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Année des Utopies. Sociétopie

Numéro 4 - 2016 par Benjamin Roux

juillet 2016

Socié­té par­faite : endroit où plu­sieurs humains coha­bitent en har­mo­nie entre eux et avec leur envi­ron­ne­ment. Espace urbain Les villes de Socié­to­pie ne dépassent pas cinq-mille habi­tants et res­semblent davan­tage à de grands vil­lages. Lorsqu’elles dépassent cette limite, elles se divisent en deux nou­velles villes. Cette poli­tique est mise en place afin de pri­vi­lé­gier des petits espaces […]

Le Mois

Socié­té par­faite : endroit où plu­sieurs humains coha­bitent en har­mo­nie entre eux et avec leur environnement.

Espace urbain

Les villes de Socié­to­pie ne dépassent pas cinq-mille habi­tants et res­semblent davan­tage à de grands vil­lages. Lorsqu’elles dépassent cette limite, elles se divisent en deux nou­velles villes. Cette poli­tique est mise en place afin de pri­vi­lé­gier des petits espaces de vie où les gens se connaissent, peuvent par­ta­ger des moments convi­viaux, le tout basé sur une orga­ni­sa­tion col­lec­tive com­mune déli­bé­ré­ment choi­sie par les citoyens.

Les villes sont rela­ti­ve­ment indé­pen­dantes les unes des autres. Elles créent elles-mêmes les res­sources dont elles ont besoin. Cela n’empêche pas pour autant les échanges et la col­la­bo­ra­tion entre elles.

Les quar­tiers sont sou­vent en forme de cercle entou­rant de larges espaces verts, appe­lés clai­rières, qui per­mettent notam­ment aux jeunes géné­ra­tions de se retrou­ver autour d’aires de jeux ou d’endroits calmes et pai­sibles comme des ruis­seaux ou de petits coins de forêt.

Les fleurs et les arbres sont omni­pré­sents dans les rues. Le maca­dam est d’ailleurs inexis­tant, lais­sant la place à des allées d’herbes régu­liè­re­ment entre­te­nues pour les endroits les moins fré­quen­tés et des che­mins en copeaux de bois en guise de routes où les habi­tants s’y baladent pieds nus. On peut aper­ce­voir des enfants jouer entre eux dehors à toute heure de la jour­née dans les rues et les espaces verts.

Il existe des endroits réser­vés à la culture per­son­nelle appe­lés pota­gers. Chaque indi­vi­du pos­sède un petit lopin de terre culti­vable pour y faire pous­ser des fruits et légumes. Les habi­tants prennent donc soin de ces terres pour faire leurs propres récoltes. Ces récoltes leur per­mettent de se nour­rir et d’être qua­si­ment indé­pen­dants pen­dant de nom­breuses périodes de l’année.

Énergie et consommation

L’énergie prin­ci­pa­le­ment uti­li­sée à Socié­to­pie est l’énergie solaire. Tout est mis en place pour pro­duire de l’électricité à base de l’énergie solaire, c’est ain­si que la qua­si-tota­li­té des appa­reils sont conçus pour fonc­tion­ner à l’électricité.

Les villes, les bâti­ments, les ins­ti­tu­tions sont tous éner­gi­que­ment indé­pen­dants : des pan­neaux solaires très per­for­mants sont dis­po­sés sur tous les toits four­nis­sant ain­si la quan­ti­té d’électricité néces­saire à toutes les ins­tal­la­tions des infrastructures.

Les pan­neaux solaires de Socié­to­pie ont un très bon ren­de­ment. D’autres éner­gies natu­relles sont aus­si uti­li­sées pour les com­plé­ter, comme l’énergie hydrau­lique et l’énergie éolienne, en fonc­tion du cli­mat et des res­sources disponibles.

