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Brésil de Bolsonaro : fin de partie ?
Ancien capitaine de l’armée brésilienne jusqu’en 1988, Bolsonaro se lança en politique après qu’il en a été expulsé pour avoir mené une campagne publique de dénonciation des bas salaires des militaires brésiliens. D’abord élu pour la première fois en 1990 sous la bannière du Parti démocrate chrétien, parti politique sans grande envergure, il fut longtemps considéré […]
Ancien capitaine de l’armée brésilienne jusqu’en 1988, Bolsonaro se lança en politique après qu’il en a été expulsé pour avoir mené une campagne publique de dénonciation des bas salaires des militaires brésiliens. D’abord élu pour la première fois en 1990 sous la bannière du Parti démocrate chrétien, parti politique sans grande envergure, il fut longtemps considéré comme un personnage marginal de la scène politique brésilienne. Trois décennies plus tard, dans un contexte de crise politique interne au Brésil, promue par la persécution de Lula et du Parti des travailleurs, le vent d’extrême droite aura toutefois permis de porter au pouvoir Bolsonaro à titre de trente-huitième président de la Nouvelle république du Brésil.
Quatre ans se sont donc écoulés depuis le 28 octobre 2018, journée de l’élection du contesté président. Quatre ans de discours où s’entrecroisent propos racistes, misogynes et homophobes ; quatre ans de politiques publiques reléguant aux oubliettes les politiques sociales de lutte contre les inégalités socioéconomiques et les changements climatiques ; quatre ans de négationnisme y compris de la pandémie ; quatre ans de définancement des sphères de l’art, de la culture ainsi que des services publics tels que ceux de la santé et de l’éducation.
Au terme de ce premier mandat, se tiendra le 2 octobre 20221 le premier tour des élections brésiliennes. Comme les élections précédentes, cette année électorale coïncide avec la Coupe du monde de football, ce qui contribue au chevauchement des deux évènements dans l’imaginaire de la société brésilienne. Cette relation entre politique et football au Brésil s’avère particulièrement forte depuis que la droite bolsonariste a mobilisé le maillot de l’équipe nationale pour en faire un symbole partisan en sa faveur. Comme si cela était nécessaire, cette récupération politique du football aura accentué la polarisation des tensions à un point tel que nombreux ont été les militants de gauche à refuser le port du maillot en guise de support à leur équipe nationale.
La société brésilienne sera dans cette élection d’autant plus fracturée que celle-ci marque le retour de Luiz Inácio Lula da Silva, l’ex-président de centre gauche, à titre de principal adversaire de Bolsonaro. Lula qui portera à nouveau le programme du Parti des travailleurs fut condamné à dix ans et huit mois de prison pour corruption lors de son passage à la présidence du pays entre 2003 à 2011. Rappelons ici que le juge Sergio Moro, qui ordonna la condamnation de l’ancien président, se retrouvera par la suite ministre de la Justice du gouvernement Bolsonaro. Le 8 mars 2021, ce jugement fut toutefois annulé à son tour par le juge Edson Fachin, pour cause de partialité et d’incompétence du tribunal qui était sous la responsabilité du juge Moro. Après cinq-cent-quatre-vingt jours d’incarcération, Lula, libéré et ayant récupéré ses droits civils, eut tôt fait de réinvestir l’arène politique.
C’est dans ce contexte d’ébullition politique que La Revue nouvelle vous propose un numéro dressant le bilan controversé du régime bolsonariste. Pour ce faire, nous avons sollicité cinq chercheur·euses en sciences sociales originaires du Brésil, spécialisé·es dans l’étude de l’un des champs sociaux s’étant retrouvé fortement affecté par le programme politique de Bolsonaro.
Dans son article, Maria Caramez Carlotto (Universidade Federal du ABC, São Paulo) aborde le caractère négationniste de Bolsonaro et son rapport au savoir. Après une présentation des fondements des institutions qui composent le champ de l’enseignement supérieur, de la science et de la technologie, l’auteure nous propose une analyse critique du discours de Bolsonaro et des politiques publiques par lesquelles la vision négationniste du présent gouvernement procède au démantèlement des institutions.
