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Antivax. Faire sens commun avec les insensés ?

Numéro 7 – 2021 - Covid-19 pandémie vaccination par Christophe Mincke

novembre 2021

Depuis plu­sieurs mois, nos socié­tés et nos ins­ti­tu­tions se sont mobi­li­sées pour mettre en place une cam­pagne de vac­ci­na­tion inédite. Contre les pro­phé­ties de ceux qui dénon­çaient l’absurdité de notre « pays aux 1.001 ministres de la San­té », la cou­ver­ture vac­ci­nale a très for­te­ment pro­gres­sé depuis, au point que la Bel­gique est un des pays les plus […]

Éditorial

Depuis plu­sieurs mois, nos socié­tés et nos ins­ti­tu­tions se sont mobi­li­sées pour mettre en place une cam­pagne de vac­ci­na­tion inédite. Contre les pro­phé­ties de ceux qui dénon­çaient l’absurdité de notre « pays aux 1.001 ministres de la San­té », la cou­ver­ture vac­ci­nale a très for­te­ment pro­gres­sé depuis, au point que la Bel­gique est un des pays les plus vac­ci­nés au monde.

Il est cepen­dant encore un peu tôt pour se réjouir car, de manière par­fai­te­ment atten­due, la cam­pagne de vac­ci­na­tion ne sera un réel suc­cès que si nous par­ve­nons à atteindre une cou­ver­ture très éle­vée de la popu­la­tion totale, avoi­si­nant les 90%1… Bref, les vac­cins ont dras­ti­que­ment fait chu­ter la mor­ta­li­té due au virus et le nombre d’hospitalisations, mais ils n’apporteront leur béné­fice maxi­mal que s’ils peuvent enrayer la conta­gion et nous faire pas­ser sous le seuil épidémique.

On l’aura com­pris, les pro­jec­teurs sont bra­qués sur les non-vac­ci­nés, caté­go­rie regrou­pant des per­sonnes aux pro­fils et moti­va­tions très divers.

Dans l’édi­to­rial de notre paru­tion pré­cé­dente, Renaud Maes se pen­chait sur des popu­la­tions pré­ca­ri­sées, met­tant en évi­dence ce que leur refus de la vac­ci­na­tion doit à leur mise à l’écart de la socié­té en termes admi­nis­tra­tifs, cultu­rels, éco­no­miques, d’emploi, édu­ca­tifs ou encore de san­té. Ceux et celles qui ont pris l’habitude de repor­ter leurs soins faute de moyens, qui sont en déli­ca­tesse avec l’administration et les ins­ti­tu­tions répres­sives, qui craignent de se voir pré­sen­ter des fac­tures impayées ou qui ont inté­rio­ri­sé le stig­mate d’inutiles et de para­sites qui leur a tant de fois été col­lé, ont bien peu de chances de consi­dé­rer favo­ra­ble­ment la pro­po­si­tion de vac­ci­na­tion qui leur est faite… si tant est qu’elle arrive à leurs oreilles. Leur oppo­si­tion ou leur indif­fé­rence à la vac­ci­na­tion sont en quelque sorte le signe de leur exclu­sion de l’espace social et des méca­nismes de soli­da­ri­té. Le défi qu’ils posent aujourd’hui est avant tout celui de l’inclusion sociale et de son lien avec les ques­tions de santé.

Mais ces popu­la­tions ne sont pas les seules à être rétives à la vac­ci­na­tion. C’est aus­si le cas de ceux qu’on désigne comme « anti­vax ». Ceux-ci, net­te­ment plus mili­tants et mieux insé­rés socia­le­ment, entendent par­ti­ci­per au débat public sur la ges­tion de la pan­dé­mie et sur le recours à la vac­ci­na­tion. Leur oppo­si­tion à cette der­nière ne pro­cède aucu­ne­ment d’une mar­gi­na­li­sa­tion, mais bien d’un posi­tion­ne­ment poli­tique même s’ils peuvent, par leurs dis­cours, sou­te­nir le rejet des vac­cins par plus désaf­fi­liés qu’eux. Se parant du cos­tume du lan­ceur d’alerte, ils entendent convaincre et pro­vo­quer un retour­ne­ment de situation.

Outre que leur action accroit le dan­ger sani­taire qui pèse sur la popu­la­tion dans son ensemble, leur rhé­to­rique mérite notre atten­tion, en ce qu’elle mine le débat démo­cra­tique et se fonde sur des pro­cé­dés qui se croisent dans d’autres domaines. La contes­ta­tion de la cam­pagne vac­ci­nale ne se fonde en effet pas uni­que­ment sur des don­nées tron­quées ou falsifiées.

C’est ain­si qu’un argu­ment revient régu­liè­re­ment, selon lequel puisque la déci­sion de se vac­ci­ner ou non est libre, tous les choix se vau­draient. Les uns en seraient par­ti­sans, les autres pas, et rien ne per­met­trait de dépar­ta­ger ces options, d’affirmer que l’une serait meilleure que l’autre. En un mot, la liber­té vac­ci­nale impli­que­rait l’équivalence des options en pré­sence. Bien enten­du, du fait de cette équi­va­lence, toute dif­fé­rence de trai­te­ment entre vac­ci­nés et non-vac­ci­nés relè­ve­rait de la dis­cri­mi­na­tion puisqu’elle ne pour­rait rele­ver que de la bri­made des uns envers les autres, en désac­cord avec eux. Bien enten­du, les anti­vax seraient por­teurs d’un mes­sage de paix et de tolé­rance et appel­le­raient à la coha­bi­ta­tion paci­fique des dif­fé­rentes croyances vaccinales.

