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Chine, dictature et changements climatiques

Numéro 2 - 2016 - par Juliette Janin - Laurence Vandewalle -

Depuis 2007, la Chine a entrepris un « virage vert » qui se traduit notamment par un important investissement dans les énergies renouvelables, devançant les États-Unis et l’Union européenne et qui s’explique pour partie par de graves problèmes écologiques qui pourraient déstabiliser le régime. L’objectif est donc davantage politique qu’environnemental et il ne constitue en aucune manière le signe d’une démocratisation du régime.

La République populaire de Chine a connu, depuis sa politique de réforme et d’ouverture entamée en 1978, une forte croissance économique basée sur l’exportation. La croissance de la pollution dans le pays fut tout aussi exponentielle. Rivières mortes, villages atteints de cancers et pollution atmosphérique sont le prix à payer pour l’industrialisation rapide de l’empire du milieu, devenu l’usine du monde. Dès 2006, soit trois années plus tôt qu’escomptées par l’Agence internationale de l’énergie, le pays est devenu le premier émetteur de carbone, alimentant les critiques de la communauté internationale à son égard. Il faut néanmoins apporter une nuance en rappelant que, calculées par habitant, les émissions de carbone des États-Unis continuent à caracoler en tête du classement. Un autre élément à intégrer dans la réflexion est qu’environ 25% des émissions produites en Chine le sont lors de la fabrication de biens destinés à l’exportation. Certains estiment que ces émissions devraient plutôt être comptabilisées du côté de ceux qui les consomment. Les secteurs économiques qui génèrent le plus de ces émissions sont l’industrie manufacturière et la production d’énergie. Les émissions de carbone chinoises résultent à 90% de la combustion de combustibles fossiles et à 10% de la production de ciment. La Chine reste en effet très dépendante du charbon : 80% des centrales électriques fonctionnent encore au charbon.

Effet sur l’environnement et la santé

Outre le fait que les émissions de carbone s’accompagnent habituellement d’émissions de suies, de fumées, et de métaux lourds, elles produisent des nanoparticules dont les effets pour la santé et l’environnement sont préoc­cupants. À concentrations élevées, comme c’est le cas en Chine, le carbone est très toxique. En outre, il persiste des décennies dans l’atmosphère. La pollution atmosphérique représente un risque majeur pour la santé reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont les lignes directrices la qualité de l’air font autorité en la matière. Elles fixent les concentrations pour les particules en suspension (PM), le dioxyde d’azote, le dioxyde de soufre et l’ozone. La dangerosité de ces particules s’explique par le fait qu’elles pénètrent profondément dans les poumons vu leur taille infime : 2,5 microns de diamètre (PM 2.5).

Or la qualité de l’air à Pékin, qui resta longtemps un quasi-secret d’État, est lamentable. Ce fut d’abord l’ambassade des États-Unis dans la capitale qui ayant installé sur son toit une station d’analyse de la qualité de l’air, diffusa sur son compte Twitter des relevés précis et fiables de la pollution de l’air. Au grand déplaisir des autorités locales. Ce n’était pourtant pas un mystère que le smog planait depuis de nombreuses années sur les grandes villes telles que Pékin, Shanghai ou Canton. Une étude effectuée par l’université de Leeds à la demande de Greenpeace a trouvé une forte concentration de particules dans la région de Pékin et alentours (Tianjin et la province du Hebei) et a trouvé que plus de dix millions de tonnes de PM 2.5 ont été disséminées dans l’air en 2010 seulement. La concentration en PM 2.5 dans les mégapoles chinoises excède largement le seuil maximum de 25 micro-grammes par mètre cube d’air et de pas plus de trois jours par an préconisé par les lignes directrices de l’OMS, se traduisant en risques cardiovasculaires, cérébraux-vasculaires et par une augmentation des probabilités de cancers et de morts prématurées.

