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Conforter le destin criminel ou le rompre : un choix possible

Numéro 2 Février 2011 par Jean-Pierre Malmendier

février 2011

Au pro­fit d’un slo­gan « fort », d’au­cuns pré­co­nisent d’a­bais­ser l’âge de la majo­ri­té pénale à seize ans pour les jeunes délin­quants cou­pables d’actes de vio­lence graves. D’ins­ti­tuer l’au­to­ma­tisme de l’ac­tuelle pos­si­bi­li­té de des­sai­sis­se­ment, par le juge de la jeu­nesse, du dos­sier d’un jeune dont l’acte ou le com­por­te­ment met en échec les mesures pré­vues par la loi […]

Au pro­fit d’un slo­gan « fort », d’au­cuns pré­co­nisent d’a­bais­ser l’âge de la majo­ri­té pénale à seize ans pour les jeunes délin­quants cou­pables d’actes de vio­lence graves. D’ins­ti­tuer l’au­to­ma­tisme de l’ac­tuelle pos­si­bi­li­té de des­sai­sis­se­ment, par le juge de la jeu­nesse, du dos­sier d’un jeune dont l’acte ou le com­por­te­ment met en échec les mesures pré­vues par la loi rela­tive à la pro­tec­tion de la jeu­nesse. Il s’a­git d’ac­ter l’é­chec de l’en­semble des poli­tiques menées depuis seize années au béné­fice légi­time de l’é­du­ca­tion d’un enfant et d’en pro­je­ter la res­pon­sa­bi­li­té sur lui seul. Pire, de le stig­ma­ti­ser défi­ni­ti­ve­ment en confir­mant la déses­pé­rance de sa conduite déviante et de le pré­ci­pi­ter dans le milieu le plus cri­mi­no­gène de notre société.

L’a­dop­tion d’une telle mesure annon­ce­rait, ni plus ni moins, l’ac­cé­lé­ra­tion glo­bale du phé­no­mène cri­mi­nel adulte dans un ave­nir proche.

En effet, la poli­tique car­cé­rale, vu son état actuel, n’a pas grand-chose d’autre à pro­po­ser que la déca­dence de ceux dont elle est en charge, pour ensuite les ren­voyer abi­més, dému­nis, sou­vent révol­tés, dans une socié­té au sein de laquelle il ne leur reste bien sou­vent que les rési­dus des repères qu’ils y avaient lors­qu’ils en ont été exclus.

Mon pro­pos n’est pas de nier la néces­si­té d’in­car­cé­rer les indi­vi­dus affu­blés d’une per­son­na­li­té cri­mi­nelle confir­mée. Mais qui ose­rait affir­mer qu’à seize ans la per­son­na­li­té, de quelque jeune que ce soit, est une per­son­na­li­té confir­mée ? Ne s’a­git-il pas là de l’âge à par­tir duquel un ado­les­cent se met en recherche pour la construire ? Qu’il en éla­bore les ten­dances fortes ? Qu’il défi­nit ses modèles d’i­den­ti­fi­ca­tion ? Qu’il intègre les acquis de son enfance, bons et mau­vais ? Ne s’a­git-il pas là de l’âge où, mal­gré les carences accu­mu­lées, tout est encore pos­sible ? Cet âge dont on peut, selon la richesse ou l’in­di­gence de ses acquis, rai­son­na­ble­ment consi­dé­rer qu’il condui­ra à l’ac­qui­si­tion du sta­tut d’a­dulte d’un indi­vi­du jus­qu’à ses vingt-cinq ans ?

Les réponses à ces ques­tions mettent à suf­fi­sance l’ac­cent sur l’a­ber­ra­tion qui consiste à pré­ci­pi­ter un ado­les­cent dans la « cour des grands » : il s’a­git en effet, sur la base d’un com­por­te­ment imma­ture dra­ma­tique, de pro­mou­voir le déve­lop­pe­ment d’une per­son­na­li­té cri­mi­nelle confirmée.

En pleine réflexion sur la mise en place d’une struc­ture car­cé­rale moder­ni­sée, l’in­tel­li­gence n’im­pose-t-elle pas plu­tôt de rompre la conta­mi­na­tion cri­mi­nelle qui pro­li­fère dans nos pri­sons, en orga­ni­sant un espace coer­ci­tif spé­ci­fique, adap­té à la prise en charge de nos jeunes entrai­nés dans une déviance délin­quante grave ? Un espace des­ti­né à assu­mer la res­pon­sa­bi­li­té des échecs, tant de notre socié­té que du jeune lui-même ? De prendre et de lais­ser le temps à cha­cun de faire face à ses défaillances et d’y remé­dier ? Ne fau­drait-il pas lui lais­ser le temps d’at­teindre celui d’un adulte confirmé ?

