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Carsid Charleroi : nouveau coup dur pour la sidérurgie en Wallonie
L’annonce, le 28 mars dernier, de l’intention du groupe Duferco de fermer définitivement le haut-fourneau de Carsid à Marcinelle est assurément une mauvaise nouvelle pour le secteur sidérurgique en Wallonie. Pour son patron, Antonio Gozzi, cette annonce signifie clairement un échec : après plusieurs tentatives tous azimuts pour trouver un opérateur industriel prêt à reprendre cet outil pour […]
L’annonce, le 28 mars dernier, de l’intention du groupe Duferco de fermer définitivement le haut-fourneau de Carsid à Marcinelle est assurément une mauvaise nouvelle pour le secteur sidérurgique en Wallonie. Pour son patron, Antonio Gozzi, cette annonce signifie clairement un échec : après plusieurs tentatives tous azimuts pour trouver un opérateur industriel prêt à reprendre cet outil pour 1 euro, il s’est vu contraint de jeter l’éponge. Au vu de la conjoncture sidérurgique dégradée en Europe de l’ouest (avec une surcapacité de production de 50 millions de tonnes pour une production effective de quelque 170 millions de tonnes en 2010) et de la faiblesse des prix de vente face à une demande au mieux stagnante, aucun sidérurgiste n’a voulu tenter une aventure manifestement trop risquée. La fin annoncée des hauts-fourneaux en Wallonie ne signifie toutefois pas la fin de toute activité sidérurgique sur notre territoire. C’est néanmoins une très mauvaise nouvelle pour les 1000 travailleurs et leur famille, tout comme elle pèse sur le sort des travailleurs des entreprises sous-traitantes de la région.
Je me propose tout d’abord de revenir sur l’évolution qui a finalement amené la mise sous cocon de Carsid le 11 novembre 2008. Dès ce moment, Carsid s’est retrouvé dans une situation précaire et quasi inextricable. Il existe cependant encore des entreprises sidérurgiques susceptibles d’assurer un avenir au secteur de l’acier en Wallonie.
Création en 2001 puis déclin en 2008
Carsid sa est née d’un accord entre les groupes Duferco et Usinor en 2001. Duferco a repris, sous cette dénomination, la gestion de la phase à chaud de Marcinelle qu’Usinor puis Arcelor ont jugé excédentaire. Disposant d’un haut-fourneau (le HF4) destiné à alimenter en brames (les demi-produits sidérurgiques plats) Duferco Clabecq (dont le haut-fourneau a été éteint fin 2001) et Duferco La Louvière, et d’une aciérie électrique alimentant en brames le laminoir à chaud d’Arcelor, Carlam, à Châtelet, Carsid a fonctionné ainsi jusqu’en 2004, moment où Duferco en a pris le contrôle total.
Simultanément, Arcelor a investi dans la création d’une aciérie électrique à Châtelet, Carinox, destinée à alimenter Carlam en brames inox. Duferco a dès lors procédé au démantèlement de son aciérie électrique, d’ailleurs sujette à plusieurs problèmes de fonctionnement. En 2006, le groupe Duferco, ne disposant plus des moyens pour financer son programme d’investissements, a conclu une alliance (une « joint-venture ») à parité avec le groupe russe Novolipetsk Steel (NLMK) pour donner naissance au holding SIF (Steel Invest and Finance). Ce holding chapeautait notamment l’ensemble des filiales de Duferco en Belgique (Carsid, Clabecq, La Louvière produits plats et longs, les centres de service acier de Manage et Jemappes), ainsi que deux unités françaises (Beautor et Sorral-Strasbourg) assurant la production d’aciers plats revêtus en aval de Duferco La Louvière, essentiellement à destination de l’industrie automobile1. Le soutien financier de NLMK a notamment permis la réfection du HF4 en
2007 et, entretemps, fourni à NLMK l’opportunité d’approvisionner en brames les sites de la Louvière et Clabecq.
En janvier 2008, sif décide de fermer la cokerie de Marchienne qui alimentait le HF4. Une décision motivée notamment par des raisons environnementales, qui s’avéra un bien pour les riverains, mais une erreur industrielle préjudiciable à Carsid, le coke en provenance de NLMK étant de piètre qualité. Le retournement de la conjoncture sidérurgique en 2008 a réduit les activités de Clabecq et La Louvière et pesé sur la production de Carsid. Si bien que la direction de sif en est venue à mettre sous cocon le haut-fourneau et toute la phase à chaud le 11 novembre 2008. Leurs 1000 travailleurs ont été mis en chômage économique pour une durée indéterminée, la conjoncture sidérurgique ne s’améliorant pas entre 2009 et 2011. Au cours de la période 2007 – 2010, sif a accusé une perte globale de 542,5 millions d’euros2 pour un total d’investissements de 349 millions d’euros. Dès avant la mise sous cocon de Carsid, le partenaire russe émet des doutes quant à sa rentabilité future en estimant que le cout de ses brames dépasse de 80 euros la tonne le prix moyen sur le marché, ce qui explique dès lors la mise sous cocon du haut-fourneau. NLMK fournit dès ce moment des brames à bas prix à La Louvière et Clabecq, ce qui lui convenait fort bien étant donné le surplus de brames qu’il avait à écouler.