Les autorités ont longtemps gardé un silence embarrassé sur la question. En 2013, elles ont mis en place un système d’alerte rouge pour pollution grave, définie comme une période où l’indice de la qualité de l’air est supérieur à 200 et prévu durer plus de trois jours. Lors d’une alerte rouge, la circulation alternée est mise en place, les écoles sont fermées, les usines et chantiers polluants à l’arrêt. Pour la première fois, cette alerte a été promulguée par le gouvernement municipal de Pékin du 7 au 10 décembre 2015, et une seconde fois du 19 au 22 décembre. Pourtant des niveaux d’alertes graves avaient déjà existé auparavant, mais l’alerte rouge n’avait pas été déclenchée.

Effet sur l’opinion publique

Qui dit impact sur l’environnement et la santé dit impact sur l’opinion publique. Le régime est connu pour ne pas respecter les droits humains, pour le harcèlement de dissidents, pour des arrestations arbitraires, et pour des mauvais traitements et tortures dans ses geôles. Or l’opinion publique revêt une importance toute particulière dans une dictature. Paradoxalement les leadeurs du pays, qui n’organisent pas à proprement parler d’élections, sont friands de sondages d’opinion. Étonnant mais logique, puisque le Parti communiste chinois (PCC) souhaite avant toute chose rester au pouvoir, ce qui nécessite que la population soit au moins suffisamment contente de ses dirigeants pour ne pas les renverser. La satisfaction de la population est en lien avec deux facteurs importants liés aux changements climatiques : le taux de chômage et la qualité de la vie. En ce qui concerne le second facteur, ce n’est plus le cas dans les grandes villes.

Si l’économie du pays s’est développée, la population chinoise aussi a évolué, et elle n’est plus prête à accepter de vivre dans un environnement toxique. Depuis plusieurs années, les mouvements de protestation se sont multipliés. Les épisodes de pollution aigüe de l’air sont appelés « airpocalypse ». L’opinion publique est mécontente. L’environnement est le seul domaine dans lequel le PCC tolère l’existence d’organisations non gouvernementales (ONG) indépendantes. En avril 2015, des manifestations contre l’extension d’une centrale au charbon ont eu lieu dans la province de Guangdong. Ces habitants, qui se plaignaient de la pollution et du smog depuis la mise en opération de la centrale en 2008, se sont insurgés contre son extension, autorisée par les autorités locales. Les manifestations ont été couvertes par les médias étatiques chinois. Cet exemple illustre le fait que la pollution remet en question, au-delà du modèle de développement, la gouvernance des pouvoirs locaux, qui ne sont pas toujours prompts à mettre en œuvre les politiques du gouvernement central, surtout quand les finances locales sont affectées.

Une étude de l’Institut chinois de planning environnemental a identifié la pollution comme la source principale des mouvements sociaux dans le pays. Selon les chercheurs qui ont réalisé l’étude, il existe un fossé entre la vitesse à laquelle l’environnement est amélioré et la vitesse à laquelle le public souhaite qu’il soit amélioré — et les problèmes environnementaux pourraient facilement atteindre un sommet et mener à des crises sociales. Ces propos sont relayés par un organe officiel, le China Environmental News.

Même le Premier ministre Li Keqiang a déclaré la guerre à la pollution. Il s’est engagé lors de l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale du peuple à combattre la pollution de « toutes ses forces ».

Li Keqiang ne se tracasse pas sans raison. On estime en effet que 50.000 « incidents de masse » — comprendre « manifestations » — ont lieu chaque année. Chen Jining, le ministre de l’Environnement a déclaré que la pollution était la cause majeure des troubles sociaux. Aussi, le financement des questions environnementales a pris des dimensions inconcevables auparavant : 277 billions de dollars (257 billions d’euros) ont été injectés dans un plan d’action contre la pollution de l’air pour lutter contre le smog.

