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7 juin : la peur au ventre

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par André Jakkals

juillet 2009

« Bon­jour ! Dimanche, nous allons voter. Il est impor­tant que les citoyens ne se trompent pas. Les enjeux sont essen­tiels : pou­voir d’achat, emploi, pen­sions, soins de san­té, loge­ment, ser­vices publics, ensei­gne­ment, envi­ron­ne­ment. Face à ces défis, le PS, c’est le BON CHOIX ! Fais-le savoir autour de toi et n’hésite pas à trans­fé­rer ce mes­sage. Je compte sur toi. […]

« Bon­jour ! Dimanche, nous allons voter. Il est impor­tant que les citoyens ne se trompent pas. Les enjeux sont essen­tiels : pou­voir d’achat, emploi, pen­sions, soins de san­té, loge­ment, ser­vices publics, ensei­gne­ment, envi­ron­ne­ment. Face à ces défis, le PS, c’est le BON CHOIX ! Fais-le savoir autour de toi et n’hésite pas à trans­fé­rer ce mes­sage. Je compte sur toi. Mer­ci ! Elio Di Rupo. » On ignore à com­bien de mil­liers de Wal­lons et de Bruxel­lois ce SMS a été envoyé à la veille du scru­tin régio­nal et euro­péen, mais il témoigne de la mobi­li­sa­tion déclen­chée par le PS pour évi­ter ce qui s’annonçait comme une défaite historique.

En cette fin de prin­temps, tant les son­dages que l’accumulation des scan­dales tou­chant des man­da­taires socia­listes pré­di­saient une sanc­tion pour un par­ti tenant les rênes des Régions wal­lonne et bruxel­loise sans inter­rup­tion depuis vingt ans. En pleine cam­pagne régio­nale, les thèmes évo­qués par le SMS (soins de san­té, pen­sions, emploi…), ren­voyaient symp­to­ma­ti­que­ment à des com­pé­tences fédé­rales, la menace d’un « bain de sang social » cata­ly­sant la mobi­li­sa­tion de l’électorat socia­liste tra­di­tion­nel dans ses bas­tions his­to­riques. Il y eut bien sûr aus­si la mobi­li­sa­tion de la FGTB (la FGTB de Liège a, par exemple, convo­qué ses délé­gués à trois jours du scru­tin en pré­sence des ministres socia­listes wal­lons pour les invi­ter à voter PS) et l’appel du MOC pour un Oli­vier. Mais le vrai tour­nant de la cam­pagne est inter­ve­nu le 27 mai lorsque le pré­sident du PS a annon­cé à la RTBF qu’il refu­se­rait de s’allier au MR alors qu’Écolo et le CDH lais­saient ouvertes toutes les pos­si­bi­li­tés de coa­li­tion. Enfin, la cam­pagne par­ti­cu­liè­re­ment agres­sive — et donc peu ras­su­rante — du pré­sident du MR, Didier Reyn­ders, a éga­le­ment été iden­ti­fiée a pos­te­rio­ri comme un des prin­ci­paux fac­teurs expli­ca­tifs d’une défaite socia­liste net­te­ment moins grande qu’attendue.

