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2010 : un printemps pour les « petits partis » ?

Numéro 11 Novembre 2010 par Paul Wynants

novembre 2010

À la sur­prise des obser­va­teurs, un nou­vel enjeu émerge au début de la cam­pagne élec­to­rale, assez terne, qui pré­cède le scru­tin du 13 juin 2010 : l’ac­cès des par­tis alter­na­tifs aux médias et à la repré­sen­ta­tion par­le­men­taire. Contrai­re­ment aux appa­rences, ce débat n’est pas neuf. Dès 2002 – 2003, il s’est tenu au Par­le­ment et devant la Cour d’ar­bi­trage, lors­qu’il s’est agi de subor­don­ner la dévo­lu­tion des sièges, dans les cir­cons­crip­tions (Chambre) et les col­lèges élec­to­raux (Sénat), au fran­chis­se­ment d’un seuil de 5% des voix. À plu­sieurs reprises, il a rebon­di par la suite, quand les condi­tions requises pour une repré­sen­ta­tion des for­ma­tions poli­tiques dans les assem­blées ont été évo­quées à d’autres niveaux de pou­voir. En 2010, tou­te­fois, le dos­sier fran­chit le seuil de poli­ti­sa­tion : il a atteint le stade à par­tir duquel il donne lieu à une mobi­li­sa­tion des acteurs de la vie publique, des médias et de cer­tains seg­ments de l’opinion.

Com­ment expli­quer pareil phé­no­mène ? Par sa nature, son inten­si­té et ses carac­té­ris­tiques, la crise poli­tique belge du prin­temps 2010 n’y est pas étran­gère. Les don­nées du pro­blème peuvent se résu­mer en un para­doxe. D’une part, les élec­tions du 13 juin 2010 appa­raissent sou­vent, aux yeux des mili­tants des par­tis alternatifs[efn_note]Cette déno­mi­na­tion s’im­pose par défaut. Même si elle est par­fois uti­li­sée dans ces pages, la qua­li­fi­ca­tion de « petits par­tis » semble déso­bli­geante pour dési­gner des for­ma­tions qui se pré­valent de « grandes idées ». Plus per­ti­nente d’un point de vue scien­ti­fique, la for­mule « par­tis qui ne jouissent pas encore d’une repré­sen­ta­tion par­le­men­taire » est trop longue et trop tara­bis­co­tée. C’est pour­quoi elle ne s’im­pose pas dans les médias.[/efn_note], comme une oppor­tu­ni­té à sai­sir en vue de réa­li­ser une per­cée par la voie des urnes. D’autre part, les obs­tacles dres­sés sur leur route, avant qu’ils soient en mesure d’at­teindre un tel résul­tat, res­tent diri­mants. Ce para­doxe sus­cite de vives réac­tions dans le chef des for­ma­tions concer­nées et de leurs sym­pa­thi­sants, mais éga­le­ment dans le monde des médias et dans des cercles d’intellectuels[efn_note]Voir par exemple la « carte blanche » de Abra­mo­wicz M., Ancion N., Der­magne J.-M., de Vries A., Engel V., Jes­pers J.-J., Le Fort A., Van der Meer­schen B., « Quand la pré­ci­pi­ta­tion bafoue la démo­cra­tie », Le Soir, 7 mai 2010.[/efn_note]. À un moment où l’on craint une pous­sée de l’ab­sen­téisme et de l’abs­ten­tion­nisme, le scé­na­rio d’un vote pro­tes­ta­taire, émis au béné­fice de listes alter­na­tives, semble béné­fi­cier d’une cer­taine faveur.

À tort ou à rai­son, les élec­tions du 13 juin 2010 appa­raissent comme du pain bénit pour les par­tis de ce type. Elles leur offrent, en effet, l’oc­ca­sion de se posi­tion­ner en rup­ture avec le sys­tème conso­cia­tif « à la belge » (voir ci-des­sous), grip­pé depuis 2007. Elles leur per­mettent aus­si d’é­pin­gler les carences de l’es­ta­blish­ment poli­tique, dont les trac­ta­tions en cir­cuit fer­mé ont échoué, avant de plon­ger le pays dans une crise existentielle.


La démo­cra­tie conso­cia­tive (ou conso­cia­tio­na­lisme) est un sys­tème qui s’est ins­tal­lé dans des pays (comme la Bel­gique, les Pays-Bas, la Suisse…) tra­ver­sés par des cli­vages reli­gieux, phi­lo­so­phiques, sociaux, lin­guis­tiques ou eth­niques dont l’a­cui­té menace la cohé­sion sociale. Pour conju­rer ce risque, la pré­ven­tion et la ges­tion des conflits y sont ins­ti­tu­tion­na­li­sées : des com­pro­mis (comme nos fameux « pactes ») sont négo­ciés entre les élites diri­geantes des dif­fé­rents seg­ments, avec par­tage du pou­voir, des influences et des ressources.


Les forces d’op­po­si­tion radi­cale ne manquent pas d’ex­ploi­ter les péri­pé­ties de notre vie publique, émet­tant des cri­tiques en phase avec les états d’âme de citoyens désa­bu­sés. Elles montent en épingle l’im­puis­sance des élites tra­di­tion­nelles. Celle-ci ne s’in­carne-t-elle pas en la per­sonne d’Yves Leterme, accu­lé à cinq démis­sions en ses qua­li­tés de for­ma­teur, puis de Pre­mier ministre, après que l’on eut appe­lé à la res­cousse des dépan­neurs comme Verhof­stadt, Mar­tens, Van Rom­puy et Dehaene ? Ne se condense-t-elle pas en un sigle, celui de BHV ? Bien éloi­gné des pré­oc­cu­pa­tions de la plu­part des élec­teurs, ce dos­sier n’a-t-il pas don­né lieu à des reports d’é­chéances, sous la forme de pro­cé­dures de conflit d’in­té­rêts en cas­cade, à un vote « bloc contre bloc » en com­mis­sion de la Chambre, à des lec­tures diver­gentes du droit, puis à l’ef­fon­dre­ment d’une coa­li­tion hété­ro­clite, après que l’hy­po­thèse d’un recours à la « bombe ato­mique ins­ti­tu­tion­nelle », la son­nette d’a­larme, eut été envisagée ?

En pareil contexte, la lec­ture popu­liste du sys­tème belge, foca­li­sée sur le slo­gan du « fos­sé sépa­rant la classe poli­tique du citoyen », peut reprendre vigueur. Pour lui don­ner une appa­rence de cré­di­bi­li­té, ne suf­fit-il pas d’op­po­ser l’en­li­se­ment des « vrais pro­blèmes » res­sen­tis par la popu­la­tion — l’emploi, le pou­voir d’a­chat, la sécu­ri­té — à la ges­tion chao­tique de l’a­gen­da poli­tique par les déci­deurs ? Depuis la pre­mière ten­ta­tive de for­mer une coa­li­tion orange-bleu jus­qu’au tor­pillage du gou­ver­ne­ment Leterme par Alexan­der De Croo, que de temps ne consacre-t-on pas aux palabres communautaires !

Point n’est besoin non plus de déve­lop­per une argu­men­ta­tion ser­rée pour dénon­cer « l’ir­res­pon­sa­bi­li­té » des ténors de notre vie publique. Il est com­mode de recueillir les appré­cia­tions caus­tiques de la presse natio­nale et inter­na­tio­nale pour accré­di­ter la thèse d’un « cirque poli­tique ». Quel pays, il est vrai, sinon une Bel­gique sur­réa­liste, peut se payer le luxe d’une crise gou­ver­ne­men­tale à la veille d’une pré­si­dence euro­péenne, alors que l’eu­ro tangue et que le chô­mage menace de cre­ver tous les pla­fonds, au moment même où le Bureau du Plan annonce la néces­si­té d’un assai­nis­se­ment dras­tique des finances publiques, pour évi­ter la conta­gion d’une crise « à la grecque » ?

