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Comme un combat
L’éducation n’est pas le seul secteur qui soit peu à peu réduit à l’impuissance : les prisons, la justice, la poste, la mobilité, la santé, le logement, la sécurité, sont autant de secteurs dans lesquels les logiques marchandes ont tué toute possibilité de faire valoir des logiques autres que celle du profit. Réformer l’enseignement n’aura de chances de produire de la qualité que si on définit cette qualité à l’aune de logiques propres au service public. Fièrement et avec tous les travailleurs de l’enseignement.
Dans le secteur « marchand », la production est légitime si sa vente permet de réaliser un profit. Son utilité sociale, son cout environnemental, son effet sur la santé, sur la qualité de vie, etc., n’entrent pas en ligne de compte : il faut que ça se vende et que ça rapporte un profit. Le système de validation de la « vérité » est donc, in fine, le profit. Pour que le système fonctionne bien, il faut diminuer tout ce qui empêche le profit d’augmenter (le salaire, les couts des conditions de travail notamment) et augmenter tout ce qui permet au profit d’augmenter (la taille du marché, la productivité, la quantité de biens produits, etc.). La « gestion des ressources humaines » et l’innovation technologique sont entièrement tendues vers cet objectif puisque, en fin de compte, c’est le profit réalisé qui validera ou non leur pertinence.
Sortir des logiques marchandes
Cette façon d’organiser la création de valeur n’est ni naturelle ni une fatalité. Elle résulte de choix politiques qui reflètent l’évolution des rapports de force respectifs du travail et du capital.
Dans le système capitaliste, certaines créations de valeur échappent théoriquement à cette logique, celles du secteur public et non marchand. Des impôts et des taxes prélevées sur les revenus de tous, et du déficit budgétaire, financent un budget dont une partie sert à générer des activités non marchandes, au sens où ce n’est pas leur vente avec profit sur le marché qui servira de validation de leur pertinence, mais leur utilité sociale, leur effet positif sur l’égalité, l’environnement, la santé, la qualité de vie, la cohésion sociale, le logement, la sécurité, la mobilité, etc.
Certaines de ces activités sont vitales pour l’activité capitaliste parce qu’elles lui permettent de diminuer une partie de leurs couts (qualification du travail, mobilité, etc.) prise en charge par la collectivité (économies d’échelle, externalisation des couts). Les activités des services publics et du secteur non marchand sont donc partiellement soumises aux logiques du secteur capitalise qui veulent que chacun cherche à diminuer ce que ça lui coute (les impôts, taxes et prix de ces produits) tout en augmentant ce qui permet d’augmenter son profit — l’abondance et l’adéquation de ces produits à ses besoins, des prix élevés quand c’est le privé qui vend et le public qui paie (médicaments, soins de santé, etc.).
Cette pression a peu à peu discrédité dans le secteur non marchand et dans le secteur public toutes les logiques qui n’étaient pas entièrement tendues vers la rentabilité financière (rapport entre le capital investi et le profit réalisé). Ces secteurs n’échappent plus aux logiques marchandes bien que leur finalité ne soit pas le profit. Et pourtant ces logiques ont toutes les chances d’y échouer. Leur obsession de la réduction des couts et de contrôle de qualité n’y a produit que le discrédit sur le travail : « fonctionnaire » est devenu une insulte ; discrédit sur les cadres : recours aux « experts indépendants », soupçon d’incompétence ; discrédit sur le politique : soupçon d’incompétence et de corruption.
Les plus « rentables » de ces secteurs ont été transférés partiellement ou totalement au secteur privé (énergie, santé, transport, pension, etc.) et ce qui en reste subit la loi du moindre cout, jaugé à l’aune de logiques managériales qui ne peuvent produire que de l’impuissance. Ces logiques marchandes, privées du système de validation de la vérité qu’est le profit, ne peuvent raisonner qu’en termes de couts budgétaires à réduire, de productivité de la main‑d’œuvre à augmenter, de frais de fonctionnement à diminuer, sans qu’on puisse en voir la pertinence autrement que par le ratio « poids » dans le PIB du déficit public (encore un cout) ou, des comparaisons internationales, des écarts de couts par rapport à la moyenne qui, du coup, deviennent des objectifs en soi et finissent par tirer la moyenne vers le bas.