Outre les riverains proches d’installations polluantes et les associations environnementales, certaines personnalités en vue se sont exprimées sur le sujet. C’est le cas de l’ancienne journaliste de la télévision d’État, Chai Jing. Après avoir découvert que l’enfant qu’elle portait était atteint d’une tumeur, elle a réalisé un documentaire Under the Dome qui dénonce l’ampleur et l’impact de la pollution atmosphérique. Une semaine après qu’il a été publié sur internet, en février 2015, il avait déjà été visionné 200 millions de fois. Le ministre de l’Environnement l’a loué publiquement. Cheng Jining a espéré que le film puisse encourager les efforts pour améliorer la qualité de l’air. Trop de succès pour le gouvernement central qui, deux semaines après sa publication, l’a censuré. Supprimé de l’internet dans le pays, il a quand même suscité 280 millions de postes sur le site de microblogging Sina Weibo [1].

Plans quinquennaux et énergie renouvelable

Ne serait-ce que dans l’intérêt de la stabilité du régime, le PCC voit dans la révolution industrielle suscitée par la lutte contre les changements climatiques une opportunité qui vient bien à point. Améliorer la qualité de l’air ne sera possible qu’en diminuant la part du charbon dans la production d’électricité. Les énergies renouvelables sont donc soutenues depuis plusieurs années — d’autant que le pays est riche en terres rares, qui sont essentielles à la fabrication des éoliennes, panneaux solaires et autres moyens de production d’énergie renouvelable.

Dans ce pays socialiste, les concepts politiques encadrent les développements économiques. Il est dès lors intéressant de constater que dès 2005, le président Hu Jintao réorienta la philosophie du PCC en érigeant la théorie du « concept de développement scientifique » au rang de pensée directrice du Parti [2] à une époque où l’instabilité sociale allait croissant. Il s’agit de réaliser un développement rapide et de qualité. Le développement doit être scientifique, assurer la qualité et la rentabilité de la croissance, et veiller à l’économie des ressources et à la protection de l’environnement. Si on ne peut pas vraiment traduire ce concept par développement durable, il existait un lien clair dans l’esprit des dirigeants chinois.

La Chine est une économie socialiste de marché, régie par des plans (ou « guides ») quinquennaux. Ils définissent les priorités gouvernementales, et donnent des recommandations concernant les domaines scientifiques et technologiques privilégiés. La première apparition de préoccupations environnementales dans les plans quinquennaux remonte au onzième plan quinquennal qui couvrait les années 2006 à 2010. Le plan quinquennal qui débute en 2016 est le premier à être lancé sous la direction du président Xi Jinping, et le treizième du genre. Les taux de croissance du pays diminuent. Le gouvernement a lancé le concept de la « nouvelle normale » (the New Normal), c’est-à-dire le fait que les taux de croissance seront à l’avenir plus modérés afin de permettre une transition vers une société prospère [3]. La Chine, qui est devenue un pays à revenu intermédiaire après que son PIB par habitant a dépassé 5.000 dollars en 2012, craint de ne pas réussir à traverser cette phase qui vise à faire de la Chine une société du bien-être ; le développement doit être innovant, coordonné, « plus vert », ouvert et partagé. La volonté de réduire les émissions de carbone y est clairement affichée, et participe du changement de stratégie économique décidé par le PCC.

Négociations internationales

Dans ce contexte économique et politique, la stratégie chinoise dans les négociations internationales sur le changement climatique a largement évolué au cours des vingt dernières années. Alors que le pays rejetait tout engagement contraignant pour lui-même et pour l’ensemble des pays en développement dans les années 1990 et jusqu’au début des années 2000, Pékin a adopté une attitude plus conciliante lors du sommet de Bali en 2007, reconnaissant la responsabilité globale de chaque pays, pour enfin devenir un des acteurs majeurs de la Conférence annuelle des Parties (COP) de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de décembre 2015.

L’évolution de la participation de la Chine aux négociations sur le climat peut être analysée en différentes phases. Dans leur article « Climate Change in Chinese Foreign Policy. Internal and External Responses » [4], Paul Harris et Yu Hongyuan reprennent la classification donnée par les autorités chinoises et distinguent trois phases, allant de 1990 à 2007.

