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Congo : après les faits, la justice
Dans l’enthousiasme général suscité par le rapport Mapping d’octobre 2010, acteurs judiciaires et organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme revendiquent la création d’un tribunal pénal international (TPI) pour le Congo. Le gouvernement congolais a, de son côté, déposé devant le Parlement un projet de loi créant des chambres spécialisées. Ce projet a été rejeté par le Sénat congolais qui favoriserait plutôt la création d’un TPI. Quelles sont les contraintes politiques qui pèsent sur cette justice apparemment forcée de procéder à des compromis tout en proposant les conditions de réussite des futures institutions judiciaires ? Aucune réconciliation n’est possible au Congo sans qu’on tire les leçons du passé.
Dans son rapport Mapping concernant les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international au Congo entre 1993 et 2003, le Bureau des Nations unies du haut-commissaire aux droits de l’homme propose la compétence d’un tribunal spécial, de chambres spécialisées et d’un tribunal international parmi les mécanismes judiciaires à mettre en place pour réprimer les auteurs de ces atrocités.
Réticences de la communauté internationale
Depuis la publication de ce rapport, le paysage politique congolais est divisé en deux camps. D’une part, les organisations de la société civile et les acteurs judiciaires congolais ont demandé à ce qu’on traduise les responsables des crimes devant la CPI. D’autre part, certains hommes politiques de Kinshasa sont plutôt partisans de mécanismes non judiciaires. Ils sont rejoints en cela par le gouvernement du Rwanda qui minimise l’ampleur des crimes commis sur le sol congolais et accuse les auteurs du rapport Mapping de chercher à valider la théorie du double génocide.
L’expérience des fins de conflits prouve qu’un retour à la paix exige une forme de justice pénale. Déchirée pendant une guerre marquée par des violences sauvages, la Sierra Leone a bénéficié d’un tribunal spécial dans le cadre d’un processus de paix. Au Cambodge, les procès des anciens khmers rouges sont en cours. Au Rwanda, l’ONU a créé le TPI pour le Rwanda. Dans maints endroits, des mécanismes judiciaires ont été créés pour aider les survivants à faire le deuil de crimes inhumains et à mettre un terme à l’impunité.
Au Congo, l’absence d’un TPI s’explique par le refus de la communauté internationale de créer un nouveau tribunal ad hoc comme le TPI pour le Rwanda. Elle considère les tribunaux « adhocistes » trop onéreux, lourds et inefficaces pour mettre fin à l’impunité, ne pouvant poursuivre qu’un nombre limité d’affaires. En effet, au Congo, tout nouveau TPI ne peut juger que des crimes commis après juillet 2002, date de la ratification par le Congo du statut de Rome créant la CPI, laissant ainsi impunis nombre d’auteurs des exactions massives commises antérieurement. Par conséquent, la création de ce genre de tribunaux temporaires et purement internationaux ne semble plus à l’ordre du jour de la communauté internationale.
Pourtant, le nombre des victimes congolaises, 5,4 millions de morts entre 1998 et 2007, et le fait que certains crimes pourraient constituer des actes de génocide, auraient dû amener la communauté internationale à créer un tribunal pour le Congo. La charte de l’ONU stipule que le Conseil de sécurité intervient en cas d’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression. Tous les belligérants ont commis des violations du droit international humanitaire. Le rapport Mapping le souligne : « Rares ont été les civils, congolais et étrangers, vivant sur le territoire du Congo qui ont pu échapper à ces violences, qu’ils aient été victimes de meurtres, d’atteintes à leur intégrité physique, de viols, de déplacements forcés, de pillages, de destructions de biens ou de violations de leurs droits économiques et sociaux. »
Mais la communauté internationale n’a pas jugé urgent de créer un tribunal ad hoc. Cela parce que la création d’un tribunal, interne ou international, est toujours matière à enjeux politique et diplomatique. À cause de la faiblesse de son leadeurship au niveau international, le Congo est depuis une dizaine d’années réduit à l’impuissance ; il n’a plus d’alliés parmi les pays industrialisés dominant la diplomatie mondiale. Ces pays pouvaient jouer de leur influence en faveur de la création d’un TPI pour dissuader les seigneurs de guerre et empêcher les politiciens d’inciter leurs partisans à commettre plus de crimes.
Malgré leur réticence, l’ONU et les bailleurs de fonds internationaux font des efforts pour instaurer un État de droit et entamer la lutte contre l’impunité puisque l’administration de la justice pour les crimes graves commis au Congo n’est pas le problème des seuls Congolais. Les crimes commis au Congo violentent la conscience de l’humanité et méconnaissent l’humanité de la société ; de telle sorte que ces crimes affectent non seulement les individus violentés, mais l’«humanité » dans son ensemble. La répression doit donc être internationale.