Et la logique ne peut que s’emballer. Puisqu’il n’y a pas de mesure crédible de l’efficacité (où est le profit généré?), la mesure de l’efficience ne peut se mesurer qu’à l’ampleur de la réduction des couts, réduisant peu à peu, mais surement les travailleurs des services publics à l’impuissance et à des stratégies de résistances forcément individuelles puisque perçues comme illégitimes.
Réformer l’enseignement, c’est d’abord sortir de cette logique-là.
Un management « moderne » ?
Si le service public a un sens, c’est parce qu’il fait mieux que le privé ce qui lui est confié. S’il fait mieux que le privé, c’est parce que la validation par le profit est impuissante à générer la rencontre des objectifs qui lui sont assignés.
Les sociétés démocratiques le restent
si les gouvernants qu’elles choisissent sont capables de produire autre chose que ce que produit le marché, si elles sont capables de produire de la régulation en fonction d’autre chose que le profit, en fonction d’objectifs que ces sociétés se donnent, de valeurs auxquelles elles tiennent, et qui créent de la cohésion sociale.
Dans l’enseignement, la finalité « service public » est l’émancipation sociale. Au-delà des besoins de main‑d’œuvre des différents secteurs économiques, au-delà de la sélection et du tri qui attribuent les places dans la société, il s’agit de rendre crédible l’idéal de l’école démocratique : l’égalité.
Une fois les finalités fixées (émancipation sociale, lutte contre la reproduction des inégalités, mixité sociale, formation citoyenne), il s’agit de savoir comment chaque acteur, à son niveau, doit être responsabilisé.
L’approche « étatique » qui confie toutes les responsabilités à l’État (son exécutif et son administration) et réduit progressivement tout au long de la ligne hiérarchique les acteurs au statut d’exécutant s’est discréditée en produisant bureaucratie, lenteur d’exécution et déresponsabilisation des acteurs. Tout le monde attend que la solution aux difficultés vienne d’en haut et le haut ne prend connaissance des difficultés que quand elles ont été remplacées par d’autres.
À ce mode de gouvernance a été substituée l’approche managériale dès les années 1980. Le privé, ayant montré son efficacité sur le marché, devait servir de modèle. L’idée est de gérer les services publics et le secteur non marchand selon les standards du secteur privé (réduction des couts, réduction du personnel, intensification du travail, suppression de la stabilité de l’emploi, fragilisation des statuts, évaluation selon les résultats et mise en concurrence des travailleurs entre eux et des établissements entre eux). Ce modèle a produit ce qu’il devait produire : l’organisation du système scolaire en quasi-marché et un système scolaire qui fait de manière plus couteuse ce qu’un secteur privé de l’enseignement ferait bien mieux : organiser la sélection en reproduisant les inégalités sociales, en les transformant en inégalités scolaires, inégalités scolaires qui deviennent à leur tour des inégalités socioéconomiques (accès aux emplois, accès aux ressources, au logement, à la santé, etc.).
L’idéal démocratique de l’école n’est plus crédible, et ce n’est pas seulement la panne de la croissance et l’existence d’un chômage structurel qui en sont la cause. En adoptant la logique managériale, l’école est devenue un instrument de domination de plus pour ceux qui en subissent déjà le plus.
Il est devenu indispensable de réinventer le paradigme de la gouvernance, dans les services publics en général, et dans le système scolaire en particulier. La finalité doit devenir de restaurer la crédibilité de l’idéal démocratique de l’école avec deux priorités : la lutte contre les inégalités scolaires qui sont fondées sur l’origine socioéconomique des élèves, d’une part, et la mixité sociale et culturelle dans les établissements scolaires, d’autre part.
Mais comment les atteindre ?
Aujourd’hui, l’autorité publique régule à la fois trop près des enseignants (la logique bureaucratique a la vie dure) et pas assez près des structures intermédiaires (la logique entrepreneuriale s’est installée).