Les moyens de trans­port en ville sont prin­ci­pa­le­ment les vélos élec­triques tout ter­rain. Ils sont dis­po­nibles libre­ment à des bornes pré­vues à cet effet et per­mettent à cha­cun de se dépla­cer à vélo ou à pied. Tous les citoyens s’en servent quo­ti­dien­ne­ment pour cir­cu­ler en ville. Un autre sys­tème de trans­port fonc­tionne sur des tyro­liennes éta­blies entre deux points dis­tants de plu­sieurs kilo­mètres. Les villes n’étant pas très grandes, les dis­tances à par­cou­rir sont rela­ti­ve­ment faibles. Aus­si, les espaces sont adap­tés aux per­sonnes ayant des dif­fi­cul­tés de déplacement.

Le sys­tème de jachère est appli­qué dans les champs et les lieux de plan­ta­tion. À Socié­to­pie, les agri­cul­teurs s’adaptent au rythme des sai­sons et de la terre. La consom­ma­tion de légumes et fruits de sai­son est pri­vi­lé­giée. La per­ma­cul­ture et le bio sont des règles d’or.

La qua­si-tota­li­té des Socié­to­piens sont des végé­ta­riens. Ils consi­dèrent que la nour­ri­ture végé­tale est meilleure pour la san­té, qu’elle per­met de réduire l’utilisation d’eau et des den­rées agri­coles pour l’élevage. Aus­si, l’idée de tuer et faire souf­frir des ani­maux pour les consom­mer n’est pas consi­dé­rée comme la meilleure des solu­tions en termes d’alimentation bien­veillante. Aucun type d’élevage ani­mal n’est réa­li­sé mis à part ceux concer­nant les pro­duits ali­men­taires d’origine ani­male (œufs, lait…).

Éducation

Les écoles sont des lieux de vie auto­nomes dans les­quels les enfants passent la plu­part de leur temps. En effet, par­tant du prin­cipe qu’il faut tout un vil­lage pour éle­ver un enfant, les parents bio­lo­giques ne sont pas les uniques res­pon­sables des enfants à Socié­to­pie, c’est la com­mu­nau­té tout entière qui s’occupe de cha­cun d’eux et par­ti­cu­liè­re­ment les per­sonnes plus âgées consi­dé­rées comme ayant plus d’expérience de vie et de sagesse. Ce sont très sou­vent les grands-parents qui élèvent les bébés et les enfants et c’est d’ailleurs un de leurs rôles principaux.

Les ins­ti­tu­teurs suivent les enfants durant une moyenne de quatre ans afin de bien les connaitre. Le conte­nu de l’enseignement est géré par les villes elles-mêmes, mais, de façon géné­rale, les cours théo­riques ont lieu le matin et les cours de déve­lop­pe­ment per­son­nel et des com­pé­tences psy­cho­so­ciales l’après-midi.

Il n’existe qu’un seul type d’école,
les écoles uni­ver­selles, dont l’enseignement bien que pou­vant dif­fé­rer gran­de­ment sur la forme, s’appuie sur les mêmes valeurs.

Il n’existe pas de notes dans le sys­tème édu­ca­tif de Socié­to­pie. Les éva­lua­tions se font à par­tir des com­pé­tences acquises ou non pour faire valoir la pro­gres­sion des élèves.

À la fin de chaque année les pro­fes­seurs, appe­lés maitres de vie, donnent leur avis sur le deve­nir de l’enfant au vu des efforts qu’il a four­nis durant l’année sco­laire et de ses capa­ci­tés géné­rales afin de pré­ci­ser les points d’améliorations et les objec­tifs à atteindre pour l’année d’après. Il n’y a pas de notion de redou­ble­ment ou de déve­lop­pe­ment nor­mal des appren­tis­sages en tant que tel. Pour chaque élève des forces et des fai­blesses sont rele­vées et c’est aux maitres de vie de s’adapter au rythme de l’élève. Ces maitres sont bien plus que de simples ensei­gnants, ils habitent avec les enfants au quo­ti­dien dans les lotis­se­ments des écoles et leur apprennent à vivre jour après jour. Chaque enfant à un maitre de réfé­rence à qui il peut se confier.

De petits effec­tifs sont pri­vi­lé­giés, une ving­taine d’enfants par classe environ.

