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Art, handicap mental et reconnaissance sociale
L’expression artistique est incontestablement un important levier d’inclusion sociale. Des ateliers artistiques pour personnes handicapées mentales visent ainsi l’épanouissement citoyen de leurs participants. Cependant, étant donné leurs spécificités, on est en droit de se demander dans quelle mesure les productions artistiques de la personne handicapée mentale contribuent à sa juste reconnaissance, et dès lors à son inclusion sociale.
L’expression artistique contribue à l’épanouissement humain : sauf à s’en remettre à quelques idéologies extrêmes, le fait est universellement reconnu. La possibilité de laisser cours à son imagination et sa sensibilité artistiques, et de les exprimer prend ainsi place parmi les facteurs essentiels du bien-être humain dans l’une des théories de la justice sociale et du développement humain les plus influentes aujourd’hui1.
Une chose est d’avoir la conviction de l’importance de l’expression artistique comme facteur d’épanouissement des personnes, une autre est de penser les conditions sous lesquelles ce facteur peut effectivement favoriser le bien-être des personnes, et plus spécifiquement leur inclusion sociale (l’inclusion sociale étant une dimension essentielle de la qualité de vie des personnes)2.
La situation des personnes handicapées mentales, auxquelles nous limitons notre propos, est particulière en ce que leurs capacités cognitives et leurs manières d’être les empêchent bien souvent de répondre aux normes ordinaires de l’expression artistique. D’une part, les conditions propices au développement de leur production et expression artistiques ne sont pas les mêmes que celles existant pour les personnes valides : l’environnement de la production artistique doit être aménagé. D’autre part, bien que l’art plastique de la personne handicapée puisse être assimilé à l’art contemporain, leur production artistique répond parfois avec difficulté à l’attente du public : une peinture, une sculpture ou une performance scénique ne sont pas d’emblée en phase avec les normes d’appréciation esthétique communes.
La question centrale que nous posons est de savoir dans quelle mesure le cadre institutionnel, le statut d’artiste, l’environnement de l’expression artistique ainsi que la réception du public contribuent à l’inclusion sociale des personnes handicapées mentales. Nous réfléchissons à cette question en nous concentrant sur le travail de centres artistiques pour personnes handicapées mentales, tels les Créahm3, mais aussi sur des actions pilotes engagées dans des champs de recherche.
Inclusion sociale, estime de soi, reconnaissance
Il est utile de distinguer d’emblée deux dimensions constitutives de l’inclusion sociale, appelant des questionnements différents. Le bien-être vécu, exprimé par une personne et observé de l’extérieur au travers de son aisance comportementale et de sa mise en scène sociale, est source d’estime de soi. Celle-ci renforce la volonté de participation sociale et génère un sentiment d’inclusion sociale. Mais l’inclusion sociale requiert plus que cette dimension « subjective » de la participation sociale. Car parallèlement au bien-être qu’elle manifeste, une personne peut être (ou non) reconnue par les autres : à la fois comme différente et singulière, et comme alter égo, digne d’un respect et d’un statut social équivalents. On parle ici de reconnaissance sociale, qu’il faut distinguer de la tolérance, de la condescendance ou du paternalisme. Si ces deux aspects sont généralement interdépendants — l’estime de soi facilite la reconnaissance sociale ; la reconnaissance sociale génère l’estime de soi — ce n’est pas toujours le cas. Ainsi une personne peut ressentir un grand bien-être social tout en étant l’objet d’attitudes de condescendance, voire de mépris : elle ne jouit pas de la reconnaissance nécessaire à l’inclusion sociale.
Cette distinction est utile pour notre propos. Il ne fait pas de doute que l’expression artistique des personnes handicapées mentales est un vecteur important de leur épanouissement personnel et de leur estime de soi — les centres artistiques tels que les Créahm en font l’expérience au quotidien. En revanche, on peut se demander, par exemple, dans quelle mesure l’attitude du public face à la production artistique de ces personnes, aussi enthousiaste soit-elle, n’est pas le fait d’une forme de bienveillance condescendante plus que d’une véritable appréciation esthétique. Quand bien même l’estime de soi de l’artiste se trouverait grandie par sa performance ou sa production, il n’aurait alors pas encore acquis la reconnaissance sociale véritable.
