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ArcelorMittal-Liège, une sidérurgie désintégrée

Numéro 12 Décembre 2012 par Michel Capron

décembre 2012

Depuis l’an­nonce par Arce­lor­Mit­tal (AM) de son inten­tion de fer­mer l’es­sen­tiel de la phase à chaud de Liège les diver­gences entre AM, d’une part, les syn­di­cats et les pou­voirs publics wal­lons, d’autre part, se sont affir­mées. Fina­le­ment, devant le refus inébran­lable de la direc­tion d’AM de céder la phase à chaud comme la phase à froid, tant le […]

Depuis l’an­nonce par Arce­lor­Mit­tal (AM) de son inten­tion de fer­mer l’es­sen­tiel de la phase à chaud de Liège 1 les diver­gences entre AM, d’une part, les syn­di­cats et les pou­voirs publics wal­lons, d’autre part, se sont affir­mées. Fina­le­ment, devant le refus inébran­lable de la direc­tion d’AM de céder la phase à chaud comme la phase à froid, tant le plan syn­di­cal que les ten­ta­tives du gou­ver­ne­ment wal­lon n’ont pu évi­ter un constat d’é­chec : la phase à chaud d’AM-Liège est fer­mée, la phase 2 de la pro­cé­dure Renault est enta­mée depuis le début octobre 2012, et il s’a­git dès lors de s’ac­cor­der à la fois sur un plan social et sur un plan indus­triel, ce qui est loin de consti­tuer une siné­cure. Retour sur les prin­ci­pales étapes d’un conflit deve­nu inégal au fil des mois et qui coute, outre 795 pertes d’emplois directes, plu­sieurs cen­taines d’emplois chez des filiales ou des sous-trai­tants d’AM-Liège2.

Deux rapports et un plan syndical

En réac­tion à l’in­ten­tion du groupe Arce­lor­Mit­tal de fer­mer l’es­sen­tiel de la phase à chaud de Liège et notam­ment les deux hauts­four­neaux, les pou­voirs publics wal­lons ont com­man­dé deux rap­ports, l’un au Groupe Laplace Conseil, l’autre au cabi­net de consul­tance Syn­dex3. Outre la for­mu­la­tion d’al­ter­na­tives à la fer­me­ture, les deux consul­tants concluent leur rap­port de manière oppo­sée. Ain­si, le rap­port Laplace 4 — en plus des remarques dépla­cées à l’en­contre des syn­di­cats — conclut à l’i­né­luc­ta­bi­li­té de la fer­me­ture de la phase à chaud : il fau­drait en effet « […] se concen­trer sur la créa­tion d’une enti­té plei­ne­ment auto­nome spé­cia­li­sée dans le froid, éven­tuel­le­ment asso­ciée à Arce­lor­Mit­tal dans cer­tains seg­ments d’ac­ti­vi­tés comme l’au­to­mo­bile, et ali­men­tée en coils [bobines] à chaud ache­tés sur les mar­chés mon­diaux par des contrats à long terme. À l’é­vi­dence, le chaud de Liège ne serait pas main­te­nu dans ce scé­na­rio et res­te­rait fer­mé5 . »

À l’in­verse, en cri­ti­quant les argu­ments avan­cés par AM pour jus­ti­fier la fer­me­ture, Syn­dex 6 estime qu’une sidé­rur­gie inté­grée à Liège, basée sur la voie fonte (les hauts-four­neaux) est par­fai­te­ment viable, en pre­nant comme exemples des petits sidé­rur­gistes comme Saars­tahl, Salz­git­ter ou Voes­tal­pine, à condi­tion de pou­voir fonc­tion­ner de manière auto­nome par rap­port à AM. Cela impli­que­rait, selon Syn­dex, la ces­sion ou la mise à dis­po­si­tion par AM des outils des phases à chaud et à froid. Il fau­drait en outre trou­ver les moyens de finan­cer (pour un mini­mum de 600 mil­lions d’eu­ros à court et moyen terme) les inves­tis­se­ments néces­saires et négo­cier un accord avec un dis­tri­bu­teur indé­pen­dant en paral­lèle avec la recons­ti­tu­tion d’un ré- seau com­mer­cial7 .

