Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

And the winners are…

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par Alexis Deswaef

février 2013

L’autre côté de la pla­nète n’a pas le mono­pole du non-res­­pect des droits fon­da­men­taux. Au quo­ti­dien, chez nous, force est de consta­ter que les droits fon­da­men­taux sont régu­liè­re­ment mis à mal. Certes, quand on a une famille, un loge­ment, une bonne san­té, un tra­vail, un réseau social et tout ce que la vie peut offrir de beau, […]

L’autre côté de la pla­nète n’a pas le mono­pole du non-res­pect des droits fondamentaux.

Au quo­ti­dien, chez nous, force est de consta­ter que les droits fon­da­men­taux sont régu­liè­re­ment mis à mal. Certes, quand on a une famille, un loge­ment, une bonne san­té, un tra­vail, un réseau social et tout ce que la vie peut offrir de beau, on pour­rait faci­le­ment ne pas se sen­tir visé par les injus­tices ou les atteintes aux droits humains. En la matière, ce sont évi­dem­ment les per­sonnes plus fra­giles de la socié­té qui sont en pre­mière ligne et qui encaissent les coups les plus rudes : la sans-abri, ne rece­vant aucune aide du CPAS qui vivote dans une gare, le pri­son­nier sur son petit mate­las par terre au fond de sa cel­lule de la pri­son sur­peu­plée de Forest, la sans-papier enfer­mée au Cari­cole après avoir été exploi­tée par un mar­chand de som­meil et un employeur pro­fi teur ou encore le jeune adulte han­di­ca­pé de grande dépen­dance sans place d’ac­cueil adaptée.

C’est la pointe visible de l’i­ce­berg. Car d’autres caté­go­ries de per­sonnes ont la tête sous l’eau : la famille qui n’ar­rive plus à joindre les deux bouts et qui vit dans l’an­goisse de la pré­ca­ri­té de l’emploi en cette période de crise éco­no­mique, la chô­meuse prise per­son­nel­le­ment en chasse dans un contexte où il n’y a pas de tra­vail pour tout le monde, le mani­fes­tant, pour­tant dési­gné « Man of the Year » par le maga­zine Time l’an­née der­nière, mais qui, en Bel­gique, doit craindre les vio­lences poli­cières et les amendes admi­nis­tra­tives ou encore la mal-logée, obli­gée de vivre dans un tau­dis loué à prix d’or alors qu’il y a des mil­liers de loge­ments inoc­cu­pés appar­te­nant aux pou­voirs publics qui pour­raient être mis sur le mar­ché loca­tif. L’I­ce­berg s’en­fonce pro­fon­dé­ment et l’eau est froide.

Le prix Régine Orfinger-Karlin…

On ne pré­sente plus Madame Régine Orfin­ger-Kar­lin, cette avo­cate rayée du bar­reau avant la guerre parce qu’elle était juive, résis­tante aux nazis, mili­tante fémi­niste et anti­ra­ciste, véri­table héroïne du XXe siècle et figure emblé­ma­tique de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) pen­dant des décen­nies. Tous les deux ans, la LDH récom­pense une per­sonne ou une asso­cia­tion oeu­vrant à la pro­tec­tion et à l’aide des groupes vul­né­rables qui s’est dis­tin­guée en met­tant en évi­dence la néces­si­té de la résis­tance aux atteintes aux droits humains.

Cette année, ce « prix droits de l’Homme » a été décer­né à l’as­bl Intact pour le sou­tien juri­dique qu’elle apporte aux femmes vic­times de muti­la­tions géni­tales fémi­nines telles que l’ex­ci­sion ou l’in­fi­bu­la­tion, qui sous cou­vert de pra­tiques « tra­di­tion­nelles », consti­tuent indis­cu­ta­ble­ment l’ex­pres­sion la plus vio­lente de la domi­na­tion de l’homme sur la femme.

Un regard, sans aucune forme de clas­se­ment, sur les trois autres nomi­nés à ce prix pres­ti­gieux vaut éga­le­ment le détour. Le « G1000 » pour la volon­té concrète et concré­ti­sée de cette ini­tia­tive indé­pen­dante de redon­ner du souffle à la pra­tique de la démo­cra­tie par les citoyens après la plus longue crise poli­tique de l’his­toire de notre pays. La bourg­mestre de Forest, Mme Mag­da De Galan, pour son inter­ven­tion poli­tique cou­ra­geuse visant à faire ces­ser les situa­tions inhu­maines de sur­po­pu­la­tion dans les cel­lules de la pri­son de Forest. Si le Conseil d’É­tat n’an­nule pas son arrê­té, comme le lui demande la ministre de la Jus­tice qui tire ain­si sur l’ur­gen­tiste plu­tôt que de soi­gner le malade, plus aucun déte­nu ne dor­mi­ra sur le sol à Forest. Si la Ligue n’hé­site jamais à dénon­cer l’ac­tion d’un poli­tique contraire aux droits fon­da­men­taux, il est éga­le­ment impor­tant de saluer leurs actions concrètes pour plus de digni­té et de jus­tice. Enfin, ter­mi­nons par les Cla­risses de Malonne qui, à leur insu, auront énor­mé­ment fait par­ler d’elles depuis l’é­té der­nier en accueillant la déte­nue la plus détes­tée du Royaume, per­met­tant ain­si de rendre effec­tif le droit à la libé­ra­tion conditionnelle.