La première couvre la période allant de 1990 à la moitié de l’année 1992, durant laquelle la Chine a formulé sa position dans le contexte de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 1992. Elle avance pour la première fois le principe de responsabilités communes, mais différenciées. Autrement dit, la Chine se dit prête à reconnaitre un rôle limité dans le changement climatique, mais refuse de limiter sa consommation énergétique et de s’engager dans tout accord contraignant. Pour elle, une action contre le changement climatique doit être financée par les pays développés qui sont historiquement responsables. Durant la deuxième phase jusqu’à fin 1997, le pays ne montre toujours aucune flexibilité, mais se rapproche des pays en développement, créant un nouveau bloc avec le G77. Ce bloc est en mesure de négocier avec les pays développés. Au cours de la troisième phase, après la signature du protocole de Kyoto, la Chine qui reste fermement opposée à la réduction de ses émissions carbones avant que le pays n’atteigne le statut de pays à revenu intermédiaire, consent à accepter les mécanismes de flexibilité proposés par les pays industrialisés. Comprenant les bénéfices qu’elle pouvait tirer du Mécanisme de développement propre (MDP), seul mécanisme du protocole visant la participation des pays en développement aux politiques climatiques, la Chine devint le pays comptabilisant le plus grand nombre de projets inscrits dans le MDP [5].

Au-delà des phases identifiées par ces auteurs dans leur ouvrage, la position chinoise a connu deux phases supplémentaires jusqu’à aujourd’hui. La quatrième phase, allant de 2007 à 2011, débute avec le sommet de Bali en 2007. Durant les négociations, le discours de la délégation chinoise se fait plus conciliant avec la reconnaissance d’une « responsabilité globale de chaque pays du monde », tout en refusant néanmoins des réductions contraignantes d’émissions carbone pour les pays en développement. Dans le Plan d’action de Bali, la Chine admet pour la première fois que les pays en développement ont aussi un rôle à jouer dans la lutte contre le changement climatique.

Dès 2006, la Chine est devenue le premier pays émetteur de gaz à effets de serre. C’est sur une position défensive que Pékin aborde le sommet de Copenhague en décembre 2009. Tout en promettant de réduire l’intensité de ses émissions de dioxyde de carbone par unité de PIB de 40% à 45% d’ici 2020, la Chine pointe du doigt la responsabilité historique des pays développés et dénonce la responsabilité des entreprises étrangères délocalisées sur son territoire. Elle défend également son statut « protecteur » de pays en développement face aux pays riches, insistant sur le sous-développement de son économie. La Chine prend la tête du groupe des pays en développement et émergents, refusant une nouvelle fois tout engagement juridiquement contraignant et la mise en place d’une taxe carbone, au nom de la liberté du commerce. Plus engagée qu’auparavant dans la lutte pour le changement climatique, la Chine affiche pourtant un certain manque d’ambition dans les négociations finales, formant avec les États-Unis une alliance défensive afin de préserver leur souveraineté et leurs intérêts nationaux [6]. L’accord obtenu à Copenhague ne comporte aucun engagement chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et n’a pas été signé par l’ensemble des pays présents. À la suite de cette conférence, la Chine s’est retrouvée au centre d’attaques médiatiques, la désignant comme le principal saboteur des négociations. L’attitude de Pékin dans la lutte contre le changement climatique est alors perçue comme contreproductive.

Lors de la conférence de Durban en 2011, la Chine opère un tournant historique. Pour la première fois, à la surprise générale de la communauté internationale, le pays accepte de s’engager dans le processus de négociations d’un accord international juridiquement contraignant. Les pays laissent alors jusqu’à 2015 pour arriver à un accord. Bien qu’il s’agisse simplement d’une déclaration d’intention, elle est essentielle. Le pays s’engage dans un processus qu’il avait préalablement cherché à éviter à tout prix. Pékin indique également son intention de mettre bientôt en place des objectifs spécifiques en matière d’émissions. La Chine entre ainsi dans une nouvelle phase de l’évolution de sa position internationale dans les négociations climatiques. C’est aussi un changement de style qui s’opère durant ce sommet, avec l’ouverture d’un pavillon officiel chinois, rassemblant des ONG, des experts et des intellectuels, invités à partager et à montrer les progrès de la politique climatique chinoise au niveau national [7].