Que dire, enfin, de l’illi­si­bi­li­té et de la vacui­té de dis­cours tenus, durant la cam­pagne élec­to­rale, par la plu­part des par­tis domi­nants ? Ceux-ci montent au feu à contre­cœur, sinon la corde au cou. San­glant en 2009, le duel Di Rupo-Reyn­ders se mue en duo consen­suel. Une cer­taine presse (en par­ti­cu­lier La Der­nière Heure) tente de com­pen­ser la fai­blesse du conte­nu, dans les mes­sages poli­tiques, par une peo­pli­sa­tion outran­cière de l’es­pace rédac­tion­nel, avec le concours d’ac­teurs sur­mé­dia­ti­sés. À quoi riment ces articles consa­crés au port du cale­çon ou du pyja­ma par tel ou tel lea­deur, à l’in­ten­si­té de sa vie sexuelle, à sa consom­ma­tion de fri­ca­delles ou de bou­lettes à la sauce chasseur ?

Face à de telles dérives, les par­tis alter­na­tifs croient pou­voir s’en­gouf­frer dans les brèches que leur ouvre un sys­tème poli­tique assez cade­nas­sé, en tout cas dans la par­tie fran­co­phone du pays. Avec un indé­niable sens tac­tique, ils sai­sissent l’oc­ca­sion, qui leur est offerte, sur un pla­teau d’argent, de remettre des ques­tions de fond au centre des débats : ain­si, l’a­ve­nir de la Wal­lo­nie et de Bruxelles face à l’ap­pé­tit insa­tiable d’une Flandre gan­gré­née par le natio­na­lisme, ou encore la légi­ti­mi­té d’une poli­tique socioé­co­no­mique qui fait payer aux contri­buables à la fois le sau­ve­tage des banques et les séquelles de la crise finan­cière, en termes de défi­cit et d’en­det­te­ment publics.

Devant le bou­le­vard qui semble s’ou­vrir devant eux, les par­tis alter­na­tifs croient leur heure venue. Sont-ils à même de démen­tir l’af­fir­ma­tion du poli­to­logue fran­çais Jean Char­lot (Ins­ti­tut d’é­tudes poli­tiques de Paris), selon laquelle « la peti­tesse n’est jamais une qua­li­té en poli­tique ; c’est au pire la sanc­tion de l’é­chec, au mieux l’es­poir d’un avenir»[efn_note]Charlot J. (1994), La poli­tique en France, Le Livre de Poche, p. 105.[/efn_note]? C’est à cette thé­ma­tique qu’est consa­cré le pré­sent dos­sier, dont la publi­ca­tion s’é­che­lon­ne­ra en plu­sieurs livraisons.

On y sou­lè­ve­ra, tout d’a­bord, une ques­tion contro­ver­sée : les par­tis alter­na­tifs ont-ils réel­le­ment voix au cha­pitre ? C’est le pro­blème de la car­tel­li­sa­tion du sys­tème poli­tique sous l’in­fluence des for­ma­tions éta­blies qui est ain­si posé. En la matière, il y a lieu, on le ver­ra, de mener une ana­lyse nuancée.

Quand bien même elles seraient désa­van­ta­gées, sur la ligne de départ, les « petites listes » ne sur­es­timent-elles pas leur attrac­ti­vi­té poten­tielle ? L’offre poli­tique qu’elles pro­posent, en termes pro­gram­ma­tiques, est-elle de nature à séduire le corps élec­to­ral ? Les stra­té­gies déployées sont-elles effi­caces pour drai­ner les voix de citoyens per­plexes, cri­tiques ou désa­bu­sés ? Pour répondre à ces inter­ro­ga­tions, on pas­se­ra en revue tout l’é­ven­tail des par­tis alter­na­tifs de Wal­lo­nie et de Bruxelles. Seront évo­qués suc­ces­si­ve­ment la recom­po­si­tion de l’ex­trême gauche, la déli­ques­cence de l’ex­trême droite, le des­tin contras­té des dis­si­dences et des par­tis assi­mi­lés à celles-ci, les divi­sions de la mou­vance wal­lonne radi­cale, l’im­passe de Vivant et d’autres listes confi­den­tielles en Bel­gique fran­co­phone. On consta­te­ra sans s’en réjouir que les « petits par­tis » qui pro­gressent le plus n’hé­sitent pas à recou­rir à cer­taines formes de déma­go­gie ou de populisme.

Si ces sujets sont dignes d’in­té­rêt, force est de consta­ter que l’a­na­lyste est bien dému­ni pour les abor­der. D’une part, en effet, les études scien­ti­fiques consa­crées aux par­tis alter­na­tifs ne sont pas légion, ni d’un accès facile : « les “petites” for­ma­tions res­tent peu étu­diées par la théo­rie géné­rale des par­tis poli­tiques, qui concentre l’es­sen­tiel de sa réflexion sur les forces sus­cep­tibles d’exer­cer le pouvoir[efn_note]Laurent A. Vil­lal­ba B. (1997), Les petits par­tis. De la peti­tesse en poli­tique, L’Har­mat­tan, 1997, p. 10. On dis­pose, tou­te­fois, de maté­riaux utiles réunis par l’é­quipe du Crisp (Arcq É., Blaise P., de Coore­by­ter V., Faniel J., Säges­ser C.) dans dif­fé­rentes livrai­sons du Cour­rier heb­do­ma­daire de ce centre. Pour les contri­bu­tions qui suivent, nous avons uti­li­sé les Cour­riers heb­do­ma­daires 1653 – 1654, 1725 – 1726, 1742 – 1743, 1799 – 1800, 1853 – 1854, 1946 – 1947, 1952 – 1953, 1964 – 1965, 2022 – 2023, 2043 – 2044 et 2061 – 2062, rela­tifs à la pré­pa­ra­tion et aux résul­tats de dif­fé­rents scru­tins. D’autres études du Crisp, plus spé­ci­fiques, seront citées dans l’o­rien­ta­tion biblio­gra­phique accom­pa­gnant chaque contribution.[/efn_note]». D’autre part, les docu­ments pro­duits par les for­ma­tions concer­nées sont géné­ra­le­ment conçus dans une pers­pec­tive mili­tante, de sorte que leur exploi­ta­tion requiert pru­dence et esprit cri­tique. C’est pour­quoi l’am­bi­tion du pré­sent dos­sier est limi­tée : notre pro­pos consiste à esquis­ser les contours d’une réa­li­té com­plexe et à ali­men­ter à ce pro­pos la réflexion de citoyens que la vie poli­tique du pays inter­pelle. (26 aout 2010)

ADW : Alliance démo­cra­tique wallonne
Aga­lev : Anders gaan leven
Ama­da : Alle macht aan de arbeiders
ASCF : Alter­na­tive socia­liste citoyenne de Flémalle
Belg.Unie : Bel­gique Unie – Bel­gische Unie
BUB : Bel­gische Unie – Union belge
CAP : Comi­té pour une autre politique
CDF : Chré­tiens démo­crates fran­co­phones (puis fédéraux)
CDH : Centre démo­crate humaniste
CD&V : Chris­ten-Demo­cra­tisch & Vlaams
Éco­lo : Éco­lo­gistes confé­dé­rés pour l’organisation de luttes originales
FDF : Front démo­cra­tique des fran­co­phones, puis Fédé­ra­listes démo­crates francophones
FN : Front national
FNB : Front nou­veau de Belgique
FNPB : Fédé­ra­tion des natio­na­listes popu­laires bruxellois
FNW : Fédé­ra­tion des natio­na­listes wallons
LCR : Ligue com­mu­niste révolutionnaire
LDD : Lijst Dedecker
LiDé : Libé­ral démocrate
LRT : Ligue révo­lu­tion­naire des travailleurs
MAS : Mou­ve­ment pour une alter­na­tive socialiste
MCC : Mou­ve­ment des citoyens pour le changement
MP Édu­ca­tion : Mou­ve­ment pour l’éducation
MR : Mou­ve­ment réformateur
MS : Mou­ve­ment socialiste
N : Nouveau-Nieuw-Neu
NPA : Nou­veau par­ti anti­ca­pi­ta­liste (France)
N‑VA : Nieuw-Vlaamse Alliantie
PC(B): Par­ti com­mu­niste (de Belgique)
PH : Par­ti humaniste
POS : Par­ti ouvrier socialiste
PP : Par­ti populaire
PS : Par­ti socialiste
PSC : Par­ti social chrétien
PSDI : Par­ti social démo­cra­tique italien
PSL : Par­ti socia­liste de lutte
PTB : Par­ti du tra­vail de Belgique
PvdA : Par­tij van de Arbeid
RBF : Ras­sem­ble­ment Bruxelles-France
RW : Ras­sem­ble­ment wallon
RWF : Ras­sem­ble­ment Wallonie-France
SP : Socia­lis­tische Par­tij (Pays-Bas)
SP.A : Socia­lis­tische Par­tij Anders (puis Alternatief)
Spi­rit : Sociaal, pro­gres­sief, inter­na­tio­naal, regiona­lis­tisch, inte­graal-demo­cra­tisch en toekomstgericht
TPO : Tout le pou­voir aux ouvriers
UAG : Une autre gauche
UDRT : Union démo­crate pour le res­pect du travail
UPW : Union pour la Wallonie
(Open) VLD : (Open) Vlaamse Libe­ra­len en Democraten
Wal­lons : Wal­lons, agis­sons et lut­tons pour la liber­té et une orga­ni­sa­tion nou­velle solidaire
W+ : Wallonie +

Un oligopole des partis établis ?