Sur la base de cer­tains élé­ments du rap­port Laplace et de l’es­sen­tiel du rap­port Syn­dex, le front com­mun syn­di­cal a éla­bo­ré un plan 8 visant à consti­tuer une sidé­rur­gie inté­grée à Liège, indé­pen­dante d’AM, plan9 pré­sen­té à la presse le 25 juin 2012. Ses prin­ci­pales lignes de force peuvent se résu­mer comme suit. La sidé­rur­gie inté­grée pré­co­ni­sée — indé­pen­dante d’AM — sup­pose une phase à chaud garan­tis­sant des aciers de qua­li­té à la phase à froid. À cet effet, il y a lieu de pro­cé­der par la voie fonte dont la qua­li­té reste supé­rieure à celle de la voie élec­trique. Or la phase à chaud lié­geoise dis­pose des outils adé­quats pour la voie fonte, lui per­met­tant d’a­li­men­ter cor­rec­te­ment les outils de la phase à froid sus­cep­tibles d’ap­pli­quer les inno­va­tions issues de la R&D du CRM Group (Centre de recherches métal­lur­giques, situé au Sart Til­man) et indis­pen­sables pour le déploie­ment de l’a­val sidé­rur­gique. À cela viennent s’a­jou­ter deux élé­ments impor­tants : la néces­saire créa­tion d’une nou­velle cen­trale élec­trique via la réno­va­tion de l’u­ni- 6 Voir Syn­dex, op. cit., p. 7 – 17. 7 il est à noter que, le 8 juillet 2011, le front com­mun syn­di­cal avait déjà adres­sé à l. Mit­tal une lettre repre­nant de manière cir­cons­tan­ciée un ensemble de reven­di­ca­tions et de pro­po­si­tions syn­di­cales sous l’in­ti­tu­lé : « De larges ambi­tions pour le bas­sin sidé­rur­gique lié­geois ». la direc­tion d’aM Flat car­bon europe (himpe, son ceo, et Blaf­fart, direc­teur des res­sources humaines) avait accu­sé récep­tion de cette lettre le 18 juillet, se limi­tant à se réfé­rer au dia­logue social éta­bli avec la Fédé­ra­tion euro­péenne de la métal­lur­gie (FeM). 8 « Sidé­rur­gie : pro­po­si­tions syn­di­cales alter­na­tives à la fer­me­ture », 25 juin 2012. il s’a­git d’un dos­sier dépo­sé en front com­mun syn­di­cal cSc-FGTB (ouvriers-employés-cadres). té de Seraing avec pos­si­bi­li­té d’une uni­té de bio­masse à Ougrée, ain­si que la recons­ti­tu­tion d’un réseau com­mer­cial performant.

La gou­ver­nance de cette sidé­rur­gie inté­grée repose, dans le plan syn­di­cal, sur trois piliers. D’une part, une socié­té patri­mo­niale (ou « ensem­blier régio­nal ») met­tant à dis­po­si­tion les ins­tal­la­tions et équi­pe­ments contre une rému­né­ra­tion fixe et dont les membres pour­raient être des repré­sen­tants de la Région wal­lonne, de la Socié­té régio­nale d’in­ves­tis­se­ment de Wal­lo­nie (SRIW), de Meu­sin­vest, de socié­tés d’as­su­rances, d’in­ter­com­mu­nales, de villes et com­munes inté­res­sées, de groupes indus­triels et ban­caires, du monde aca­dé­mique et d’or­ga­nismes de for­ma­tion. D’autre part, une socié­té de ges­tion assu­rant la ges­tion opé- ration­nelle et l’af­fec­ta­tion des moyens pour l’en­semble du bas­sin sidé­rur­gique. Enfin, un comi­té d’o­rien­ta­tion stra­té­gique com­pre­nant la direc­tion géné­rale, les diri­geants de l’en­sem­blier régio­nal et les repré­sen­tants syn­di­caux, comme lieu d’in­for­ma­tion, de sui­vi et de vali­da­tion des pro­po­si­tions à sou­mettre au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion. Les besoins de finan­ce­ment sont éva­lués à court terme à quelque 300 mil­lions d’eu­ros (les couts de redé­mar­rage, les inves­tis­se­ments dans les outils de la phase à froid, les cen­trales électriques).

