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Colombie : le déminage, premier visage de la paix à venir
Il n’existe pas de négociations de paix sans soubresauts — le processus de paix colombien engagé depuis 2012 entre le gouvernement du président Santos et la guérilla des Farc ne fait pas exception à la règle. Une crise récente vient justement de révéler que le chemin parcouru avait aussi atteint un point de non-retour. Ainsi, le 15 avril, […]
Il n’existe pas de négociations de paix sans soubresauts — le processus de paix colombien engagé depuis 2012 entre le gouvernement du président Santos et la guérilla des Farc ne fait pas exception à la règle. Une crise récente vient justement de révéler que le chemin parcouru avait aussi atteint un point de non-retour.
Ainsi, le 15 avril, dans la zone de Buenos Aires, onze soldats des forces armées sont tués et vingt-et-un autres blessés lors d’une attaque menée par les Farc. Cet incident grave vient ébranler une période porteuse d’espoir sur laquelle il est nécessaire de revenir : depuis le 20 décembre dernier, les Farc ont mis en place un cessez-le-feu unilatéral pour une durée indéterminée — une décision sans précédent. Le 10 mars, le président Santos, en accord avec les forces armées, annonce la suspension pour une durée d’un mois des bombardements contre la guérilla — un geste en général perçu comme avant-coureur d’un éventuel cessez-le-feu bilatéral. Cette mesure est ensuite reconduite par le président Santos le 9 avril, journée à forte teneur symbolique en Colombie où l’on commémore l’assassinat du leadeur populaire Jorge Eliecer Gaitán en 1948, et qui honorera dorénavant la mémoire de toutes les victimes du conflit Mais six jours plus tard, la mort des onze soldats forcera M. Santos à réactiver les bombardements contre les Farc.
Les causes mêmes de l’incident semblent complexes : le quotidien régional de Cali El País indique que « plusieurs analystes s’accordent à dire que durant ces évènements […] il y a eu des failles de sécurité et de renseignements ». Le spécialiste en questions de sécurité John Marulanda explique que, selon lui, « il y a eu une erreur tactique de l’armée qui a facilité l’action des Farc, et cela s’explique par le mauvais moral des troupes et le peu d’enthousiasme des soldats ». Quant à l’analyste Ariel Ávila, il souligne que les guérilléros contactés dans la région ont certes l’ordre de faire une trêve, mais qu’ils ne sont pas prêts à laisser les troupes de l’armée s’installer sur les territoires contrôlés par les Farc.
Rien de cela n’a toutefois empêché la sous-commission technique sur le désarmement et la fin du conflit de reprendre ses travaux à La Havane trois jours après l’attaque des Farc. Or c’est à l’aune de ce travail qu’on peut juger du point de non-retour atteint par les négociations.
Les mines antipersonnel
En effet, la sous-commission est un instrument clé, mis en place le 22 aout 2014, mais qui a réellement pris ses fonctions début février. Son but ? L’étude et l’application des mesures techniques du processus désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Ses travaux se déroulent en parallèle à ceux des négociateurs. La sous-commission est intégrée par de hauts gradés en activité et des chefs guérilléros connaissant parfaitement le terrain du conflit. En effet, un des points essentiels concerne tout d’abord le déminage — depuis la ratification de la convention d’Ottawa en 2000 par la Colombie, seule la guérilla utilise toujours des mines antipersonnel pour sécuriser l’accès des zones qu’elle contrôle contre les forces armées.
Tous les jours, pour des millions de Colombiens, particulièrement dans les zones rurales, les mines incarnent la réalité de la guerre : un site du gouvernement colombien indique qu’entre 1990 et mars 2015, 11.097 personnes ont été victimes de mines, 38 % civils et 62% membres des forces de sécurité, et que 98% des accidents surviennent dans les zones rurales du pays. Certaines régions sont particulièrement touchées comme celle d’Antioquia (région de Medellin), ainsi que le Meta (centre du pays).
Or c’est justement dans ce domaine qu’une avancée cruciale vient d’avoir lieu : le 8 mai, un communiqué conjoint du gouvernement colombien et de la guérilla des Farc a annoncé l’achèvement, par la sous-commission, d’une feuille de route pour mettre en place, dans les jours qui viennent, un programme pilote de déminage. L’organisation norvégienne Ayuda Popular Noruega (NPA en anglais), connue pour sa participation de longue date aux travaux de la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel, va accompagner ce programme. Fait historique une fois de plus : les équipes intègreront à la fois des militaires spécialisés dans le déminage et des membres des Farc connaissant les terrains minés.
Collaboration militaires et guérilléros
À quoi cela va-t-il ressembler ? Dans son édition du 9 mai, ainsi que sur son site le grand quotidien El Tiempo décrit, cartes à l’appui, les grandes lignes de cette initiative inédite. Les régions où ce programme pilote sera mis en place correspondent à celles qui souffrent le plus de la présence de mines, soit Antioquia et le Meta. Des guérilléros et militaires colombiens collaboreront donc pour la première fois à des opérations qui concrétiseront un certain état de paix. La faculté réelle de collaboration des deux ennemis sera testée sur le terrain même du conflit — ce que certains commentateurs voient aussi comme une sorte d’exercice pratique en matière de réconciliation, qui anticipe la signature d’un accord de paix. Il est sûr que le succès de cette opération pilote sera déterminant pour reconquérir une opinion publique mise à mal par l’attaque du 15 avril et repousser les critiques des secteurs politiques les plus hostiles aux négociations.
Soutien américain
L’accélération du processus concerne aussi le récent voyage à La Havane, fin avril, du commandant en chef des Farc, Timoléon Jiménez dit « Timochenko », ainsi que du commandant de la guérilla de l’ELN, armée de libération nationale, afin d’envisager l’inclusion de cet autre mouvement dans les négociations.
Certes, des différends existent encore. Mais pour concrétiser ce voyage politique, le ministère de la Justice a révélé qu’il avait suspendu depuis le 22 décembre 2014, les ordres d’arrestation contre « Timochenko » — une mesure qui n’a pas été remise en question lors de l’attaque du 15 avril. C’est d’autant plus important qu’il revient à Timoléon Jiménez d’informer les troupes des Farc sur le terrain, des avancées des négociations et de la mise en œuvre prochaine des programmes de déminage.
Sur le plan international, l’ambassadeur américain Kevin Whitaker vient de réaffirmer le soutien de Washington au processus de paix lors d’une entrevue publiée le 15 mai dans le quotidien El Espectador. Il laisse même ouverte la possibilité de principe de ramener en Colombie l’intellectuel et cadre politique des Farc Ricardo Palmera, plus connu comme « Simon Trinidad », extradé et emprisonné aux États Unis depuis 2004, et dont la guérilla demande régulièrement la libération.
Pendant ce temps, un autre terrain se prépare, qui concerne le visage économique du post-conflit : ainsi, du 11 au 15 mai, deux forums économiques organisés par Colombia InsideOut à New York et Londres ont réuni des investisseurs centrés sur les infrastructures et l’exploitation des ressources naturelles. Ce modèle est défendu par le gouvernement et diverge des demandes d’une partie de la société civile reprises par les négociateurs des Farc — et nul doute que sur le terrain économique aussi, on peut s’attendre à des blocages suivis d’avancées âprement négociées.
18 mai 2015