Dérobade étatique
La réticence de la communauté internationale n’est pas l’unique obstacle à la mise sur pied d’un TPI pour le Congo. Le comportement du gouvernement congolais qui ne souhaite pas voir se mettre en place un tribunal sur lequel il n’aura pas droit de regard est aussi une embuche majeure. On est ici devant le rapport complexe du droit au politique, et surtout du droit en tant qu’élément de la politique.
Le gouvernement congolais soutient qu’ayant ratifié le statut de Rome, la répression des crimes lui revient sur la base du principe fondamental de la complémentarité. Pour le gouvernement, l’enjeu d’une telle option se trouve dans les exigences de souveraineté nationale. On connait la susceptibilité des autorités congolaises quant à la souveraineté du Congo qui n’a de leçons à recevoir de personne, qui peut décider « souverainement ». Elles l’ont signifié sous toutes les déclinaisons à l’ONU pour l’amener à faire évacuer les casques bleus de la Mission des Nations unies pour le Congo (Monuc) et la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco). Elles l’ont aussi dit chaque fois qu’il est arrivé à un représentant étranger, en particulier occidental, d’émettre une opinion sur les affaires congolaises. Ainsi, le gouvernement veut prouver qu’il a fait réaliser des progrès au Congo sur le plan de la restauration de l’autorité de l’État et de la sécurité considérant que, dorénavant, le Congo est redevenu un État normal, fonctionnel.
Le Congo se méfie de la justice pénale internationale en gestation. Depuis ses débuts, elle s’est confrontée à la réticence des États à renoncer à une part de leur souveraineté nationale en accordant à ces juridictions des pouvoirs supranationaux de poursuites. La justice internationale suppose une nouvelle dimension du concept de souveraineté, le relâchement du principe de non-ingérence.
Cependant, l’évocation du principe de complémentarité et la sauvegarde de la souveraineté nationale par le gouvernement congolais ne constituent pas les véritables raisons de ne pas poursuivre en justice les responsables de crimes graves. Plusieurs se demandent pourquoi ce même gouvernement « souverain » a accepté de livrer cinq de ses citoyens à la CPI1. Il n’est pas exagéré de penser que le gouvernement congolais fait le tri des individus susceptibles d’être livrés à la CPI. Certains d’entre eux ont exercé de hautes responsabilités au sein de l’État. Ainsi, les dirigeants de groupes rebelles, dont les troupes ont commis des atrocités, sont souvent récompensés par l’attribution de postes de haut niveau au sein de l’armée et du gouvernement congolais. On réserve à ces criminels un traitement plus favorable que celui réservé aux preneurs d’otages avec qui la police refuse de négocier. Cette situation est attribuable au fait que les conflits congolais n’ont pas fait de vainqueurs qui peuvent imposer leurs propres mesures judiciaires comme lors du conflit rwandais. Au Rwanda, les cent-vingt-six individus accusés par le TPIR sont tous issus des forces de l’ancien régime qui, en même temps qu’elles ont commis un génocide, ont perdu la guerre en 1994.
Tribunal international mixte ou chambres spécialisées
Les ONG comme Human Rights Watch, Amnesty International et même le rapport Mapping ont manifesté leur préférence pour la mise sur pied d’un TPI mixte pour le Congo. Moins onéreux, le TPI mixte est conforme au principe de complémentarité de la CPI selon lequel il revient aux États-parties de réprimer les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide perpétrés sur leur territoire.
L’exigence de ces organisations pour un TPI mixte témoigne du peu de confiance qu’elles ont envers le système judiciaire congolais. Système caractérisé par les interférences des autorités politiques et militaires dans les affaires judiciaires, par son manque d’indépendance. Bref, pour ces organisations, les moyens dont dispose le système judiciaire congolais sont nettement insuffisants.
Une enquête réalisée par le Centre d’études pour l’action sociale auprès de la population de Kinshasa a démontré que 19,8% seulement des personnes interrogées avaient recours aux tribunaux, alors que 48% d’entre elles préféraient chercher de l’aide dans la prière.
