une soudaine curiosité à l’égard du Congo anciennement belge. Le responsable n’est ni un africaniste ni un spécialiste de ce pays. Il n’est qu’un simple géopolitologue dont le centre d’intérêt est plutôt l’Eurasie. Son attention a été attirée par l’excellent ouvrage de Jean-Claude Willame sur Les « faiseurs de paix » au Congo - Gestion d’une crise internationale dans un État sous tutelle. Afin de mieux comprendre la situation de ce pays dans une optique internationale, on peut procéder à une comparaison entre le Congo et la France. [1] Contestable, mais plus facile à saisir pour un lecteur européen, cette comparaison n’est pourtant pas totalement absurde, car les deux pays ont la même dimension démographique.
Comparée à la France, la population est clairsemée et évidemment trop peu nombreuse pour défendre les frontières du pays (critère n° 4-5). [2] Même à supposer que les techniques d’armement et l’organisation militaire soient identiques, ce qui évidemment n’est pas le cas, le Congo parait indéfendable puisque ses frontières ne sont guère naturelles et fort longues. Il en résulte également que les populations des pays avoisinants ne peuvent qu’affluer vers un territoire vide par rapport au leur (critère n° 4).
Congo | France | |
---|---|---|
1. Surface | 2 345 000 km2 | 547 000 km2 |
2. Frontières terrestres | 10 730 km, dont Angola 2 500, Rwanda 217, Burundi 233, Rép. Centre africain 1 577, Rép. de Congo (Brazzaville) 2 410, Soudan 628, Tanzanie 459, Ouganda 765 et Zambie 1 930, etc. | 2 889 km, dont Belgique 620, RFA 451, Italie 488, Espagne 623, Suisse 573, etc. |
3. Populations | 65 751 000 | 63 714 000 |
4. Population/frontières | 6 127 000 | 22 054 000 |
5. Population/surface | 28000 | 116 000 |
6. Lignes téléphoniques | 10 600 (est. 2005) | 34 630 |
7. Téléphones mobiles | 27 000 000 (idem) | 494 000 000 |
8. Routes terrestres | 153 000 km | 956 000 km |
9. Voies fluviales | 15 000 km | 8 500 000 km |
10. Conduites d’hydrocarbures | 132 km | 22 500 km |
11. Chemins de fer | 5 138 km dont 858 électrifiés | 29 370 km dont 14 778 électrifiés |
Avec une telle densité démographique, la capacité et les moyens d’organisation politico-administrative du Congo devraient être nettement plus conséquents que ceux de la France. Ce n’est pas le cas, ne fût-ce que du point de vue des voies de communication (voir tableau). Dans ce dernier domaine, la position de la France s’avère écrasante en regard de celle du Congo. Il en est évidemment de même en ce qui concerne les forces armées stables et fiables. Le pays peut aisément être envahi, militairement ou par la migration. Les conflits militaires et les déplacements de populations à l’est et au nord-est du pays le montrent. Le Congo est forcément un « État sous tutelle », comme souligne Willame.
On le dit et le répète que le Congo est extraordinairement riche en matières premières. Or, de fait, il n’est guère riche au sens propre du terme. Certes, basés sur les échanges capitalistes, les chiffres macroéconomiques escamotent toute l’économie sociale et solidaire. Or, fondé sur la solidarité [3] , ce type d’économie serait largement pratiqué par la population congolaise. Il reste que le niveau de développement exprimé en produit global du pays correspond à peine à 2 % de celui de la France.
Mais il ne suffit pas d’être naturellement doté de richesses. Il faut encore savoir/ pouvoir l’exploiter et il faut que cela se fasse au bénéfice de la population. Pour ce faire, il convient que ces richesses soient entièrement sous le contrôle des autorités locales : l’exploitation, la transformation et la commercialisation. De plus, ces autorités sont appelées à redistribuer les revenus d’une façon égalitaire. Il n’y a aucune raison de croire que ces deux conditions soient remplies au Congo. D’où une première explication à la pauvreté du pays.