Dès lors que l’on veut comprendre le rôle inclusif que l’art peut tenir dans la vie des personnes handicapées, il est important de pouvoir distinguer l’effet que l’expression artistique peut avoir sur l’estime de soi de celle qu’elle peut avoir sur la reconnaissance sociale. Nous portons ici notre attention plus précisément sur les ressorts et les conditions de la reconnaissance sociale de la personne handicapée mentale que permettrait l’expression artistique. Nous distinguerons trois lieux de reconnaissance : au sein des centres artistiques, tout d’abord ; dans la rencontre avec le public, ensuite ; et enfin, d’un point de vue institutionnel et légal.
Art brut et environnement capacitant
Le travail artistique de la personne handicapée mentale est qualifié de différentes manières (« art brut », « art différencié », « art outsider ») qui tentent de cerner des créations artistiques sans rapport repérable avec l’histoire de l’art et les techniques des différentes disciplines. Parlant de l’art brut, Jean Dubuffet évoque « l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention ». Il ne s’agit donc pas de définir l’art pour quelque chose (l’art pour l’art, pour représenter une réalité ou pour exprimer un concept ou une attitude), mais de définir l’art par ceux qui le font, par leur histoire et leur imaginaire singuliers.
En ce sens, l’art brut occupe progressivement une position reconnue dans l’art contemporain, parce que l’un et l’autre ne se situent plus par rapport à l’histoire de l’art, à une esthétique, à des commanditaires identifiés ou à des savoir-faire techniques. L’art brut rejoint l’art contemporain dans sa fonction de provoquer l’artiste et le spectateur à vivre une expérience. L’artiste porteur d’un handicap mental et l’artiste contemporain créent tous deux à partir d’un univers intérieur, d’expériences, de rencontres, de hasards et de recherches.
Cependant, dans le cas des personnes handicapées mentales, dont la vulnérabilité et le manque d’autonomie doivent être pris en considération, l’existence d’un environnement propice est une condition nécessaire au développement de l’expression artistique. Les ateliers sont organisés et guidés par des animateurs autour d’un projet, de nouvelles techniques, voire de concepts. L’art « brut » est plus « savant » qu’il n’y pourrait paraitre. Le défi des ateliers est alors de concilier, d’un côté, la reconnaissance de la spécificité expressive et des capacités cognitives, manuelles et corporelles des personnes handicapées mentales et de l’autre, les exigences techniques propres à toute expression artistique puisque la qualité de la production artistique est une condition de la reconnaissance sociale de cette activité, et dès lors, de ses acteurs.
Pour cela, l’artiste-animateur est responsable du processus de création collective ou individuelle ; il le propose, l’adapte et soutient les participants dans la mise en œuvre ; il aide ceux-ci à approfondir leur expression ; il mène une pédagogie spécifique d’accompagnement, d’autonomisation et d’expérimentation, par la progressivité et la relance ; il développe une attention particulière pour l’univers des participants, pour leur expression, pour leur histoire, leurs capacités, leurs limites et pour ce qui émerge dans leur travail afin d’en développer les potentialités. Ces artistes-conseillers permettent à l’artiste handicapé de poursuivre par lui-même le plein accomplissement de sa puissance et de sa capacité créatrice. Cette personne n’est donc pas conduite, mais bien accompagnée dans sa propre démarche artistique. En cela, l’atelier d’un centre artistique est un support à l’affirmation d’un « je », d’une personne au-delà de son handicap. L’existence d’un espace de liberté et d’inconnu — nécessaire à l’expression artistique — où tout est encore à produire va de pair avec un témoignage de confiance envers l’artiste handicapé et envers ses capacités personnelles de création et d’autoréalisation.
Même si la réalisation artistique permet le dépassement d’un certain regard réservé à la personne handicapée dans nos sociétés, elle n’efface pas cette réalité. En ce sens, l’acte de reconnaissance en œuvre dans les ateliers est double : il saisit la personne au-delà de sa particularité et, paradoxalement, en même temps, le vécu singulier de cette même personne.