Ce type de rai­son­ne­ment repose donc sur l’assertion selon laquelle le fait que la pan­dé­mie ait à ce jour fait plus de 4,5 mil­lions de morts comp­ta­bi­li­sés, que toutes les études démontrent la très grande effi­ca­ci­té des vac­cins pro­po­sés chez nous, que des mil­liards de doses aient été admi­nis­trées dans le monde entier, que la veille sani­taire mise en place n’ait pas per­mis de détec­ter des effets secon­daires sus­cep­tibles de mettre en doute les béné­fices de la vac­ci­na­tion ou encore que la com­mu­nau­té des épi­dé­mio­lo­gistes pré­co­nise une très large vac­ci­na­tion des popu­la­tions, tout cela donc — et tant d’autres choses encore — ne per­met­trait pas de déduire que les posi­tions anti­vac­ci­nales sont de moindre valeur que celles favo­rables à la vac­ci­na­tion. Bref, le fait que les anti­vax ne puissent fon­der leurs thèses sur des argu­ments ration­nels serait sans effet sur la vali­di­té de celles-ci, étant don­né que la vac­ci­na­tion peut être libre­ment refusée.

Or, refu­ser le vac­cin est l’usage d’une liber­té, certes, mais pour s’aveugler, écou­ter des char­la­tans, pré­fé­rer les rumeurs aux savoirs scien­ti­fiques, choi­sir l’irrationnel pour gou­ver­ner sa san­té et récla­mer qu’on fasse de même en matière de san­té publique. Affir­mer que ce type d’usage de sa liber­té a la même valeur que tout autre revient à nier que la rai­son puisse confé­rer une valeur spé­ci­fique à une posi­tion don­née. Bien enten­du, dans un réfé­ren­tiel reli­gieux mys­tique, par exemple, la rai­son ne confère pas une valeur supé­rieure à une posi­tion, mais dans un réfé­ren­tiel scien­ti­fique et tech­nique — comme la méde­cine et la san­té publique — c’est bien le cas.

Cet argu­ment de l’équivalence des posi­tions n’est pas neuf, on le retrouve, par exemple, chez ceux qui défendent leurs posi­tions inte­nables d’un « on est en démo­cra­tie, je dis ce que je veux », sous-enten­dant que toutes les posi­tions se valent et que la cri­tique est illé­gi­time du fait de la liber­té d’expression.

Ces posi­tions reviennent à consi­dé­rer que la liber­té est l’ennemie de la contra­dic­tion et que, une fois celle-ci consa­crée, il n’y aurait plus lieu de débattre de la meilleure manière d’en faire usage. Para­doxa­le­ment, l’invocation de la liber­té (de choix, d’opinion, d’expression) est uti­li­sée contre l’usage de la liber­té (de cri­tique, et donc d’expression) et la cri­tique est dès lors pré­sen­tée comme liber­ti­cide. Sans en avoir l’air, ces posi­tions minent les fon­de­ments du débat démo­cra­tique, ancré dans le pré­sup­po­sé que l’affrontement des argu­ments a un sens parce que cer­tains sont meilleurs que d’autres et qu’ils confèrent des valeurs dif­fé­rentes aux choix qu’ils sou­tiennent. L’idée du débat public n’est en effet pas que cha­cun reste sur ses posi­tions et ânonne dans le vide sa pro­fes­sion de foi, sans écou­ter les dis­cours diver­gents, mais que la confron­ta­tion des idées abou­tisse à en déva­lo­ri­ser cer­taines, à en rete­nir de mieux fon­dées et à en déduire de meilleures déci­sions col­lec­tives. Il en va ain­si de la vac­ci­na­tion : bien que le choix de cha­cun reste libre, le débat poli­tique — mal­gré toutes ses imper­fec­tions — se fon­dant lar­ge­ment sur le savoir scien­ti­fique et expert a débou­ché sur la déci­sion de sup­por­ter col­lec­ti­ve­ment l’option de la vac­ci­na­tion massive.

L’affirmation de l’équivalence des usages de la liber­té sape d’autant plus les bases de nos aspi­ra­tions démo­cra­tiques qu’elle a une impli­ca­tion qui n’apparait pas au pre­mier regard. Pré­tendre que la liber­té est indis­so­ciable de l’égale valeur des choix opé­rés implique que, si l’on peut démon­trer que cer­tains choix sont meilleurs, ils devraient, en toute logique, être sous­traits du champ de la liber­té. S’il en était ain­si, dans des matières rele­vant avant tout de la ratio­na­li­té scien­ti­fique — comme la déter­mi­na­tion de l’efficacité d’un vac­cin —, nous ne devrions être libres que lorsqu’aucun choix ration­nel ne s’offre à nous. Sans s’en rendre compte, les irra­tion­nels qui conti­nuent de refu­ser la vac­ci­na­tion adhèrent aux valeurs fon­da­men­tales des tech­no­cra­ties, ces régimes auto­ri­taires affir­mant que la liber­té doit céder devant la rai­son tech­nos­cien­ti­fique. La liber­té inter­di­sant l’évaluation des options et l’évaluation des options fai­sant recu­ler la liber­té sont les deux faces d’une même pièce.

Il importe donc de constam­ment rap­pe­ler que les posi­tions anti­vac­ci­nales, dans l’état actuel des connais­sances, ne sont pas des posi­tions ration­nel­le­ment défen­dables et que, en cela, elles ne peuvent être le fon­de­ment de déci­sions col­lec­tives valides, car effi­caces. Le rap­pe­ler publi­que­ment est une pra­tique pro­fon­dé­ment démo­cra­tique, et pas seule­ment en tant qu’usage de la liber­té d’expression.

  1. On note­ra que ce taux a été revu à la hausse, notam­ment du fait de l’apparition de variants plus agres­sifs et plus contagieux.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.