Il y en aurait une deuxième au regard des indications ci-dessus. La France commerce avant tout et naturellement avec ses pays voisins, alors que le Congo entretient des relations de commerce extérieur lointaines. Toutes les transactions liées aux matières premières lui échappent, l’inscrivant dans une dépendance des pays riches. Il en résulte que les prix auxquels, officiellement ou clandestinement, le Congo vend et achète à l’extérieur lui sont défavorables. Ses exportations officielles ne représentent que 14 % de la production totale du pays sur la base du taux de change courant.
Enfin, la terre arable disponible au Congo n’atteint même pas le tiers de celle disponible en France. À conditions technologiques semblables, elle serait déjà insuffisante pour nourrir la population d’une façon satisfaisante. Mais le développement technologique étant modeste, l’approvisionnement alimentaire demeure précaire et déficient. La population congolaise se trouve dès lors dans une position malthusienne, autrement dit dans une situation où elle croît plus vite que la productivité de la terre disponible ou exploitée pour la nourrir, sauf réduction démographique non « naturelle ».
Congo | France | |
---|---|---|
12. Produit intérieur brut PPA4 en milliard d’euros | 35,6 | 1 513 |
13. Produit intérieur brut PPA par habitant en euros | 560 24 880 | |
14. Terre arable en milliers de km2 | 67 | 215 |
15 Production d’électricité en millions de kWh | 353 | 549 400 |
16. Exportations vers, en % du total | Belgique 33,4 ; Chine 24,1 ; Chili 8,9 ; Finlande 8,2 ; EUA 5,6 | RFA 15,6 ; Espagne 9,6 ; Italie 8,9 ; RU 8,2 ; Belgique 7,2 ; EUA 6,7 |
17. Importations en provenance, en % du total | Afrique du Sud 19,5 ; Belgique 11,8 ; France 9,4 ; Kenya 7,5 ; Zambie 6,5 ; Côte d’Ivoire 4,8 | RFA 19 ; Belgique 11 ; Italie 8,3 ; Espagne 7 ; Pays-Bas 6,7 ; RU 6,5 ; EUA 4,6 |
PPA : « parité de pouvoir d’achat », c’est-à-dire en supposant que les différences de prix entre les différents pays du monde soient effacées.
Dans un tel contexte géopolitique et si l’on comprend bien, des « faiseurs de guerre » paraissent souvent plus présents au Congo que les « faiseurs de paix », sans parler des « faiseurs de profits » à l’intérieur du pays, mais surtout à l’extérieur. Parmi ces derniers, il conviendra bien entendu de citer les multinationales légales ou illégales (voir Willame, Nobirabo, Yamba). Qui en sont les acteurs principaux et quels en sont les enjeux ? Les enjeux sont doubles : le contrôle des positions géographiques importantes, par exemple celui des voies de communication prioritaires, et celui des matières premières et énergétiques.
Quant aux acteurs, il existe des « faiseurs de paix » et Willame en parle abondamment. Il en cite trois : le président du Congo, Kabila, Louis Michel, ministre belge [4] à l’époque, et l’ONU. Kabila est loué pour son doigté politique, tandis que Michel a le mérite d’avoir mis la crise congolaise « oubliée » à l’agenda. Willame n’en mentionne pas la Chine, marginalement les États-Unis [5], trop peu les Églises ou les autres ONG. Le Rwanda et l’Ouganda sont constamment présentés comme des envahisseurs et comme des pays convoitant les richesses naturelles du Congo. Quant au Zimbabwe et à l’Angola, en principe des « alliés », ils ne valent pas mieux. Une exploration plus poussée des forces oeuvrant derrière de ces quatre pays révèlerait peut-être davantage l’articulation entre ceux-ci et les puissances publiques et privées qui sont des acteurs actifs de la crise congolaise.
Face aux anciens colonisateurs, les États- Unis et la Chine jouent un rôle croissant en Afrique, et le Congo n’y échappe probablement guère.