Toute élec­tion est une com­pé­ti­tion qui oppose des listes et des can­di­dats. À cer­tains égards, elle res­semble à un mar­ché concur­ren­tiel dont des agents éco­no­miques se dis­putent le contrôle. Chaque acteur poli­tique s’efforce, en effet, d’accroitre sa part de l’électorat, non seule­ment en ten­tant de mobi­li­ser les abs­ten­tion­nistes poten­tiels, mais aus­si en affai­blis­sant ses rivaux. On peut, dès lors, s’interroger : les « grands par­tis » n’abusent-ils pas de leur posi­tion dominante ?

Les rap­ports de force préexistants

Dès le départ, les for­ma­tions en pré­sence n’ont pas des chances iden­tiques de suc­cès : de la même manière qu’une mul­ti­na­tio­nale pèse plus lourd qu’une PME sur le mar­ché mon­dial, un par­ti éta­bli (esta­bli­shed par­ty) est avan­ta­gé, dans l’arène élec­to­rale, par rap­port à un out­si­der. En science poli­tique, ce der­nier n’est d’ailleurs pas doté d’une déno­mi­na­tion usuelle : selon les cas, il est dési­gné comme un « petit par­ti », une « for­ma­tion alter­na­tive », un « nou­veau venu », voire un « intrus ».

Un par­ti éta­bli jouit d’une repré­sen­ta­tion signi­fi­ca­tive et durable dans les assem­blées. Il dis­pose, de ce fait, de res­sources humaines et finan­cières non négli­geables. Il par­ti­cipe, ne fût-ce qu’occasionnellement, à l’exercice du pou­voir. De la sorte, il est à même de défendre ses inté­rêts lorsque s’élaborent les règles du jeu élec­to­ral ou quand se des­sine l’armature ins­ti­tu­tion­nelle requise pour l’organisation de scru­tins. Un out­si­der, par contre, ne compte guère de man­da­taires, voire aucun, dans les assem­blées. En son sein, les pro­fes­sion­nels de la poli­tique sont tota­le­ment absents ou très peu nom­breux. Les moyens finan­ciers mobi­li­sables y sont réduits à la por­tion congrue. Un tel par­ti n’est pas asso­cié à l’exercice du pou­voir. Il est géné­ra­le­ment pri­vé d’influence sur la déter­mi­na­tion du dis­po­si­tif électoral.

Tout comme la concur­rence peut être faus­sée sur un mar­ché par une entente entre grandes entre­prises, la com­pé­ti­tion élec­to­rale peut être biai­sée par la for­ma­tion d’un oli­go­pole poli­tique. Dans ce cas de figure, les par­tis éta­blis s’accordent sur les contours d’un sys­tème élec­to­ral qui les avan­tage. En matière d’élections, on connait maints exemples de méca­nismes taillés sur mesure par les acteurs domi­nants : ces der­niers cherchent ain­si à se pré­mu­nir d’un chan­ge­ment de majo­ri­té, à maxi­mi­ser leurs gains, à mini­mi­ser leurs pertes, à empê­cher l’arrivée de nou­veaux venus ou, au contraire, à favo­ri­ser l’émergence d’acteurs sus­cep­tibles de nuire à leurs concur­rents (Sain­te­ny, Bolin).

Afin d’instaurer un oli­go­pole poli­tique, les par­tis éta­blis façonnent à leur guise le mode de scru­tin, le régime élec­to­ral et les voies d’accès aux médias. Le mode de scru­tin a pour objet la trans­for­ma­tion des suf­frages expri­més en man­dats élec­tifs. Outre le décou­page des cir­cons­crip­tions, il inclut les dis­po­si­tions réglant la dévo­lu­tion des sièges et l’existence éven­tuelle d’un seuil de repré­sen­ta­tion. Le régime élec­to­ral est une notion plus large. En sus des normes régis­sant le droit de vote, l’éligibilité et le mode de scru­tin pré­ci­té, il englobe les condi­tions aux­quelles est sou­mis le dépôt des can­di­da­tures, ain­si que la légis­la­tion sur le finan­ce­ment des par­tis (Dia­man­to­pou­los, 14). En Com­mu­nau­té fran­çaise, l’accès aux médias — il s’agit sur­tout de la radio et de la télé­vi­sion — est régi prin­ci­pa­le­ment par les dis­po­si­tifs élec­to­raux arrê­tés par la RTBF et RTL-TVI. Dans le cas de la chaine publique, un tel dis­po­si­tif pré­voit notam­ment des « périodes de pru­dence » et des « périodes de comp­tage » pour le pas­sage, sur les ondes ou sur les antennes, des can­di­dats, des man­da­taires et des « mili­tants notoires » des par­tis. Il déter­mine l’organisation des émis­sions et des séquences consa­crées au scru­tin, ain­si que l’accès des for­ma­tions poli­tiques aux tri­bunes élec­to­rales. Sur ces dif­fé­rents plans, nous exa­mi­ne­rons le sort réser­vé aux par­tis alter­na­tifs lors des élec­tions légis­la­tives du 13 juin 2010.

La ges­tion du temps

Un préa­lable s’impose, cepen­dant : il convient d’épingler la nature du der­nier scru­tin, qui en affecte la pré­pa­ra­tion et le dérou­le­ment. Les élec­tions du 13 juin 2010 n’interviennent pas au terme nor­mal d’une légis­la­ture. Elles se déroulent à la suite d’une dis­so­lu­tion anti­ci­pée des Chambres, consé­cu­tive à la publi­ca­tion au Moni­teur d’une liste d’articles de la Consti­tu­tion à sou­mettre à révi­sion. Dans une cer­taine mesure, le calen­drier des opé­ra­tions est fixé en der­nière minute. De sur­croit, il inclut un cer­tain nombre de jours fériés, impli­quant l’anticipation de démarches à effec­tuer par les par­tis. Par consé­quent, ces der­niers dis­posent d’un temps réduit pour gérer une foule de pro­blèmes immé­diats : négo­cier une éven­tuelle alliance, recueillir les actes de can­di­da­ture, confec­tion­ner les listes, dépo­ser celles-ci, éla­bo­rer un pro­gramme, choi­sir un slo­gan, dres­ser un plan de cam­pagne, faire impri­mer des affiches et des tracts…

Les for­ma­tions alter­na­tives sont, mani­fes­te­ment, prises au dépour­vu. Pour elles, le retour pré­ci­pi­té aux urnes sou­lève des dif­fi­cul­tés d’autant plus épi­neuses qu’elles doivent tabler sur des res­sources humaines et finan­cières res­treintes. En d’autres termes, elles sont d’emblée péna­li­sées par le timing. À cet obs­tacle ini­tial s’en ajoutent d’autres, plus ou moins diri­mants. Sui­vant l’ordre chro­no­lo­gique des pro­cé­dures, nous évo­que­rons les condi­tions de dépôt des can­di­da­tures, la légis­la­tion sur le finan­ce­ment fédé­ral des par­tis, l’accès aux médias, les règles de dévo­lu­tion des sièges et les effets du seuil de représentation.

