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Conforter le destin criminel ou le rompre : un choix possible
Au profit d’un slogan « fort », d’aucuns préconisent d’abaisser l’âge de la majorité pénale à seize ans pour les jeunes délinquants coupables d’actes de violence graves. D’instituer l’automatisme de l’actuelle possibilité de dessaisissement, par le juge de la jeunesse, du dossier d’un jeune dont l’acte ou le comportement met en échec les mesures prévues par la loi […]
Au profit d’un slogan « fort », d’aucuns préconisent d’abaisser l’âge de la majorité pénale à seize ans pour les jeunes délinquants coupables d’actes de violence graves. D’instituer l’automatisme de l’actuelle possibilité de dessaisissement, par le juge de la jeunesse, du dossier d’un jeune dont l’acte ou le comportement met en échec les mesures prévues par la loi relative à la protection de la jeunesse. Il s’agit d’acter l’échec de l’ensemble des politiques menées depuis seize années au bénéfice légitime de l’éducation d’un enfant et d’en projeter la responsabilité sur lui seul. Pire, de le stigmatiser définitivement en confirmant la désespérance de sa conduite déviante et de le précipiter dans le milieu le plus criminogène de notre société.
L’adoption d’une telle mesure annoncerait, ni plus ni moins, l’accélération globale du phénomène criminel adulte dans un avenir proche.
En effet, la politique carcérale, vu son état actuel, n’a pas grand-chose d’autre à proposer que la décadence de ceux dont elle est en charge, pour ensuite les renvoyer abimés, démunis, souvent révoltés, dans une société au sein de laquelle il ne leur reste bien souvent que les résidus des repères qu’ils y avaient lorsqu’ils en ont été exclus.
Mon propos n’est pas de nier la nécessité d’incarcérer les individus affublés d’une personnalité criminelle confirmée. Mais qui oserait affirmer qu’à seize ans la personnalité, de quelque jeune que ce soit, est une personnalité confirmée ? Ne s’agit-il pas là de l’âge à partir duquel un adolescent se met en recherche pour la construire ? Qu’il en élabore les tendances fortes ? Qu’il définit ses modèles d’identification ? Qu’il intègre les acquis de son enfance, bons et mauvais ? Ne s’agit-il pas là de l’âge où, malgré les carences accumulées, tout est encore possible ? Cet âge dont on peut, selon la richesse ou l’indigence de ses acquis, raisonnablement considérer qu’il conduira à l’acquisition du statut d’adulte d’un individu jusqu’à ses vingt-cinq ans ?
Les réponses à ces questions mettent à suffisance l’accent sur l’aberration qui consiste à précipiter un adolescent dans la « cour des grands » : il s’agit en effet, sur la base d’un comportement immature dramatique, de promouvoir le développement d’une personnalité criminelle confirmée.
En pleine réflexion sur la mise en place d’une structure carcérale modernisée, l’intelligence n’impose-t-elle pas plutôt de rompre la contamination criminelle qui prolifère dans nos prisons, en organisant un espace coercitif spécifique, adapté à la prise en charge de nos jeunes entrainés dans une déviance délinquante grave ? Un espace destiné à assumer la responsabilité des échecs, tant de notre société que du jeune lui-même ? De prendre et de laisser le temps à chacun de faire face à ses défaillances et d’y remédier ? Ne faudrait-il pas lui laisser le temps d’atteindre celui d’un adulte confirmé ?
La piste des institutions publiques de protection de la jeunesse fermées, n’est-elle pas illusoire dans un trop grand nombre d’actions menées auprès de nos jeunes, par manque de temps, de moyens, de projets pédagogiques de longue durée ? Ne devrait-on pas avoir le souci de réadapter, et bien souvent d’adapter, le jeune pris en charge aux exigences de base qui lui permettront de prendre une place acceptable dans notre société, plutôt que de l’en exclure ?
Pour une procédure intermédiaire entre la protection juvénile et le code pénal applicable aux adultes
Pourquoi ne pas se donner les moyens durant la formule carcérale mise en place dans les IPPJ, en étendant la prise en charge du jeune jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, incluant un apprentissage progressif à une liberté assumée en harmonie avec notre collectivité citoyenne ? En lui apprenant, selon la nécessité, une de nos langues nationales, en ouvrant son esprit à la lecture et à l’écriture, aux fondamentaux de l’arithmétique ? Aux valeurs de notre démocratie et de ses institutions ? À la maitrise d’une profession orientée selon ses aptitudes ? À la plénitude de son humanité ?
Pourquoi ne pas ré-humaniser ces enfants trop longtemps perdus dans les chemins de traverse de la complexité de notre mode de vie par le recours à la prise de responsabilité, entièrement assumée, en rapport avec leur comportement inadapté ? De définir leur responsabilité propre, et celle qui incombe aux intervenants qui ont jalonné sa vie jusqu’à la mise en œuvre de la formule de rééducation ?