Trop près des enseignants parce qu’elle ne leur laisse que peu de marge. Ce contrôle s’exerce à la fois sur les aspects organisationnels et procéduriers (comment faire, quand et avec quoi, le programme, les contenus, le respect des méthodes prescrites et proscrites, les évaluations internes, externes non certificatives, externes certificatives, etc. — logique bureaucratique) et sur les résultats (le niveau des études, les taux de réussite… — logique managériale). La préoccupation pour le « résultat » est essentiellement centrée sur le respect des prescrits, un « bon » résultat servant de preuve du respect des prescrits. Sauf que rien ne prouve que le respect des prescrits, dans la situation particulière de tel ou tel établissement, est bien en mesure de produire le résultat attendu. Mais les enseignants, les équipes éducatives ne peuvent rien entreprendre (ou si peu) qui remette en question soit les prescrits, soit les résultats attendus. Et comme ça ne marche pas, les enseignants sont évalués en termes de manques : pas assez formés, pas assez au fait des résultats de la recherche en pédagogie, engoncés dans leur statut de la fin du XIXe siècle et dans le mythe de l’enseignant savant qui transmet son savoir, trop bien installés dans leurs « privilèges » qui les rendent intouchables. Les enseignants refuseraient de s’adapter et résisteraient aux changements que l’évolution de la société imposerait.
Dès lors, face à ce qui apparait comme les effets d’une bureaucratie paralysante, il semble légitime d’y aller à coups d’évaluation axée sur les résultats, de leadeurship renforcé des manageurs pour débarrasser l’enseignement de tous ses maillons faibles ! Le renouveau de l’enseignement est à portée de gestion des ressources humaines (GRH). Il faudrait obliger les enseignants à travailler plus que leurs 20 à 24 périodes de cours dans leur établissement, les soumettre à une évaluation-sanction, les obliger à se former, à travailler en équipe, leur apprendre qu’un emploi ça se mérite et que ça peut aussi se perdre quand on n’est pas efficace. Le travail de l’enseignant du XXIe siècle est désormais un travail de coach, d’accompagnateur des apprentissages. Il faut mieux contrôler son travail et son temps de travail, en finir avec ce gaspillage de ressources qui rend notre enseignement si cher et si inefficace.
De l’identité professionnelle à la culture professionnelle
Que ce soit de manière bureaucratique ou avec des logiques managériales (souvent dépassées par ailleurs), l’obsession reste le contrôle du travail. Cette focalisation sur le contrôle du temps de travail des enseignants provient de la continuation d’une politique passée qui vise, chaque fois un peu plus et un peu plus fort, à obtenir par l’augmentation du contrôle et de la contrainte ce que le système scolaire s’obstine à refuser aux petits chefs : des résultats significatifs sur le terrain.
Si on s’entête dans cette voie, on ne fera que rajouter une couche de contrôle sur une couche de résistance et on réduira tout le monde un peu plus à l’impuissance. Cette impuissance, tant des directions à obtenir ce qu’elles veulent que des enseignants à réconcilier les pratiques pédagogiques prescrites et leur expérience professionnelle, sera à son tour appelée « résistance au changement » pour justifier une nouvelle augmentation du niveau de contrôle du travail des enseignants. Que ce contrôle soit bureaucratique (management d’État) ou managérial.
Il y a, depuis les grèves des années 1990, une certaine ambigüité à tout attendre de changements dans les pratiques des enseignants et à leur dénier toute compétence et toute légitimité pour dire les conditions d’exercice de leur métier. Les enseignants ont été peu à peu considérés comme incompétents et peu impliqués, mais proclamés comme potentiellement acteurs principaux du changement. Dans chaque réforme, la liste des tâches qu’ils devraient accomplir s’allonge.
Or, les changements dans les pratiques ne pourront s’obtenir qu’en s’appuyant sur les compétences renforcées des enseignants et, surtout, leur capacité à s’emparer, collectivement, des leviers du changement (leviers pédagogiques et organisationnels).
Du point de vue de leur temps de travail, les enseignants se situent à la croisée de deux mondes. D’une part, un monde du travail dont le temps sert de mesure (nombre de périodes de cours à prester). Il s’agit du temps de travail en classe. D’autre part, un monde du travail dont le temps n’est pas explicitement mesuré et dont la mesure s’exprime en termes de tâches à accomplir (le temps du chercheur, du concepteur).
C’est cette deuxième partie de leur temps de travail qui leur procure la plus grande valorisation sociale puisqu’implicitement, elle leur reconnait les compétences pour le concevoir librement aussi bien en termes de contenus qu’en termes d’organisation. C’est la maitrise de cette deuxième partie de leur travail que les logiques managériales cherchent à leur retirer. Et c’est forcément là que le changement produit le plus de résistances.