La pré­sen­ta­tion des candidats

La ques­tion évo­quée ici est celle du par­rai­nage des listes. À la Chambre, confor­mé­ment à l’article 116 § 1 du Code élec­to­ral, tout acte de pré­sen­ta­tion de can­di­dats doit être signé soit par au moins trois dépu­tés sor­tants, soit par un cer­tain nombre d’électeurs. Ceux-ci doivent être au moins cinq-cents, quatre-cents ou deux-cents selon que la popu­la­tion de la cir­cons­crip­tion est supé­rieure à un mil­lion d’habitants (Bruxelles-Hal-Vil­vorde), com­prise entre cinq-cent-mille et un-mil­lion d’habitants (pro­vinces de Hai­naut et de Liège) ou infé­rieure à cinq-cent-mille habi­tants (pro­vinces du Bra­bant wal­lon, de Luxem­bourg et de Namur). Au Sénat, en ver­tu de l’article 116 § 2 du Code élec­to­ral, tout acte de pré­sen­ta­tion de can­di­dats doit être signé soit par au moins deux séna­teurs sor­tants du groupe lin­guis­tique fran­çais, soit par au moins cinq-mille élec­teurs du col­lège élec­to­ral fran­çais. Au total, pour les deux assem­blées, ce sont donc au moins six-mille-neuf-cents signa­tures d’électeurs qui doivent être récol­tées afin d’entrer en lice à Bruxelles et en Wal­lo­nie, à défaut de sou­tien d’élus sortants.

Pré­cé­dem­ment, les for­ma­tions éta­blies ont accor­dé, sans trop de dif­fi­cul­tés, les par­rai­nages de par­le­men­taires exi­gés pour la pré­sen­ta­tion des can­di­dats de listes alter­na­tives : elles ont agi ain­si tan­tôt par convic­tion démo­cra­tique, tan­tôt par inté­rêt élec­to­ral. Dans le contexte de crise poli­tique que connait le pays depuis le prin­temps 2010, elles redoutent de subir non seule­ment les contre­coups de l’absentéisme, du vote blanc et du vote nul, mais éga­le­ment les effets d’un vote pro­tes­ta­taire émis en faveur de forces d’opposition radi­cale. Les deux par­tis fran­co­phones domi­nants, le PS et le MR, se sentent mena­cés, res­pec­ti­ve­ment, par la concur­rence de listes de gauche et d’extrême gauche1 ou par celle du Par­ti popu­laire, créa­tion du tan­dem Modri­ka­men-Aer­noudt. Les consignes res­tric­tives qu’ils donnent à leurs élus sor­tants déteignent, semble-t-il, sur Éco­lo et sur le CDH, au coude à coude pour la conquête du troi­sième rang. À l’appui des refus de par­rai­nage sont invo­qués des pré­textes pour le moins dis­cu­tables, comme « la dif­fi­cul­té de déter­mi­ner qui est qui » ou la crainte de cau­tion­ner des mou­ve­ments extré­mistes camou­flés sous des appel­la­tions léni­fiantes (La Libre Bel­gique, 11 mai 2010).

Cette forme inac­cou­tu­mée d’obstruction sème l’inquiétude dans les rangs des par­tis alter­na­tifs. Tout en mul­ti­pliant les pro­tes­ta­tions, ceux-ci lancent un appel à leurs troupes afin de recueillir les signa­tures de mil­liers d’électeurs, puis de les faire vali­der par les admi­nis­tra­tions com­mu­nales com­pé­tentes. Grâce à la mobi­li­sa­tion de leurs mili­tants, à l’utilisation des réseaux sociaux et du cour­riel, cer­taines for­ma­tions — le Par­ti popu­laire, le PTB+, Belg.Unie et Wal­lo­nie d’abord!, ain­si que le Front des gauches, pour la seule Chambre — sont en mesure de réa­li­ser cette per­for­mance (La Libre Bel­gique, 15 – 16 mai 2010). Le par­ti Vivant se tire d’affaire pour la Haute Assem­blée et la pro­vince de Liège. Les autres com­pé­ti­teurs poten­tiels risquent d’être éli­mi­nés. Cette pers­pec­tive sou­lève une vague de pro­tes­ta­tions dans cer­tains cercles d’intellectuels démocrates.

Les par­tis éta­blis changent alors de cap. Le 9 mai 2010, Éco­lo ouvre une brèche en « effec­tuant la moi­tié du che­min » : le par­ti vert met tan­tôt une, tan­tôt deux signa­tures de par­le­men­taires sor­tants, dont il n’a pas besoin pour dépo­ser ses propres listes, à la dis­po­si­tion de petites for­ma­tions démo­cra­tiques. Après un temps de réflexion, le MR fait de même. C’est pour­quoi le séna­teur coop­té Phi­lippe Fon­taine cosigne, avec la socia­liste dis­si­dente Anne-Marie Lizin, les actes de can­di­da­ture du MSplus au Sénat2. Mis sous pres­sion par la gauche intel­lec­tuelle et syn­di­cale, le PS vire de bord à son tour, invo­quant « les nom­breux signaux, tant de la socié­té civile que de la part de ses mili­tants, appe­lant à ouvrir le jeu démo­cra­tique » (Le Soir, 12 – 13 mai 2010). Seul le CDH reste inébran­lable : selon Mel­chior Wathe­let, il n’est « pas pos­sible de jau­ger, dans l’urgence, la cré­di­bi­li­té des listes en cause3 ». Après coup, Maxime Pré­vot, vice-pré­sident exé­cu­tif du par­ti orange, admet­tra cepen­dant que le nombre de signa­tures d’électeurs requis pour un scru­tin anti­ci­pé devrait pro­ba­ble­ment être revu à la baisse.

Pour les listes alter­na­tives, les dégâts paraissent, à pre­mière vue, rela­ti­ve­ment limi­tés. Les plus affec­tés sont le Front natio­nal4 et le FN+, sa dis­si­dence : absents tous deux au Sénat, le pre­mier n’est pré­sent qu’à Bruxelles-Hal-Vil­vorde, en Hai­naut et en pro­vince de Namur, alors que le second ne dépose une liste qu’en Hai­naut. Par contre, le Ras­sem­ble­ment Wal­lo­nie-France, le PTB+, le Front des gauches, le Par­ti popu­laire et Wal­lo­nie d’abord ! (extrême droite) figurent dans toutes les cir­cons­crip­tions, pour les deux assem­blées. Le MSplus n’est absent qu’à Bruxelles-Hal-Vil­vorde et en Bra­bant wal­lon. De son côté, le mou­ve­ment wal­lin­gant W+ se pré­sente dans toutes les cir­cons­crip­tions de la Chambre, sauf BHV et le Luxem­bourg, mais pas au Sénat. Le car­tel BUB (Bel­gische Unie-Union Belge) – CDF (Chré­tiens démo­crates fédé­raux), consti­tué sous le sigle de Belg.Unie, manque à l’appel au Sénat et en Hai­naut. En sus de la Haute Assem­blée, Vivant ne se mani­feste qu’en pro­vince de Liège, à la Chambre.

Il n’empêche que, pour les par­tis alter­na­tifs, c’est « la galère en pleine course élec­to­rale » (La Libre Bel­gique, 10 mai 2010). Afin d’obtenir les sou­tiens néces­saires, ces for­ma­tions perdent un temps pré­cieux et consomment bien des éner­gies qu’elles pour­raient consa­crer à des fins de pro­pa­gande. Pen­dant quelques jours, des citoyens en quête d’un jeu poli­tique plus ouvert éprouvent le sen­ti­ment désa­gréable d’être enfer­més dans un sys­tème cade­nas­sé. Selon les termes de Jean Faniel (Crisp), pour assu­rer la vita­li­té du régime repré­sen­ta­tif, il eût mieux valu que le scru­tin du 13 juin « ne pose ques­tion en termes d’ouverture démo­cra­tique » (Le Soir, 4 mai 2010).

