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Aléas de la gouvernance africaine : Côte d’Ivoire, Burundi, Congo

Numéro 1 Janvier 2011 par Jean-Claude Willame

janvier 2011

L’Afrique résiste tou­jours et plus que jamais aux impé­ra­tifs de « bonne gou­ver­nance », de res­pect des droits humains, de démo­cra­tie et de trans­pa­rence fixés comme des normes incon­tour­nables par les diplo­ma­ties occi­den­tales depuis le milieu des années 1980. Depuis 1990, vingt coups d’État ont eu lieu sur ce conti­nent. Certes, ce chiffre consti­tue un léger « progrès » […]

L’Afrique résiste tou­jours et plus que jamais aux impé­ra­tifs de « bonne gou­ver­nance », de res­pect des droits humains, de démo­cra­tie et de trans­pa­rence fixés comme des normes incon­tour­nables par les diplo­ma­ties occi­den­tales depuis le milieu des années 1980.

Depuis 1990, vingt coups d’État ont eu lieu sur ce conti­nent. Certes, ce chiffre consti­tue un léger « pro­grès » dans la mesure où pas moins de qua­rante-six s’étaient pro­duits durant les vingt années pré­cé­dentes. Il n’empêche : les affron­te­ments pour le pou­voir, voie royale pour l’ascension sociale de l’élite civile et mili­taire, et l’absence, voire le refus d’alternance res­tent mon­naie cou­rante et par­fois source de déré­lic­tion poli­tique en Afrique sub­sa­ha­rienne. À quelques rares excep­tions près — le Gha­na ou le Bots­wa­na par exemple —, ils n’épargnent ni les petits ni les grands États pas plus que ceux qui furent en leur temps éri­gés en modèles politiques.

Côte d’Ivoire, l’ancien miracle

La Côte d’Ivoire, naguère « miracle éco­no­mique » et diri­gée à la grande satis­fac­tion de la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » par le cha­ris­ma­tique Félix Hou­phouët-Boi­gny, n’a pas échap­pé à la règle. Depuis dix ans y règne un poten­tat, Laurent Gbag­bo, qui a joué à fond la carte de l’«ivoirité » en vou­lant écar­ter des béné­fices du pou­voir les élites mino­ri­taires du Nord que l’on vou­lait exclure de la natio­na­li­té ivoi­rienne et qui sont repré­sen­tées aujourd’hui par son rival, Alas­sane Ouat­ta­ra. Ce der­nier a fina­le­ment rem­por­té haut la main les élec­tions de novembre 2010 et démon­tré ain­si que les popu­la­tions n’étaient pas dupes de l’idéologie eth­niste d’un pou­voir cor­rom­pu. Même s’il y eut bour­rage d’urnes dans les deux camps, il était clair que les Ivoi­riens du Nord comme du Sud récla­maient l’alternance. Reste à voir si et com­ment Laurent Gbag­bo va fina­le­ment s’effacer. Reste à voir si et com­ment la com­mu­nau­té des diplo­mates afri­cains et occi­den­taux, aujourd’hui una­nimes der­rière Ouat­ta­ra, va s’en tenir stric­te­ment au sou­tien à la légi­ti­mi­té de ce der­nier comme nou­veau pré­sident de la Côte d’Ivoire. Car, rien ne dit que, du côté afri­cain, on ne pen­che­rait pas à la longue pour une solu­tion de par­tage de pou­voir à la zim­babwéenne, un scé­na­rio qui n’a en rien atté­nué la misère dans ce der­nier pays. En atten­dant, à l’heure où ces lignes sont écrites, la Côte d’Ivoire a renoué avec les vio­lences de rue du début des années 2000, vio­lences auto­ri­sant l’hypothèse soit d’un retour à la guerre civile, soit d’une irrup­tion de l’armée dans le champ politique.