La piste des ins­ti­tu­tions publiques de pro­tec­tion de la jeu­nesse fer­mées, n’est-elle pas illu­soire dans un trop grand nombre d’ac­tions menées auprès de nos jeunes, par manque de temps, de moyens, de pro­jets péda­go­giques de longue durée ? Ne devrait-on pas avoir le sou­ci de réadap­ter, et bien sou­vent d’a­dap­ter, le jeune pris en charge aux exi­gences de base qui lui per­met­tront de prendre une place accep­table dans notre socié­té, plu­tôt que de l’en exclure ?

Pour une procédure intermédiaire entre la protection juvénile et le code pénal applicable aux adultes

Pour­quoi ne pas se don­ner les moyens durant la for­mule car­cé­rale mise en place dans les IPPJ, en éten­dant la prise en charge du jeune jus­qu’à l’âge de vingt-cinq ans, incluant un appren­tis­sage pro­gres­sif à une liber­té assu­mée en har­mo­nie avec notre col­lec­ti­vi­té citoyenne ? En lui appre­nant, selon la néces­si­té, une de nos langues natio­nales, en ouvrant son esprit à la lec­ture et à l’é­cri­ture, aux fon­da­men­taux de l’a­rith­mé­tique ? Aux valeurs de notre démo­cra­tie et de ses ins­ti­tu­tions ? À la mai­trise d’une pro­fes­sion orien­tée selon ses apti­tudes ? À la plé­ni­tude de son humanité ?

Pour­quoi ne pas ré-huma­ni­ser ces enfants trop long­temps per­dus dans les che­mins de tra­verse de la com­plexi­té de notre mode de vie par le recours à la prise de res­pon­sa­bi­li­té, entiè­re­ment assu­mée, en rap­port avec leur com­por­te­ment inadap­té ? De défi­nir leur res­pon­sa­bi­li­té propre, et celle qui incombe aux inter­ve­nants qui ont jalon­né sa vie jus­qu’à la mise en œuvre de la for­mule de rééducation ?

Nous sommes à la veille d’im­por­tants et incon­tour­nables inves­tis­se­ments pour adap­ter la réponse néces­saire aux pro­blèmes de la ges­tion car­cé­rale des adultes. Il me semble qu’une des pistes par­mi les plus per­ti­nentes pour en réduire l’é­ten­due est d’a­gir en amont et d’y sous­traire un maxi­mum de nos jeunes. L’op­por­tu­ni­té d’être dans l’o­bli­ga­tion d’in­ves­tir dans une pro­jec­tion plus moderne de la lutte contre le phé­no­mène de la cri­mi­na­li­té et sa ges­tion doit inclure la rup­ture entre les cri­mi­nels en deve­nir et ceux qui le sont.

Dif­fi­cile de déter­mi­ner à quelle ins­ti­tu­tion revien­drait la com­pé­tence d’or­ga­ni­ser la ges­tion spé­ci­fique d’une pro­cé­dure inter­mé­diaire entre la pro­tec­tion juvé­nile et le code pénal appli­cable aux adultes. L’op­por­tu­ni­té de trou­ver une solu­tion dans l’im­bro­glio au sein des négo­cia­tions com­mu­nau­taires et régio­nales actuelles est éga­le­ment bien pré­sente : pour­quoi ne pas deman­der à nos élus d’in­clure cet aspect rela­tif à notre sécu­ri­té future dans leurs pré­oc­cu­pa­tions ? Pour­quoi ne pas leur deman­der d’a­voir l’in­tel­li­gence de pro­mou­voir l’a­pai­se­ment, là où aujourd’­hui l’ex­ploi­ta­tion de la haine, de la peur, de l’ex­clu­sion semble faire recette ? Pour­quoi ne pas leur deman­der de créer des centres de réédu­ca­tion pour des jeunes en per­di­tion, en leur impo­sant un pro­jet édu­ca­tif sur la base d’un pro­ces­sus coer­ci­tif jus­qu’à l’âge de la matu­ri­té confir­mée de leur per­son­na­li­té ? Pour­quoi ne pas leur deman­der de fusion­ner les moyens dis­po­nibles et ceux qui devront être déga­gés, pour créer une ins­ti­tu­tion apte à rompre la des­ti­née de nos jeunes cou­pables d’un acte cri­mi­nel, avant qu’ils n’a­doptent une per­son­na­li­té conforme à cet acte ? Pour­quoi per­sis­ter à leur impo­ser le choix de s’i­den­ti­fier aux agis­se­ments d’une dérive nais­sante, plu­tôt que d’in­ves­tir dans son redres­se­ment ? Pour­quoi ne pas refu­ser l’é­chec qui se concré­tise dans la pro­cé­dure de des­sai­sis­se­ment du juge de la jeu­nesse, parce qu’il se trouve dému­ni devant les limites des moyens mis à sa dis­po­si­tion dans nos struc­tures édu­ca­tives actuelles ?