Les obstacles au plan syndical

Soli­de­ment argu­men­tées, les pro­po­si­tions syn­di­cales se heurtent cepen­dant à d’im­por­tants obs­tacles, car elles pré­sup­posent la ces­sion — ou à tout le moins la mise en loca­tion — par AM de l’en­semble des outils de la sidé­rur­gie inté­grée, donc des phases à chaud et à froid. Dès lors, le prin­ci­pal obs­tacle — et le plus dif­fi­ci­le­ment sur­mon­table -, c’est la volon­té maintes fois réaf­fir­mée de la direc­tion d’AM de fer­mer défi­ni­ti­ve­ment la phase à chaud à Liège (hor­mis la coke­rie et le TLB de Cher­tal) et le refus de la céder, tout en affir­mant sa volon­té d’as­su­mer les couts de dépol­lu­tion des sols concer­nés, une fois démante lée la phase à chaud. De plus, pour le groupe AM, il est encore moins ques­tion de céder la phase à froid qu’il veut conti­nuer à ali­men­ter via Dun­kerque et, en par­tie, Chertal.

Il appa­rait donc qu’il ne suf­fit pas de démon­trer, à la suite de Syn­dex, la non-per­ti­nence de la déci­sion de fer­me­ture prise par AM pour ame­ner le groupe à reve­nir sur sa déci­sion. Par ailleurs, enta­mer des pro­cé­dures juri­diques à l’en­contre d’AM est pos­sible, mais sur une longue durée et sans cer­ti­tude d’ob­te­nir gain de cause : cette piste s’a­vère en fait impra­ti­cable. Syn­dex sug­gère une location/leasing des outils et des ter­rains qui se heurte au refus d’AM. On pour­rait aus­si ima­gi­ner une sépa­ra­tion à l’a­miable pour laquelle le front com­mun estime dis­po­ser d’ar­gu­ments : le cout de la dépol­lu­tion et le cout d’un plan social, des péna­li­tés en cas de non-relance de l’ou­til, le non-octroi de nou­veaux quo­tas CO 2 , la consti­tu­tion d’un fonds régio­nal des­ti­né à com­pen­ser les pertes d’emplois, les obli­ga­tions d’AM en cas de rup­ture de contrats avec ses four­nis­seurs. Cette voie pour­rait être négo­ciée, mais les chances de suc­cès sont fort minces. Res­te­rait la voie conflic­tuelle : la mise en dif­fi­cul­té d’AM à Liège, la mise en cause de son image inter­na­tio­nale, la mise en évi­dence de la sur­éva­lua­tion de l’ac­tion AM et du non­res­pect de sa charte d’en­tre­prise citoyenne. C’est dans cet esprit que, le 30 juin, place Saint-Lam­bert, des syn­di­ca­listes ont dénon­cé la déci­sion d’AM avant le départ du Tour de France. Par ailleurs, le 24 juillet, le front com­mun syn­di­cal lié­geois a envoyé un cour­rier à Jacques Rogge, pré­sident du Comi­té inter­na­tio­nal olym­pique, pour expri­mer son écœu­re­ment et dénon­cer vive­ment le choix de L. Mit­tal pour por­ter la flamme olym­pique à Londres à la veille des Jeux olym­piques, alors que Mit­tal « appa­rait comme l’un des plus grands mas­sa­creurs d’emplois de l’his­toire indus­trielle10 ». Enfin se pose la ques­tion pri­mor­diale de trou­ver un réel opé­ra­teur indus­triel qui puisse assu­rer la ges­tion de cet ensemble sidé­rur­gique inté­gré, dans une conjonc­ture qui est loin d’être porteuse.

Ces obs­tacles ne pour­raient être sur­mon­tés, selon le front com­mun syn­di­cal, que par une négo­cia­tion appro­fon­die avec AM et par l’en­ga­ge­ment finan­cier des pou­voirs poli­tiques, essen­tiel­le­ment au niveau régio­nal11 et com­mu­nal (la par­ti­ci­pa­tion à l’en­sem­blier régio­nal), mais aus­si via des pres­sions conjointes exer­cées par les gou­ver­ne­ments fran­çais, belges et luxem­bour­geois, pays dont un ensemble d’ins­tal­la­tions sont mena­cées par la poli­tique d’AM 12 . Enfin, pour ce qui est des syn­di­cats, la mobi­li­sa­tion doit se pour­suivre et s’é­tendre au niveau euro­péen via la FEM.