Depuis le début des années 2000, les États-Unis mettent en place un dispositif militaire en Afrique. En plus de leur base navale et aérienne de Diego García dans l’océan Indien, ils ont loué à la France le Camp Lemonier à Djibouti. Au nom de la « lutte contre le terrorisme », l’occupation par l’armée éthiopienne de la Somalie a été coordonnée, encadrée, préparée et soutenue en matière de logistique et de renseignement par l’armée américaine, installée à Djibouti et à Dire Dawa, en Éthiopie. En Afrique de l’ouest et centrale, les États-Unis avancent dans l’établissement de bases militaires, terrestres, aériennes et navales, ici aussi sous couvert de « lutte contre le terrorisme ». En février 2007, Washington annonce la création du commandement militaire américain propre pour l’Afrique, Africom. En Afrique, il s’appuie de plus en plus sur l’intervention des forces militaires africaines, encadrées par ses soins, ainsi que sur l’Otan ou l’Union européenne, ou encore sur le mercenariat privé américain tel qu’en Afghanistan et en Irak.
La stratégie de la Chine parait assez simple : pour acquérir ce dont elle a besoin, elle a recours à n’importe quel moyen qui lui convient, y compris même la migration économique (travailleurs et marchands) de ses nationaux, la coopération véritable et beaucoup de corruption.
Jean-Claude Willame considère que les opérations de maintien de la paix de l’ONU « souffrent encore de nombreux dysfonctionnements ». Ils sont, selon lui, attribuables « à la confusion conceptuelle qui a présidé à la définition des missions à remplir » comme aux « considérations et [aux] arrière-pensées “géopolitiques” ou autres ». Ici une remarque s’impose. Le Conseil de sécurité correspond fondamentalement à un organe géostratégique. Ses décisions se prennent en fonction des compromis des cinq puissances nucléaires sur la base de leurs intérêts strictement nationaux. Les compromis successifs n’ont aucune raison d’être cohérents. Par ailleurs, les puissances en question sont inéluctablement à la fois des « faiseurs de paix » et des « faiseurs de guerre », selon les cas. Toutefois, l’ONU ne se réduit heureusement pas au seul Conseil de sécurité. Elle fait oeuvre utile à travers le monde par ses diverses institutions : l’Organisation mondiale de la santé, la FAO, l’Unesco, l’Organisation maritime internationale, le Cours international de justice, etc. Intergouvernementale comme l’ONU, l’Union européenne seule se comporterait-elle mieux dans ce domaine ? Faut-il envisager favorablement son intervention, comme Willame semble le souhaiter ? Si l’on en croit Prosper Nobirabo, on peut en douter.
Plusieurs auteurs se réfèrent à ce qu’ils appellent la « communauté internationale » (voir Willame, Yamba). Or, en réalité, une telle communauté n’existe que pour la puissance qui l’emporte sur les autres et se considère comme celle qui la représente ou pour ceux des gouvernements qui s’alignent sur l’une ou l’autre grande puissance et recherchent une légitimité en l’évoquant. Le monde se caractérise par les rapports de force mouvants entre les puissances plus ou moins grandes et ne semble s’unir qu’exceptionnellement en communauté. N’importe quelle intervention au Congo, par exemple, n’en serait pas exempte et n’aurait que peu de choses à voir avec l’intérêt des populations congolaises ou une communauté internationale quelconque. Ceci semble être le cas quel que soit l’intervenant. S‘en illusionner peut conduire à des erreurs de jugement.
André Linard évoque la situation au Congo où, pour lui, prédominent « les égos des uns et l’affairisme des autres ». Dans une situation géopolitique aussi dominée de l’extérieur, les « sous-fifres » locaux sont fiers d’eux-mêmes mais excités les uns contre les autres, se méfient de tous. Ils s’entourent de gardes du corps assez dérisoires face aux mercenaires privés d’origine étrangère. Les Églises et les autres ONG exerceraient évidemment une influence idéologique et donc politique non négligeable en faveur de la paix, si la société congolaise n’était pas si fragmentée (voir Willame, Linard). Tout autre est la position des multinationales. Willame, comme d’autres, met en évidence que les sociétés étrangères participent au « pillage comme intermédiaires et/ou destinataires ultimes : sociétés belges surtout, mais aussi hollandaises, allemandes, canadiennes... », auxquelles en bonne logique il convient d’ajouter les États qui les protègent et les soutiennent.
