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14 – 18 en Belgique, un tour d’expositions

Numéro 11/12 novembre/décembre 2014 - Première Guerre par Roland Baumann

novembre 2014

Les com­mé­mo­ra­tions du début de la Pre­mière Guerre mon­diale donnent lieu à une impor­tante pro­gram­ma­tion d’expositions en Bel­gique fran­co­phone, inci­tant le public à décou­vrir l’histoire de la Grande Guerre, à Liège, comme à Bruxelles et Mons. Liège-Expo 14 – 18 La ville de Liège accueille deux expo­si­tions évo­quant la Pre­mière Guerre mon­diale. Liège dans la tour­mente au musée de la Vie wallonne […]

Les com­mé­mo­ra­tions du début de la Pre­mière Guerre mon­diale donnent lieu à une impor­tante pro­gram­ma­tion d’expositions en Bel­gique fran­co­phone, inci­tant le public à décou­vrir l’histoire de la Grande Guerre, à Liège, comme à Bruxelles et Mons.

Liège-Expo 14 – 18

La ville de Liège accueille deux expo­si­tions évo­quant la Pre­mière Guerre mon­diale. Liège dans la tour­mente au musée de la Vie wal­lonne retrace le déve­lop­pe­ment indus­triel pro­di­gieux de la région lié­geoise à la veille de la Pre­mière Guerre mon­diale, l’état d’impréparation des défenses de la ville à l’approche de l’invasion, la bataille déses­pé­rée autour des forts de Liège, l’exode aux Pays-Bas des popu­la­tions civiles ter­ro­ri­sées par les atro­ci­tés alle­mandes et enfin la vie quo­ti­dienne des habi­tants de la Cité ardente durant les quatre ans d’occupation.

J’avais 20 ans en 14, à la gare des Guille­mins, repré­sente toute l’histoire de la Grande Guerre dans une vaste expo­si­tion à la scé­no­gra­phie spec­ta­cu­laire. Orga­ni­sée par les auteurs de l’exposition J’avais 20 ans en 45, cette évo­ca­tion de la Grande Guerre à la scé­no­gra­phie impres­sion­nante ras­semble une masse de docu­ments et objets d’époque, pro­ve­nant pour la plu­part de col­lec­tions pri­vées, dont une série d’œuvres de grands artistes qui témoignent du conflit : Bar­lach, Coc­teau, Dix, Grosz, Max Ernst, Lud­wig Meid­ner… Au cœur du par­cours, une recons­ti­tu­tion de tran­chée offre au visi­teur la vision ter­ri­fiante, son et lumière, des com­bats livrés au corps à corps sur le champ de bataille, au son des mitrailleuses, dans la pénombre que seules déchirent les lueurs des explo­sions… Une salle d’école trans­for­mée en hôpi­tal de cam­pagne évoque le rôle déci­sif de la méde­cine dans cette guerre moderne à laquelle les ser­vices de san­té n’étaient pas du tout pré­pa­rés en 1914. Les souf­frances des civils, plon­gés dans la guerre totale dès les pre­miers jours de l’invasion, sont repré­sen­tées par une scène d’exécution som­maire de civils belges entre­vue depuis les fenêtres de la cha­pelle d’un vil­lage dévas­té par la « sol­da­tesque teu­tonne ». L’évocation, par de nom­breux objets emblé­ma­tiques, des souf­frances et des dif­fi­cul­tés de la vie quo­ti­dienne des popu­la­tions en Bel­gique occu­pée est sui­vie d’un vaste décor de mai­sons bom­bar­dées et incen­diées sus­ci­tant l’émotion du visi­teur face aux désastres de la guerre dans les régions dévas­tées par les com­bats. Les célé­bra­tions de la vic­toire à la fin de 1918 et les trai­tés de paix mènent le visi­teur à l’« épi­logue » de l’exposition, curieux laby­rinthe ponc­tué de pro­jec­tions audio­vi­suelles, aux parois déco­rées de coque­li­cots résu­mant les bou­le­ver­se­ments de l’après-guerre, menant à une « expo dans l’expo » trai­tant de la chi­rur­gie répa­ra­trice des « gueules cas­sées ». Vision insou­te­nable de toutes les indes­crip­tibles muti­la­tions phy­siques dont sont vic­times tant d’anciens com­bat­tants, sur­vi­vants « mira­cu­lés » de l’épouvantable bou­che­rie que la chi­rur­gie doit aider à « reve­nir à la vie nor­male ». L’exposition s’adresse en par­ti­cu­lier aux écoles avec des dos­siers péda­go­giques per­met­tant aux jeunes de com­prendre les ori­gines du grand conflit, d’entrevoir le vécu des com­bat­tants dans les tran­chées, mais aus­si les souf­frances des civils sous l’Occupation et la trans­for­ma­tion de la socié­té belge dans l’après-guerre.