En amont de la Conférence annuelle des Parties de Paris, la Chine aborde un rapprochement historique avec les États-Unis dès la fin de l’année 2014. En marge du vingt-deuxième forum de Coopération économique de l’Asie-Pacifique qui se tint le 10 novembre 2014 à Pékin, les deux puissances mondiales signent un accord commun. Elles consentent à de nouvelles réductions d’émissions pour Washington et à l’adoption pour la première fois par la Chine d’un pic de ses émissions de gaz à effet de serre « autour de 2030 » et « si possible avant » [8]. Cet accord constitue une avancée décisive et contribuera à la réussite des négociations climatiques de 2015.

2015, une année décisive

L’année 2015 a été une année décisive. Le 30 juin 2015, le Premier ministre Li Keqiang, en visite officielle à Paris, présente la contribution de son pays dans les négociations internationales sur le changement climatique. Il rappelle les efforts entrepris depuis le sommet de Copenhague en 2009 et les engagements pris, notamment lors de la déclaration commune entre les États-Unis et la Chine mentionnée ci-dessus. Dans un document très détaillé, Pékin présente ses nouveaux engagements d’ici 2030. Le pays s’engage notamment à diminuer son intensité carbone de 60 à 65% d’ici 2030 (par rapport à 2005) et à atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre vers 2030. L’énergie est au centre de la déclaration chinoise, avec l’annonce d’une modification en profondeur du mix énergétique afin de donner une large place aux énergies non fossiles. Celles-ci contribueront à 20% de la consommation primaire d’énergie à l’horizon 2020. Pour y parvenir, la Chine a publié en 2014 un Plan national sur le changement climatique (2014-2020) qui comprend un ensemble d’objectifs pour améliorer l’efficacité énergétique, développer les énergies renouvelables et faciliter l’adaptation au changement climatique, notamment par l’augmentation des volumes forestiers de 1,3 milliard de mètres cubes entre 2005 et 2020 [9]. La Chine est devenue le plus gros investisseur dans le solaire et l’éolien en 2015, en consacrant 89,5 milliards de dollars à ces secteurs en 2014.

En marge de la COP21, les présidents américains et chinois se réunissent le 24 septembre à Washington, et réaffirment leur volonté d’avancer ensemble dans la lutte contre le réchauffement climatique. La Chine annonce le versement de 2,7 milliards d’euros pour alimenter le Fonds vert pour le climat. Ce fonds des Nations unies, créé lors du sommet de Copenhague, aide les pays en développement à s’adapter au changement climatique. En plus, Pékin annonce la mise en place en 2017 d’un marché national de quotas de carbone. Par le biais de ces multiples annonces, la Chine confirme sa nouvelle stratégie sur le climat et affiche l’ambition de jouer un rôle central dans les négociations de Paris.

Dès le début de la COP21, soit le 30 novembre 2015, le président Xi Jinping prononce un discours engagé dans le combat contre le réchauffement climatique. Le ton est donné. Selon Xi, les pays industrialisés doivent « assumer leurs engagements » à financer les politiques climatiques des pays en développement et réaffirmer le principe de responsabilités différenciées [10]. Durant les semaines de négociation, la Chine joue un rôle décisif de médiateur dans l’aboutissement d’un accord unanime et contraignant, en convainquant les pays en développement de la nécessité de signer un tel accord et défendant leurs positions jusqu’au bout. Avec la signature de 195 pays s’engageant à limiter la hausse des températures à 2 °C, le rôle de la Chine durant la conférence est largement reconnu. Le pays semble s’imposer comme un nouveau leadeur mondial en matière de lutte contre les changements climatiques.

