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1943 en Belgique occupée : année de bascule ?

Numéro 06 Septembre 2023 Deuxième guerreguerreOccupationRésistance - par Geneviève Warland -

2023. Depuis plus d’un an, les forces armées russes sont entrées en Ukraine. Missiles, grenades, roquettes et drones dévastent le pays et font de nombreux morts parmi les civils. Une partie de l’Ukraine est occupée depuis 2014 : la péninsule de Crimée et certains territoires des oblasts de Donetsk et de Louhansk. Tout est mis en place pour les russifier, notamment en misant sur une partie de la population qui est russophone. Le géant russe cherche à étendre sa domination sur l’ensemble du pays au nom d’un impérialisme qui, au regard d’autres empires, a provoqué maintes dévastations, comme le montre l’histoire de l’Europe depuis des millénaires. Au XXe siècle, les agresseurs étaient les empires centraux : l’Autriche-Hongrie et, plus particulièrement, l’Empire allemand. La soif de grandeur qui anime les despotes investis d’une mission mortifère a provoqué à deux reprises l’attaque de la Belgique, pays neutre, en 1914 et en 1940. En une génération, les troupes des deuxième et troisième Reich allemands ont franchi la frontière qui sépare les deux pays ; la ligne des forts autour de Liège et le long de la Meuse n’a pas résisté contre l’envahisseur supérieur en armes et en hommes, et un régime d’occupation a été établi en Belgique pour quatre ans et demi au cours de la Première Guerre mondiale d’aout 1914 à novembre 1918 et plus de cinq ans pendant la Deuxième Guerre mondiale, de mai 1940 à septembre 1944 sur une large partie du territoire belge et jusqu’à mai 1945 pour les Ardennes étant donné la controffensive de la Wehrmacht.

2023. Depuis plus d’un an, les forces armées russes sont entrées en Ukraine. Missiles, grenades, roquettes et drones dévastent le pays et font de nombreux morts parmi les civils. Une partie de l’Ukraine est occupée depuis 2014 : la péninsule de Crimée et certains territoires des oblasts de Donetsk et de Louhansk. Tout est mis en place pour les russifier, notamment en misant sur une partie de la population qui est russophone. Le géant russe cherche à étendre sa domination sur l’ensemble du pays au nom d’un impérialisme qui, au regard d’autres empires, a provoqué maintes dévastations, comme le montre l’histoire de l’Europe depuis des millénaires. Au XXe siècle, les agresseurs étaient les empires centraux : l’Autriche-Hongrie et, plus particulièrement, l’Empire allemand. La soif de grandeur qui anime les despotes investis d’une mission mortifère a provoqué à deux reprises l’attaque de la Belgique, pays neutre, en 1914 et en 1940. En une génération, les troupes des deuxième et troisième Reich allemands ont franchi la frontière qui sépare les deux pays ; la ligne des forts autour de Liège et le long de la Meuse n’a pas résisté contre l’envahisseur supérieur en armes et en hommes, et un régime d’occupation a été établi en Belgique pour quatre ans et demi au cours de la Première Guerre mondiale d’aout 1914 à novembre 1918 et plus de cinq ans pendant la Deuxième Guerre mondiale, de mai 1940 à septembre 1944 sur une large partie du territoire belge et jusqu’à mai 1945 pour les Ardennes étant donné la controffensive de la Wehrmacht.

Si la mémoire de la Première Guerre mondiale est devenue une mémoire culturelle, essentiellement connue par les cours d’histoire, des documentaires, des livres historiques ou fictionnels, des films, des conférences, ce n’est pas encore le cas de la Deuxième Guerre mondiale : un certain nombre de Belges nés dans les années trente et quarante vivent toujours. Les souvenirs de la guerre se transmettent oralement dans les familles, de grands-parents à petits-enfants ou arrière-petits enfants, et s’adressent à des audiences plus larges [1]. Dès lors, la Deuxième Guerre mondiale se situe dans le registre de la mémoire communicationnelle, celle de l’évocation d’événements vécus par les témoins.

2023, année où la guerre sévit à l’est du continent européen, nous est apparue comme une date opportune pour opérer un retour sur 1943, année de basculement du rapport de force entre les puissances ennemies, l’Allemagne nationale-socialiste perdant du terrain, en particulier à l’Est suite à sa défaite à Stalingrad. Pour les Belges en territoires occupés, 1943 constitue à peu près le mitant de l’expérience – à ce moment-là, ils ne le savent pas encore, même si les victoires des Alliés et des Russes ouvrent des perspectives nouvelles -, qu’il convient d’interroger sous l’angle de l’épreuve de la guerre. Ce dossier se centre sur la population belge, son moral, ses attentes, ses réactions de même que sur les contraintes et la répression qui pesaient sur elle.

Hugues Wenkin analyse le ressenti de la population belge en 1943, année vécue positivement en raison des revers de l’armée allemande et de faits de résistance, mais aussi année terrible à cause des conditions de vie et de travail pénibles.

L’entretien mené avec Fabrice Maerten développe les formes de résistance mises en place par les Belges et offre une réflexion sur les modalités de cet engagement risqué de la population en adoptant une perspective sociographique. 1943 représente un tournant, car la Résistance croît fortement, en partie en raison des réfractaires au service du travail obligatoire en Allemagne qui viennent gonfler ses rangs. Cet élément est à la base de la création la même année du réseau Socrate destiné à financer les réfractaires et la Résistance : sa mise en œuvre est évoquée par Luc Michel.