La stratégie d’arcelorMittal par rapport au bassin liégeois

Le groupe AM n’a pas tar­dé à réagir au plan syn­di­cal, et ce dans trois domaines dif­fé­rents. Un pre­mier volet concerne, pour le groupe en Europe, un plan de réduc­tion des effec­tifs dans les fonc­tions de « sup­port » (notam­ment les res­sources humaines, le sec­teur com­mer­cial, le contrôle de ges­tion, les finances, la sureté indus­trielle, la logis­tique et les achats). Ce plan Leap a été pré­sen­té offi­ciel­le­ment au Comi­té d’en­tre­prise euro­péen (CEE) le 11 juillet 2012. La sidé­rur­gie lié­geoise sera tou­chée et, en fin de compte, il appa­rait que 214 postes d’employés et de cadres seront concer­nés 13 . D’où une perte glo­bale de 795 emplois directs à la suite de la déci­sion de fer­me­ture de la phase à chaud.

Le deuxième aspect de la stra­té­gie d’AM pré- sen­tée aux syn­di­cats le 12 juillet consiste, outre la réaf­fir­ma­tion de sa volon­té de fer­mer la phase à chaud, à annon­cer des inves­tis­se­ments consé­quents dans les outils « stra­té­giques » de la phase à froid, dans le fer-blanc et dans l’éner­gie, ain­si que le main­tien de son sou­tien au CRM Group. Ces inves­tis­se­ments concernent tout d’a­bord les outils « stra­té­giques » de la phase à froid pour l’au­to­mo­bile (le recuit conti­nu de Kes­sales com­pre­nant notam­ment une ligne uti­li­sant la tech­no­lo­gie du revê­te­ment sous vide mise au point par Arceo ; Euro­gal pour le gal­va­ni­sé au trem­pé et le HP5 de Mar­chin pour l’élec­tro­zin­gage), mais aus­si les tôles fines pour le fer-blanc (Tilleur) et la gal­va­ni­sa­tion-pein­ture pour le bâti­ment (Gal­va VII et la LP2 à Ramet ou « Combiline »)

D’autre part, en matière d’éner­gie, après la sup­pres­sion des deux cen­trales actuelles, AM inves­ti­rait dans de nou­velles chau­dières et une cen­trale TGV. L’en­semble de ces inves­tis­se­ments attein­drait 138 mil­lions d’eu­ros 14 . En matière de R&D, AM main­tient sa contri­bu­tion annuelle de 15 mil­lions d’eu­ros sur la période 2011 – 2015. AM s’en­gage éga­le­ment à amé­lio­rer l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en brames et/ ou en bobines (coils) à par­tir de Dun­kerque 15 . Enfin, notons que les autres outils de la phase à froid (les Gal­va IV et V de Flé­malle, la LP3 de Ramet et les lignes HP3 et HP4 de Mar­chin), consi­dé­rés comme non stra­té­giques, ver­ront leur pro­duc­tion dépendre de la demande du 12 Voir l’É­cho, 1 er aout 2012. À noter que chez aM à Gand, Merel­beke et Scho­ten, quelque 107 emplois devraient éga­le­ment dis­pa­raitre selon l’É­cho, 20 octobre 2012. 13 Voir l’É­cho, 14 juillet 2012. 14 il reste qu’un cer­tain flou sub­siste quant au taux d’u­ti­li­sa­tion des capa­ci­tés de pro­duc­tion du TlB de cher­tal. il demeure en acti­vi­té sans être cepen­dant satu­ré, comme un élé­ment de flexi­bi­li­té en fonc­tion de la pro­gram­ma­tion des pro­duc­tions de la phase à froid. mar­ché et de leurs per­for­mances (flexi­bi­li­té, couts, qua­li­té) : ils devien­draient donc des variables d’a­jus­te­ment, comme l’ont été les deux hauts-four­neaux. Les syn­di­cats res­tent dès lors très dubi­ta­tifs et cir­cons­pects face à ces projets.

