Service minimum belge pour les célébrations du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Congo. Après quelques tergiversations et arrière-pensées, le roi s’est rendu à Kinshasa accompagné de son seul Premier ministre. Les justifications, implicites ou explicites, ne manquent pas : l’ex-métropole n’a plus de gouvernement, le meurtre d’un des plus anciens défenseurs des droits humains, Floribert Chebeya, a créé un malaise certain à Bruxelles, la gouvernance congolaise laisse à désirer...
Service minimum belge pour les célébrations du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Congo. Après quelques tergiversations et arrière-pensées, le roi s’est rendu à Kinshasa accompagné de son seul Premier ministre. Les justifications, implicites ou explicites, ne manquent pas : l’ex-métropole n’a plus de gouvernement, le meurtre d’un des plus anciens défenseurs des droits humains, Floribert Chebeya, a créé un malaise certain à Bruxelles, la gouvernance congolaise laisse à désirer… En deçà de ces explications, il y a aussi deux manières différentes d’approcher le Congo en Belgique : du côté flamand (SP.A et VLD), il y a longtemps que l’on se montre critique à l’égard des évolutions politiques dans une ex-colonie qui aurait été surtout une « affaire » de francophones. Donc pas de discours royal et des visites limitées à une des seules entreprises belges qui a survécu au « désastre », aux écoles belges (l’une flamande, l’autre francophone bien entendu) qui accueillent les enfants de l’élite, à un centre hospitalier qui porte le nom du roi Baudouin dont on inaugurera le buste. Le service du protocole aurait pu mieux faire !
Du côté du Premier ministre belge, on s’est contenté aussi du service minimum. Yves Leterme a dû être poussé dans le dos pour signer le registre de condoléances à la famille du plus ancien défenseur des droits de l’homme, Floribert Chebeya, qui venait d’être assassiné quinze jours plus tôt, une affaire qui avait suscité un grand émoi au Congo et dans la « communauté internationale ». Pour le reste, l’on eut droit de sa part aux ternes banalités usuelles sur de nécessaires « relations de bonne qualité » en matière économique et sur un « nouveau départ dans les rapports entre la Belgique et le Congo ».
Paradoxalement, la presse, francophone surtout, a été omniprésente : un Soir, spécial Congo, un 24 heures Congo sur la RTBF, une cohorte impressionnante de journalistes et de techniciens des médias audiovisuels qui a débarqué à Kinshasa, des documentaires, souvent de qualité, sur le Congo et sur ses relations avec la Belgique. Du jamais vu !
Et pourtant, et c’est un autre paradoxe, le Congo n’a jamais été qu’un Congo de Belges. L’historien Jean Stengers l’explicitait avec une image qui n’était pas caricaturale : la nomenclature coloniale n’était visible qu’autour du périmètre limité au parc Royal et à ses alentours immédiats. Certes, beaucoup de Belges ont pu avoir un ou plusieurs membres de leur famille œuvrant dans la colonie, mais ils étaient souvent l’objet de sentiments mitigés : on les percevait en Belgique comme menant la belle vie et gagnant beaucoup d’argent, alors que les Belges de la métropole souffraient des affres de la guerre.
Rentrés en catastrophe, colons et administrateurs ont cédé le relais à une Belgique officielle qui n’avait jamais intégré qu’elle avait un empire outre-mer à décoloniser. La débâcle de la décolonisation ne fut pas tant une impréparation des Congolais, qu’une impréparation belge : quatre ans avant l’octroi de l’indépendance et au moment où la décolonisation était à l’ordre du jour des autres puissances impériales, on s’offusquait en Belgique du plan d’une indépendance qui serait octroyée dans trente ans ! Il était pourtant admis depuis toujours que le Congo n’était pas une terre de colonisation, mais un territoire d’occupation provisoire.
On connait la suite : le Premier ministre désigné, le très nationaliste Lumumba, devient le communiste à abattre, tandis que la Belgique officielle et son roi apportent leur plein soutien, y compris militaire, à la sécession katangaise et à son initiateur, Moïse Tshombe, avant de pousser à une reconstruction, à partir de ce très « belge » Katanga, d’un Congo à leurs yeux détruit par les « nationalistes congolais ». Au prétexte qu’il est la seule carte acceptable à jouer, c’est toujours Moïse Tshombe, surnommé « Monsieur Tiroir Caisse », qui sera soutenu, non seulement lorsque les grandes rébellions de 1963-1965 déferlent sur le Congo, mais aussi lorsqu’un certain colonel Mobutu prend le pouvoir en fin 1965.
Les nationalisations décrétées par ce dernier vont laisser un gout amer à la Belgique, en particulier chez les grands holdings belges qui vont progressivement décrocher du Congo et ne participeront (heureusement) pas aux grands safaris industriels lancés par d’autres (Américains, Suédois, Italiens et Français). Mobutu, devenu le « Grand Timonier » du Zaïre, pourra alors se gausser de ces « boutiquiers belges » qui désinvestissent massivement leur ancienne colonie et ne se sentent plus interpelés que par l’ardoise des dettes que ce Zaïre ne rembourse pas.
Nonobstant de surprenantes envolées lyriques — « J’aime ce pays, son peuple et ses dirigeants », dira l’ancien Premier ministre Wilfried Martens à la fin des années septante —, la Belgique officielle sera absente durant la période de longue agonie qui débute au Zaïre à partir du début des années quatre-vingt. Les « intérêts belges » ne survivent plus qu’au travers de la présence de quelques rares sociétés, comme la Chanic à laquelle le roi Albert a rendu visite, ou celle, plus congolaise que belge, du très controversé « roi du
Katanga », Georges Forrest, qu’il n’ira pas visiter.
La seule diplomatie agissante sera en définitive américaine : il s’agira pour elle d’éviter que l’aventure du Zaïre de Mobutu se termine en bain de sang. La Belgique ne jouera plus à son service que le rôle d’expert de la chose congolaise. Depuis la fin des années quatre-vingt, le ministère des Affaires étrangères est d’ailleurs aux mains de néerlandophones et les politiques néerlandophones, on l’a dit, ne se sentent pas très concernés par le Congo.
En fin de compte, le service minimum au 30 juin 2010 n’était sans doute pas anormal au regard de l’histoire ambigüe des relations officielles entre le Congo et la Belgique. Reste une société civile, des Congolaises et des Congolais avec lesquels des Belges ont pu maintenir et renforcer des contacts au fil des décennies. La forte présence médiatique n’avait, dans ce contexte, rien d’anormal au contraire : elle a pu nous rappeler que le Congo, cet objet politique pas clairement identifié, renvoie, non pas à des imageries léopoldiennes ou autres, mais à de nombreux acteurs qui ambitionnent autre chose que leur débrouillardise célébrée et leur lutte âpre pour la simple survie.