L’expression artistique et son public
L’expression artistique n’est pas solipsiste : elle a vocation à être vue, entendue et reconnue par un public qui déborde le cercle des équipes des centres artistiques, du milieu familial et des proches. S’il est vrai que les formes plastiques, et plus spécifiquement picturales, de l’art « brut » ont été largement diffusées et popularisées (expositions, films, documentaires etc.) et ont atteint un public élargi, on est en droit de se demander si l’appréciation dont elles sont l’objet ne reste pas le fait d’un public avisé et sensible au monde du handicap, et si la reconnaissance sociale est bien réelle.
Le cas des arts de la scène est particulièrement illustratif de la difficulté et des limites de la reconnaissance par un public étranger au monde de la personne handicapée mentale. Les arts de la scène présentent en effet des caractéristiques qui les distinguent des arts plastiques quant au rapport au public. Dans les arts plastiques, l’artiste est matériellement absent de son œuvre : il est possible d’apprécier ou non l’œuvre sans savoir que l’artiste est handicapé. Dans les arts de la scène, la personne handicapée elle-même est le support physique de son expression artistique ; le public est directement « confronté » au handicap de l’artiste et son appréciation d’une performance ne peut se faire en ignorant la condition particulière de l’artiste. De plus, les contraintes inhérentes à la performance et les compétences à mettre en œuvre dans l’expression scénique sont plus nombreuses que celles de l’expression plastique. Sur scène, différents aspects de la personne sont exposés au regard du public (expression verbale, gestuelle, présentation physique, mobilité, synchronisation, rapport au temps, gestion de l’erreur, etc.). Le décalage entre les normes « ordinaires » d’appréciation esthétique et celles qui président au développement du spectacle est parfois si important qu’il peut être un obstacle à la reconnaissance de la performance comme œuvre artistique. Comment dès lors atteindre un public extérieur au monde du handicap et qui ne soit pas condescendant, mais touché par ce qui fait la spécificité esthétique de ces performances, à savoir la tension précisément entre risque de débordement et normalité, entre originalité et explosion potentielle, entre équilibre et déséquilibre ?
L’humour est ici un outil précieux. Ce qui favorise le rire tant dans le public que sur la scène canalise la perception et la facilite. Le rire permet de libérer une émotion et, par ce biais, d’exprimer d’autres émotions qui, sans humour, ne peuvent être que difficilement communiquées et appréciées. L’humour reste un code de communication universel facilitateur. Les personnes handicapées en sont friandes et le maitrisent parfois finement.
En outre, dans l’optique d’une ouverture à un public élargi, un projet prometteur est les ateliers de « mixité ». Les « rendez-vous de la mixité » des Créahm mêlent participants ordinaires et personnes porteuses d’un handicap mental. Organisés dans différentes disciplines artistiques et impliquant expérimentation avec les artistes-animateurs, recherche avec des artistes en résidence, ou encore mise en contact avec des créations (visite d’expositions et sorties culturelles), ils remettent constamment le participant dans une logique de découverte et donc de connaissance instinctive de l’expression contemporaine. De cette connaissance instinctive et de ces expérimentations qui le sont tout autant, découle sans aucun doute une production authentique, reflet de la personne, de ce qu’elle a à offrir à travers sa présence physique. Ces ateliers ont un effet certain de stimulation. Ils contribuent directement — par le travail commun — et indirectement — grâce à l’émulation — à l’inclusion sociale des participants porteurs d’un handicap mental.
Marché de l’art et médias
La reconnaissance passe également par l’acceptation des canaux de communication qui forcent les animateurs d’atelier et les artistes à sortir des lieux de productions artistiques adaptés aux personnes déficientes mentales. Pour cela, il faut accepter les ouvertures que nous imposent, d’une part, le marché de l’art, qui confronte les artistes à des créneaux sociaux concurrentiels, et, d’autre part, les médias, qui diffusent les œuvres vers un public inconnu et imprévisible.
