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75 ans : rétro-instrospective

Numéro 8 – 2020 - 75 ans anniversaire enjeux rétrospective par Julien Annart Azzedine Hajji

décembre 2020

Cette année 2020 est mar­quée, pour La Revue nou­velle, par sep­­tante-cinq ans d’existence qui en font une des plus anciennes revues belges de débats et d’idées. Les cir­cons­tances ne nous per­mettent pas cepen­dant de « célé­brer » cet anni­ver­saire cette année pla­cée sous le signe d’une pan­dé­mie mon­diale qui conti­nue à faire des ravages sociaux et sani­taires. Mais […]

Dossier

Cette année 2020 est mar­quée, pour La Revue nou­velle, par sep­tante-cinq ans d’existence qui en font une des plus anciennes revues belges de débats et d’idées. Les cir­cons­tances ne nous per­mettent pas cepen­dant de « célé­brer » cet anni­ver­saire cette année pla­cée sous le signe d’une pan­dé­mie mon­diale qui conti­nue à faire des ravages sociaux et sanitaires.

Mais pour mar­quer le coup mal­gré tout, nous avons choi­si de frap­per le der­nier dos­sier de l’année du sceau de cet anni­ver­saire. Non pas en adres­sant à notre lec­to­rat un exer­cice de style cen­tré sur nous-mêmes, mais en pour­sui­vant encore et tou­jours un tra­vail d’analyse et de réflexion qui tende vers une meilleure com­pré­hen­sion des enjeux sociaux et poli­tiques actuels. Pour ce faire, il nous sem­blait inté­res­sant de jeter un regard rétros­pec­tif sur toutes ces décen­nies durant les­quelles la revue à essayer de contri­buer en ce sens. Car, si l’on peut tirer une leçon de la seconde vague de la Covid-19 en cours1, c’est peut-être le tort que nous cause par­fois notre empres­se­ment à vite oublier le passé.

Pour nous plon­ger dans cette his­toire, nous avons pris le par­ti de repu­blier sept textes de la revue cou­vrant une période allant des années 1960 aux années 1990. Ces articles n’abordent pas un thème com­mun, mais en brassent un large spectre. Ce qui consti­tue néan­moins le fil conduc­teur de cet ensemble à pre­mière vue dis­pa­rate est son actua­li­té tou­jours criante, par­fois plus d’un demi-siècle plus tard. Non pas que le cours du temps se serait arrê­té ou que l’histoire se répè­te­rait, mais plu­tôt que les ques­tions fon­da­men­tales et les grands enjeux que nous avons choi­sis, tout en conti­nuant à se recon­fi­gu­rer sans cesse, n’ont ces­sé d’être struc­tu­rant. C’est ain­si que prend sens le tra­vail d’une revue telle que la nôtre : par l’identification et le trai­te­ment, au fil du temps, de pro­blé­ma­tiques qui, sur le long terme ques­tionnent nos sociétés.

Ce regard rétros­pec­tif est aus­si une leçon d’humilité. Par­fois, pris par l’élan de nos écri­tures, la ten­ta­tion est grande de croire que nos trou­vailles concep­tuelles révo­lu­tionnent nos champs d’études res­pec­tifs. Or, la lec­ture de textes plus anciens nous contraint à recon­naitre l’empreinte du pas­sé dans l’état actuel des choses et à entendre les échos des ques­tion­ne­ments posés par nos pré­dé­ces­seurs. Non qu’il faille vouer un culte à ces der­niers, cer­tai­ne­ment confron­tés aux mêmes inter­ro­ga­tions face à leurs ainé·e·s. Au contraire, il nous faut conti­nuer à faire avan­cer la réflexion col­lec­tive en réac­tua­li­sant sans cesse les outils intel­lec­tuels dont nous avons héri­té — ne serait-ce que pour éprou­ver leur per­ti­nence — et en essayant de les renou­ve­ler et par­fois de les dépas­ser. Mais à l’encontre de celles et ceux qui ne jurent que par un monde qui irait de plus en plus vite, ce pro­ces­sus est à l’évidence très lent2. Par ailleurs, il n’est cer­tai­ne­ment pas linéaire : les retours en arrière, les hési­ta­tions, les tâton­ne­ments, les accé­lé­ra­tions, les bifur­ca­tions, et par­fois même les rup­tures, tout cela fait par­tie inté­grante du pro­ces­sus. Il sem­ble­rait ain­si que nos socié­tés n’évoluent pas aus­si vite qu’on vou­drait le croire, et qu’elles conti­nuent à bien des égards à (se) poser les mêmes questions.