Étonnants transferts

Ce recul fut en par­ti­cu­lier plus modeste dans le vieux sillon indus­triel wal­lon que dans les zones moins défa­vo­ri­sées éco­no­mi­que­ment, qu’il s’agisse du Bra­bant wal­lon ou de Bruxelles. Cela lais­se­rait entendre que le PS, mal­gré toutes les affaires, mal­gré l’échec de la recon­ver­sion wal­lonne, conti­nue d’être iden­ti­fié comme une force de pro­tec­tion pour nombre de citoyens wal­lons et vrai­sem­bla­ble­ment pour les moins bien nan­tis d’entre eux. De même, il est plus que pro­bable que beau­coup d’électeurs poten­tiels d’Écolo atta­chés à une alliance de type Oli­vier (PS-Eco­lo-CDH) ont pré­fé­ré voter pour le PS, pour conju­rer l’hypothèse d’une alliance de type jamaï­caine (MR-Eco­lo-CDH) qui n’avait pas été exclue par les éco­lo­gistes. Une ana­lyse effec­tuée sur la base d’une enquête réa­li­sée à la sor­tie des urnes par le PIOP indique que par rap­port à l’élection de 2007, 79.500 élec­teurs du MR ont voté pour Éco­lo. Un trans­fert de la même ampleur a eu lieu entre le MR et le PS, tan­dis que le nombre de trans­ferts du PS vers Éco­lo se limite à 17.000 voix. Le choix d’Écolo de com­men­cer à négo­cier avec le CDH puis avec le PS la consti­tu­tion d’un Oli­vier risque donc d’avoir pro­vo­qué la décep­tion d’une par­tie de cet élec­to­rat par­ta­geant la volon­té des Verts d’imposer une réforme de la gou­ver­nance, quitte à mettre le PS dans l’opposition pour y par­ve­nir. Mais inver­se­ment, la for­mule jamaï­caine aurait éga­le­ment fâché une par­tie de l’électorat d’Écolo, notam­ment les élec­teurs ancrés dans une gauche syn­di­cale ou associative.

Des Verts victorieux, mais pas indispensables

Il reste qu’au bilan, les éco­lo­gistes ont été les seuls véri­tables vain­queurs du scru­tin. Il leur appar­tient désor­mais de fidé­li­ser le plus pos­sible d’électeurs, en mar­quant un maxi­mum de points tant en ce qui concerne l’écologisation des éco­no­mies wal­lonne et bruxel­loise que des réformes démo­cra­tiques. Qu’ils ne soient mathé­ma­ti­que­ment pas indis­pen­sables à la majo­ri­té wal­lonne ne leur faci­li­te­ra pas les choses, même si PS et CDH n’ont pas vrai­ment inté­rêt (au moins en début de légis­la­ture) de « jouer avec leurs pieds » et même s’il a été répé­té par Éco­lo que sa pré­sence au gou­ver­ne­ment bruxel­lois (où les éco­lo­gistes sont mathé­ma­ti­que­ment indis­pen­sables) était liée à celle dans la majo­ri­té wallonne.

Un autre fait mar­quant du scru­tin est la dis­pa­ri­tion de l’extrême droite fran­co­phone qui n’obtient plus un seul élu, tant à Bruxelles qu’à Namur. Elle paie ses divi­sions, ses innom­brables pro­blèmes judi­ciaires et l’inexistence poli­tique de ses repré­sen­tants dans les Par­le­ments au cours des légis­la­tures écou­lées. La peur de la crise qui vient pour­rait éga­le­ment avoir pous­sé des anciens élec­teurs du Front natio­nal à un vote plus « utile ». Le MR n’en a pas pro­fi­té, l’autre grand per­dant du scru­tin étant assu­ré­ment Didier Reyn­ders qui a com­plè­te­ment lou­pé son pari de ravir au PS la pre­mière place du côté fran­co­phone. Dès lors, les semaines qui ont sui­vi le scru­tin ont été le théâtre d’un débat assez vif entre membres du Mou­ve­ment réfor­ma­teur, notam­ment sur les cumuls de leur pré­sident. Celui-ci a bien essayé de se conso­ler avec le fait qu’à Bruxelles, le MR est bien rede­ve­nu le pre­mier par­ti. Mais il le doit sur­tout au recul du PS bruxel­lois qui, répé­tons-le, a été davan­tage sanc­tion­né que le PS wallon.

Une nouvelle stratégie flamande ?