Burundi, la demande de stabilité

Au Burun­di, le peuple a aus­si voté, mais a confir­mé le pré­sident en exer­cice, Pierre Nku­run­zi­za, élu pour la pre­mière fois en aout 2005, après que huit pré­si­dents se soient suc­cé­dé à la tête du pays, dont trois par coup d’État. Ici, c’est peut-être la demande de sta­bi­li­té qui a joué dans le scru­tin élec­to­ral. Et ce sont les par­tis d’opposition, réunis pour la plu­part dans une pla­te­forme unique, qui n’ont pas joué le jeu démo­cra­tique en refu­sant d’aller aux scru­tins pré­si­den­tiel et légis­la­tif, et dont on peut craindre qu’ils ne cherchent à désta­bi­li­ser le pays à par­tir de bases congo­laises. Depuis lors, la vio­lence poli­tique et le ban­di­tisme social qui l’accompagne res­tent lar­vés, et aus­si une cer­taine cor­rup­tion et des atteintes répé­tées aux droits humains par ceux qui res­tent au pou­voir. En guise de « conso­la­tion », on pour­ra consta­ter que les guerres de cote­ries ont trans­cen­dé la ques­tion eth­nique qui a été réso­lue par un équi­li­brage ins­ti­tu­tion­na­li­sé entre Hutu et Tut­si. Par ailleurs, le pou­voir burun­dais n’a pas atteint le seuil du des­po­tisme éclai­ré qui carac­té­rise son voi­sin, le Rwan­da, où le « Chef », ayant échoué à réa­li­ser un début de récon­ci­lia­tion natio­nale, règne en uti­li­sant les armes du « divi­sion­nisme » et en ins­tru­men­ta­li­sant le géno­cide contre ceux qui contestent son régime essen­tiel­le­ment ani­mé par une dia­spo­ra d’origine ougandaise.

Congo, le trompe‑l’œil

La Répu­blique démo­cra­tique du Congo, qui doit voter en 2011, consti­tue, quant à elle, un exemple fas­ci­nant de gou­ver­nance en trompe‑l’oeil où le res­pect de la forme occulte les nom­breux dys­fonc­tion­ne­ments dans les faits. Après une longue période de gabe­gies et de ges­tion déplo­rable par le régime Mobu­tu (1980 – 1996), après la créa­tion d’un vide poli­tique rem­pli par des armées étran­gères (1996 – 2003), la RDC se cherche tou­jours comme État. Contrai­re­ment à la Côte d’Ivoire, elle a pu évi­ter le piège de l’opposition poli­tique arti­fi­cielle entre les « Congo­lais authen­tiques » de l’ouest du pays et les « Congo­lais à natio­na­li­té dou­teuse » de la par­tie orien­tale, piège dont Jean-Pierre Bem­ba, actuel­le­ment en pri­son à La Haye, s’était fait le por­teur et qui, en dépit de son cha­risme, a raté les marches de la pré­si­dence. C’est un jeune pré­sident par défaut qui a pas­sé toute sa jeu­nesse à l’extérieur du pays qui a fina­le­ment été élu. Por­té par une élite mili­taire et civile katan­gaise, il a cher­ché et su très vite s’imposer auprès des diplo­ma­ties occi­den­tales dont son père assas­si­né en jan­vier 2001 n’avait que faire. Autant ce père encom­brant était un idéo­logue en retard sur l’histoire, autant le fils, Joseph Kabi­la, plu­tôt timide et intro­ver­ti, a accep­té nomi­na­le­ment de faire la place à un régime bâti sur une Consti­tu­tion où le Pre­mier ministre gou­ver­nait, en théo­rie du moins. Mais l’«entourage » l’a fina­le­ment rat­tra­pé en impo­sant une sorte de « pré­si­den­tia­lisme soft », les deux Pre­miers ministres qui se sont suc­cé­dé depuis son élec­tion en 2006 n’ayant aucune enver­gure poli­tique. Aujourd’hui, alors que de nou­velles élec­tions se pro­filent entre fin 2011 et 2013, le « jeune pré­sident » s’est pro­gres­si­ve­ment iso­lé dans le « sécu­ri­taire » : ses sor­ties s’accompagnent d’un déploie­ment arro­gant de garde pré­si­den­tielle, de poli­ciers et d’agents des ser­vices de sécu­ri­té. Sans cha­risme et peu popu­laire dans la capi­tale, il a sans doute per­du la bataille dans l’est du pays où la « guerre » conti­nue, et les « divi­dendes d’une paix incer­taine » n’ont pas été engran­gés. Tou­te­fois, il sera sans doute réélu en 2011, mais tou­jours « par défaut ».