Pour rendre plus visible la tem­po­ra­li­té de ce pro­ces­sus, nous avons choi­si dans le cadre de ce dos­sier de faire suivre chaque texte repu­blié d’un nou­vel article en miroir qui en fait le com­men­taire cri­tique et/ou en pro­longe la réflexion. Ain­si, le texte de Daniel Simon (1992) qui traite des liens entre les arts de la scène et la télé­vi­sion, se voit confron­té à un entre­tien entre Antoine Neuf­mars et Flo­rence Min­der dans un contexte où, aujourd’hui, le numé­rique enva­hit de plus en plus nos espaces de vie. Le texte de Nadine Pla­teau (1982) relève les obs­tacles à la liber­té sexuelle des femmes et, près de qua­rante ans plus tard, elle s’est replon­gée dans cet exer­cice en pleine vague #MeToo pour consta­ter à quel point la ques­tion du corps des femmes reste un enjeu fon­da­men­tal. L’article de Jean Fran­çois (1979) traite de la néces­si­té de recon­naitre des droits aux déte­nus et, si Chris­tophe Mincke entre­voit de signi­fi­ca­tives avan­cées au cours des der­nières années, il indique que le compte semble encore loin en termes de res­pect de la digni­té humaine. Quant à la contri­bu­tion d’Éliane Bouc­quey (1975), qui a été publiée dans un dos­sier plus lar­ge­ment consa­cré aux para­lit­té­ra­tures, elle ana­lyse le rap­port aux femmes que mani­feste l’œuvre de Fré­dé­ric Dard — auteur de la série de romans poli­ciers San Anto­nio. Lau­rence Rosier se livre ensuite à une ana­lyse de la place qu’occupent désor­mais ces objets « para­lit­té­raires » pas tou­jours bien iden­ti­fiés ni iden­ti­fiables dans un monde où la consom­ma­tion cultu­relle, y com­pris légi­time, s’est frag­men­tée. De son côté, Paul Thie­len (1969) évoque les rap­ports ambi­gus, et même empreints de défiance réci­proque, entre les sciences — notam­ment celles et ceux qui la font — et les autres com­po­santes de la socié­té. Pierre de Buyl pour­suit la réflexion en accen­tuant l’importance pour tout un·e chacun·e d’une solide culture scien­ti­fique, dans un monde où l’accélération du pro­grès tech­no­lo­gique semble atteindre une inten­si­té inédite. Pour ter­mi­ner, Mar­tin Ekwa et Jean Savoie (1967), cha­cun sépa­ré­ment, tentent de don­ner une pers­pec­tive sur la recon­fi­gu­ra­tion des rela­tions entre Belges et Congolais·e·s, quelques années seule­ment après l’indépendance du Congo. La contri­bu­tion de Véro­nique Clette-Gaku­ba met leur contri­bu­tion en pers­pec­tive et montre à quel point la voie vers l’égalité ne peut se conten­ter de bonnes intentions.

Ce dos­sier n’est pas la seule ini­tia­tive que nous enten­dons mener pour faire vivre un regard intros­pec­tif sur le pas­sé. Tout d’abord, Michel Moli­tor coor­don­ne­ra une rubrique récur­rente au long de l’année 2021 qui por­te­ra sur les grands enjeux poli­tiques et sociaux que la Bel­gique a tra­ver­sés durant ses der­nières décen­nies, et que La Revue nou­velle a cou­verts depuis le début de son exis­tence. Ensuite, nous met­tons actuel­le­ment sur pied un vaste et long chan­tier de numé­ri­sa­tion de toutes nos archives, depuis le pre­mier numé­ro paru en février 1945, alors que la Deuxième Guerre mon­diale fai­sait encore rage. Ce tra­vail gigan­tesque prend du temps, mais sera la plus forte concré­ti­sa­tion de notre volon­té de rendre direc­te­ment acces­sible — à tra­vers l’utilisation d’un simple moteur de recherche — l’ensemble d’une œuvre qui tente encore aujourd’hui tout à la fois de témoi­gner des évo­lu­tions de son temps et de les inflé­chir vers plus de jus­tice et d’égalité. Il ne s’agit pas pour nous de nous appe­san­tir sur le pas­sé, mais au contraire d’ancrer dans la durée nos réflexions sur notre temps.

  1. Ce texte a été rédi­gé à la fin du mois d’octobre, en pleine recru­des­cence de la maladie.
  2. Lemaigre T., Maes R. et Mincke C., « Nour­ri­ture intel­lec­tuelle : mal­bouffe ou slow food ? », La Revue nou­velle, n° 1, 2020.

Julien Annart


Auteur

détaché pédagogique jeu vidéo auprès de FOr’J

Azzedine Hajji


Auteur

Azzedine Hajji est codirecteur de {La Revue nouvelle}, assistant-doctorant en sciences psychologiques et de l’éducation à l’université libre de Bruxelles. Il a été auparavant professeur de mathématiques dans l’enseignement secondaire, et psychopédagogue en Haute École dans le cadre de la formation initiale d’enseignant·e·s du secondaire. Ses sujets de recherche portent principalement sur les questions d’éducation et de formation, en particulier les inégalités socio-scolaires dans leurs dimensions pédagogiques, didactiques et structurelles. Les questions de racialité et de colonialité constituent également un objet de réflexion et d’action qui le préoccupent depuis plus de quinze ans.