Enfin, le der­nier aspect de la stra­té­gie d’AM concerne la dépol­lu­tion des 120 hec­tares occu­pés par les outils de la phase à chaud après leur « décons­truc­tion ». AM affirme vou­loir assu­mer les quelque 800 mil­lions d’eu­ros de cout de cet assai­nis­se­ment, qui per­met­trait la réuti­li­sa­tion de ces sols dans le cadre du redé- ploie­ment d’ac­ti­vi­tés éco­no­miques 16 . À cet effet, AM pro­pose une struc­ture de concer­ta­tion — qui pour­rait être la Fon­cière lié­geoise — finan­cée à pari­té avec les pou­voirs publics wal­lons. Les tra­vaux d’as­sai­nis­se­ment seraient pris en charge par Ambre, la socié­té de régie fon­cière d’AM. Tout cela implique donc, dans le chef d’AM, à la fois la fin de la pro­cé­dure Renault et la dis­pa­ri­tion défi­ni­tive des outils de la phase à chaud mise à l’arrêt.

Les tensions persistent

Il res­sort des pro­po­si­tions d’AM que le groupe cherche à appa­raitre comme une entre­prise citoyenne, sou­cieuse — au-delà des restruc­tu­ra­tions qu’elle juge néces­saires 17 — du redé­ploie­ment éco­no­mique du bas­sin lié­geois en y asso­ciant les pou­voirs publics régio­naux. Dans cette pers­pec­tive, une ren­contre entre le gou­ver­ne­ment wal­lon et la direc­tion d’AM a eu lieu le 20 juillet. La direc­tion d’AM a ren­con­tré les syn­di­cats le 26 juillet 2012 afin d’ex­pli­ci­ter plus pré­ci­sé­ment ses pro­po­si­tions. Elle s’est enga­gée à main­te­nir les outils à l’ar­rêt sous cocon jusque fin aout pour lais­ser le temps à la Région wal­lonne d’é­la­bo­rer le busi­ness plan lié aux pro­po­si­tions syn­di­cales de main­tien d’une sidé­rur­gie inté­grée à Liège.

Or le 31 juillet, le conseil d’ad­mi­nis­tra­tion d’AM Bel­gium, ayant pris acte de la clô­ture de la phase d’in­for­ma­tion et de consul­ta­tion de la pro­cé­dure Renault le 26 juin, a confir­mé la fer­me­ture des outils concer­nés de la phase à chaud et por­té à 795 le nombre de pertes d’emplois, sans envi­sa­ger d’ou­vrir une nou­velle pro­cé­dure Renault pour les 214 pertes d’emplois sup­plé­men­taires à la suite de l’ap­pli­ca­tion du plan Leap. Les syn­di­cats reprochent à la direc­tion d’AM de ne pas avoir res­pec­té les objec­tifs de la phase 1 de la pro­cé­dure Renault (la phase de consul­ta­tion et d’in­for­ma­tion) en refu­sant d’a­na­ly­ser le plan alter­na­tif que lui avait sou­mis le front com­mun. Ils accusent aus­si AM d’a­voir, en cours de pro­cé­dure, accru de 214 per­sonnes (les effets du plan Leap) le nombre de tra­vailleurs concer­nés par les pertes d’emplois sans nou­velle pro­cé­dure. Enfin, les syn­di­cats entendent qu’AM prenne en compte le busi­ness plan atten­du de la part de la Région wal­lonne qui tra­dui­ra le plan alter­na­tif des syn­di­cats en un plan industriel.

Fin aout-début sep­tembre, les négo­cia­tions s’en­lisent : AM veut en finir avec la pro­cé­dure Renault 17 , mais les syn­di­cats ne l’en­tendent pas de cette oreille. Le 14 sep­tembre, AM accepte cepen­dant de revoir la pro­cé­dure Renault, mais demande en échange aux syn­di­cats de renon­cer à tout recours contre le futur plan social. Face aux réti­cences syn­di­cales, AM s’im­pa­tiente et annonce, le 17 sep­tembre, que le groupe retire son plan d’in­ves­tis­se­ments pour le froid et arrête les com­mandes de fer-blanc. La pres­sion exer­cée par AM s’ac­croit donc for­te­ment, au moment où le busi­ness plan éla­bo­ré à la demande de la Région 17 la direc­tion d’aM sou­hai­tait enta­mer, dès le 27 aout, la dis­cus­sion des moda­li­tés du plan d’« accom­pa­gne­ment » du per­son­nel concer­né, c’est-à-dire du plan social, avec les orga­ni­sa­tions syn­di­cales. wal­lonne est ren­du public le 19 sep­tembre. Ce plan estime que l’on peut relan­cer un petit pro­duc­teur d’a­cier indé­pen­dant moyen­nant un inves­tis­se­ment d’un mil­liard d’eu­ros pour main­te­nir 500 emplois et atteindre l’é­qui­libre finan­cier dans un délai de cinq ans.

