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75 ans : rétro-instrospective
Cette année 2020 est marquée, pour La Revue nouvelle, par septante-cinq ans d’existence qui en font une des plus anciennes revues belges de débats et d’idées. Les circonstances ne nous permettent pas cependant de « célébrer » cet anniversaire cette année placée sous le signe d’une pandémie mondiale qui continue à faire des ravages sociaux et sanitaires. Mais […]
Cette année 2020 est marquée, pour La Revue nouvelle, par septante-cinq ans d’existence qui en font une des plus anciennes revues belges de débats et d’idées. Les circonstances ne nous permettent pas cependant de « célébrer » cet anniversaire cette année placée sous le signe d’une pandémie mondiale qui continue à faire des ravages sociaux et sanitaires.
Mais pour marquer le coup malgré tout, nous avons choisi de frapper le dernier dossier de l’année du sceau de cet anniversaire. Non pas en adressant à notre lectorat un exercice de style centré sur nous-mêmes, mais en poursuivant encore et toujours un travail d’analyse et de réflexion qui tende vers une meilleure compréhension des enjeux sociaux et politiques actuels. Pour ce faire, il nous semblait intéressant de jeter un regard rétrospectif sur toutes ces décennies durant lesquelles la revue à essayer de contribuer en ce sens. Car, si l’on peut tirer une leçon de la seconde vague de la Covid-19 en cours1, c’est peut-être le tort que nous cause parfois notre empressement à vite oublier le passé.
Pour nous plonger dans cette histoire, nous avons pris le parti de republier sept textes de la revue couvrant une période allant des années 1960 aux années 1990. Ces articles n’abordent pas un thème commun, mais en brassent un large spectre. Ce qui constitue néanmoins le fil conducteur de cet ensemble à première vue disparate est son actualité toujours criante, parfois plus d’un demi-siècle plus tard. Non pas que le cours du temps se serait arrêté ou que l’histoire se répèterait, mais plutôt que les questions fondamentales et les grands enjeux que nous avons choisis, tout en continuant à se reconfigurer sans cesse, n’ont cessé d’être structurant. C’est ainsi que prend sens le travail d’une revue telle que la nôtre : par l’identification et le traitement, au fil du temps, de problématiques qui, sur le long terme questionnent nos sociétés.
Ce regard rétrospectif est aussi une leçon d’humilité. Parfois, pris par l’élan de nos écritures, la tentation est grande de croire que nos trouvailles conceptuelles révolutionnent nos champs d’études respectifs. Or, la lecture de textes plus anciens nous contraint à reconnaitre l’empreinte du passé dans l’état actuel des choses et à entendre les échos des questionnements posés par nos prédécesseurs. Non qu’il faille vouer un culte à ces derniers, certainement confrontés aux mêmes interrogations face à leurs ainé·e·s. Au contraire, il nous faut continuer à faire avancer la réflexion collective en réactualisant sans cesse les outils intellectuels dont nous avons hérité — ne serait-ce que pour éprouver leur pertinence — et en essayant de les renouveler et parfois de les dépasser. Mais à l’encontre de celles et ceux qui ne jurent que par un monde qui irait de plus en plus vite, ce processus est à l’évidence très lent2. Par ailleurs, il n’est certainement pas linéaire : les retours en arrière, les hésitations, les tâtonnements, les accélérations, les bifurcations, et parfois même les ruptures, tout cela fait partie intégrante du processus. Il semblerait ainsi que nos sociétés n’évoluent pas aussi vite qu’on voudrait le croire, et qu’elles continuent à bien des égards à (se) poser les mêmes questions.
Pour rendre plus visible la temporalité de ce processus, nous avons choisi dans le cadre de ce dossier de faire suivre chaque texte republié d’un nouvel article en miroir qui en fait le commentaire critique et/ou en prolonge la réflexion. Ainsi, le texte de Daniel Simon (1992) qui traite des liens entre les arts de la scène et la télévision, se voit confronté à un entretien entre Antoine Neufmars et Florence Minder dans un contexte où, aujourd’hui, le numérique envahit de plus en plus nos espaces de vie. Le texte de Nadine Plateau (1982) relève les obstacles à la liberté sexuelle des femmes et, près de quarante ans plus tard, elle s’est replongée dans cet exercice en pleine vague #MeToo pour constater à quel point la question du corps des femmes reste un enjeu fondamental. L’article de Jean François (1979) traite de la nécessité de reconnaitre des droits aux détenus et, si Christophe Mincke entrevoit de significatives avancées au cours des dernières années, il indique que le compte semble encore loin en termes de respect de la dignité humaine. Quant à la contribution d’Éliane Boucquey (1975), qui a été publiée dans un dossier plus largement consacré aux paralittératures, elle analyse le rapport aux femmes que manifeste l’œuvre de Frédéric Dard — auteur de la série de romans policiers San Antonio. Laurence Rosier se livre ensuite à une analyse de la place qu’occupent désormais ces objets « paralittéraires » pas toujours bien identifiés ni identifiables dans un monde où la consommation culturelle, y compris légitime, s’est fragmentée. De son côté, Paul Thielen (1969) évoque les rapports ambigus, et même empreints de défiance réciproque, entre les sciences — notamment celles et ceux qui la font — et les autres composantes de la société. Pierre de Buyl poursuit la réflexion en accentuant l’importance pour tout un·e chacun·e d’une solide culture scientifique, dans un monde où l’accélération du progrès technologique semble atteindre une intensité inédite. Pour terminer, Martin Ekwa et Jean Savoie (1967), chacun séparément, tentent de donner une perspective sur la reconfiguration des relations entre Belges et Congolais·e·s, quelques années seulement après l’indépendance du Congo. La contribution de Véronique Clette-Gakuba met leur contribution en perspective et montre à quel point la voie vers l’égalité ne peut se contenter de bonnes intentions.
Ce dossier n’est pas la seule initiative que nous entendons mener pour faire vivre un regard introspectif sur le passé. Tout d’abord, Michel Molitor coordonnera une rubrique récurrente au long de l’année 2021 qui portera sur les grands enjeux politiques et sociaux que la Belgique a traversés durant ses dernières décennies, et que La Revue nouvelle a couverts depuis le début de son existence. Ensuite, nous mettons actuellement sur pied un vaste et long chantier de numérisation de toutes nos archives, depuis le premier numéro paru en février 1945, alors que la Deuxième Guerre mondiale faisait encore rage. Ce travail gigantesque prend du temps, mais sera la plus forte concrétisation de notre volonté de rendre directement accessible — à travers l’utilisation d’un simple moteur de recherche — l’ensemble d’une œuvre qui tente encore aujourd’hui tout à la fois de témoigner des évolutions de son temps et de les infléchir vers plus de justice et d’égalité. Il ne s’agit pas pour nous de nous appesantir sur le passé, mais au contraire d’ancrer dans la durée nos réflexions sur notre temps.
- Ce texte a été rédigé à la fin du mois d’octobre, en pleine recrudescence de la maladie.
- Lemaigre T., Maes R. et Mincke C., « Nourriture intellectuelle : malbouffe ou slow food ? », La Revue nouvelle, n° 1, 2020.