La reprise sélective de sif par NLMK
Exerçant son droit de rachat de sif dès la fin 2010, NLMK conclut, après des négociations difficiles, un accord avec Duferco, accord avalisé en avril 2011. NLMK se limite à la reprise des outils « intéressants » : Clabecq, les produits plats de La Louvière et leur aval en France, les centres de service de Manage et Jemappes, Farrell et Verona Steel. Il laisse à Duferco la gestion de Carsid et des produits longs de La Louvière (et de sa filiale de tréfilerie à Trebos), soit les outils potentiellement les moins rentables. Entretemps, Antonio Gozzi avait déjà entamé des démarches pour trouver un opérateur industriel désireux de reprendre Carsid. En avril 2011, il fait état de plusieurs repreneurs intéressés. Il s’agit notamment du relamineur italien Marcegaglia, gros producteur de bobines, d’un opérateur ukrainien et du relamineur thaïlandais Sahaviriya Steel. Ce dernier a racheté, en janvier 2011, la cokerie et le haut-fourneau de Tata Steel, situés à Teesside en Grande-Bretagne. Ce site, d’une capacité de 3,6 millions de tonnes sera remis en état de marche et modernisé par Sahaviriya Steel avant de commencer à produire effectivement fin mars 2012. La faiblesse de la conjoncture n’a sans doute pas incité le sidérurgiste thaïlandais à réitérer la même opération avec le HF4 (d’une capacité de 2,2 millions de tonnes). Finalement, aucun des trois candidats ne donne suite à la proposition d’Antonio Gozzi. Par après, il a encore été question d’un sidérurgiste chinois qui n’a pas non plus concrétisé ses marques d’intérêt. Si bien que, début 2012, Antonio Gozzi n’a toujours pas trouvé de repreneur. Or le temps presse, car il s’était donné comme délai ultime juin 2012.
La fermeture de Carsid
Le 28 mars 2012, en conseil d’entreprise extraordinaire, Antonio Gozzi annonce l’intention du groupe Duferco de fermer définitivement le HF4 et donc toute la phase à chaud de Carsid, tout en reconnaissant qu’il s’agit là pour lui d’une défaite. La décision de Duferco a été anticipée à la fois du fait de l’absence de repreneur et parce que le paiement du complément de chômage économique, financé jusqu’alors par la vente de quotas CO2 excédentaires, devenait impossible étant donné la forte baisse du prix de ces quotas3.
Même s’ils pressentaient cette annonce funeste, les 1.006 travailleurs et leurs délégués syndicaux accusent durement le coup, pour eux et leur famille, sans compter les effets indirects sur les fournisseurs et les sous-traitants de Carsid. Une conjoncture stagnant à un faible niveau en Europe de l’ouest, d’importantes surcapacités de production, les hausses continues des matières premières, la concurrence des sidérurgistes des pays émergents et l’absence de cokerie, autant d’éléments défavorables à la reprise de Carsid malgré les efforts déployés par A. Gozzi. Carsid se retrouve dès lors sans amont (la cokerie) et sans aval (les laminoirs de Clabecq et La Louvière alimentés par NLMK).
Toutefois, dès avril 2011, Duferco avait prévu un double scénario. D’une part, dans l’optique d’une reprise du HF4, il paraissait indispensable de réfectionner en partie l’ancienne cokerie via un cofinancement par les pouvoirs publics wallons (la Sogepa et sa filiale FSIH — Foreign Strategic Investment Holding — qui était déjà intervenue par des prêts à et des coinvestissements avec Duferco). Dont cout 180 millions d’euros et un délai de dix-huit mois pour la remise en activité partielle de cette cokerie dans le respect des normes environnementales. Une opération cependant dénuée de sens en l’absence d’un repreneur pour le haut-fourneau. D’autre part, en cas de non-reprise éventuelle, Duferco s’engagerait via sa filiale Duferco Diversification à assainir les sites pollués et à y créer — en l’espace de deux à trois ans — des activités liées notamment à la sidérurgie, à l’énergie ou à la logistique, mais sans plus de précisions, en tablant sur la réaffectation des moyens financiers prévus pour la réfection de la cokerie. Il faudra vérifier si ce dernier scénario, élaboré il y a un an, est toujours d’actualité.
Et maintenant ?
