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Antivax. Faire sens commun avec les insensés ?
Depuis plusieurs mois, nos sociétés et nos institutions se sont mobilisées pour mettre en place une campagne de vaccination inédite. Contre les prophéties de ceux qui dénonçaient l’absurdité de notre « pays aux 1.001 ministres de la Santé », la couverture vaccinale a très fortement progressé depuis, au point que la Belgique est un des pays les plus […]
Depuis plusieurs mois, nos sociétés et nos institutions se sont mobilisées pour mettre en place une campagne de vaccination inédite. Contre les prophéties de ceux qui dénonçaient l’absurdité de notre « pays aux 1.001 ministres de la Santé », la couverture vaccinale a très fortement progressé depuis, au point que la Belgique est un des pays les plus vaccinés au monde.
Il est cependant encore un peu tôt pour se réjouir car, de manière parfaitement attendue, la campagne de vaccination ne sera un réel succès que si nous parvenons à atteindre une couverture très élevée de la population totale, avoisinant les 90%1… Bref, les vaccins ont drastiquement fait chuter la mortalité due au virus et le nombre d’hospitalisations, mais ils n’apporteront leur bénéfice maximal que s’ils peuvent enrayer la contagion et nous faire passer sous le seuil épidémique.
On l’aura compris, les projecteurs sont braqués sur les non-vaccinés, catégorie regroupant des personnes aux profils et motivations très divers.
Dans l’éditorial de notre parution précédente, Renaud Maes se penchait sur des populations précarisées, mettant en évidence ce que leur refus de la vaccination doit à leur mise à l’écart de la société en termes administratifs, culturels, économiques, d’emploi, éducatifs ou encore de santé. Ceux et celles qui ont pris l’habitude de reporter leurs soins faute de moyens, qui sont en délicatesse avec l’administration et les institutions répressives, qui craignent de se voir présenter des factures impayées ou qui ont intériorisé le stigmate d’inutiles et de parasites qui leur a tant de fois été collé, ont bien peu de chances de considérer favorablement la proposition de vaccination qui leur est faite… si tant est qu’elle arrive à leurs oreilles. Leur opposition ou leur indifférence à la vaccination sont en quelque sorte le signe de leur exclusion de l’espace social et des mécanismes de solidarité. Le défi qu’ils posent aujourd’hui est avant tout celui de l’inclusion sociale et de son lien avec les questions de santé.
Mais ces populations ne sont pas les seules à être rétives à la vaccination. C’est aussi le cas de ceux qu’on désigne comme « antivax ». Ceux-ci, nettement plus militants et mieux insérés socialement, entendent participer au débat public sur la gestion de la pandémie et sur le recours à la vaccination. Leur opposition à cette dernière ne procède aucunement d’une marginalisation, mais bien d’un positionnement politique même s’ils peuvent, par leurs discours, soutenir le rejet des vaccins par plus désaffiliés qu’eux. Se parant du costume du lanceur d’alerte, ils entendent convaincre et provoquer un retournement de situation.
Outre que leur action accroit le danger sanitaire qui pèse sur la population dans son ensemble, leur rhétorique mérite notre attention, en ce qu’elle mine le débat démocratique et se fonde sur des procédés qui se croisent dans d’autres domaines. La contestation de la campagne vaccinale ne se fonde en effet pas uniquement sur des données tronquées ou falsifiées.
C’est ainsi qu’un argument revient régulièrement, selon lequel puisque la décision de se vacciner ou non est libre, tous les choix se vaudraient. Les uns en seraient partisans, les autres pas, et rien ne permettrait de départager ces options, d’affirmer que l’une serait meilleure que l’autre. En un mot, la liberté vaccinale impliquerait l’équivalence des options en présence. Bien entendu, du fait de cette équivalence, toute différence de traitement entre vaccinés et non-vaccinés relèverait de la discrimination puisqu’elle ne pourrait relever que de la brimade des uns envers les autres, en désaccord avec eux. Bien entendu, les antivax seraient porteurs d’un message de paix et de tolérance et appelleraient à la cohabitation pacifique des différentes croyances vaccinales.