Enfin à la fin de l’adolescence, les jeunes étu­dient en classe jusqu’à ce qu’ils se sentent prêts en matière d’acquis théo­riques pour asso­cier un aspect pra­tique en se ren­dant sur les lieux où les tra­vaux de leur spé­cia­li­té sont réa­li­sés. Ils ont alors l’opportunité d’être par­rai­nés par une per­sonne expé­ri­men­tée dans le milieu qui lui appren­dra toutes les sub­ti­li­tés du tra­vail à réa­li­ser. Lorsque l’apprenti, son par­rain et la com­mu­nau­té de tra­vailleurs sont d’accord pour recon­naitre défi­ni­ti­ve­ment ses com­pé­tences dans le domaine concer­né, il passe dans la caté­go­rie des travailleurs.

Les dif­fé­rences de salaire (très faibles) se font par rap­port au nombre d’heures de tra­vail et en pre­nant en compte la dan­ge­ro­si­té du métier, les contraintes horaires (tra­vail de nuit) ain­si que les responsabilités.

À Socié­to­pie, la com­pé­ti­tion et la
pres­sion au tra­vail sont qua­si­ment inexistantes.

Enfin les élèves sont très sen­si­bi­li­sés par des méthodes de contrôle de soi, de déve­lop­pe­ment de l’attention, d’épanouissement et d’apaisement qui se concré­tisent notam­ment par la pra­tique quo­ti­dienne de la médi­ta­tion et du yoga, et ce, dès le plus jeune âge.

Le quotidien à Sociétopie

Les per­sonnes qui habitent les villes de Socié­to­pie sont gaies par nature et res­pirent la joie de vivre. La plu­part de leur temps est consa­cré à leur tra­vail qu’ils consi­dèrent comme un loisir.

En soi­rée, les citoyens mangent ensemble ou chez eux puis assistent à l’animation du soir (concours de cui­sine, bals folks, spec­tacles de danse, repré­sen­ta­tions humo­ris­tiques, concerts, balades…).

Les Socié­to­piens appré­cient énor­mé­ment ces petits moments convi­viaux en fin de jour­née pour s’amuser tous ensemble. Il existe aus­si beau­coup de loi­sirs à Socié­to­pie. La lec­ture est l’une des plus impor­tantes acti­vi­tés, les biblio­thèques y sont très nom­breuses. La télé­vi­sion est aus­si pré­sente, mais reste peu utilisée.

En ce qui concerne la poli­tique, la moi­tié des diri­geants sont élus par vote démo­cra­tique pour une période déter­mi­née de plu­sieurs années (renou­ve­lé de moi­tié), et l’autre moi­tié sont des citoyens tirés au sort pour un an.

Les reli­gions existent à Socié­to­pie, mais res­tent peu déve­lop­pées au sein de la popu­la­tion qui lui pré­fère la phi­lo­so­phie et la spi­ri­tua­li­té. Tous les lieux de culte se concentrent dans un même bâti­ment, le mélange des reli­gions n’empêche pas leur bon dérou­le­ment et per­met aus­si une ouver­ture d’esprit et une connais­sance sur les pra­tiques de cha­cun. Par spi­ri­tua­li­té, les Socié­to­piens prônent ce qu’ils appellent la reli­gion de l’Amour. Apprendre à s’aimer, à être aimé et à aimer, voi­là le pos­tu­lat de base de la phi­lo­so­phie de chaque Socié­to­pien. À par­tir de là, cha­cun crée ses propres croyances. Il est encou­ra­gé, dès le plus jeune âge, à faire son propre che­min spi­ri­tuel et à créer « sa propre reli­gion », avec ou sans dieu(x), avec ou sans rituels, avec ou sans croyances par­ti­cu­lières, mais tou­jours dans le res­pect de cha­cun et avec de la bien­veillance envers tous selon le prin­ci­pal fon­de­ment de la reli­gion de l’Amour et sa devise : « Le socle est com­mun, mais son expres­sion diversifiée ».