Droits de l’homme naufragés

En gros, on pour­rait dire que le « Chef » règne mais que per­sonne ne gou­verne. Confor­mé­ment aux vœux des diplo­mates occi­den­taux, un Par­le­ment a été mis en place : il vote des lois et des bud­gets sans pou­voir en assu­rer le sui­vi et l’application. Un gou­ver­ne­ment « dirige » en théo­rie les affaires de la Nation, mais, dans les faits, ses déci­sions ne per­colent pas à tra­vers une admi­nis­tra­tion mal rému­né­rée ou payée avec des retards impor­tants, dont le « Who is Who » reste encore à faire et qui fonc­tionne dans un sys­tème de sur­vie et de bri­co­lage. L’«opposition » existe sur papier, mais elle est gan­gre­née par une pro­li­fé­ra­tion de for­ma­tions poli­tiques sans réelles assises poli­tiques, tout comme la « majo­ri­té pré­si­den­tielle » d’ailleurs. Quant à la situa­tion des droits de l’homme, qua­li­fiée récem­ment de « nau­frage » par un ambas­sa­deur fran­çais, ils sont loin d’être inté­rio­ri­sés par une classe diri­geante qui fait silence sur la pro­li­fé­ra­tion d’officines de sécu­ri­té déra­pant dans des arres­ta­tions et des liqui­da­tions phy­siques de défen­seurs de ces droits ou de jour­na­listes. En réa­li­té, il n’y a pas encore d’État, à com­men­cer par l’absence d’une armée, ensemble extra­or­di­nai­re­ment hété­ro­clite de plus de 120.000 hommes (alors qu’il n’y en avait pas 60.000 sous Mobu­tu) dont cer­taines uni­tés basées dans l’est du pays se sont spé­cia­li­sées dans les pillages, les viols et le banditisme.

Par ailleurs, le style mobu­tiste n’est pas mort dans l’ex-Zaïre. De grandes réa­li­sa­tions de pres­tige s’annoncent comme un port en eau pro­fonde à Bana­na, un pont reliant Braz­za­ville à Kin­sha­sa ou la relance de la troi­sième phase du pha­rao­nique bar­rage d’Inga qui serait liée à l’édification d’un ancien pro­jet de fon­de­rie d’aluminium pro­je­té par le régime de Mobu­tu. L’enrichissement de la classe diri­geante et d’une petite dia­spo­ra congo­laise qui revient au pays est très per­cep­tible comme en témoigne la pro­li­fé­ra­tion d’immeubles et d’habitations de luxe dans la capi­tale où les grandes artères, dont la prin­ci­pale est à huit bandes de cir­cu­la­tion, ont été refaites. Venant juste de béné­fi­cier de l’annulation de près de 80% de sa dette exté­rieure, il reste à voir si le Congo de Kabi­la va résis­ter aux sirènes de dépenses dis­pen­dieuses par rap­port à la pau­vre­té et l’exclusion ambiante.

Un scandale géologique

Car ce pays, contrai­re­ment à un Burun­di pauvre qui n’a pas de res­sources valo­ri­sables et à une Côte d’Ivoire qui les a per­dues du fait de la guerre civile, reste un pays poten­tiel­le­ment très riche, un « scan­dale géo­lo­gique » comme on le qua­li­fiait naguère. Après avoir été lais­sé à lui-même par les anciennes mul­ti­na­tio­nales minières, voi­ci que s’y bous­culent main­te­nant, d’abord les inves­tis­seurs chi­nois omni­pré­sents qui recourent à la pra­tique du troc, des Sud-Coréens qui les suivent, des socié­tés minières cana­diennes ou amé­ri­caines, dont cer­taines n’ont que des visées spé­cu­la­tives et qui, à l’instar des diplo­mates occi­den­taux, n’aiment pas du tout l’irruption des Chi­nois, des mafias étran­gères de toutes sortes… Tous ces acteurs, nou­veaux ou de retour en RDC, se heurtent tou­te­fois à la pro­blé­ma­tique des mil­liers de creu­seurs arti­sa­naux qui ont occu­pé un ter­rain lais­sé en friche. Un récent rap­port de l’Union euro­péenne les estime à 600 000 pour l’ensemble du Congo : ils feraient vivre près de 10 mil­lions de per­sonnes, soit un sixième de la popu­la­tion. Encore un pro­blème de gou­ver­nance dont on n’est pas sûr qu’il pour­ra être géré de manière appro­priée, le pré­sident Kabi­la ayant décla­ré récem­ment qu’«il n’aimait pas cette his­toire de creuseurs ».

Jean-Claude Willame


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