Il n’y aura de changement dans l’enseignement que si l’on fonde la dynamique de ce changement sur la mobilisation des équipes pédagogiques et de leurs compétences. C’est se donner une chance de faire évoluer les pratiques et de renforcer les apprentissages des élèves que de chercher, non pas à contrôler ce temps de travail, mais à le faire évoluer vers une pratique plus collective. Le développement du travail collaboratif au sein des équipes éducatives est en mesure de créer les conditions favorables à l’organisation à l’intérieur de l’établissement, de lieux et de temps qui rendent possible la réflexion pédagogique des acteurs sur leurs pratiques (collectifs acculturants et organisations apprenantes). Les instances régulatrices, les directions et les chercheurs pourraient ainsi devenir, non pas des prescripteurs d’injonctions, de procédures et d’évaluations qui réduisent les travailleurs au statut d’exécutants, mais des partenaires qui accompagnent cette pratique réflexive et la consolident au niveau du système scolaire.
Mais on peut douter que, sans combat des enseignants, on aille dans cette direction car cela implique que le travail dans l’enseignement ne soit plus perçu comme un cout à minimiser, mais comme une ressource dont les compétences doivent être valorisées (sortir des logiques marchandes, sortir des solutions sous formes de manques à combler). Cela implique que le travail dans l’enseignement se conçoive dans une logique de service public, comme un travail collectif dont les finalités en elles-mêmes sont source de valorisation du métier (rendre sa crédibilité à l’idéal démocratique de l’école, l’enseignant acteur de changement social et d’émancipation sociale) et dans lequel chacun peut s’impliquer, prendre des responsabilités et des initiatives. Et qui a vraiment intérêt à ce que l’école devienne un instrument d’émancipation sociale ?
Il n’y aura de changement dans l’enseignement que si les enseignants sont en mesure de se saisir de cet objectif, non comme un acquis à préserver, ce qu’il n’est pas, non comme une conséquence « naturelle » du financement public, mais comme un combat fondamental, au sens propre, celui de refonder la légitimité de leur culture professionnelle sur cet idéal démocratique de l’École.
Des impasses
Il faut redonner de l’autonomie aux équipes éducatives pour leur redonner de la confiance, de la capacité de réfléchir et d’agir sur leurs pratiques en fonction des difficultés qu’elles rencontrent. Mais les obstacles sont nombreux. Considérons-en ne fût-ce que trois, pour montrer l’ampleur du défi.
Premier obstacle : le système est-il en mesure de réaffirmer ses finalités de service public ? Cela devrait se traduire par une augmentation de l’autorité de l’État (le cabinet, l’administration) sur les fédérations de pouvoirs organisateurs et les établissements scolaires. Pour casser les logiques de marché et fixer des objectifs précis aux établissements scolaires en termes de lutte contre les inégalités scolaires, en termes de mixité sociale et d’émancipation sociale, pour fixer dans des référentiels communs, l’articulation des apprentissages souhaités et une structure commune à l’ensemble des élèves. Qui le souhaite vraiment ? On peut douter que les rapports de force en présence aujourd’hui aillent en ce sens. Tout ce qu’on peut espérer gagner à ce niveau, c’est un peu plus de légitimité pour la lutte contre les inégalités, et la possibilité de s’en servir comme argument pour combattre les situations qui génèrent les inégalités les plus flagrantes. C’est bon à prendre, mais le changement ne viendra pas de là.
Deuxième obstacle : ceux qui dirigent et contrôlent aujourd’hui sont-ils prêts à faire confiance aux enseignants ? Des réformes structurelles et organisationnelles, tant au niveau du système scolaire que des réseaux et des établissements, devraient favoriser à la fois le développement du travail collaboratif des enseignants et l’autonomie des équipes pédagogiques. Mais qui souhaite vraiment leur donner du pouvoir sur les conditions d’exercice de leur métier ? Pas seulement les obliger à du travail collectif. Qui souhaite que des équipes éducatives compétentes s’emparent du travail réflexif sur les pratiques pédagogiques pour les transformer et en refaire des outils d’émancipation sociale ? L’idéologie dominante est managériale et souhaite garder tout le contrôle, et on voit mal comment on pourrait empêcher qu’elle s’impose une fois de plus. Le travail collaboratif sans l’autonomie ne produira aucun changement et l’autonomie sans le pouvoir du collectif est un leurre. Tous les patrons savent cela ou l’apprennent très vite. Tout ce qu’on peut espérer gagner à ce niveau, c’est un peu plus d’attention et un peu plus de respect pour les pratiques innovantes de certains enseignants. Mais le changement ne viendra pas de là.