Les per­sonnes vivant à Socié­to­pie sont éga­le­ment très cen­trées sur la pra­tique de la médi­ta­tion. C’est un état d’esprit que cultive cette socié­té de géné­ra­tion en géné­ra­tion telle une cou­tume ou tradition.

Elle est consi­dé­rée comme une tech­nique per­met­tant de prendre le temps de se recen­trer sur soi-même, de mieux gérer ses émo­tions, ses dési­rs et envies, de foca­li­ser son atten­tion, de déve­lop­per sa com­pas­sion et d’améliorer son état de bien-être. La danse et la musique sont aus­si des acti­vi­tés très valo­ri­sées qui fondent une grande par­tie des loisirs.

Enfin, les rela­tions amou­reuses ont un fonc­tion­ne­ment par­ti­cu­lier. En effet, la notion de couple n’existe pas étant don­né que le concept même de pos­ses­sion, aus­si bien maté­rielle que rela­tion­nelle, n’existe pas. Les citoyens sont libres d’avoir autant de rela­tions qu’ils le sou­haitent. Même si les rela­tions mono­games existent, elles sont mino­ri­taires. La plu­part des citoyens passent du temps avec les per­sonnes de leur choix selon leurs envies tout en se res­pec­tant mutuel­le­ment. L’idée géné­rale est qu’il est pos­sible d’aimer, de façon amou­reuse, plu­sieurs per­sonnes de manières dif­fé­rentes et de s’enrichir de ce que cha­cun a à appor­ter. La jalou­sie, la frus­tra­tion sexuelle ou les décep­tions amou­reuses sont très peu pré­sentes à Sociétopie.

Ain­si, les Socié­to­piens vivent dif­fé­rentes périodes rela­tion­nelles. Ils peuvent être proches de cer­taines per­sonnes pen­dant un cer­tain temps puis proches d’autres nou­velles per­sonnes à un autre moment en fonc­tion de leur évo­lu­tion et de leurs envies. Ils balancent entre plu­sieurs états affec­tifs : un amour pla­to­nique de fond, un amour pure­ment phy­sique de forme ou un amour affec­tif inter­mé­diaire. Ils pos­sèdent cha­cun un loge­ment et résident par­fois en groupe selon leurs affi­ni­tés. Par consé­quent, les rela­tions se font et se défont natu­rel­le­ment au gré du temps. Les rela­tions sont vues comme des moyens de s’enrichir mutuel­le­ment plu­tôt que com­bler un manque affec­tif ou pulsionnel.

Socié­to­pie : quel avenir ?

En don­nant la pos­si­bi­li­té aux habi­tants de Socié­to­pie de vivre en petites com­mu­nau­tés, en leur pro­cu­rant une édu­ca­tion basée sur le savoir-vivre, la pos­si­bi­li­té de choi­sir leur che­min de vie en valo­ri­sant leur condi­tion d’être humain, leurs qua­li­tés, leurs com­pé­tences et poten­tiels, Socié­to­pie amène cha­cun à don­ner le meilleur de soi-même au ser­vice de tous.

Les chan­ge­ments que nous pou­vons appor­ter à notre socié­té, en se basant sur les idées prin­ci­pales de ce texte, peuvent être réa­li­sés dès main­te­nant. Cer­tains sont déjà en marche, d’autres res­tent à déve­lop­per. Il ne tient qu’à nous de chan­ger ce monde dans lequel nous vivons, en avons-nous l’envie, en avons-nous l’audace ? À l’horizon de notre socié­té actuelle, à bout de souffle, se des­sine une nou­velle ère. Alors, n’attendons plus, pre­nons nos crayons de cou­leurs et met­tons-nous au travail.

Ce texte a obte­nu le pre­mier prix du concours d’écriture « Écris ton uto­pie » réser­vé aux étu­diants et orga­ni­sé dans le cadre de l’Année Lou­vain des uto­pies pour le temps présent.

Benjamin Roux


Auteur

doctorant en psychologie à l’université catholique de Louvain