Le souci de « faire la paix dans un contexte d’impunité et de dérive des droits de l’homme » de Jean-Claude Willame rejoint la problématique de Bandeja Yamba : au Congo, les conflits restent sans vainqueurs qui seraient susceptibles d’« imposer [leurs] propres mesures judiciaires aux vaincus ». Sans connaitre la situation locale, on peut avancer l’argument suivant. L’impunité serait-elle un préalable à la paix et devrait-elle s’appliquer à tous ? En Afrique comme dans les pays d’Europe centrale et orientale ou dans l’Espagne franquiste, le changement de régime résulte des compromis politiques successifs. Ceux-ci garantissent directement ou indirectement l’impunité ou du moins un oubli bienvenu pour tous. Rendre justice pour les crimes - même les plus horribles - commis par les régimes précédents : militaire, nazi, stalinien, fasciste, sanguinaire ou néolibéral est particulièrement difficile. Par contre, cela évite fréquemment de voir couler le sang, situations propres à des révolutions violentes et dont les victimes sont finalement plus des classes dominées que dominantes. Quel en est le bon choix ?
Si le monde disposait d’un Parquet international appuyé par une police, une armée de l’ONU, la solution serait plus facile. La Russie et les États-Unis ont toujours empêché leur création. Ce sont ces derniers qui constamment exigent aussi de pouvoir échapper à la juridiction de la Cour pénale internationale. De plus, les juridictions d’inspiration libérale laisseront toujours les multinationales privées et les grandes puissances « vainqueurs » échapper aux sanctions qu’elles mériteraient. Alors que faire ?
Le problème « renvoie à l’absence d’enjeux sociopolitiques et de véritables partis politiques... ». Cette absence permet aux chefs de reposer leur position « sur les forces des armes et sur leur garde prétorienne, qu’il s’agisse de la faction présidentielle ou de celles des chefs de guerre... », souligne Willame. Soumettre le militaire au politique est un beau principe, mais le respecter est rare. D’ailleurs que signifie le politique en l’occurrence : le gouvernement, le Parlement, le Premier ministre, les tribunaux, etc. ? La population souhaite la « fin [de son] calvaire », alors qu’avec les mêmes dirigeants, des bailleurs de fonds ambitionnent des « élus responsables avec qui l’on peut négocier d’État à État et reprendre les “affaires” qu’elles soient de coopération ou autres ». Quel voeu l’emportera-t-il ?
[1] Toutes les statistiques proviennent de CIA Factbook dont les données sont mises à jour jusqu’en aout 2007. Celles en dollars sont converties en euros sur la base d’un taux de change 1,25 dollar = 1 euro.
[2] Le CIA Factbook estime la déperdition de population occasionnée par les conflits armés depuis 1998 à 3,5 millions de personnes. Cette perte correspond, au taux actuel de croissance démographique, à la natalité de seize années.
[3] La solidarité en jeu correspond à des obligations de nature multiple, réciproque et non simultanée. Voir à ce propos mon livre L’économie sociale et solidaire, Chronique sociale & Couleurs livres, Lyon & Charleroi, 2004.
[4] A-t-il jamais représenté toute la Belgique et défendu tout le Congo ?
[5] Sauf le fait que les troupes américaines entendent, comme partout ailleurs, conserver leur autonomie et que les États-Unis « répugnaient au déploiement d’une force de maintien et encore plus d’imposition de la paix sur le continent africain ». Washington n’est depuis une décennie ni un allié ni un partenaire au sein de l’ONU. Il agit en solitaire.
Bibliographie