Le main­tien d’un ado­les­cent dans une pro­cé­dure édu­ca­tive dont l’as­pect coer­ci­tif serait éten­du jus­qu’à l’âge de sa matu­ri­té confir­mée de vingt-cinq ans, écar­tant toute pos­si­bi­li­té de ren­voi vers les tri­bu­naux et cours pour adultes, et la mise en œuvre de la pro­cé­dure pénale auraient évi­té l’as­sas­si­nat de ma fille Corine et de son ami Marc : sans son com­plice, l’as­sas­sin adulte de ces enfants, aurait été pri­vé de la jouis­sance de son rôle de men­tor vis-à-vis d’un jeune sous l’emprise de sa révolte devant la néga­tion de sa capa­ci­té de rési­lience, à la suite du des­sai­sis­se­ment de son juge et de son incar­cé­ra­tion par­mi les « grands ». Le prin­ci­pal auteur de ce drame me l’a confir­mé de vive voix, dans le col­loque sin­gu­lier que j’ai eu avec lui.

Il y a près de dix-neuf ans, le 25 juillet 1992, je lan­çais avec le père de Marc une péti­tion qui obtint l’adhé­sion de 260 000 de nos conci­toyens pour deman­der que nos lois ne per­mettent plus de remettre des cri­mi­nels dan­ge­reux en liber­té, accu­sant notre État de faire des paris sur nos vies de concitoyens.

En avril 1996, j’ai lan­cé une seconde péti­tion, mar­quant mon accord avec le pro­jet de sup­pres­sion du pro­non­cé de la peine de mort et son rem­pla­ce­ment par des peines péda­go­giques, pré­voyant la pos­si­bi­li­té d’ins­tau­rer des peines incom­pres­sibles : mes­sage à des­ti­na­tion des auteurs et des vic­times signi­fiant de la gra­vi­té du pré­ju­dice occa­sion­né ou subi. À la suite de l’é­moi cau­sé par l’ar­res­ta­tion de Marc Dutroux, cette péti­tion devint l’exu­toire de la contes­ta­tion face à la mise en liber­té d’un irré­duc­tible cri­mi­nel. Empor­tée par l’é­mo­tion pro­vo­quée par l’é­vè­ne­ment, cette péti­tion sus­ci­ta l’en­goue­ment de 2 700 000 de nos conci­toyens. Foca­li­sant sur la demande d’ins­tau­ra­tion de peines incom­pres­sibles et fai­sant majo­ri­tai­re­ment l’im­passe sur l’as­pect péda­go­gique prio­ri­tai­re­ment revendiqué.

L’in­ter­pré­ta­tion tron­quée de la reven­di­ca­tion, par les mou­vances poli­tiques de droite, comme de gauche, ne man­qua pas de se mani­fes­ter. Les uns exi­geant le débat, les autres le refu­sant. Il fut heu­reu­se­ment contour­né par l’a­dop­tion d’ap­pré­ciables avan­cées : la révi­sion de la pro­cé­dure pénale, l’es­quisse du droit des vic­times, le sta­tut interne des déte­nus, celui du sta­tut externe des déte­nus et des droits recon­nus aux vic­times, l’ins­tau­ra­tion des tri­bu­naux d’ap­pli­ca­tion des peines.

Reste que l’as­si­mi­la­tion de la cri­mi­na­li­té juvé­nile à celle des adultes n’é­carte tou­jours pas le constat que l’im­ma­tu­ri­té d’un jeune soit expo­sée à la domi­na­tion d’une per­son­na­li­té cri­mi­nelle confir­mée. Valo­ri­sant sa dérive par l’i­den­ti­fi­ca­tion à son modèle.

La maman du jeune com­plice de l’as­sas­sin de nos enfants avait dénon­cé ce des­tin, lors du des­sai­sis­se­ment du juge de la jeu­nesse en charge du dos­sier de son fils. Aujourd’­hui il est tou­jours incar­cé­ré, près de vingt-deux ans après le drame à l’o­ri­gine de cette pro­cé­dure « exem­plaire ». Cou­pable d’a­voir ren­con­tré un modèle à la mesure de sa révolte, il est éga­le­ment cou­pable de la perte de trois vies, du mal indé­lé­bile qu’il a infli­gé à quatre familles, dont la sienne.

Jean-Pierre Malmendier


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