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Brésil de Bolsonaro : fin de partie ?

Numéro 7 – 2022 - bilan Brésil élections par Maria Caramez Carlotto François Fecteau

octobre 2022

Ancien capi­taine de l’armée bré­si­lienne jusqu’en 1988, Bol­so­na­ro se lan­ça en poli­tique après qu’il en a été expul­sé pour avoir mené une cam­pagne publique de dénon­cia­tion des bas salaires des mili­taires bré­si­liens. D’abord élu pour la pre­mière fois en 1990 sous la ban­nière du Par­ti démo­crate chré­tien, par­ti poli­tique sans grande enver­gure, il fut long­temps considéré […]

Dossier

Ancien capi­taine de l’armée bré­si­lienne jusqu’en 1988, Bol­so­na­ro se lan­ça en poli­tique après qu’il en a été expul­sé pour avoir mené une cam­pagne publique de dénon­cia­tion des bas salaires des mili­taires bré­si­liens. D’abord élu pour la pre­mière fois en 1990 sous la ban­nière du Par­ti démo­crate chré­tien, par­ti poli­tique sans grande enver­gure, il fut long­temps consi­dé­ré comme un per­son­nage mar­gi­nal de la scène poli­tique bré­si­lienne. Trois décen­nies plus tard, dans un contexte de crise poli­tique interne au Bré­sil, pro­mue par la per­sé­cu­tion de Lula et du Par­ti des tra­vailleurs, le vent d’extrême droite aura tou­te­fois per­mis de por­ter au pou­voir Bol­so­na­ro à titre de trente-hui­tième pré­sident de la Nou­velle répu­blique du Brésil. 

Quatre ans se sont donc écou­lés depuis le 28 octobre 2018, jour­née de l’élection du contes­té pré­sident. Quatre ans de dis­cours où s’entrecroisent pro­pos racistes, miso­gynes et homo­phobes ; quatre ans de poli­tiques publiques relé­guant aux oubliettes les poli­tiques sociales de lutte contre les inéga­li­tés socioé­co­no­miques et les chan­ge­ments cli­ma­tiques ; quatre ans de néga­tion­nisme y com­pris de la pan­dé­mie ; quatre ans de défi­nan­ce­ment des sphères de l’art, de la culture ain­si que des ser­vices publics tels que ceux de la san­té et de l’éducation.

Au terme de ce pre­mier man­dat, se tien­dra le 2 octobre 20221 le pre­mier tour des élec­tions bré­si­liennes. Comme les élec­tions pré­cé­dentes, cette année élec­to­rale coïn­cide avec la Coupe du monde de foot­ball, ce qui contri­bue au che­vau­che­ment des deux évè­ne­ments dans l’imaginaire de la socié­té bré­si­lienne. Cette rela­tion entre poli­tique et foot­ball au Bré­sil s’avère par­ti­cu­liè­re­ment forte depuis que la droite bol­so­na­riste a mobi­li­sé le maillot de l’équipe natio­nale pour en faire un sym­bole par­ti­san en sa faveur. Comme si cela était néces­saire, cette récu­pé­ra­tion poli­tique du foot­ball aura accen­tué la pola­ri­sa­tion des ten­sions à un point tel que nom­breux ont été les mili­tants de gauche à refu­ser le port du maillot en guise de sup­port à leur équipe nationale. 

La socié­té bré­si­lienne sera dans cette élec­tion d’autant plus frac­tu­rée que celle-ci marque le retour de Luiz Iná­cio Lula da Sil­va, l’ex-président de centre gauche, à titre de prin­ci­pal adver­saire de Bol­so­na­ro. Lula qui por­te­ra à nou­veau le pro­gramme du Par­ti des tra­vailleurs fut condam­né à dix ans et huit mois de pri­son pour cor­rup­tion lors de son pas­sage à la pré­si­dence du pays entre 2003 à 2011. Rap­pe­lons ici que le juge Ser­gio Moro, qui ordon­na la condam­na­tion de l’ancien pré­sident, se retrou­ve­ra par la suite ministre de la Jus­tice du gou­ver­ne­ment Bol­so­na­ro. Le 8 mars 2021, ce juge­ment fut tou­te­fois annu­lé à son tour par le juge Edson Fachin, pour cause de par­tia­li­té et d’incompétence du tri­bu­nal qui était sous la res­pon­sa­bi­li­té du juge Moro. Après cinq-cent-quatre-vingt jours d’incarcération, Lula, libé­ré et ayant récu­pé­ré ses droits civils, eut tôt fait de réin­ves­tir l’arène politique. 