L’in­ter­ven­tion d’un conci­lia­teur social per­met de renouer les fils de la négo­cia­tion qui dé- bouche, le 20 sep­tembre, sur un accord entre AM et les syn­di­cats. Celui-ci sti­pule qu’AM s’en­gage à relan­cer son plan d’in­ves­tis­se­ments et ses com­mandes pour le fer-blanc, accepte de jus­ti­fier son refus des pro­po­si­tions syn­di­cales alter­na­tives et de s’ex­pli­quer sur les pertes d’emplois sup­plé­men­taires. De leur côté, les syn­di­cats s’en­gagent à clô­tu­rer la phase 1 de la pro­cé­dure Renault et à enta­mer les dis­cus­sions du plan social. Le 25 sep­tembre, confron­té au refus réité­ré du groupe AM de céder tout ou par­tie de ses outils, le gou­ver­ne­ment wal­lon aban­donne toute ini­tia­tive de sou­tien au plan syn­di­cal, qui est donc enter­ré en même temps que le busi­ness plan 18 .

La phase 1 de la pro­cé­dure Renault est fina­le­ment clô­tu­rée le 1 er octobre 19 . Les négo­cia­tions se sont enga­gées sur le plan social et le plan indus­triel ; leur fina­li­sa­tion est atten­due pour le 9 novembre. L’on sait cepen­dant d’ores et déjà que, mal­gré plu­sieurs réunions, une sérieuse diver­gence oppose AM et les syn­di­cats à pro­pos du plan social : les syn­di­cats réclament la pré­pen­sion dès cin­quante-deux ans pour plus de 300 tra­vailleurs, AM main­tient la barre à cin­quante-cinq ans pour des rai­sons finan­cières. Par ailleurs, en ce qui concerne le plan indus­triel pour la phase à froid, lors d’une négo­cia­tion le 9 octobre, la direc­tion a expli­ci­té points forts et fai­blesses des outils « non stra­té­giques ». Les syn­di­cats ont récla­mé une ana­lyse sem­blable pour les outils « stra­té­giques » et insis­té pour que les pou­voirs publics régio­naux obtiennent un volume de pro­duc­tion sus­cep­tible de garan­tir l’emploi de l’en­semble des tra­vailleurs du froid 20 .

Des garanties à obtenir

Comme AM est par­ve­nu à ses fins par rap­port à la phase à chaud de Liège, il reste au moins quatre fronts sur les­quels la lutte syn­di­cale devrait conti­nuer : à court terme, reti­rer un maxi­mum du plan social que devrait assu­mer AM ; obte­nir le main­tien d’un appro­vi­sion­ne­ment cor­rect à par­tir de Dun­kerque ain­si que la péren­ni­sa­tion des emplois et des outils de la phase à froid (y com­pris les outils non stra­té­giques) via un plan indus­triel ; garan­tir l’ap­pli­ca­tion en Wal­lo­nie des inno­va­tions résul­tant des recherches d’un CRM Group ren­for­cé. Or les diver­gences per­sistent entre AM et les syn­di­cats quant aux moda­li­tés d’ap­pli­ca­tion du plan social 21 . En ce qui concerne le plan indus­triel, les syn­di­cats ont reven­di­qué un ren­for­ce­ment sub­stan­tiel des inves­tis­se­ments dans le froid 22 lors de la réunion tri­par­tite 20 les syn­di­cats craignent que, si l’on main­tient le volume de pro­duc­tion actuel de la phase à froid, soit 1,3 mil­lion de tonnes, cette sous-uti­li­sa­tion des outils (qui dis­posent d’une capa­ci­té de 3 mil­lions de tonnes) n’en­traine à terme d’im­por­tantes pertes d’emplois dans le froid. 21 notons par ailleurs, et ce n’est pas anec­do­tique, que le groupe aM a déci­dé de trans­fé­rer 37,6 mil­liards d’eu­ros de sa filiale aM Finance and Ser­vices Bel­gium vers aM au luxem­bourg, ne lais­sant qu’un mil­liard d’eu­ros en Bel­gique. Sans nul doute un effet des légères res­tric­tions appor­tées aux inté­rêts notion­nels. 22 ces inves­tis­se­ments concer­ne­raient le avec la direc­tion d’AM et la Région wal­lonne le 26 octobre. Il est en effet cru­cial, pour l’a­ve­nir de l’a­cier en Wal­lo­nie, que la phase à froid de Liège soit plei­ne­ment en mesure, en sym­biose avec les recherches du CRM Group, de pro­duire et de com­mer­cia­li­ser des aciers de très haute tech­no­lo­gie (les aciers « de niche »), notam­ment pour le sec­teur auto­mo­bile dès la sor­tie de la réces­sion actuelle.