La reconnaissance des artistes porteurs d’un handicap mental et de leurs créations sur le marché de l’art n’est pas indemne du risque de dérives spéculatives, comme pour les autres créations. « Aujourd’hui l’art brut est devenu un marché et inévitablement apparaissent certains acheteurs dont l’objectif plus ou moins caché est de spéculer. C’est ainsi, pas nouveau dans l’histoire de l’art (sic) — mais le véritable problème concerne les créateurs eux-mêmes, des gens particulièrement fragiles qui se retrouvent dans la tourmente du marché dont ils n’entendent rien », constate Bruno Decharme, collectionneur d’art brut. La grande spéculation, réservée à quelques collectionneurs mondialisés d’art contemporain, jouant sur l’ouverture de nouveaux marchés et de nouveaux acheteurs (pétromonarchies et pays émergents), n’a pas encore vraiment atteint l’art brut. Le risque est plutôt celui d’une spéculation de niche : achat à bas prix des œuvres d’artistes porteurs d’un handicap et revente à des collectionneurs locaux avec une substantielle plus-value. L’accès au marché de l’art, garant de la visibilité et de la reconnaissance publique de la production de la personne handicapée, est relayé par une tierce personne et échappe ainsi à l’artiste. La reconnaissance dépend ici de structures qui peuvent être étrangères à la dimension sociale de la création artistique. Les associations et centres ont alors à tenir un rôle important de médiation entre les artistes et le marché afin que la publicité des œuvres soit vecteur d’inclusion sociale.
Par ailleurs, l’émergence de nouveaux médias a transformé la dynamique des interactions entre l’artiste et le public : pour la première fois, il est impossible de savoir qui seront les spectateurs et quels sont leurs critères d’évaluation de la qualité artistique. De plus, les images diffusées échappent au contrôle des artistes : leur image et leurs œuvres ne leur appartiennent plus. Cependant, il faut reconnaitre que les représentations, par les personnes handicapées elles-mêmes, au cinéma ou sur scène, de leur spécificité, ont modifié l’image du handicap mental. Citons pour l’exemple le prix d’interprétation masculine attribué à Pascal Duquenne au festival de Cannes, en 1996, pour sa participation au film Le huitième jour, de Jaco Van Dormael. Ce type d’ouverture médiatique a pour conséquence de transformer les représentations sociales du handicap et de la personne handicapée, ce qui est un gage de véritable inclusion. Parmi ces ouvertures, soulignons encore les expériences originales telles les biennales Art et Handicap de Saint-Tropez, les participations au concours de l’Eurovision ou les émissions de téléréalité, qui mettent en scène des personnes déficientes mentales.
Une reconnaissance légale mitigée
À l’origine de centres tels les Créahm, au courant des années 1970, était la volonté de sortir la personne handicapée mentale de l’organisation contraignante de l’institution ou du milieu familial, et d’offrir un lieu extérieur où les moyens étaient réunis pour provoquer l’acte de créer.
Ces centres ont peu à peu acquis une reconnaissance juridique et bénéficié de subventions. Ainsi, les Créahm, mais aussi des associations comme « La ‘S’ Grand Atelier », à Vielsalm, ont en commun d’être reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles en qualité de centres d’expression et de créativité (CEC)4. Leur mission décrétale est à la fois de « stimuler la créativité par l’organisation d’ateliers et de projets socioartistiques » et de favoriser le « développement d’une expression citoyenne » au travers de thématiques abordant des problématiques sociales et sur la base d’interactions avec la société5. Faute de moyens à la hauteur de ses ambitions, ce décret n’est pas encore pleinement mis en application.
Un autre aspect important de la reconnaissance institutionnelle concerne le statut d’artiste de la personne handicapée. En plus d’être la marque explicite de la reconnaissance sociale, le statut d’artiste est un moyen légal donnant la possibilité de pratiquer durablement l’expression artistique et de développer ses potentialités. Or le cadre légal est aujourd’hui inadéquat pour une reconnaissance de la personne handicapée comme artiste. Alors que les artistes valides jouissent d’une reconnaissance du statut d’artiste qui donne droit à une allocation attribuée avec souplesse, les personnes handicapées s’exposent au risque de la perte définitive d’allocations de remplacement en cas de vente des œuvres. À cet endroit, la discrimination à leur encontre est patente.
Un contexte en évolution
Eu égard à la reconnaissance et l’inclusion sociale des personnes handicapées mentales, trois évolutions significatives du contexte de l’expression artistique méritent d’être soulignées.
Tout d’abord une tendance à la professionnalisation de l’expression artistique. Les institutions comme les deux Créahm combinent une approche à la fois familiale et professionnelle du travail avec l’artiste handicapé. Approche familiale parce que le travail est fait d’échanges quotidiens entre les artistes-animateurs, les animateurs sociaux et les participants. Tout le monde connait tout le monde dans cette organisation basée sur la proximité. On y parle peu de handicap, mais bien plus de la personne elle-même, de ses créations et de sa place dans le projet global : les participants s’identifient très intimement à leur atelier, à l’ensemble du projet et à ses créations collectives.