Le TPI mixte est ainsi considéré comme compétent pour éviter les pièges de la pression, de la corruption et de la soumission de la justice congolaise. Les exemples en ce domaine sont nombreux. Malgré le grand nombre de crimes commis au Congo, on a dénombré seulement une douzaine d’affaires où les juridictions congolaises ont traité de faits qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Parmi ceux-ci, la condamnation de sept militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) par le Tribunal militaire de Mbandaka (Équateur) pour crimes contre l’humanité. Autre cas, la condamnation de quarante-deux militaires par le même tribunal militaire, pour crimes contre l’humanité, notamment meurtre et viol. Un dernier exemple, le Tribunal militaire de l’Ituri a, à son tour, condamné un capitaine des fardc pour crimes de guerre et crime contre l’humanité, notamment l’assassinat de cinq garçons.
Dans tous ces cas, les poursuites se sont concentrées sur des accusés de rang intermédiaire ou inférieur ; rares ont été les actions intentées contre de hauts responsables de l’armée et du gouvernement qui jouissent de privilèges dans le système judiciaire congolais. Si l’on prend comme base de référence les six-cent-dix-sept cas de crimes répertoriés par le rapport Mapping par rapport à la douzaine de décisions de justice que l’on vient d’évoquer, on peut mesurer l’importance du déficit judiciaire au Congo. Plus stupéfiant est le constat que la grande majorité des plaintes, des poursuites et des décisions rendues l’a été à la suite de pressions constantes des Casques bleus (Monuc) et des ONG locales et internationales.
Devant une telle situation, la possibilité de rendre justice ne peut exister que si une seule autorité suprême est capable de remettre toutes les autorités à la justice sans pouvoir elle-même être inquiétée parce qu’étant au-dessus de tout soupçon.
Le TPI mixte a des avantages qu’un tribunal entièrement congolais n’offre pas. La présence d’experts internationaux légaux en est un indéniable. Les leçons tirées des tribunaux ad hoc créés dans d’autres pays montrent qu’il faut une expérience considérable en matière d’enquêtes et de stratégies de poursuites pour prouver le lien entre les actes commis sur le terrain et les ordres émanant des supérieurs hiérarchiques. Poursuivre des individus qui pourraient avoir ordonné le crime plutôt que de l’avoir commis en personne est une tâche difficile. Juger ce genre de crimes est complexe.
Autre avantage important, la présence de juristes internationaux peut contribuer à réduire le risque d’ethnicisation des procès. Il est vrai que dans le système de droit pénal international, seuls les individus, plutôt que les collectivités, sont jugés sur leurs actes en tant qu’auteurs directs. La reconnaissance du principe de la responsabilité individuelle représente un progrès de la justice criminelle. Malgré cette amélioration, certaines populations interprètent les actions menées par la CPI au Congo comme ethnicistes. En Ituri, de nombreuses personnes issues de la communauté hema se demandent pourquoi seul Thomas Lubanga, un des leurs, a été inculpé par la CPI pour enrôlement d’enfants. Les Hema ressentent de l’injustice car ils considèrent que beaucoup d’enfants ont été envoyés au combat volontairement par leurs parents afin de protéger leur collectivité. Si une institution internationale telle que la CPI est vue par ces groupes comme ayant un parti pris, il n’y a aucun de doute que des perceptions similaires concernant l’ethnicisation du système judiciaire iront en augmentant si des poursuites sont faites dans le cadre de juridictions entièrement congolaises.
Or, le gouvernement congolais rejette l’idée d’un TPI mixte et renonce au tribunal ad hoc pour des raisons de non-faisabilité matérielles et financières, l’absence de soutien de la communauté internationale et la disparité de la rémunération dont bénéficieraient les magistrats nationaux et internationaux. Il a choisi plutôt la voie des chambres spécialisées qui apparait à ses yeux comme celle qui offre davantage de garanties puisqu’elle intègre un élément d’extranéité à travers la présence des magistrats internationaux.
Plusieurs croient cependant que la simple présence de magistrats étrangers ne pourrait pas garantir l’indépendance et l’intégrité des magistrats nationaux qui, de tout temps, malgré des textes de lois parmi les plus avancés au monde, ont vu leur indépendance méconnue par le pouvoir exécutif. C’est d’autant moins plausible que, en cette année électorale, ce même gouvernement a révisé la Constitution en faveur d’une élection à un tour, en assujettissant le pouvoir judiciaire.
Le gouvernement congolais a donc choisi l’exclusivité des juridictions nationales. On ne doit toutefois pas s’étonner puisque la création de tout tribunal est toujours un acte politique.
Obstacles aux chambres spécialisées
La mise en place de chambres spécialisées est assez technique, mais il existe de nombreux obstacles à leur bon fonctionnement. Les trois principaux sont l’ingérence politique, l’impunité des crimes antérieurs à 2002 et l’impossibilité de poursuivre des criminels non congolais.