Troisième obstacle : les enseignants sont-ils prêts à se faire confiance ? Confiance en eux et en leurs collègues ? La plupart sont imprégnés de leur sentiment d’impuissance et se l’attribuent à eux-mêmes ou à leurs collègues. Impuissance à agir (manque de temps, manque de moyens), impuissance à réussir à faire réussir (trop d’obstacles, trop de défis insurmontables), impuissance à construire (trop de contrecourants, trop d’ordres et de contrordres). Vingt ans à essayer de se construire un petit espace de sécurité relative, à vivre caché dans sa classe et à fuir les critiques fusant de toutes parts (directions, parents, élèves, médias, pédagogues, formateurs et inspecteurs), ça ne laisse pas beaucoup d’espace pour accueillir la confiance en soi et en une équipe éducative nécessaire à la mise en place d’un travail collaboratif et autonome de réflexion sur ses propres pratiques. Tout ce qu’on peut espérer gagner à ce niveau, c’est un peu plus de légitimité et de place pour le travail collectif dans les établissements scolaires. Mais la méfiance règne, et on ne construit pas le changement sur de la méfiance.
Travailler dans les interstices
C’est là que le combat des enseignants peut prendre toute sa place. Le système scolaire a ouvert des interstices qu’il faut occuper et faire grandir : la légitimité plus grande de la lutte contre les inégalités les plus flagrantes, une attention plus grande pour certaines innovations pédagogiques et une plus grande évidence de la nécessité du travail collaboratif des enseignants. Il s’agit de créer ensemble, dans ces interstices, des lieux, du temps et du pouvoir ; de l’organisation, et une vision organique du travail : le travail n’est pas un cout, il crée parce qu’il a du sens, il a du sens parce qu’on peut le créer, l’organiser, le penser ensemble. Des équipes d’enseignants-chercheurs, pour capitaliser leurs expériences en une culture professionnelle commune.
Il est possible de créer, dans ces interstices, la dynamique qui peut enclencher un changement. Il y a suffisamment aujourd’hui de preneurs dans toutes les écoles, parce que la situation y est devenue difficile pour beaucoup.
Comment obtient-on ça ? Par les collectifs apprenant. Puisque le travail hors classe est « librement organisable », partout où c’est possible, partout où il y a ne fût-ce que deux enseignants conscients de la nécessité et de la possibilité d’un changement en ce sens, occuper ensemble les interstices laissés par ces trois petites avancées.
La première, mettre en évidence collectivement les inégalités les plus flagrantes, les dénoncer et faire de leur disparition une raison d’être de la culture professionnelle enseignante. S’informer et se former, lire, procéder à des échanges avec d’autres pour mieux comprendre comment les combattre, informer et former ses collègues, mettre en place dans sa classe des dispositifs pédagogiques et didactiques qui soient en mesure de les affronter, puis les étendre dans son établissement scolaire, avoir des échanges avec d’autres sur les difficultés rencontrées et remettre l’ouvrage sur le métier.
La seconde, revendiquer collectivement le caractère innovant et utile socialement de ces pratiques, chercher à produire les changements pédagogiques et organisationnels qui les favoriseront, informer et former d’autres collègues, chercher à mieux s’organiser pour reprendre du pouvoir collectif sur les pratiques, sur leurs conditions d’existence.
Enfin, refaire de la fierté et de la confiance entre enseignants en capitalisant par le travail collaboratif au sein de l’établissement scolaire d’abord, puis entre établissements scolaires, s’autoriser à écrire sur les pratiques enseignantes, leurs difficultés et leurs réussites, montrer que le temps et les moyens ne manquent que parce qu’on ne peut en disposer librement, en modifier l’organisation, l’affectation, pour créer des solutions aux difficultés rencontrées.
Comme un combat, sans attendre d’autorisation, d’abord avec ceux qui ont encore confiance en eux et peu à peu avec ceux qui auront retrouvé confiance en eux et en leur métier, en leur capacité à construire une culture professionnelle fière fondée sur l’idéal démocratique de l’émancipation sociale dans l’école et par l’école.