C’est dans ce contexte d’ébullition poli­tique que La Revue nou­velle vous pro­pose un numé­ro dres­sant le bilan contro­ver­sé du régime bol­so­na­riste. Pour ce faire, nous avons sol­li­ci­té cinq chercheur·euses en sciences sociales ori­gi­naires du Bré­sil, spécialisé·es dans l’étude de l’un des champs sociaux s’étant retrou­vé for­te­ment affec­té par le pro­gramme poli­tique de Bolsonaro. 

Dans son article, Maria Cara­mez Car­lot­to (Uni­ver­si­dade Fede­ral du ABC, São Pau­lo) aborde le carac­tère néga­tion­niste de Bol­so­na­ro et son rap­port au savoir. Après une pré­sen­ta­tion des fon­de­ments des ins­ti­tu­tions qui com­posent le champ de l’enseignement supé­rieur, de la science et de la tech­no­lo­gie, l’auteure nous pro­pose une ana­lyse cri­tique du dis­cours de Bol­so­na­ro et des poli­tiques publiques par les­quelles la vision néga­tion­niste du pré­sent gou­ver­ne­ment pro­cède au déman­tè­le­ment des institutions. 

Nous retrou­vons ensuite la contri­bu­tion de Gus­ta­vo Gomes da Cos­ta (Uni­ver­si­dade Fede­ral de Pernambuco/ULB) qui enchaine avec une ana­lyse de l’impact des poli­tiques du gou­ver­ne­ment Bolso­naro sur la popu­la­tion LGBTQI+. Par l’étude du trai­te­ment des ques­tions de genre et de diver­si­té sexuelle du pro­gramme poli­tique de Bol­so­na­ro, l’auteur pro­pose une étude pré­cise des actions menées par le minis­tère de la Femme, de la Famille et des Droits de l’homme durant les quatre der­nières années. 

De son côté, Moi­sés Kop­per (Fede­ral Uni­ver­si­ty of Rio Grande do Sul/ULB) dresse un por­trait de l’évolution des poli­tiques bré­si­liennes du loge­ment depuis les trente-cinq der­nières années. Dans le pas­sage des gou­ver­ne­ments qui se sont suc­cé­dé depuis la dic­ta­ture mili­taire de 1964 – 1985 à aujourd’hui, Kop­per met en lumière les pro­grès sociaux effec­tués en matière de poli­tique du loge­ment. Sous le pro­gramme des poli­tiques bol­so­na­ristes, elle accuse tou­te­fois un nou­veau recul, exa­cer­bant les dis­pa­ri­tés sociales, éco­no­miques et raciales. 

Dans son texte, Gabrie­la Lopes de Aze­ve­do (Uni­ver­si­dade do São Pau­lo) ana­lyse le rap­port entre l’État bré­si­lien et le champ de l’art et de la culture. Après un bref rap­pel de l’importance du rôle joué par les artistes et les intel­lec­tuels dans la construc­tion de l’État du Bré­sil moderne, Lopes de Aze­ve­do ana­lyse la restruc­tu­ra­tion bol­so­na­riste du minis­tère de la Culture et de ses ins­ti­tu­tions. Au terme de son article, l’auteure met en évi­dence la rup­ture opé­rée par le gou­ver­ne­ment de Bol­so­na­ro avec la classe artis­tique bré­si­lienne, et plus spé­ci­fi­que­ment avec ceux de des­cen­dance afri­caine et des milieux populaires. 