La répression est sévère, comme le montrent Louis Fortemps et Vincent Gabriel en mettant en évidence un de ses acteurs un peu oublié par l’historiographie et la mémoire collective : la police secrète de l’armée allemande (Geheime Feldpolizei), moins « célèbre » que la Sipo-SD ou Gestapo, mais cependant non moins efficace dans les arrestations de résistants et le démantèlement de réseaux. 1943 représente pour cette police une année de radicalisation de ses actions par des démonstrations de force et l’introduction de l’interrogatoire renforcé.

Concernant le pouvoir d’achat des Belges, 1943 est une année noire : il ne s’élève plus qu’à 15 % de son niveau de l’avant-guerre, rapporte Dirk Luyten. Par ailleurs, le service du travail obligatoire en Allemagne, introduit en octobre 1942, bat son plein avec le système des levées par tranches d’âge. De manière plus discrète et optimiste, cette année voit avancer les réflexions sur la préparation de l’après-guerre qui annoncent le Pacte Social élaborant les systèmes de concertation et de négociation sociales.

Une dernière contribution, rédigée à partir d’une focalisation médiane entre celle du narrateur et celle du protagoniste, raconte l’acte héroïque d’un aviateur de l’armée britannique : l’attaque du siège de la Gestapo par le lieutenant belge Jean de Sélys Longchamps le 20 janvier 1943. Opération réussie qui remonta le moral des Belges au début de l’année qui a servi de point d’analyse aux contributions de ce dossier.
Les articles qui suivent offrent donc des perspectives diverses et croisées sur la Belgique sous la botte du régime hitlérien. Loin d’épuiser tous les sujets, ils lèvent un voile sur des thèmes qui ont jusqu’à présent moins retenu l’attention de l’historiographie belge, telles l’étude de la police secrète de l’armée allemande et celle des aspects économiques et sociaux. En effet, les recherches menées dans les universités belges et au Centre d’études Guerre et société (CegeSoma) ont, pour l’essentiel, porté sur les questions politiques, sociales et juridiques de la Résistance et de la collaboration. L’encyclopédie en ligne Belgium WWII, réalisée par ces acteurs de la recherche, illustre cette tendance. Cela ne signifie pas que les autres domaines de l’Histoire – l’économie, les aspects militaires, en ce compris les prisonniers de guerre, et la culture au sens large – aient été laissés de côté. Ils n’ont pas encore reçu toute l’attention qu’ils méritent par manque de personnes, de moyens et pour des questions d’orientation des recherches. Par conséquent, l’étude historique de la Deuxième Guerre mondiale offre de nombreux terrains d’exploration à investiguer sous des angles toujours renouvelés.


[1Ainsi, le podcast à la fois très informatif et émouvant de La Morté R. à partir des souvenirs de ses grands-parents : « Je n’étais qu’un gosse. Marinette et Pierrot : 2 enfants en 40-45. 2 grands-parents aux souvenirs vivants », https://www.podcastics.com/podcast/je-netais-quun-gosse/ (disponible aussi sur Spotify). De même, les recherches menées sur la mémoire transgénérationnelle de la Résistance et de la collaboration pendant la Deuxième Guerre mondiale, notamment par Aerts K. et Rasmont F. dans le cadre du projet Belspo Transmemo. Le chagrin des Belges : La transmission familiale des mémoires de la Deuxième Guerre mondiale de 2017 à 2019. Voir, par exemple, Rasmont F., « Du résistant communiste au survivant des camps : enjeux autour de la production d’une histoire de famille relative à la Résistance et à la Seconde Guerre en Belgique », Journal of Belgian History, LII, 2022, 1-2, p. 208-225.

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Geneviève Warland


Auteur

Geneviève Warland est historienne, philosophe et philologue de formation, une combinaison un peu insolite mais porteuse quand on veut introduire des concepts en histoire et réfléchir à la manière de l’écrire. De 1991 à 2003, elle a enseigné en Allemagne sous des statuts divers, principalement à l’université : Aix-la-Chapelle, Brême, et aussi, par la suite, Francfort/Main et Paderborn. Cette vie un peu aventurière l’a tout de même ramenée en Belgique où elle a travaillé comme assistante en philosophie à l’USL-B et y a soutenu en 2011 une thèse intégrant une approche historique et une approche philosophique sur les usages publics de l’histoire dans la construction des identités nationales et européennes aux tournants des XXè et XXIè siècles.
Depuis 2012, elle est professeure invitée à l’UCLouvain pour différents enseignements en relation avec ses domaines de spécialisation : historiographie, communication scientifique et épistémologie de l’histoire, médiation culturelle des savoirs en histoire. De 2014 à 2018, elle a participé à un projet de recherche Brain.be, à la fois interdisciplinaire et interuniversitaire, sur Reconnaissance et ressentiment : expériences et mémoires de la Grande Guerre en Belgique coordonné par Laurence van Ypersele. Elle en a édité les résultats scientifiques dans un livre paru chez Waxmann en 2018 : Experience and Memory of the First World War in Belgium. Comparative and Interdisciplinary Insights.