Nous sommes à la veille d’importants et incontournables investissements pour adapter la réponse nécessaire aux problèmes de la gestion carcérale des adultes. Il me semble qu’une des pistes parmi les plus pertinentes pour en réduire l’étendue est d’agir en amont et d’y soustraire un maximum de nos jeunes. L’opportunité d’être dans l’obligation d’investir dans une projection plus moderne de la lutte contre le phénomène de la criminalité et sa gestion doit inclure la rupture entre les criminels en devenir et ceux qui le sont.
Difficile de déterminer à quelle institution reviendrait la compétence d’organiser la gestion spécifique d’une procédure intermédiaire entre la protection juvénile et le code pénal applicable aux adultes. L’opportunité de trouver une solution dans l’imbroglio au sein des négociations communautaires et régionales actuelles est également bien présente : pourquoi ne pas demander à nos élus d’inclure cet aspect relatif à notre sécurité future dans leurs préoccupations ? Pourquoi ne pas leur demander d’avoir l’intelligence de promouvoir l’apaisement, là où aujourd’hui l’exploitation de la haine, de la peur, de l’exclusion semble faire recette ? Pourquoi ne pas leur demander de créer des centres de rééducation pour des jeunes en perdition, en leur imposant un projet éducatif sur la base d’un processus coercitif jusqu’à l’âge de la maturité confirmée de leur personnalité ? Pourquoi ne pas leur demander de fusionner les moyens disponibles et ceux qui devront être dégagés, pour créer une institution apte à rompre la destinée de nos jeunes coupables d’un acte criminel, avant qu’ils n’adoptent une personnalité conforme à cet acte ? Pourquoi persister à leur imposer le choix de s’identifier aux agissements d’une dérive naissante, plutôt que d’investir dans son redressement ? Pourquoi ne pas refuser l’échec qui se concrétise dans la procédure de dessaisissement du juge de la jeunesse, parce qu’il se trouve démuni devant les limites des moyens mis à sa disposition dans nos structures éducatives actuelles ?
Le maintien d’un adolescent dans une procédure éducative dont l’aspect coercitif serait étendu jusqu’à l’âge de sa maturité confirmée de vingt-cinq ans, écartant toute possibilité de renvoi vers les tribunaux et cours pour adultes, et la mise en œuvre de la procédure pénale auraient évité l’assassinat de ma fille Corine et de son ami Marc : sans son complice, l’assassin adulte de ces enfants, aurait été privé de la jouissance de son rôle de mentor vis-à-vis d’un jeune sous l’emprise de sa révolte devant la négation de sa capacité de résilience, à la suite du dessaisissement de son juge et de son incarcération parmi les « grands ». Le principal auteur de ce drame me l’a confirmé de vive voix, dans le colloque singulier que j’ai eu avec lui.
Il y a près de dix-neuf ans, le 25 juillet 1992, je lançais avec le père de Marc une pétition qui obtint l’adhésion de 260 000 de nos concitoyens pour demander que nos lois ne permettent plus de remettre des criminels dangereux en liberté, accusant notre État de faire des paris sur nos vies de concitoyens.
En avril 1996, j’ai lancé une seconde pétition, marquant mon accord avec le projet de suppression du prononcé de la peine de mort et son remplacement par des peines pédagogiques, prévoyant la possibilité d’instaurer des peines incompressibles : message à destination des auteurs et des victimes signifiant de la gravité du préjudice occasionné ou subi. À la suite de l’émoi causé par l’arrestation de Marc Dutroux, cette pétition devint l’exutoire de la contestation face à la mise en liberté d’un irréductible criminel. Emportée par l’émotion provoquée par l’évènement, cette pétition suscita l’engouement de 2 700 000 de nos concitoyens. Focalisant sur la demande d’instauration de peines incompressibles et faisant majoritairement l’impasse sur l’aspect pédagogique prioritairement revendiqué.
L’interprétation tronquée de la revendication, par les mouvances politiques de droite, comme de gauche, ne manqua pas de se manifester. Les uns exigeant le débat, les autres le refusant. Il fut heureusement contourné par l’adoption d’appréciables avancées : la révision de la procédure pénale, l’esquisse du droit des victimes, le statut interne des détenus, celui du statut externe des détenus et des droits reconnus aux victimes, l’instauration des tribunaux d’application des peines.
Reste que l’assimilation de la criminalité juvénile à celle des adultes n’écarte toujours pas le constat que l’immaturité d’un jeune soit exposée à la domination d’une personnalité criminelle confirmée. Valorisant sa dérive par l’identification à son modèle.
La maman du jeune complice de l’assassin de nos enfants avait dénoncé ce destin, lors du dessaisissement du juge de la jeunesse en charge du dossier de son fils. Aujourd’hui il est toujours incarcéré, près de vingt-deux ans après le drame à l’origine de cette procédure « exemplaire ». Coupable d’avoir rencontré un modèle à la mesure de sa révolte, il est également coupable de la perte de trois vies, du mal indélébile qu’il a infligé à quatre familles, dont la sienne.