À cette dimension familiale, s’articule une dimension professionnelle qui a pris au fil des décennies une place de plus en plus importante. Elle est le fait de l’apport des animateurs-artistes, qui ont, entre autres, pour fonction la diffusion et la circulation des œuvres des artistes handicapés : ils travaillent ainsi en partenariat avec des lieux de diffusion comme le MADmusée de Liège, Art et marges de Bruxelles, le musée du docteur Ghislain à Gand, et des lieux de diffusion d’art contemporain. Depuis une trentaine d’années, le refus des cloisonnements et la reconnaissance par les pouvoirs publics d’initiatives d’associations ont facilité cette diffusion. Elle est garante potentielle d’une juste reconnaissance de la personne handicapée mentale comme artiste.
Ensuite, l’évolution de la population fréquentant les centres appelle certaines adaptations du travail en atelier. Premièrement, les avancées de la médecine ont permis de réduire les effets négatifs de certains troubles, permettant le développement de nouvelles modalités de prise en charge et de stimulations : les capacités expressives de la personne handicapée mentale ont ainsi été littéralement transformées. Deuxièmement, jusqu’à récemment, les participants étaient majoritairement des personnes avec une trisomie 21, faisant généralement preuve d’une grande spontanéité, d’une sociabilité aisée et de sincérité. Aujourd’hui, la liste d’attente est composée de 70% de personnes autistes, dont les spécificités sont plutôt d’être isolées, de développer peu de liens sociaux, et de présenter des réactions émotionnelles qui peuvent être agressives. À cette nouvelle population, s’ajoute un ensemble de personnes souffrant de troubles psychiatriques qui, à défaut d’autres possibilités, sollicitent une prise en charge par les centres pour personnes handicapées. Tout cela amène à une reconfiguration de la dynamique des ateliers, du personnel encadrant, voire de l’institution tout entière. Les formes d’art qui sont exprimées sont différentes.
Enfin, l’apport potentiel des nouvelles technologies de communication nous semble important. Les technologies de l’information et de l’expression (TIE) ont déjà largement montré leur haut potentiel dans le domaine de la communication pour les personnes handicapées. Des pistes optimistes quant à leur utilisation dans le cadre de l’expression artistique sont déjà balisées — il existe de réelles productions artistiques à partir des tablettes tactiles, comme en témoigne le travail récent de David Hockney. Actuellement, des pédagogies adaptées et des recherches-actions sont mises en œuvre pour étudier et développer des capacités à utiliser ces technologies pour les productions artistiques par des personnes en situation de handicap mental. Citons les moyens importants mis en œuvre dans ce domaine par les fonds de soutien Marguerite-Marie Delacroix.
Pour les personnes en situation de handicap, les technologies ont une portée inclusive à deux points de vue. Directement, d’abord : étant donné la place que tiennent les nouvelles technologies dans nos sociétés connectées, l’accès à leur utilisation est en soi un facteur inclusif potentiel en dépassant la fracture numérique ; indirectement ensuite, au sens où les TIE peuvent être des moyens performants d’une expression artistique génératrice d’estime de soi, de reconnaissance sociale, d’autodétermination et d’autoreprésentation.
- Nussbaum M., Creating Capabilities. The Human Development Approach, Belknap Press, 2011, trad. fr.: Capabilités. Comment créer les conditions d’un monde plus juste ?, Flammarion, coll. « Climats », 2012.
- Voir l’introduction à ce dossier.
- Créativité handicap mental. Le Créahm-Bruxelles et le Créahm-Région wallonne sont des ASBL reconnues comme centre d’expression et de créativité (CEC). Ces deux ASBL organisent des ateliers de créations artistiques, ouverts à un public de personnes porteuses d’un handicap mental, et la diffusion des œuvres issues de ces ateliers.
- Quelque cent-cinquante CEC sont reconnus en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont une quinzaine s’adresse au public spécifique des personnes porteuses d’un handicap mental ou d’une histoire psychiatrique.
- Article 5 du décret du 30 avril 2009 relatif au subventionnement des centres d’expression et de créativité.