Ce type de raisonnement repose donc sur l’assertion selon laquelle le fait que la pandémie ait à ce jour fait plus de 4,5 millions de morts comptabilisés, que toutes les études démontrent la très grande efficacité des vaccins proposés chez nous, que des milliards de doses aient été administrées dans le monde entier, que la veille sanitaire mise en place n’ait pas permis de détecter des effets secondaires susceptibles de mettre en doute les bénéfices de la vaccination ou encore que la communauté des épidémiologistes préconise une très large vaccination des populations, tout cela donc — et tant d’autres choses encore — ne permettrait pas de déduire que les positions antivaccinales sont de moindre valeur que celles favorables à la vaccination. Bref, le fait que les antivax ne puissent fonder leurs thèses sur des arguments rationnels serait sans effet sur la validité de celles-ci, étant donné que la vaccination peut être librement refusée.
Or, refuser le vaccin est l’usage d’une liberté, certes, mais pour s’aveugler, écouter des charlatans, préférer les rumeurs aux savoirs scientifiques, choisir l’irrationnel pour gouverner sa santé et réclamer qu’on fasse de même en matière de santé publique. Affirmer que ce type d’usage de sa liberté a la même valeur que tout autre revient à nier que la raison puisse conférer une valeur spécifique à une position donnée. Bien entendu, dans un référentiel religieux mystique, par exemple, la raison ne confère pas une valeur supérieure à une position, mais dans un référentiel scientifique et technique — comme la médecine et la santé publique — c’est bien le cas.
Cet argument de l’équivalence des positions n’est pas neuf, on le retrouve, par exemple, chez ceux qui défendent leurs positions intenables d’un « on est en démocratie, je dis ce que je veux », sous-entendant que toutes les positions se valent et que la critique est illégitime du fait de la liberté d’expression.
Ces positions reviennent à considérer que la liberté est l’ennemie de la contradiction et que, une fois celle-ci consacrée, il n’y aurait plus lieu de débattre de la meilleure manière d’en faire usage. Paradoxalement, l’invocation de la liberté (de choix, d’opinion, d’expression) est utilisée contre l’usage de la liberté (de critique, et donc d’expression) et la critique est dès lors présentée comme liberticide. Sans en avoir l’air, ces positions minent les fondements du débat démocratique, ancré dans le présupposé que l’affrontement des arguments a un sens parce que certains sont meilleurs que d’autres et qu’ils confèrent des valeurs différentes aux choix qu’ils soutiennent. L’idée du débat public n’est en effet pas que chacun reste sur ses positions et ânonne dans le vide sa profession de foi, sans écouter les discours divergents, mais que la confrontation des idées aboutisse à en dévaloriser certaines, à en retenir de mieux fondées et à en déduire de meilleures décisions collectives. Il en va ainsi de la vaccination : bien que le choix de chacun reste libre, le débat politique — malgré toutes ses imperfections — se fondant largement sur le savoir scientifique et expert a débouché sur la décision de supporter collectivement l’option de la vaccination massive.
L’affirmation de l’équivalence des usages de la liberté sape d’autant plus les bases de nos aspirations démocratiques qu’elle a une implication qui n’apparait pas au premier regard. Prétendre que la liberté est indissociable de l’égale valeur des choix opérés implique que, si l’on peut démontrer que certains choix sont meilleurs, ils devraient, en toute logique, être soustraits du champ de la liberté. S’il en était ainsi, dans des matières relevant avant tout de la rationalité scientifique — comme la détermination de l’efficacité d’un vaccin —, nous ne devrions être libres que lorsqu’aucun choix rationnel ne s’offre à nous. Sans s’en rendre compte, les irrationnels qui continuent de refuser la vaccination adhèrent aux valeurs fondamentales des technocraties, ces régimes autoritaires affirmant que la liberté doit céder devant la raison technoscientifique. La liberté interdisant l’évaluation des options et l’évaluation des options faisant reculer la liberté sont les deux faces d’une même pièce.
Il importe donc de constamment rappeler que les positions antivaccinales, dans l’état actuel des connaissances, ne sont pas des positions rationnellement défendables et que, en cela, elles ne peuvent être le fondement de décisions collectives valides, car efficaces. Le rappeler publiquement est une pratique profondément démocratique, et pas seulement en tant qu’usage de la liberté d’expression.
- On notera que ce taux a été revu à la hausse, notamment du fait de l’apparition de variants plus agressifs et plus contagieux.