Le finan­ce­ment public des partis

Depuis 1989, les moyens publics mis à la dis­po­si­tion des par­tis forment l’essentiel et par­fois même la qua­si-tota­li­té de leurs recettes. Leur obten­tion est donc cru­ciale pour assu­rer le deve­nir des for­ma­tions poli­tiques, leur mode de fonc­tion­ne­ment, leurs capa­ci­tés de déploie­ment et de pro­pa­gande (Del­wit, 2008, 240 – 243).

La loi du 17 février 2005, modi­fiant des dis­po­si­tions anté­rieures, limite l’accès au finan­ce­ment fédé­ral aux seuls par­tis dis­po­sant d’au moins un siège de par­le­men­taire dans l’une des deux Chambres. La dota­tion annuelle se com­pose d’une par­tie for­fai­taire et d’une par­tie variable, cal­cu­lée sur la base du nombre de votes vala­ble­ment expri­més en faveur de la for­ma­tion concer­née, lors du der­nier scru­tin natio­nal. Tant la fixa­tion des condi­tions d’octroi que la déter­mi­na­tion des mon­tants alloués sont opé­rées « par les béné­fi­ciaires de ces ver­se­ments » (Görans­son et Faniel, 77).

Un tel sys­tème érige le suc­cès élec­to­ral anté­rieur en para­mètre essen­tiel. Il contri­bue à sta­bi­li­ser les par­tis éta­blis et à favo­ri­ser la conti­nui­té de leur action, alors qu’ils béné­fi­cient déjà d’une forte visi­bi­li­té. À la dif­fé­rence de ce qui se pra­tique en Alle­magne, il n’existe aucun méca­nisme com­pen­sa­toire, visant à assu­rer un finan­ce­ment signi­fi­ca­tif aux for­ma­tions de petite taille. Bien plus, les par­tis dépour­vus de toute repré­sen­ta­tion par­le­men­taire sont écar­tés du béné­fice de la dota­tion. On note, enfin, qu’en Bel­gique, contrai­re­ment à ce qui se passe dans d’autres pays, les cam­pagnes élec­to­rales ne font pas l’objet, comme telles, d’un finan­ce­ment ou d’un rem­bour­se­ment par des fonds publics. Or, un tel sys­tème aurait pro­ba­ble­ment pour effet de faci­li­ter l’accès à l’arène élec­to­rale de par­tis nou­veaux ou d’un poids réduit, sans qu’ils soient frei­nés par le cout éle­vé de la propagande.

Bref, la légis­la­tion exis­tante ne garan­tit pas « un cer­tain degré d’ouverture à la lutte élec­to­rale, condi­tion de son carac­tère démo­cra­tique » (Görans­son et Faniel, 78). Elle concourt, au contraire, à « la fer­me­ture du sys­tème poli­tique aux nou­veaux venus » (Del­wit, 2003, 133 – 135). En favo­ri­sant les regrou­pe­ments et les car­tels, elle exerce aus­si une influence indé­niable sur la struc­tu­ra­tion du pay­sage poli­tique, nui­sant à la lisi­bi­li­té de celui-ci.

L’accès aux médias audiovisuels

Pour autant qu’elles soient res­pec­tueuses des prin­cipes démo­cra­tiques, condi­tion qui exclut l’extrême droite, les « listes fran­co­phones non repré­sen­tées simul­ta­né­ment par un groupe poli­tique à la Chambre et au Sénat », c’est-à-dire les par­tis alter­na­tifs, peuvent « faire connaitre leur pro­gramme auprès des audi­teurs, des télé­spec­ta­teurs et des inter­nautes de la RTBF » selon les moda­li­tés arrê­tées par le conseil d’administration de la chaine publique (Dis­po­si­tif élec­to­ral, p. 10 – 15). Ces moda­li­tés sont à la fois très pré­cises et assez strictes.

En télé­vi­sion, les for­ma­tions en ques­tion dis­posent d’une tri­bune élec­to­rale d’une durée maxi­male de trois minutes si elles pré­sentent une liste com­plète de can­di­dats effec­tifs et sup­pléants dans l’ensemble des cir­cons­crip­tions élec­to­rales de la Région wal­lonne et de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, à la Chambre, et dans le col­lège élec­to­ral fran­çais, pour l’élection au Sénat. Toutes celles qui ne déposent pas de listes com­plètes, pour les deux assem­blées et dans toutes les cir­cons­crip­tions, sont pri­vées de ce droit.

En radio, les par­tis alter­na­tifs dis­posent d’une tri­bune élec­to­rale d’une durée maxi­male de deux minutes s’ils pré­sentent une liste com­plète de can­di­dats effec­tifs et sup­pléants dans l’ensemble des cir­cons­crip­tions élec­to­rales de la Région wal­lonne et de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, à la Chambre, ou dans le col­lège élec­to­ral fran­çais, pour le Sénat. La durée maxi­male de cette tri­bune est réduite à une minute trente pour les for­ma­tions dépo­sant des listes com­plètes de can­di­dats effec­tifs et sup­pléants dans au moins trois des cir­cons­crip­tions de la Région wal­lonne et de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, à la Chambre. Elle n’est que d’une minute, avec dif­fu­sion non plus sur La Pre­mière, mais sur les décro­chages pro­vin­ciaux de Viva­Ci­té, si des listes com­plètes de can­di­dats effec­tifs et sup­pléants sont dépo­sées dans moins de trois cir­cons­crip­tions de la Région wal­lonne et de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, à la Chambre. Quant aux autres for­ma­tions, notam­ment celles qui pré­sentent des listes incom­plètes, elles ne peuvent béné­fi­cier que d’une tri­bune audio d’une durée maxi­male d’une minute, dif­fu­sée en strea­ming sur la page élec­tions du site inter­net de la RTBF.

En radio tou­jours, les par­tis alter­na­tifs font l’objet d’un billet-repor­tage indi­vi­duel dans un jour­nal par­lé natio­nal, s’ils pré­sentent une liste com­plète dans la moi­tié au moins des cir­cons­crip­tions fran­co­phones ou bilingue, à la Chambre, ou dans le col­lège élec­to­ral fran­çais, au Sénat. Il ne peut y avoir déro­ga­tion à cette condi­tion que sur déci­sion du direc­teur de l’information et des sports, « en cas d’intérêt édi­to­rial, jour­na­lis­tique et infor­ma­tif pour les audi­teurs ». Le billet-repor­tage est dif­fu­sé dans un jour­nal par­lé régio­nal si la for­ma­tion dépose une liste com­plète dans la cir­cons­crip­tion de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, à la Chambre, ou des listes com­plètes dans moins de la moi­tié des cir­cons­crip­tions fran­co­phones ou bilingue, à la Chambre. Les par­tis alter­na­tifs font aus­si l’objet d’une ou plu­sieurs brèves de cam­pagne « lorsque cela se jus­ti­fie d’un point de vue édi­to­rial, jour­na­lis­tique et infor­ma­tif, lais­sé à l’appréciation sou­ve­raine des rédactions ».

Le 3 juin 2010, dans Matin Pre­mière, un jour­na­liste de la RTBF inter­viewe, pen­dant quelques minutes, quatre can­di­dats arbo­rant les cou­leurs des prin­ci­paux « par­tis démo­cra­tiques fran­co­phones non repré­sen­tés simul­ta­né­ment par un groupe poli­tique à la Chambre et au Sénat » : le Par­ti popu­laire, le Front des gauches, le PTB+ et le Ras­sem­ble­ment Wal­lo­nie-France. Ces porte-paroles par­ti­cipent ensemble à l’émission Ques­tions publiques du même jour. Notons que les rédac­tions de la RTBF jouissent d’une sou­ve­rai­ne­té d’appréciation dans le choix des cri­tères d’invitation à cette émis­sion, « en fonc­tion notam­ment de la pré­sence régu­lière des listes aux pré­cé­dentes élec­tions, de leurs résul­tats élec­to­raux anté­rieurs, des per­son­na­li­tés qu’elles accueillent, des prin­ci­paux thèmes de cam­pagne qu’elles déve­loppent et de l’intérêt édi­to­rial, jour­na­lis­tique et infor­ma­tif qu’elles repré­sentent pour les audi­teurs ». En l’occurrence, c’est le dépôt de listes dans les deux assem­blées et toutes les cir­cons­crip­tions (Wal­lo­nie et Bruxelles) qui prévaut.