Bruxelles à l’heure allemande

Le musée et les Archives de la ville de Bruxelles orga­nisent à la Mai­son du Roi une expo­si­tion sur la vie de notre capi­tale en 14 – 18. Bruxelles est la plus grande ville d’Europe à vivre toute la guerre sous un régime d’occupation mili­taire. Le 20 aout 2014, l’armée alle­mande entre dans Bruxelles. Pen­dant cin­quante mois, les Bruxel­lois devront lut­ter pour leur sur­vie. La para­ly­sie de l’économie et le chô­mage plongent toute la popu­la­tion dans la détresse. Par­mi les nom­breuses vexa­tions impo­sées à la popu­la­tion, réqui­si­tions, etc., les Alle­mands contraignent aus­si les habi­tants de la ville occu­pée à vivre à l’heure alle­mande, d’une à deux heures en avance sur l’heure belge selon les sai­sons ! L’exposition met en lumière cette sur­vie menée au quo­ti­dien par les Bruxel­lois, à tra­vers un ensemble d’objets et de docu­ments emblé­ma­tiques. Un échan­tillon des nom­breuses cari­ca­tures, aujourd’hui conser­vées aux Archives de la ville de Bruxelles, réa­li­sées tout au long de l’Occupation par des artistes bruxel­lois et dif­fu­sées le plus sou­vent dans la clan­des­ti­ni­té, témoigne de l’état d’esprit rebelle des Bruxel­lois en 14 – 18.

L’exposition montre aus­si com­ment l’expérience de la pre­mière occu­pa­tion alle­mande a radi­ca­le­ment chan­gé la socié­té belge. La Pre­mière Guerre mon­diale marque une pro­fonde rup­ture dans l’évolution sociale, poli­tique, éco­no­mique et cultu­relle de notre socié­té. Bruxelles à l’heure alle­mande veut inci­ter le public à mieux com­prendre ce que signi­fie au quo­ti­dien « vivre dans une ville occu­pée ». Réa­li­sée en col­la­bo­ra­tion avec des ins­ti­tu­tions alle­mandes, l’exposition com­pare en effet la vie quo­ti­dienne de Bruxelles en 14 – 18 à l’expérience de guerre dans les grandes villes alle­mandes, comme Ham­bourg et Ber­lin, alors que l’Allemagne, sou­mise au blo­cus mari­time bri­tan­nique, exploite les res­sources éco­no­miques de Bruxelles et de la Bel­gique occu­pée pour sou­te­nir son indus­trie de guerre.