Le pay­sage poli­tique fla­mand, lui, évo­lue une fois de plus en sens inverse. Les par­tis qui s’affichent clai­re­ment à gauche (le SP.A et Groen!) sont en recul. Sur­tout, le pay­sage poli­tique fla­mand est de plus en plus frac­tion­né, avec quatre par­tis dans un mou­choir de poche entre 15% et 13% (le Vlaams Belang, le SP.A, le VLD et la N‑VA) der­rière le CD&V qui conforte son rôle de pre­mière force poli­tique fla­mande, même si c’est à un niveau ten­dan­ciel­le­ment de plus en plus bas. Le par­ti du Pre­mier ministre Van Rom­puy ne souffre pas trop de l’éclatement du car­tel avec la N‑VA, dont le suc­cès tient autant à la popu­la­ri­té de son pré­sident Bart De Wever qu’à deux ans de pati­nage très peu artis­tique en matière de réformes ins­ti­tu­tion­nelles. Le VLD, lui, paie autant ses ten­ta­tives mal­en­con­treuses de débau­chage de repré­sen­tants du par­ti popu­liste LDD qu’un pro­fil trop peu fla­mand sur le plan ins­ti­tu­tion­nel. Celui-ci est en par­tie res­pon­sable de son évic­tion de la négo­cia­tion pour une coa­li­tion fla­mande qui asso­cie­ra dans une for­mule inédite, le CD&V, la N‑VA et le SP.A, mal­gré le sou­hait du Pre­mier ministre fédé­ral de voir le VLD y figu­rer. Une telle confi­gu­ra­tion très mar­quée sur le plan com­mu­nau­taire risque en tout cas de ne pas rendre aisées les pro­chaines négo­cia­tions entre enti­tés fédé­rées, sur le plan de la pour­suite de la réforme de l’État comme sur le plan budgétaire.

La Belgique en décroissance

Les pers­pec­tives éco­no­miques et bud­gé­taires sont en effet plus que sombres. En 2009, la Bel­gique devrait connaître une décrois­sance de son PIB de l’ordre de 5%, le défi­cit des finances publiques serait de près de 6% du PIB, fai­sant repar­tir la dette publique dans la direc­tion des 100% (on en serait à 106% en 2014)! Le fédé­ral a pré­vu de reve­nir à l’équilibre pour 2015, ce qui impli­que­ra un effort de 20 mil­liards (en recettes ou en dépenses) éta­lé sur six ans, soit 3,5 mil­liards par an… Il est donc impen­sable que les Régions et les Com­mu­nau­tés ne par­ti­cipent pas à l’effort.

Pour les par­tis fla­mands, celui-ci devrait être pro­por­tion­nel à la part du fédé­ral et des Régions et Com­mu­nau­tés dans les finances publiques, soit 60% pour le fédé­ral, 25% des Com­mu­nau­tés et des Régions, les com­munes devant, elles, assu­rer 15% de l’effort… Une fois n’est pas cou­tume, la dis­cus­sion s’annonce très dure, d’autant que les par­tis fla­mands pour­raient être ten­tés d’adopter la tac­tique pré­co­ni­sée par Bart Mad­dens, poli­to­logue de la KUL. Celui-ci invite les Fla­mands à appli­quer une nou­velle méthode pour for­cer les par­tis fran­co­phones à accep­ter une réforme de l’État. Il s’agit en sub­stance d’une stra­té­gie de pour­ris­se­ment où la Flandre ces­se­rait d’exiger une réforme de l’État rapide, mais lais­se­rait « venir » les demandes fran­co­phones en matière de finan­ce­ment des enti­tés fédé­rées et par­ti­cu­liè­re­ment de Bruxelles et de la Com­mu­nau­té fran­çaise, leur pré­sen­tant une fin de non-rece­voir jusqu’à pous­ser les fran­co­phones à négo­cier des réformes sub­stan­tielles… Paral­lè­le­ment, la Flandre devrait uti­li­ser au maxi­mum ses com­pé­tences et ses moyens finan­ciers pour contrer les effets de la crise, par exemple en appor­tant des com­plé­ments aux allo­ca­tions fami­liales. Insen­si­ble­ment, le débat intra­fran­co­phone pour­rait donc reve­nir, comme dans les années nonante, sur le déli­cat arbi­trage entre les besoins en matière de sécu­ri­té sociale et ceux en matière d’enseignement et de culture au sens large…

André Jakkals


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