Un cri­tère simi­laire est rete­nu en télé­vi­sion. Il est appli­qué pour déter­mi­ner quelles for­ma­tions figurent dans le billet géné­ral consa­cré aux « petits par­tis », insé­ré dans un jour­nal télé­vi­sé. Il est invo­qué pour sélec­tion­ner le Ras­sem­ble­ment Wal­lo­nie-France, le PTB+, le Front des gauches et le Par­ti popu­laire en vue du débat tenu, le 23 mai 2010, lors de l’émission Mise au Point.

Enfin, sur le web, les par­tis alter­na­tifs démo­cra­tiques ont accès au site inter­net de la RTBF pour pré­sen­ter leur pro­gramme et leurs can­di­dats. Les rédac­tions de la chaine publique ont éga­le­ment la facul­té, mais non l’obligation, de dif­fu­ser des vidéos conte­nant des inter­views de repré­sen­tants de ces for­ma­tions, ain­si que des débats oppo­sant des porte-paroles de « grands » et « petits partis ».

Pareil dis­po­si­tif élec­to­ral est adop­té par le conseil d’administration de la RTBF, les 5 et 14 mai 2010. Plu­ra­liste, l’organe de la chaine publique est une éma­na­tion du Par­le­ment de la Com­mu­nau­té fran­çaise : ses membres sont dési­gnés par les par­tis éta­blis. Ces der­niers s’entendraient-ils pour ne pas don­ner la parole à la concurrence ?

Afin de répondre à cette ques­tion en connais­sance de cause, l’histoire récente du dis­po­si­tif élec­to­ral de la RTBF doit être rap­pe­lée. Jusqu’en 2007, la chaine publique n’accorde que le strict mini­mum, soit une tri­bune élec­to­rale, aux for­ma­tions alter­na­tives. En 2009, outre des billets et des sujets consa­crés aux « petites listes » dans les jour­naux par­lés et télé­vi­sés, elle leur octroie la pos­si­bi­li­té de débattre entre elles. En 2010, sur pro­po­si­tion de la rédac­tion, une note de l’administrateur géné­ral Jean-Paul Phi­lip­pot pré­voit que les par­tis non repré­sen­tés au Par­le­ment peuvent affron­ter les « grands » sur des sujets par­ti­cu­liers : ain­si les matières sociales pour le PTB+, le dos­sier com­mu­nau­taire pour le Ras­sem­ble­ment Wal­lo­nie-France, la jus­tice pour le Par­ti popu­laire. Cette pro­po­si­tion est repous­sée par le conseil d’administration, au motif que « les petits par­tis ne seraient enten­dus que ponc­tuel­le­ment, sur cer­taines par­ties de leur pro­gramme », à la dif­fé­rence des « grands par­tis », inter­ro­gés sur toutes les ques­tions pos­sibles. Le risque de rendre « les débats inau­dibles, en rai­son du nombre de pro­ta­go­nistes » est éga­le­ment invo­qué (Le Soir, 11 mai 2010). Par contre, le conseil d’administration de la RTBF accepte la pro­po­si­tion d’organiser des débats dif­fu­sés sur le web, en pré­ci­sant que « petits comme grands par­tis y seraient sus­cep­tibles de débattre de tous les thèmes de campagne ».

Cette posi­tion mécon­tente la rédac­tion et la Socié­té des jour­na­listes de la chaine publique, d’autant que RTL-TVI annonce une atti­tude moins res­tric­tive. Elle pro­voque une levée de bou­cliers dans les états-majors des par­tis alter­na­tifs, ample­ment réper­cu­tée par la presse. Ain­si, le Ras­sem­ble­ment Wal­lo­nie-France dénonce « les cen­seurs de ser­vice, qui ne nous lais­se­ront que des miettes », et « le com­por­te­ment auto­cra­tique de la direc­tion de Jean-Paul Phi­lip­pot et du CA de la RTBF5 ». De son côté, M. Modri­ka­men, copré­sident du Par­ti popu­laire, condamne « la main­mise du conseil d’administration, contrô­lé par les quatre par­tis tra­di­tion­nels, sur l’organisation des débats, qui ne laisse que peu de pos­si­bi­li­tés aux petites for­ma­tions pour se faire entendre » (lalibre.be, 23 mai 2010)6.

La réac­tion la plus vive émane du PTB+. Ce der­nier lance une cam­pagne inter­net, sous la forme d’une lettre ouverte adres­sée « aux repré­sen­tants des par­tis poli­tiques PS, MR, Éco­lo et CDH au sein du conseil d’administration de la RTBF ». En moins de deux jours, 1.331 cour­riels par­viennent à leurs des­ti­na­taires. On y lit notam­ment : « De quoi les “grands” par­tis ont-ils peur, au point de refu­ser le débat avec les plus petits par­tis ? Nous pen­sons, en tant que démo­crates, que le débat avec des listes non repré­sen­tées dans un gou­ver­ne­ment de majo­ri­té ne peut que don­ner une pers­pec­tive de choix autre que l’abstentionnisme […]. On veut res­treindre ce débat, plus par­ti­cu­liè­re­ment dans les médias audio­vi­suels dont tous les obser­va­teurs disent, vu la durée courte de cette cam­pagne, qu’ils seront déter­mi­nants pour le choix de l’électeur7. » Le porte-parole du PTB+, Raoul Hede­bouw, ajoute : « Notre par­ti dénonce le carac­tère conser­va­teur de ce dis­po­si­tif élec­to­ral […]. Les temps de parole des dif­fé­rents par­tis sont cal­cu­lés sur base des scores aux der­nières élec­tions. En fonc­tion de ce qu’ils ont fait, et pas de ce qu’ils peuvent faire. Et ce, au pourcent de temps de parole près. Il vau­drait mieux mettre tout le monde sur la même ligne de départ et don­ner le véri­table choix aux élec­teurs » (La Libre Bel­gique, 17 mai 2010).

Le Comi­té per­ma­nent de la RTBF modi­fie l’attitude de la chaine publique, le 21 mai 2010. Sur pro­po­si­tion de la rédac­tion, il accepte l’organisation d’un débat en télé­vi­sion et d’un autre en radio, met­tant en pré­sence les quatre « grands par­tis » et quatre for­ma­tions alter­na­tives, consa­crés l’un et l’autre aux enjeux de cam­pagne défi­nis dans le dis­po­si­tif élec­to­ral. Cette fois, ce sont les listes écar­tées de ces joutes, comme Belg.Unie, qui dénoncent « le carac­tère arbi­traire » de sem­blable déci­sion8.

La ques­tion de l’accès des par­tis à la radio et à la télé­vi­sion est un sujet extrê­me­ment déli­cat, on le voit. Quelle que soit l’orientation prise, elle est de nature à satis­faire les uns et à mécon­ten­ter les autres. Sou­mise à des normes internes moins contrai­gnantes que la chaine publique, mais pro­ba­ble­ment plus sen­sible à la néces­si­té de « faire de l’audience », RTL-TVI ren­contre, à son tour, la même dif­fi­cul­té. Elle accorde une tri­bune de cinq minutes aux par­tis alter­na­tifs sur son site élec­to­ral. Elle invite ces mêmes for­ma­tions à s’exprimer à tour de rôle sur ses antennes, dans l’émission BelRTL­Ma­tin. Dans Contro­verse, elle accueille des repré­sen­tants du Front des gauches, du Ras­sem­ble­ment Wal­lo­nie-France, du Par­ti popu­laire et de Vivant afin de débattre avec les porte-paroles des quatre prin­ci­paux par­tis fran­co­phones, le 30 mai 2010. Pour sa part, le même jour, Tine Van Rom­puy, can­di­date du PTB+, est inter­ro­gée par Pas­cal Vre­bos dans la séquence Les yeux dans les yeux.