Fina­le­ment, on retrou­ve­ra la contri­bu­tion de Mar­gaux de Bar­ros (Uni­ver­si­dade do Esta­do do Rio de Janei­ro et ULB) dans laquelle elle aborde le rôle des groupes évan­gé­listes (le Frente de Evan­gé­li­cos Pelo Esta­do de Direi­to e Espe­ran­çar) qui militent contre les poli­tiques de Bol­so­na­ro. Sur la base d’une ana­lyse des tra­jec­toires sociales et d’entretiens menés avec quelques membres de ces groupes loca­li­sés dans les villes de Rio de Janei­ro et São Pau­lo, l’auteure dresse de façon ori­gi­nale un por­trait poli­tique des consti­tuantes reli­gieuses d’un mou­ve­ment de résis­tance antibolsonariste. 

Fran­çois Fec­teau (Uni­ver­si­dade Fede­ral do ABC/ULB/UCL) vous pro­pose une entre­vue avec le pho­to­graphe Salomão dos San­tos (@salomehmet), auteur de la pho­to de cou­ver­ture de la pré­sente édi­tion. À tra­vers son pro­jet Conde­na­dos da ter­ra2, Salomão dédie son tra­vail artis­tique à la cri­tique des inéga­li­tés raciales dans les favé­las de Sao Pau­lo et de Rio de Janei­ro, zones urbaines par­ti­cu­liè­re­ment appau­vries du Bré­sil. Issu lui-même de la favé­la de Cidade de Deus, Salomão nous par­tage des épi­sodes de sa tra­jec­toire de vie, entre ses pro­jets artis­tiques et son expé­rience du gou­ver­ne­ment Bolsonaro. 

L’édition de La Revue nou­velle devant res­pec­ter un cer­tain for­mat, le volume de cette publi­ca­tion ne per­met­tait évi­dem­ment pas de cou­vrir l’ensemble des champs de la socié­té bré­si­lienne ayant subi les poli­tiques des­truc­trices du gou­ver­ne­ment Bol­so­na­ro. Nous avons donc dû pro­cé­der à cer­tains choix, met­tant par la même occa­sion de côté le trai­te­ment d’autres pro­blé­ma­tiques sociales, éco­no­miques et envi­ron­ne­men­tales. Par­mi celles-ci, rap­pe­lons celles de la défo­res­ta­tion de l’Amazonie, de la miso­gy­nie et du fémi­nisme, de la dété­rio­ra­tion du sys­tème de san­té ain­si que des autres ser­vices publics du pays. Nous espé­rons tou­te­fois que les ana­lyses des autrices et auteurs par leur richesse ont pu, cha­cune à leur manière, contri­buer à la mise en lumière des enjeux au cœur du match qui se tien­dra au moment de la publi­ca­tion du pré­sent numé­ro thématique.

  1. Ce pre­mier tour aura donc déjà eu lieu au moment de publi­ca­tion de cette édi­tion de La Revue nou­velle.
  2. Tra­duc­tion libre : « Dam­nés de la terre ».

Maria Caramez Carlotto


Auteur

Maria Caramez Carlotto est docteure en sociologie de l’université de São Paulo, avec un stage doctoral de recherche à l’université de Paris IV-Sorbonne, professeure à l’université fédérale d’ABC, São Bernardo do Campo, São Paulo, Brésil, maria.carlotto@ufabc.edu.br

François Fecteau


Auteur

Québécois d'origine, François Fecteau a emménagé à Bruxelles pour y faire un Doctorat en sciences politiques et sociales à l'Université libre de Bruxelles. Ses travaux de recherches portent principalement sur l'institution néolibérale de l'imaginaire dans le champ de l'enseignement supérieur. Au fil de ses recherches, F. Fecteau a mobilisé les méthodes d'analyse critique du discours permettant de rendre compte des transformations longues des représentations du rôle des institutions d'enseignement supérieur dans la société. Depuis mars 2020, il est chercheur postdoctorant à l'UCLouvain (IACS) grâce à la bourse du Fonds de recherche Québec/Société et Culture. Ce projet de recherche vise à éclaircir le rôle des agences européennes d'assurance-qualité dans la régulation du champ de l'enseignement supérieur et leur contribution au rapprochement entre les institutions et les acteurs socioéconomiques.