La veille de la ren­contre tri­par­tite, la direc­tion d’AM annonce la mise sous cocon du TLB de Cher­tal, au moins jus­qu’au deuxième tri­mestre 2013, d’où un chô­mage éco­no­mique de longue durée pour 213 sidé­rur­gistes sup­plé­men­taires. Un choc de plus pour les sidé­rur­gistes lié­geois, qui augure très mal à la fois des dis­cus­sions rela­tives au plan indus­triel et d’un ave­nir stable pour la sidé- rur­gie à froid, désor­mais com­plè­te­ment tri­bu­taire de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en bobines à par­tir de Dun­kerque pour assu­rer un volume de pro­duc­tion de sur­plus réduit à moyen terme à la suite de la fer­me­ture de Ford Genk. Peu d’a­van­cées ont été notées à l’is­sue de la réunion du 26 octobre. D’une part, AM Europe veut se limi­ter aux seuls outils « stra­té­giques », accep­tant tout au plus la créa­tion d’une com­mis­sion tech­nique char­gée, dans la quin­zaine, d’a­na­ly­ser l’en­semble des outils. Les syn­di­cats gardent encore un mince espoir de voir accroitre le volume des inves­tis­se­ments pré­vus par AM de manière à garan­tir un ave­nir à l’en­semble de la phase à froid.

Ter­mi­nons par trois brèves réflexions. D’une part, il y aura lieu de ren­for­cer for­te­ment les moda­li­tés d’ap­pli­ca­tion de la pro­cé­dure Renault, par exemple en obli­geant, sous peine de sanc­tions, l’en­tre­prise à prendre plus sérieu­se­ment en compte les alter­na­tives syn­di­cales. D’autre part, au niveau euro­péen, une légis­la­tion limi­tant sin­gu­liè­re­ment les marges de manœuvre des mul­ti­na­tio­nales devrait être mise sur le métier, dans la mesure où l’on constate l‘impuissance des États natio­naux à faire face aux restruc­tu­ra­tions ou délo­ca­li­sa­tions. Coro­lai­re­ment, il est plus que temps que la Com­mis­sion s’at­tèle à une réelle poli­tique de relance indus­trielle. Les orga­ni­sa­tions syn­di­cales doivent plus que jamais uti­li­ser les comi­tés d’en­tre­prise euro­péens pour ren­for­cer les liens entre les syn­di­cats des dif­fé­rents pays et orga­ni­ser enfin effi­ca­ce­ment des mou­ve­ments sociaux (des « euro­grèves » comme pour Renault-Vil­voorde en 1997) dépas­sant les fron­tières natio­nales pour s’op­po­ser ensemble aux menées des mul­ti­na­tio­nales. Or, en ce qui concerne AM Europe, mal­gré cer­taines ini­tia­tives, les dif­fé­rents syn­di­cats sont encore loin de réagir de manière una­nime, que les outils chez eux soient mena­cés ou non, pour crier « stop » à la poli­tique de des­truc­tion d’emplois qu’AM Europe mène, sans états d’âme, depuis un cer­tain temps.