Ce n’est pas assez pour le par­ti d’extrême gauche, dont le porte-parole déclare : « Fran­che­ment, nous, ce qui nous inté­res­sait, c’était de par­ti­ci­per au débat avec les autres par­tis, ce que nous avons pu faire […] à la RTBF. La ques­tion est un peu aujourd’hui : qui a peur de débattre avec le PTB ? Je pense que les quatre grands par­tis sont contents de ne pas avoir quelqu’un du PTB en face d’eux » (La Libre Bel­gique, 29 mai 2010). De son côté, M. Modri­ka­men dénonce, au sein des chaines pri­vées, « une situa­tion guère plus satis­fai­sante » qu’à la RTBF, due selon lui au « confor­misme de cer­tains jour­na­listes, trop habi­tués à tra­vailler en osmose avec les par­tis tra­di­tion­nels et fri­leux face aux vents du chan­ge­ment9 ».

On peut se deman­der s’il est pos­sible de déga­ger un large consen­sus en pareille matière. Quoi qu’il en soit, l’attitude des deux chaines prin­ci­pales évo­lue, indé­nia­ble­ment, depuis quelques années. Même si les par­tis éta­blis se taillent encore la part du lion dans les pres­ta­tions radio­té­lé­vi­sées, les for­ma­tions alter­na­tives ne sont plus, comme jadis, ostracisées.

La repré­sen­ta­tion pro­por­tion­nelle et ses tempéraments

La repré­sen­ta­tion pro­por­tion­nelle est le mode de scru­tin pra­ti­qué en Bel­gique depuis 1899. Elle est consi­dé­rée comme un méca­nisme « très ouvert aux for­ma­tions de petite taille et aux nou­veaux venus » (Del­wit, 2008, 244). Pour­tant, la méthode uti­li­sée en vue de l’attribution des sièges — la méthode D’Hondt — n’est pas la plus favo­rable qui soit aux par­tis alter­na­tifs10. Néan­moins, on assiste à un cer­tain émiet­te­ment du pay­sage poli­tique : dès 1999, onze for­ma­tions se par­tagent les sièges au Par­le­ment fédéral.

Un cor­rec­tif à l’application pure et simple de la repré­sen­ta­tion pro­por­tion­nelle est intro­duit par la loi du 13 décembre 2002 (article 16). Celle-ci éta­blit un seuil élec­to­ral de 5%, pour l’élection des séna­teurs, dans les col­lèges fran­çais et néer­lan­dais de la Haute Assem­blée. Elle fait de même, pour l’élection des dépu­tés, dans les cir­cons­crip­tions de la Chambre, sauf pour les cas par­ti­cu­liers de Bruxelles-Hal-Vil­vorde, Lou­vain et Nivelles. En d’autres termes, seules les listes qui obtiennent au moins 5% du total géné­ral des suf­frages vala­ble­ment expri­més, dans un col­lège ou une cir­cons­crip­tion, sont admises à la répar­ti­tion des sièges attri­bués dans ce col­lège ou cette cir­cons­crip­tion. Les autres listes y sont pri­vées de repré­sen­ta­tion. Or, l’obtention d’un ving­tième des votes valables, à l’échelle d’une pro­vince ou d’un col­lège com­mu­nau­taire, n’est pas une per­for­mance à la por­tée du pre­mier venu. Il s’ensuit que les dis­po­si­tions de décembre 2002 peuvent avoir pour effet de fer­mer l’accès au Par­le­ment à des for­ma­tions de petite taille et à de nou­veaux acteurs poli­tiques. En est-il ainsi ?

Lorsqu’ils font voter ce dis­po­si­tif, les par­tis éta­blis en attendent trois consé­quences (Pilet, 44, et Onclin, 19). Tout d’abord, ils tablent sur l’effet méca­nique du seuil : ce der­nier devrait leur pro­cu­rer un bonus, en termes de sièges, en péna­li­sant leurs com­pé­ti­teurs de moindre poids. Ensuite, les for­ma­tions ins­tal­lées comptent sur le relè­ve­ment des condi­tions d’éligibilité pour pha­go­cy­ter une série de dis­si­dences, en voie de mul­ti­pli­ca­tion à l’approche du scru­tin de 200311. Enfin, elles anti­cipent une modi­fi­ca­tion de com­por­te­ment dans le chef d’électeurs ration­nels et bien infor­més, sou­cieux d’émettre un « vote utile » : ces der­niers se détour­ne­raient des « petits par­tis » et repor­te­raient leurs suf­frages vers des for­ma­tions plus solides, afin que leurs choix ne demeurent pas sans effet.

À l’expérience, il s’avère que l’établissement du seuil de 5% ne bou­le­verse pas le pay­sage poli­tique. En 2003, il inflige un défi­cit de repré­sen­ta­tion aux verts d’Agalev, pri­vés de deux dépu­tés et d’un séna­teur, ain­si qu’à la N‑VA, dépos­sé­dée d’un dépu­té et d’un séna­teur. Il empêche la per­cée de for­ma­tions récem­ment consti­tuées, en par­ti­cu­lier de dis­si­dences. Par la suite, il décou­rage le dépôt de cer­taines listes, qui renoncent à sup­por­ter le cout et les efforts d’une cam­pagne vouée d’avance à l’échec. En revanche, il semble moins affec­ter les pré­fé­rences élec­to­rales indi­vi­duelles : les citoyens ration­nels et bien infor­més sont moins nom­breux qu’on ne le pense géné­ra­le­ment (Pilet, 44, et Onclin, 49 – 50).

L’impact de la réforme de 2002 est rela­tif, pour deux autres rai­sons. D’une part, en effet, la loi qui éta­blit le seuil élec­to­ral de 5% ins­taure une autre dis­po­si­tion, jouant cette fois au pro­fit des par­tis de petite taille : l’accroissement de la magni­tude de la plu­part des cir­cons­crip­tions par leur « pro­vin­cia­li­sa­tion12 ». D’autre part, l’obstacle du seuil de repré­sen­ta­tion peut faire l’objet de stra­té­gies de contour­ne­ment (Onclin, 43 – 47): à par­tir de 2003 – 2004, des for­ma­tions de dimen­sion réduite échappent au cou­pe­ret en s’intégrant à une alliance13. Bref, comme le note Pas­cal Del­wit (2008, 244), il serait exces­sif de sou­te­nir sans nuances que « les trans­for­ma­tions contem­po­raines de la légis­la­tion élec­to­rale se déclinent véri­ta­ble­ment comme le fruit de l’action d’un car­tel (NDLR : ou d’un oli­go­pole de par­tis éta­blis), ambi­tion­nant l’interdiction d’accès à de nou­veaux outsiders ».

Conclu­sion

Dans un article publié en 1995, deux poli­to­logues amé­ri­cains (Katz et Mair) ont sou­te­nu la thèse d’une car­tel­li­sa­tion struc­tu­relle du sys­tème des par­tis dans les démo­cra­ties occi­den­tales. Leur modèle accré­dite, entre autres, le scé­na­rio de la consti­tu­tion iné­luc­table d’oligopoles politiques.

Selon ces auteurs, les par­tis éta­blis seraient voués à la col­lu­sion, à tout le moins à une entente tacite, en vue d’assurer leur sur­vie. La hausse des couts de l’activité poli­tique les obli­ge­rait à faire appel aux res­sources de l’État, en sus­ci­tant et en régu­lant des flux de sub­ven­tions publiques dont ils seraient les seuls béné­fi­ciaires. Ils s’arrogeraient cet avan­tage par divers stra­ta­gèmes : l’adaptation des modes de scru­tin, l’instauration de seuils de repré­sen­ta­tion, la liai­son du finan­ce­ment public aux per­for­mances élec­to­rales anté­rieures. De la même manière, ils se réser­ve­raient un accès pri­vi­lé­gié aux médias plus ou moins contrô­lés par la puis­sance publique. Ils trans­for­me­raient ain­si l’État en « struc­ture ins­ti­tu­tion­na­li­sée de sou­tien aux acteurs éta­blis, au détri­ment des out­si­ders ». Com­bi­nant méca­nismes d’autoprotection et exclu­sion des concur­rents, ils en vien­draient à consti­tuer des car­tels, à l’instar de ce qui se pra­tique par­fois dans la vie éco­no­mique14. Ce com­por­te­ment devien­drait par­tiel­le­ment contre­pro­duc­tif : des par­tis mar­gi­na­li­sés y trou­ve­raient matière à mobi­li­ser les déçus du sys­tème, en agi­tant le spectre du « car­can » impo­sé par l’establishment. Ain­si s’expliquerait le suc­cès de cer­taines for­ma­tions à carac­tère protestataire.