L’ingérence politique vise à interrompre les procédures engagées contre des accusés de haut rang au stade des enquêtes. Les exemples sont légion, citons le cas du procès Kilwa (Katanga). Ce procès impliquait neuf soldats de la 62e brigade d’infanterie des fardc et trois employés étrangers de la Compagnie minière australienne Anvil Mining. Ils seront finalement accusés de crimes de guerre et de complicité pour les massacres de septante-trois personnes en octobre 2004.
Dénonçant ces massacres, la Monuc et des ONG telles Global Witness exigent de traduire les présumés auteurs en justice en transmettant au gouvernement leurs identités. La justice militaire est alors restée inactive. Ce n’est qu’en juillet 2005, à la suite d’un documentaire télédiffusé sur une chaine australienne, que les pressions internationales s’amplifient ouvrant la voie à l’enquête. En octobre 2006, neuf militaires sont inculpés de crimes de guerre, dont le colonel Adémar Ilunga qui commandait l’offensive à Kilwa. Trois employés de la compagnie Anvil Mining sont également accusés de complicité.
Le procès Kilwa aurait pu créer un important précédent juridique en contribuant à mettre fin à la culture de l’impunité au Congo, mais des barrières s’élèvent contre la réussite de ce procès. Blocage des enquêtes, intimidations des témoins et victimes, pressions sur le premier auditeur militaire en charge de l’affaire afin qu’il abandonne les poursuites contre les employés d’Anvil Mining. Lorsqu’il résiste à ces pressions, il est muté et un deuxième procureur est nommé.
En juin 2007, le tribunal militaire acquitte le colonel Ilunga des accusations de crimes de guerre. Les trois employés étrangers d’Anvil Mining sont aussi acquittés pour faits non établis. Dans son jugement, la Cour conclut que le massacre n’a pas eu lieu et reproche aux organisations de défense des droits de l’homme de tenter de transformer un dossier « humanitaire » en dossier judiciaire.
Le deuxième obstacle à la mise en place des chambres spécialisées est l’impunité dont bénéficient les auteurs de crimes commis avant le 30 avril 2002. Les crimes antérieurs à cette période échappent totalement à la compétence temporelle de la justice internationale, alors que cette période est la plus sanglante de l’histoire du Congo. Impossible de bâtir un État démocratique, juste et pacifique sans tenir compte des atrocités commises avant 2002.
Au début des années nonante, l’autorité du président Mobutu est contestée par la population ; il se voit alors obligé de faire des concessions et est ainsi forcé à tenir une conférence nationale souveraine (CNS). L’opposition politique participe à cette conférence, qui a pour but de mettre en place les institutions pour créer un Zaïre démocratique. Le principal adversaire politique de Mobutu est Étienne Tshisekedi, le chef du parti de l’Union pour la démocratie et le progrès social.
Lorsque la CNS élit Tshisekedi Premier ministre en 1992, Mobutu utilise Nguz Karl-I-Bond et Kyungu pour affaiblir politiquement Tshisekedi. Ils adoptent une politique explicite de purification et de nettoyage ethnique contre les Kasaiens habitant le Shaba. Selon l’ONU, les miliciens de Nguz et de Kyungu ont tué plus de 5.000 Kasaiens et ont, de plus, forcé le déplacement de 1.350.000 personnes. Les forces de sécurité provinciales détinrent 75.000 personnes dans des conditions extrêmement précaires jusqu’à ce que des organisations humanitaires les évacuent vers leur mythique province d’origine.
Malgré ces crimes, on constate très peu de débats publics au sujet de ce nettoyage ethnique à l’intérieur du pays. Rien non plus n’est fait par les autorités en place sur le plan judiciaire. Les responsables de ce nettoyage ethnique jouissent alors d’une impunité totale.
Le troisième obstacle est la faiblesse politique et diplomatique du Congo à poursuivre des criminels non congolais. Les auteurs présumés de crimes perpétrés au Congo pendant les conflits sont autant des citoyens congolais que des citoyens d’autres pays, notamment du Rwanda, de l’Angola, de l’Ouganda et du Zimbabwe. Certains de ces pays, dont le Rwanda et l’Angola, interdisent l’extradition de leurs citoyens vers les pays tiers. Le rapport Mapping a affirmé par exemple que la plupart des soldats qui ont commis les atrocités de 1996 – 1997 étaient sous le commandement effectif de l’armée rwandaise et que leur commandant en chef était le colonel James Kabarebe. Il a été chef d’état-major de l’armée rwandaise plusieurs années plus tard, et il est aujourd’hui ministre de la Défense du Rwanda.