La première phase d’information et de consultation de la procédure Renault est enclenchée, le temps pour les organisations syndicales d’obtenir des informations quant aux discussions inabouties avec les repreneurs potentiels, mais aussi de proposer d’éventuelles alternatives à la fermeture de Carsid. Des synergies pourraient notamment être envisagées avec Aperam pour saturer le laminoir de Carlam, sous-exploité à l’heure actuelle et, à partir de là, alimenter du moins en partie la phase à froid d’ArcelorMittal (AM) à Liège. Cette hypothèse requiert toutefois l’accord de la direction d’Aperam, mais aussi d’AM, ce qui est loin d’être gagné. Il en va de même pour d’éventuelles synergies avec AM Industeel. Il reste cependant que, dans le cadre d’un éventuel redémarrage du HF4 l’absence de cokerie continuera à constituer un handicap. On a également évoqué l’implantation d’une nouvelle aciérie électrique, mais avec quel financement et quels débouchés à l’heure actuelle ? Sans doute d’autres propositions vont-elles encore émerger : reste à voir dans quelle mesure elles seraient concrétisables.
Par ailleurs, les syndicats ont multiplié les démarches tant auprès du gouvernement wallon que de la ville de Charleroi ou de son Comité de développement stratégique (regroupant les « forces vives » de Charleroi). La Région wallonne promet d’envisager les solutions encore possibles. Le 29 mars, le ministre Jean-Claude Marcourt dit avoir reçu des marques d’intérêt de la part d’un groupe asiatique, mais là aussi on n’en est qu’au début des informations à fournir à cet éventuel candidat.
En parallèle, les organisations syndicales visent aussi à négocier un plan social pour les travailleurs de Carsid. 436 travailleurs ont plus de cinquante-deux ans et seraient donc prépensionnables ; quelque 300 travailleurs devraient obtenir des primes de départ et 250 travailleurs plus jeunes devraient pouvoir être reclassés, du moins temporairement, dans des activités d’assainissement du site avant une éventuelle reconversion4. Duferco a annoncé avoir prévu 65 millions d’euros pour ce plan social. Celui-ci ne devrait toutefois pas être négocié avant la fin de la première phase de la procédure Renault.
Un avenir pour la sidérurgie en Wallonie ?
J’ai déjà évoqué, à propos de la fermeture de la phase à chaud d’AM-Liège, un avenir possible pour des activités sidérurgiques en Wallonie5. La fermeture de Carsid ne change pas la donne à cet égard. J’ai évoqué les sidérurgies de « niches » à propos d’AM Industeel et de NLMK Clabecq qui produisent des tôles de moyennes et grandes dimensions en acier carbone, inox, alliages chrome-nickel, à haute résistance, très flexibles, à haute valeur ajoutée, fabriquées sur mesure pour des clientèles spécifiques (par exemple des cuves pour le transport et le stockage de gaz, des tankers, des cuves pour pâte à papier, des pipelines, des coques de navires, etc.). On peut également tabler, du moins à moyen terme, sur les produits plats de la phase à froid d’AM-Liège6 et sans doute sur la filière de NLMK La Louvière, sans oublier Thy-Marcinelle qui continue à produire du fil machine et des ronds à béton d’excellente qualité. Enfin, l’activité de recherche et développement doit être accentuée afin d’engendrer la production d’aciers dotés de qualités qui les distinguent des produits de concurrents œuvrant dans les pays émergents. Reste néanmoins l’hypothèque constante liée au fait que les décisions concernant les sites mentionnés dépendent exclusivement de groupes étrangers dont le but premier est d’améliorer leur rentabilité globale7.
25 avril 2012
- Par la constitution de SIF, Duferco cédait à NLMK non seulement 50 % de ses filiales belges et françaises, mais également de ses filiales américaine (Farrell) et italienne (Verona Steel), ce qui lui a rapporté 620 millions d’euros. La convention conclue entre Duferco et NLMK octroyait au groupe russe la possibilité de racheter la totalité du capital de sif dès la fin 2010.
- Soit, globalement, des bénéfices de 93 millions et de 127 millions d’euros en 2007 et 2008 et des pertes de 712,5 millions et de 50 millions d’euros en 2009 et 2010.
- L’objectif de l’octroi de quotas CO2 par la Région wallonne était de les lier à l’activité sidérurgique. Duferco a utilisé, depuis fin 2008, la vente de ses quotas pour financer le complément de chômage économique, mais aussi pour couvrir ses couts fixes, entretenir l’outil et honorer des contrats de longue durée (notamment pour fournir des gaz industriels à Air Liquide), soit au total, selon la direction, une dépense de 150 millions d’euros couverte à hauteur de 134 millions d’euros par la vente de ses quotas. S’il y a eu détournement de l’objectif initial, ce ne fut sans doute pas dans un but spéculatif. Voir Le Soir, 30 mars 2012.
- Des embauches seraient par ailleurs possibles sur le site de Charleroi Airport et dans des secteurs dépendant d’Agoria.
- M. Capron, « Liège. Une mort annoncée pour la sidérurgie à chaud ? », La Revue nouvelle, décembre 2011, p. 6 – 10.
- Il serait à cet égard question qu’AM investisse à Liège dans une première production industrielle de bobines revêtues sous vide, un procédé mis au point par la société Arceo (détenue à 51 % par AM et à 49 % par la Sogepa).
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