  1. hor­mis la coke­rie et le train à large bande (TLB) de Chertal
  2. L’É­cho du 20 octobre 2012 four­nit une pre­mière approxi­ma­tion de ces pertes d’emplois indirectes.
  3. Syn­dex inter­vient comme consul­tant, pour les syn­di­cats, au comi­té d’en­tre­prise euro­péen d’aM.
  4. laplace conseil, l’a­ve­nir de la sidé­rur­gie de liège, 16 jan­vier 2012.
  5. la place conseil, op. cit., p. 15.
  6. Syn­dex, l’a­ve­nir de la sidé­rur­gie à liège. axes struc­tu­rants d’une poli­tique indus­trielle pour le déve­lop­pe­ment d’une sidé­rur­gie en Wal­lo­nie, mai 2012.
  7. Voir Syn­dex, op. cit., p. 7 – 17.
  8. il est à noter que, le 8 juillet 2011, le front com­mun syn­di­cal avait déjà adres­sé à l. Mit­tal une lettre repre­nant de manière cir­cons­tan­ciée un ensemble de reven­di­ca­tions et de pro­po­si­tions syn­di­cales sous l’in­ti­tu­lé : « De larges ambi­tions pour le bas­sin sidé­rur­gique lié­geois ». La direc­tion d’aM Flat car­bon europe (himpe, son ceo, et Blaf­fart, direc­teur des res­sources humaines) avait accu­sé récep­tion de cette lettre le 18 juillet, se limi­tant à se réfé­rer au dia­logue social éta­bli avec la Fédé­ra­tion euro­péenne de la métal­lur­gie (FeM).
  9. « Sidé­rur­gie : pro­po­si­tions syn­di­cales alter­na­tives à la fer­me­ture », 25 juin 2012. il s’a­git d’un dos­sier dépo­sé en front com­mun syn­di­cal cSc-FGTB (ouvriers-employés-cadres).
  10. Voir L’É­cho, 25 juillet 2012.
  11. Une ren­contre a eu lieu le 5 juillet 2012 avec le gou­ver­ne­ment wal­lon. À l’is­sue de celle-ci, un groupe de tra­vail a été consti­tué pour éla­bo­rer un busi­ness plan et le gou­ver­ne­ment wal­lon s’est enga­gé à ren­con­trer rapi­de­ment la direc­tion d’aM pour l’o­bli­ger à cla­ri­fier ses objec­tifs et lui sou­mettre ses reven­di­ca­tions et celles des sidé­rur­gistes. Voir Le Soir, 6 juillet 2012. pour ce qui est de l’en­ga­ge­ment finan­cier, la pru­dence s’im­pose eu égard aux règles de la com­mis­sion euro­péenne en matière d’aides publiques.
  12. ces gou­ver­ne­ments se disent déci­dés à trou­ver des moyens pour évi­ter les fer­me­tures pro­gram­mées par aM. les trois ministres de l’in­dus­trie devraient se réunir à la mi-sep­tembre. Voir Le Soir, 17 juillet 2012 et Metal Bul­le­tin, 19 juillet 2012.
  13. Voir l’É­cho, 1 er aout 2012. À noter que chez aM à Gand, Merel­beke et Scho­ten, quelque 107 emplois devraient éga­le­ment dis­pa­raitre selon l’É­cho, 20 octobre 2012.
  14. Voir l’É­cho, 14 juillet 2012
  15. il reste qu’un cer­tain flou sub­siste quant au taux d’u­ti­li­sa­tion des capa­ci­tés de pro­duc­tion du TlB de cher­tal. il demeure en acti­vi­té sans être cepen­dant satu­ré, comme un élé­ment de flexi­bi­li­té en fonc­tion de la pro­gram­ma­tion des pro­duc­tions de la phase à froid.
  16. À cet égard, aM pro­pose d’oc­troyer 19,3 mil­lions d’eu­ros au redé­ploie­ment éco­no­mique, le même mon­tant étant atten­du de la part de la région. ce fai­sant, aM entend s’exo­né­rer de toute péna­li­té ou enga­ge­ment du passé.
  17. la perte opé­ra­tion­nelle de 340 mil­lions d’eu­ros au pre­mier semestre 2012 dans le sec­teur des aciers plats en europe ne fait que confor­ter aM dans sa décision.

Michel Capron


Auteur

Michel Capron était économiste et professeur émérite de la Faculté ouverte de politique économique et sociale ([FOPES) à l'Université catholique de Louvain.