Nous retrouvons ensuite la contribution de Gustavo Gomes da Costa (Universidade Federal de Pernambuco/ULB) qui enchaine avec une analyse de l’impact des politiques du gouvernement Bolsonaro sur la population LGBTQI+. Par l’étude du traitement des questions de genre et de diversité sexuelle du programme politique de Bolsonaro, l’auteur propose une étude précise des actions menées par le ministère de la Femme, de la Famille et des Droits de l’homme durant les quatre dernières années.
De son côté, Moisés Kopper (Federal University of Rio Grande do Sul/ULB) dresse un portrait de l’évolution des politiques brésiliennes du logement depuis les trente-cinq dernières années. Dans le passage des gouvernements qui se sont succédé depuis la dictature militaire de 1964 – 1985 à aujourd’hui, Kopper met en lumière les progrès sociaux effectués en matière de politique du logement. Sous le programme des politiques bolsonaristes, elle accuse toutefois un nouveau recul, exacerbant les disparités sociales, économiques et raciales.
Dans son texte, Gabriela Lopes de Azevedo (Universidade do São Paulo) analyse le rapport entre l’État brésilien et le champ de l’art et de la culture. Après un bref rappel de l’importance du rôle joué par les artistes et les intellectuels dans la construction de l’État du Brésil moderne, Lopes de Azevedo analyse la restructuration bolsonariste du ministère de la Culture et de ses institutions. Au terme de son article, l’auteure met en évidence la rupture opérée par le gouvernement de Bolsonaro avec la classe artistique brésilienne, et plus spécifiquement avec ceux de descendance africaine et des milieux populaires.
Finalement, on retrouvera la contribution de Margaux de Barros (Universidade do Estado do Rio de Janeiro et ULB) dans laquelle elle aborde le rôle des groupes évangélistes (le Frente de Evangélicos Pelo Estado de Direito e Esperançar) qui militent contre les politiques de Bolsonaro. Sur la base d’une analyse des trajectoires sociales et d’entretiens menés avec quelques membres de ces groupes localisés dans les villes de Rio de Janeiro et São Paulo, l’auteure dresse de façon originale un portrait politique des constituantes religieuses d’un mouvement de résistance antibolsonariste.
François Fecteau (Universidade Federal do ABC/ULB/UCL) vous propose une entrevue avec le photographe Salomão dos Santos (@salomehmet), auteur de la photo de couverture de la présente édition. À travers son projet Condenados da terra2, Salomão dédie son travail artistique à la critique des inégalités raciales dans les favélas de Sao Paulo et de Rio de Janeiro, zones urbaines particulièrement appauvries du Brésil. Issu lui-même de la favéla de Cidade de Deus, Salomão nous partage des épisodes de sa trajectoire de vie, entre ses projets artistiques et son expérience du gouvernement Bolsonaro.
L’édition de La Revue nouvelle devant respecter un certain format, le volume de cette publication ne permettait évidemment pas de couvrir l’ensemble des champs de la société brésilienne ayant subi les politiques destructrices du gouvernement Bolsonaro. Nous avons donc dû procéder à certains choix, mettant par la même occasion de côté le traitement d’autres problématiques sociales, économiques et environnementales. Parmi celles-ci, rappelons celles de la déforestation de l’Amazonie, de la misogynie et du féminisme, de la détérioration du système de santé ainsi que des autres services publics du pays. Nous espérons toutefois que les analyses des autrices et auteurs par leur richesse ont pu, chacune à leur manière, contribuer à la mise en lumière des enjeux au cœur du match qui se tiendra au moment de la publication du présent numéro thématique.
- Ce premier tour aura donc déjà eu lieu au moment de publication de cette édition de La Revue nouvelle.
- Traduction libre : « Damnés de la terre ».