Le contexte politique d’aujourd’hui rend impossible de mener des enquêtes judiciaires en Ouganda, au Zimbabwe et au Rwanda. Face au Rwanda, aucune force internationale ne peut aujourd’hui oser exiger sa coopération. L’ONU est totalement discréditée pour avoir retiré ses casques bleus et abandonné des dizaines de milliers de Rwandais aux mains de miliciens interahmwe. La Belgique, attaquée pour avoir semé les graines du racisme en tant que puissance coloniale, a perdu toute autorité en ayant retiré en plein massacre son bataillon engagé sous la bannière de l’ONU. Les États-Unis sont disqualifiés pour s’être opposés obstinément à qualifier de génocide ce qui se déroulait au Rwanda afin de ne pas être contraints d’y envoyer leurs soldats.
Le Rwanda décontenance les étrangers. En Afrique, être en position de faiblesse est une situation inhabituelle pour les Occidentaux. Au cours des dernières années, l’utilisation du génocide par les autorités rwandaises pour faire valoir leurs intérêts sur la scène internationale est un modèle d’efficacité politique. Quelle autre ancienne colonie d’Afrique est parvenue à susciter des commissions d’enquête en Belgique, en France, aux Nations unies et au sein de l’Union africaine ? Quelle autre nation sans intérêt stratégique a réussi à faire venir s’excuser, sur son sol, un président des États-Unis en exercice ? Quel autre pays aussi minuscule a fait valoir sa date d’anniversaire de l’horreur, le 7 avril, comme jour de commémoration mondiale des génocides ? L’énormité du crime commis en 1994 au Rwanda n’explique pas tout, l’époque non plus.
Dans ce contexte, il apparait fort improbable que les États tiers acceptent d’extrader leurs citoyens.
Raisons d’espérer
Malgré ces obstacles, la justice vaincra si les criminels font l’objet d’inculpations et de condamnations. Il peut être difficile de poursuivre en justice des personnes de nationalité étrangère, mais cela ne devrait pas empêcher les chambres spécialisées congolaises d’ouvrir des enquêtes sur des crimes pour lesquels elles ont compétence, de constituer des dossiers judiciaires, ni d’émettre des mandats d’arrêt. Il n’est ni humainement ni moralement acceptable de laisser impunis des auteurs de crimes qui ont froidement assassiné des civils innocents, qui ont systématiquement violé et massacré des femmes, des petites filles et des enfants.
Peu importe le temps écoulé entre la commission de certains crimes et la tenue des enquêtes, les criminels doivent être jugés. Il est certes plus facile d’instruire un procès lorsque le conflit est récent, mais chaque transition de la guerre vers la paix est différente, et les procès ne doivent pas forcément avoir lieu pendant ou immédiatement après un conflit.
Pour ce faire, la poursuite devant la justice des étrangers auteurs de crimes exige la collaboration de tous les pays. De nombreux traités internationaux condamnent le génocide dont la Convention pour la prévention et la répression de crime de génocide de 1948 qui stipule que les parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime de droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir.
La lutte contre l’impunité au Congo exige aussi la collaboration des pays des Grands Lacs pour avoir suffisamment d’impact pour la paix à long terme. La Conférence internationale sur la région des Grands Lacs dispose d’un cadre visant à mettre fin à l’impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide.
Les conflits au Congo ont impliqué au moins neuf pays africains différents et les populations continuent d’être victimes de violences indescriptibles. Dans cette perspective, au niveau continental, l’Union africaine (UA) pourrait faciliter la coopération judiciaire entre d’autres pays africains et les chambres spécialisées congolaises. L’un des principes fondateurs de cette organisation est le rejet de l’impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide ; ce principe constitue un moyen essentiel pour renforcer l’État de droit et la stabilité à long terme.
Compte tenu du grand nombre de crimes internationaux graves commis au Congo, les chambres spécialisées, à elles seules, ne pourront constituer l’unique solution au problème de lutte contre l’impunité. Elles peuvent cependant agir comme moteur permettant de faire des enquêtes sur des individus qui demeurent jusqu’à présent intouchables. D’autres auteurs présumés de crimes peuvent aussi être poursuivis sur la base de la compétence universelle par des États tiers, de la région des Grands Lacs ou d’ailleurs dans le monde. Une telle possibilité doit être encouragée. Le statut de la CPI rappelle qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux.
Seule la volonté de punir les principaux responsables de violations du droit humanitaire n’est pas suffisante, il faut maintenant passer à l’action et laisser libre cours à la justice.
Les opinions émises dans ce texte sont de l’auteur et ne représentent pas nécessairement les opinions du ministère de la Justice ou du gouvernement du Canada.