Appa­rem­ment sédui­sant, ce modèle, dit « de Katz et Mair », est-il per­ti­nent dans le cas de la Bel­gique fran­co­phone ? Il semble qu’il ne puisse être adop­té dans sa radi­ca­li­té, sans que l’on y apporte des cor­rec­tifs et des restrictions.

Assu­ré­ment, les par­tis éta­blis évo­luent dans un envi­ron­ne­ment favo­rable à leurs inté­rêts, dont ils gardent la mai­trise. Ain­si, ils déter­minent le calen­drier élec­to­ral. En refu­sant, ne fût-ce que tem­po­rai­re­ment, leur par­rai­nage au dépôt de can­di­da­tures alter­na­tives, ils sont en mesure de com­pli­quer la tâche des for­ma­tions de petite taille. Ils orga­nisent le finan­ce­ment public des acteurs poli­tiques selon des cri­tères qui les avan­tagent. Repré­sen­tés au conseil d’administration de la RTBF, ils exercent une influence sur le dis­po­si­tif élec­to­ral de celle-ci, avec facul­té d’ouvrir ou de res­treindre l’accès des médias de ser­vice public à leurs com­pé­ti­teurs de moindre poids. Enfin, ils fixent les règles du jeu élec­to­ral, au point d’imposer un seuil de repré­sen­ta­tion défa­vo­rable aux « petits partis ».

Peut-on, dès lors, ava­li­ser la thèse d’une car­tel­li­sa­tion du sys­tème des par­tis, avec for­ma­tion d’un oli­go­pole poli­tique ? Une telle posi­tion semble exces­sive, pour dif­fé­rentes rai­sons. Tout d’abord, après un refus de par­rai­nage de « petites listes », les par­tis éta­blis s’exposent aux cri­tiques et aux pres­sions : celles-ci émanent de milieux intel­lec­tuels, de divers seg­ments de l’opinion publique, de la presse, mais aus­si de leurs propres mili­tants. Ensuite, les médias ne sont pas insen­sibles au mécon­ten­te­ment, expri­mé par le public ou relayé par des confrères, lorsqu’ils donnent l’impression de vou­loir réduire les for­ma­tions alter­na­tives au silence : en matière d’accès des « petits par­tis » aux ondes et aux antennes, tant la RTBF que RTL-TVI sont peu à peu obli­gées de lâcher du lest. Enfin, les règles du jeu adop­tées à l’initiative des prin­ci­paux acteurs poli­tiques ne sont pas tou­jours cohé­rentes : à la Chambre, la « pro­vin­cia­li­sa­tion » des cir­cons­crip­tions com­pense, dans une cer­taine mesure, l’instauration d’un seuil d’éligibilité de 5%.

Les per­cées d’Écolo et d’Agalev/Groen, puis celles de la Lijst Dede­cker et de la N‑VA le prouvent à suf­fi­sance : le pro­tec­tion­nisme poli­tique connait des limites. Nul ne peut empê­cher un nou­veau venu de décol­ler, s’il est por­té par une frac­tion signi­fi­ca­tive du corps élec­to­ral. En Bel­gique fran­co­phone, le sys­tème poli­tique est orga­ni­sé de manière asy­mé­trique, en faveur des par­tis éta­blis et en défa­veur des out­si­ders. Il n’est pas com­plè­te­ment ver­rouillé pour autant.

  1. Soit le PTB+ (Par­ti du tra­vail de Bel­gique), le Front des gauches (car­tel for­mé par le Par­ti com­mu­niste, la Ligue com­mu­niste révo­lu­tion­naire, le Par­ti socia­liste de lutte, le Par­ti huma­niste, les mou­ve­ments Comi­té pour une autre poli­tique et Vélo­ru­tion) et le MSplus (Mou­ve­ment socia­liste, consti­tué par des dis­si­dents du PS).
  2. Ce sou­tien est com­men­té comme suit : « Il serait vain de voir dans cette gran­deur d’âme libé­rale autre chose qu’une opé­ra­tion stra­té­gique. Le MR per­met ain­si à une liste de gauche concur­rente du PS de se pré­sen­ter devant l’électeur. Une manière, pour les réfor­ma­teurs, d’ôter à leur grand rival en Wal­lo­nie quelques voix sup­plé­men­taires » (La Libre Bel­gique, 15 – 16 mai 2010).
  3. « Sou­te­nir des petites listes ? La posi­tion des quatre par­tis », sur www.7sur7.be, 19 mai 2010.
  4. Le FN a pris la pré­cau­tion de faire signer, dès le début de 2008, des for­mu­laires de pré­sen­ta­tion de ses listes pour la 53e légis­la­ture, lors de ren­contres avec des citoyens. Nombre de ces for­mu­laires n’ont pas été vali­dés par les admi­nis­tra­tions com­mu­nales ou ont été annu­lés par des bureaux élec­to­raux, en rai­son du chan­ge­ment de domi­cile des signataires.
  5. « Le CA de la RTBF tente de faire taire les “petits” par­tis », sur www.rwf.be, 11 et 20 mai 2010.
  6. Notons que l’intéressé s’exprime ain­si au sor­tir de l’émission Mise au point, à laquelle il vient de participer.
  7. Lettre ouverte au conseil d’administration de la RTBF, 15 mai 2010.
  8. Com­mu­ni­qués de Belg.Unie, 23 et 30 mai 2010, 3 juin 2010. Dans ce der­nier com­mu­ni­qué, Belg. Unie annonce le dépôt d’une plainte devant l’OSCE (Orga­ni­sa­tion pour la sécu­ri­té et la coopé­ra­tion en Europe), avec demande d’envoi d’urgence « d’observateurs vers la Bel­gique pour contrô­ler l’accès aux médias des petits par­tis […] et pour sur­veiller les élec­tions elles-mêmes ». Voir « Des élec­tions mal­hon­nêtes », sur www.unionbelge.be, 3 juin 2010.
  9. «(Brève) lettre ouverte à mes conci­toyens, aux hommes poli­tiques et jour­na­listes de télé­vi­sion », sur www.partipopulaire.be, s.d.
  10. Fon­dée sur des divi­seurs, elle s’apparente à la méthode des plus fortes moyennes, qui avan­tage les « grands par­tis », et non à la méthode des plus grands restes (Onclin, 7 – 8).
  11. Ain­si les Chré­tiens démo­crates fran­co­phones (dis­si­dence du CDH), Libe­raal Appel et Vei­lig Blauw (dis­si­dences du VLD), les Nieuwe Chris­ten-Demo­cra­ten (dis­si­dence du CD&V), le Mou­ve­ment socia­liste (dis­si­dence du PS) et le Défi libé­ral (dis­si­dence du MR).
  12. Pour la Chambre, il est plus facile aux nou­veaux venus et aux for­ma­tions modestes de consti­tuer et de dépo­ser des listes dans 11 cir­cons­crip­tions que dans 20. Par ailleurs, la sup­pres­sion de l’apparentement pro­vin­cial entraine la dis­pa­ri­tion de la règle dite « du quo­rum » (néces­si­té d’obtenir au moins l’équivalent d’un tiers de siège direct dans un arron­dis­se­ment pour par­ti­ci­per à la seconde dévo­lu­tion, opé­rée au plan de la pro­vince), péna­li­sante pour les par­tis de petite taille.
  13. Ain­si, en 2003, Spi­rit s’allie au SP.A. En 2004, la N‑VA consti­tue un car­tel avec le CD&V, tan­dis que l’aile fla­mande de Vivant fait de même avec le VLD, avant de s’intégrer à l’Open VLD en février 2007. En 2010, le Front des gauches fédère six orga­ni­sa­tions qui, prises iso­lé­ment, seraient mar­gi­nales. Les CDF et BUB se regroupent pour la même raison.
  14. L’exemple le plus célèbre est sans doute l’Opep (Orga­ni­sa­tion des pays expor­ta­teurs de pétrole).

Paul Wynants


Auteur

Paul Wynants est docteur en histoire, professeur ordinaire à l’Université de Namur et administrateur du Crisp – paul.wynants@unamur.be