Cha­cun à leur façon, ces nomi­nés ont fait avan­cer la cause des droits humains.

…Le meilleur du pire…

D’autres donnent l’im­pres­sion de faire du zèle pour faire régres­ser les droits humains dans notre pays. La sur­en­chère sécu­ri­taire à laquelle se sont livrés la ministre de la Jus­tice et la ministre de l’In­té­rieur durant toute cette année à l’ap­proche des élec­tions com­mu­nales et leur aveu­gle­ment face aux vio­lences poli­cières méritent d’être dis­tin­gués dans la caté­go­rie peu enviable du « meilleur du pire ». Il y a d’a­bord eu leur course pour être la pre­mière à réus­sir à faire inter­dire des groupes radi­caux, avec l’ef­fet contre-pro­duc­tif de gon­fl er l’im­por­tance de grou­pus­cules extré­mistes. La ministre de l’In­té­rieur devrait rece­voir un car­ton rouge pour l’é­lar­gis­se­ment des sanc­tions admi­nis­tra­tives com­mu­nales, en par­ti­cu­lier en vou­lant l’ap­pli­quer aux mineurs à par­tir de qua­torze ans, les sor­tant ain­si de la logique pro­tec­tion­nelle ou édu­ca­tive pour les trai­ter comme de mini-adultes qu’ils ne sont pour­tant pas. La ministre de la Jus­tice mérite une cote d’ex­clu­sion pour l’en­semble des dégâts qu’elle occa­sionne à son dépar­te­ment. Sa ges­tion des pri­sons est cala­mi­teuse, tant pour les déte­nus que pour les gar­diens de pri­sons. La réforme de la libé­ra­tion condi­tion­nelle, dont elle a dur­ci les condi­tions d’ac­cès, est aber­rante et contre­pro­duc­tive quand on sait que le Conseil de l’Eu­rope pointe la libé­ra­tion condi­tion­nelle comme « une des mesures les plus effi caces et les plus construc­tives pour pré­ve­nir la réci­dive et pour favo­ri­ser la réin­ser­tion sociale des déte­nus dans la socié­té selon un pro­ces­sus pro­gram­mé, assis­té et contrô­lé ». Ce qui est évi­dem­ment l’in­té­rêt de la socié­té dans son ensemble. Citons aus­si le manque de moyens lais­sés à l’aide juri­dique avec des consé­quences catas­tro­phiques pour l’ac­cès du citoyen à la justice.

De manière géné­rale, com­ment ne pas être déso­lé d’en­tendre le gou­ver­ne­ment décla­rer que son abso­lue prio­ri­té est le sécu­ri­taire alors que le pays s’en­fonce dans une crise éco­no­mique frap­pant dure­ment les citoyens. Les droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels devraient être la prin­ci­pale pré­oc­cu­pa­tion de nos res­pon­sables politiques.

…Et un prix Nobel !

Soyons fiers ! L’U­nion euro­péenne s’est vu décer­ner le prix Nobel de la paix. Certes, il est per­mis de regret­ter que des mili­tants des droits humains qui risquent leur vie au Congo, en Chine ou en Rus­sie, et qui avaient bien plus besoin de recon­nais­sance et de pro­tec­tion que l’U­nion, aient été oubliés. Tou­te­fois, l’U­nion n’a pas volé son prix pour la paix et les avan­cés en matière de res­pect des droits humains qu’elle a per­mis sur le conti­nent. Avant tout, ce prix doit être un inci­tant pour que l’U­nion place les droits humains au coeur de son action. Dans la lutte contre la pau­vre­té en Europe, en pro­po­sant des alter­na­tives aux graves consé­quences sociales impo­sées par l’aus­té­ri­té. Dans sa poli­tique migra­toire, en ne tolé­rant plus que les migrants puissent encore se fra­cas­ser au propre et au figu­ré contre les indé­cents rem­parts de la « for­te­resse Europe ». Sur la scène inter­na­tio­nale, en refu­sant de sacri­fier le res­pect des droits fon­da­men­taux à l’au­tel des inté­rêts éco­no­miques lors­qu’elle négo­cie avec la Chine qui tor­ture ses dis­si­dents, avec la Rus­sie qui assas­sine ses jour­na­listes et enferme ses oppo­sants, avec le Maroc qui annexe et épuise le Saha­ra occi­den­tal ou encore avec Israël qui colo­nise impu­né­ment la Palestine.

S’il y a le feu à la Grèce, à l’I­ta­lie et à l’Es­pagne, c’est l’en­semble des citoyens euro­péens qui risquent de res­sen­tir la bru­lure de la régres­sion géné­ra­li­sée des droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels. Inévi­ta­ble­ment, face à la crise et aux réponses qu’y apportent les gou­ver­nants, la contes­ta­tion sociale aug­mente. La LDH dénonce cette nette ten­dance à cri­mi­na­li­ser ces mou­ve­ments sociaux qui sont pour­tant l’ex­pres­sion de droits fon­da­men­taux aus­si évi­dents que la liber­té d’as­so­cia­tion et d’ex­pres­sion. Il s’a­gi­ra, alors que cette liber­té d’ex­pres­sion consti­tue le fil rouge thé­ma­tique de la Ligue des droits de l’Homme cette année, de redou­bler de vigi­lance en 2013.

Alexis Deswaef


Auteur