Conclusion

La Chine a donc entrepris un « virage vert » dans les négociations internationales sur le climat, qui s’explique par différentes raisons. Ce virage est corrélé avec la nouvelle politique climatique intérieure, prônée depuis 2007, et confirmée dans le récent plan quinquennal.

Entre répression des critiques de sa gouvernance et prise en compte de l’opinion publique, le gouvernement et le PCC planifient une politique industrielle qui contribue à situer le pays au premier plan de l’économie du XXIe siècle. La Chine a été en 2015 de loin le plus grand investisseur dans les énergies renouvelables, en particulier éolien et solaire, devançant les États-Unis et l’Union européenne. Il s’agit pour les dirigeants du PCC de continuer à créer de l’emploi et soutenir une croissance modérée, tout en garantissant à la population des conditions de vie acceptables. Le gouvernement est également préoccupé par la sécurité énergétique. Le recours à des énergies alternatives permet de découpler la croissance économique de l’utilisation d’énergies fossiles et de réduire sa dépendance par rapport à l’étranger. Enfin, la Chine fait face à une série de problèmes environnementaux, qui constituent un frein à son développement économique et pourraient être un facteur de déstabilisation du régime socialiste à « caractéristiques chinoises ».

L’objectif est davantage politique qu’environnemental, mais il est probable que la Chine jouera un rôle important dans la lutte contre les changements climatiques, comme constaté lors de la COP21 à Paris. Le déclenchement de l’alerte rouge pour la première fois en décembre 2015, précisément le mois où se tenait la COP21, n’est pas un hasard. Il exprime au moins que Pékin est prêt à affronter la question de la pollution de l’air causée par les émissions de carbone. Souvent les actions de politique extérieure chinoises doivent être comprises par rapport au contexte de politique intérieure, on peut donc penser que les engagements de Pékin à Paris sont une manière de parler aux Chinois et en particulier aux gouvernements locaux pour faire comprendre que les normes en matière d’émission de carbone seront appliquées. L’accord de Paris ne sera en effet pas facile à mettre en œuvre dans le pays dont la croissance ralentit et l’économie se métamorphose, passant graduellement d’un développement basé sur les exportations vers une économie fondée sur la demande intérieure. Si les engagements climatiques de la Chine peuvent être pris au sérieux, il ne faut pas s’imaginer un seul instant qu’ils représentent un signe de démocratisation ou d’assouplissement du régime.


[3Le briefing « China’s new normal : structural change, better growth and peak emissions » du Grantham Research Institute et du Center for Climate Change Economics and Policy rédigé par Fergus Green et Nicholas Stern et publié en juin 2015 donne une analyse fouillée des implications de la nouvelle stratégie économique chinoise pour la politique climatique.

[4P. G. Harris et H. Yu, « Climate Change in Chinese Foreign Policy. Internal and External Responses », in P.G. Harris (dir.), Climate Change and Foreign Policy. Case Studies from East to West, Routledge, 2009, p. 58.

[5Giulia Romano, « La Chine face au changement climatique : quelle(s) politique(s) ? », Écologie et politiques, n° 47, février 2013, Presses de Sciences-Po.

[6« Le bilan décevant du sommet de Copenhague », Le Monde, 19 décembre 2009.

[7Deborah Seligsohn, « China At Durban : First Steps Toward a New Climate Agreement », 16 décembre 2011, World Resource Institute.

[8The White House Briefing Room, U.S.-China Joint Announcement on Climate Change, 11 novembre 2014.

[9Site web de l’ambassade de France à Pékin, « COP 21 : publication de la contribution nationale chinoise ».

Cet article n’engage que leurs auteures. Il n’engage pas l’institution à laquelle elles sont rattachées.

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Laurence Vandewalle


Auteur

a étudié la sinologie et les relations internationales (KUL), s’apprête à prendre la fonction d’analyste politique à la Délégation de l’UE à Pékin

Juliette Janin


Auteur

titulaire d’un master 2 en relations internationales, obtenu à l’Institut d’études politiques de Toulouse. Ses recherches portent sur la région Asie, en particulier sur l’influence croissante de la Chine dans la région