Le musée des Beaux-Arts de Mons

Le musée des Beaux-Arts de Mons (BAM) expose un ensemble d’œuvres d’art « vision­naires » témoi­gnant du malaise de la culture euro­péenne en crise d’avant 1914. Son­dant l’état de crise géné­ra­li­sée qui se mani­feste dans les arts plas­tiques euro­péens de la fin du XIXe siècle à la Grande Guerre, Signes des temps réunit plus d’une qua­ran­taine d’artistes euro­péens autour de thé­ma­tiques évo­ca­trices des rap­ports entre les grands cou­rants artis­tiques d’avant 1914 : le natu­ra­lisme, le sym­bo­lisme, l’expressionnisme… Quelque cent-cin­quante œuvres, pein­tures, sculp­tures, gra­vures et des­sins, pho­tos, pro­ve­nant de musées belges et étran­gers, exposent les visions de peur, de déca­dence, voire d’apocalypse, ain­si que les pro­jets de mondes uto­piques, ima­gi­nés par ces artistes modernes. Pano­ra­ma de l’explosion des cou­rants artis­tiques euro­péens à la « Belle Époque », l’exposition pri­vi­lé­gie l’art vision­naire de grands noms de l’art belge d’avant 1914, tels Féli­cien Rops, James Ensor ou Constan­tin Meu­nier, des artistes dont l’influence fut consi­dé­rable en Allemagne.

Par­mi les nom­breux artistes expo­sés citons Ossip Zad­kine, maitre de la sculp­ture cubiste, Otto Gut­freund, élève de Bour­delle, influen­cé par le cubisme ana­ly­tique de Picas­so et fon­da­teur de l’art moderne tchèque, Arnold Schön­berg, qui, en 1910, ins­pi­ré par les tra­vaux de Freud, tra­vaille à « un art de la repré­sen­ta­tion des pro­ces­sus internes », un art à dimen­sions psy­chiques, où le visuel doit expri­mer le musi­cal et vice-ver­sa, et aus­si Jacob Stein­hardt, fon­da­teur avec Lud­wig Meid­ner du groupe d’artistes expres­sion­nistes Die Pathe­ti­ker. Les visions d’apocalypse de Meid­ner évoquent bien le chaos de la vie moderne dans la grande ville, ain­si que l’explosion démo­gra­phique et urbaine carac­té­ri­sant les grandes capi­tales euro­péennes à la « Belle Époque ». Dans cette fas­ci­nante expo­si­tion d’art vision­naire, on peut cepen­dant s’étonner de l’absence d’artistes asso­ciés aux deux grands cou­rants de l’expressionnisme alle­mand, Die Brücke et Der Blaue Rei­ter.

Tou­jours au BAM, l’exposition La bataille de Mons. Les objets témoignent évoque les com­bats san­glants qui, à la fin du mois d’aout 1914, oppo­sèrent l’armée alle­mande au corps expé­di­tion­naire bri­tan­nique. Une série d’objets emblé­ma­tiques (casque à pointe alle­mand, mitrailleuse, clai­ron, etc.) pro­ve­nant des col­lec­tions du futur « Mons Memo­rial Museum » sont judi­cieu­se­ment contex­tua­li­sés et mis en scène, ren­voyant à la réa­li­té vécue de la guerre et de l’occupation alle­mande dans la région mon­toise en 1914 – 1918.

Enfin, dans la salle Saint-Georges, ancienne cha­pelle recon­ver­tie en salle d’exposition, Fritz Haber — Un esprit en guerre met en scène le superbe roman gra­phique de David Van­der­meu­len, retra­çant l’histoire de l’inventeur du « gaz mou­tarde », chi­miste juif alle­mand, ami d’Einstein et de Chaïm Weiz­mann, prix Nobel de chi­mie pour ses recherches sur la syn­thèse de l’ammoniac. Com­men­cée en 2003, la bio­gra­phie de Fritz Haber peinte par Van­der­meu­len et dont le qua­trième volume est sor­ti récem­ment, retrace l’histoire alle­mande des années 1880 à 1933 et explore les rap­ports dif­fi­ciles de l’identité juive à l’Allemagne. Les des­sins ori­gi­naux de Van­der­meu­len sont expo­sés dans une scé­no­gra­phie qui plonge le visi­teur dans l’univers exal­tant et inquié­tant de cet inven­teur dont le génie scien­ti­fique contri­bua aux hor­reurs du XXe siècle.

Roland Baumann


Auteur

Roland Baumann est historien d’art et ethnologue, professeur à l’Institut de radioélectricité et de cinématographie (Inraci), assistant à l’Université libre de Bruxelles (ULB).